Mira souffrait intérieurement, même si ça paraissait dur à croire. Malgré ça, Isabella resta impassible et froide, elle critiqua ouvertement son règne, la façon dont elle prétendait honorer la mémoire d'Eris, remua encore le couteau dans la plaie de son erreur, et sortit de sa chambre en lui disant qu'elle allait rester seule un long moment. Et là, alors que la reine croyait ne pas pouvoir aller plus mal, elle sentit littéralement son cœur se briser.
« Isabella... non... ne me laisse pas... »
Elle avait perdu le peuple, et elle venait de perdre sa fille.
Mira passa presque une demi-heure à pleurer, se lamentant sur son sort, maudissant son incapacité à garder la tête froide. Tout était en train de lui échapper, et elle ne voyait aucune solution pour s'en sortir cette fois. Elle était prête à abandonner quand, tout à coup, elle entendit une voix. Une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.
« Debout Mira. Tu abandonnes déjà ? »
« Eris ? »
« Qui veux-tu que ce soit ? Allez, debout ! »
« Mais... où es-tu ? »
« Dans l'Autre monde. J'ai pu prendre une minute pour te parler. »
« Qu'est ce que... Qu'est ce qui m'arrive ? Je deviens folle, c'est ça ? »
« Pas encore, mais tu le seras si tu ne te lèves pas de ce lit. »
La reine crut à de la folie passagère. Elle avait déjà fait une dépression après la mort d'Eris, et avait été victime d'hallucinations. Les événements de ces dernières heures avaient du être plus durs pour son moral qu'elle ne le croyait.
« Je ne peux pas, je... je n'ai plus la force. »
« Bien sûr que si. Quand tu t'es lancée sur les traces d'Inferno, tu as remué ciel et terre pour le retrouver et le tuer. Quand je t'ai demandé en mariage, tu as subi une importante opération et tu as pris des risques pour me faire un enfant. Alors ne viens pas me dire que tu ne peux pas surmonter ça. »
« Ça n'a rien à voir. On parle d'une ville entière. »
« Oui, une ville que je t'ai confiée le jour de ma mort. »
« Tu as bien vu ce qui s'est passé. J'ai laissé mes émotions prendre le dessus. J'ai fait trop d'erreurs. »
« Un bon chef d'état n'est pas quelqu'un qui ne commet jamais d'erreurs, mais quelqu'un qui arrive à les surmonter. Tu t'es plantée, mais rester dans ton lit à te morfondre ne changera rien. Tu dois te lever et rectifier le tir. »
« Mais comment ? »
« C'est à toi de trouver. »
« Je ne sais pas si j'en suis capable. Je ne suis pas comme toi. »
« Non, en effet, tu n'es pas comme moi, car personne n'est comme moi. Et personne n'est comme toi. Tu crois que je t'ai épousée juste pour ton beau petit cul et ta queue ? Non. Je t'ai épousée pour ça et aussi parce que je savais que tu avais l'étoffe d'une reine. Alors montre moi que je ne me suis pas trompée. »
La reine ne savait plus quoi dire. Eris avait peut-être raison, mais comment mettre en application ce qu'elle lui avait dit ?
« Au revoir ma chérie. Tu me manques. »
« Quoi ? Non, Eris, attends ! »
Et là, Mira se réveilla au milieu de sa chambre. Tout ça n'était qu'un rêve. Elle était rassurée de savoir qu'elle n'était pas en train de perdre la tête, mais maintenant, elle devait prendre une décision : abandonner ou se battre. Et ce rêve lui avait porté conseil.
La reine envoya ses drones dans toute la ville pour diffuser un message.
« Habitants de Ghibli, ici votre reine, Mira Langnar.
Je sais que vous êtes tous furieux après ce que j'ai fait, et je ne vous insulterai pas en cherchant à justifier mon geste. C'était un acte barbare et une ridicule parodie de justice. J'ai laissé mes émotions prendre le dessus et j'ai voulu me substituer à la loi. Je croyais agir pour venger Eris, mais je ne l'ai fait que pour moi.
Mais j'ai bien compris mon erreur, et je ferai tout pour la corriger, à commencer par l'assassin de la reine. Actuellement, nous le gardons dans une cellule, où il est soigné et remis en état. Je croyais que son sort m'appartenait, mais je sais maintenant que son geste ne me concerne pas que moi. Il nous a pris à tous un être cher à nos cœurs. C'est pourquoi, à partir de demain, je ferai passer des bulletins de vote parmi vous afin que vous vous exprimiez sur la sentence que mérite cet homme. La décision majoritaire sera appliquée. Je compte sur votre participation.
Merci à tous. »
Mira avait vraiment tenté de faire amende honorable auprès de son peuple, mais elle savait que le chemin serait long avant qu'elle ne regagne leur confiance. Mais les choses se mirent à dégénérer d'une façon qu'elle n'avait pas prévu.
Trois jours après son annonce, les bulletins de vote commençaient à arriver, et la plupart d'entre eux étaient accompagnés de messages de haine envers la souveraine. Pire encore, une violente émeute éclata dans les rues, et plusieurs officiers et membres du gouvernement furent sauvagement assassinés. Devant ce débordement de violence, la reine n'eut d'autre choix que d'autoriser l'usage de la force contre la population. Après ça, plusieurs émeutes éclatèrent, avec à chaque fois une dispersion de la foule et des arrestations en pagaille. Et pour compliquer encore plus les choses, Tekhos avait envoyé des soldats pour aider à gérer la situation, estimant que la souveraine avait perdu le contrôle de sa cité. Cette dernière craignait une augmentation des effectifs rebelles, galvanisés par l'ambiance de révolte en ville.
Après une nouvelle émeute dispersée, Mira partit à la rencontre de l'officier de liaison tekhane dans son vaisseau, voyant avec elle les dégâts et les personnes arrêtées durant l'opération.
« Merci encore pour votre aide officier. Sans vous, je crois que la ville aurait déjà été détruite. »
Elle appréciait leur aide, mais craignait toujours les répercussions. Elle se sentait piégée, l'étau se resserrant lentement autour d'elle. Quittant la salle de réunion, Mira marcha en direction du bar, avec la ferme intention de noyer ses soucis dans l'alcool. Sur le chemin, elle croise plusieurs soldates avec qui elle avait passé des moments très agréables. Elle pensait que le sexe l'aiderait à fuir un instant la terrible réalité, mais à chaque fois, elle réalisait que son plaisir ne faisait que rendre sa tristesse plus dure.
Arrivée au bar, elle s'assit et commanda un verre, puis une autre soldate vint la rejoindre. Lena Oxton. Excellente éclaireuse de terrain, douée pour s'infiltrer, et une vraie beauté. Combien de fois Mira s'était elle retournée sur ses jambes et son popotin, que la soldate faisait exprès d'agiter pour l'aguicher ? Elle vint s'asseoir sur le siège d'à côté, lui proposant de boire avec elle.
« Pourquoi pas ? Tu m'empêcheras de me saouler à mort comme ça. »
Lena était la seule personne sur ce vaisseau à la tutoyer, ce qui montrait bien qu'elle était plus libre d'esprit que la moyenne des soldats. Et la reine en faisait de même, se fichant éperdument du protocole quand elle buvait.
« A mon échec cuisant comme chef d'état. »
Elle descendit le verre cul-sec, qui lui chauffa la gorge assez durement. La soldate lui demanda comment elle allait.
« Honnêtement ? C'est un miracle que je ne me sois pas déjà foutue en l'air. Ghibli est en train de m'échapper des mains. La population est furieuse depuis ce que j'ai fait à l'assassin d'Eris, et j'ai eu beau essayer de corriger mon erreur, ils ne veulent rien entendre. J'ai mis la sentence du meurtrier au vote, j'ai diminué la surveillance en ville, j'ai allégé les impôts, mais rien n'y fait. Les émeutes se multiplient, les rebelles gagnent des sympathisants, et la population veut planter ma tête sur une pique. Même ma propre fille m'a abandonnée. »
Mira prit un deuxième verre, qu'elle descendit cul-sec également.
« Sujets de mes deux. Je fais une toute petite erreur et voilà que c'est la fin du monde. J'aurais voulu les y voir, eux, si ç'avait été l'assassin de leur femme. Ils mériteraient que je les massacre tous jusqu'au dernier.
Et cette petite peste de princesse. Je régnais déjà quand elle portait encore des couches, j'ai tout fait pour qu'elle puisse grandir heureuse malgré la mort de sa mère, j'ai fait des efforts et des tas de sacrifices pour elle, et aujourd'hui elle se permet de juger ma façon de régner. Plus ingrate que ça tu meurs ! Elle a de la chance d'être trop grande pour que je puisse lui donner une fessée. »
La reine aurait voulu continuer à boire jusqu'à rouler sous la table, mais elle devait avoir les idées claires en arrivant chez elle pour gérer l'état de crise. Même Lena l'encourageait à y aller doucement sur la boisson.
« Je crois que les derniers amis que j'ai encore dans ce monde, c'est les concubines du harem... et peut-être toi. »
Cette soldate était-elle une amie ou juste une militaire sympathisant avec elle de façon professionnelle ? En tout cas, c'était agréable d'avoir quelqu'un avec qui boire.
Après un troisième verre, la reine avait l'esprit un peu embrumé par l'alcool, mais était toujours lucide. En revanche, ses inhibitions commençaient à s'en aller.
« C'est dingue tout de même. Je suis la souveraine d'une cité au bord de la guerre civile... »
Elle se tourna vers Lena et planta son regard d'or dans ses yeux bruns pétillants de malice.
« … et la seule chose à laquelle je pense maintenant, c'est toi. »
Elle parcourut le corps de la soldate de la tête aux pieds.
« J'ai passé des heures sur ce vaisseau au cours du dernier mois, j'ai mis toutes tes camarades de régiment dans mon lit, et la seule chose que je n'ai jamais pu faire, c'est te convaincre de venir dans ma chambre pour agiter ton délicieux petit popotin tout nu devant moi. »
Elle allait peut-être mourir demain, alors elle s'autorisait à parler franchement.
« Tu crois que je n'ai pas remarqué que tu me reluquais, et que tu remuais ton petit popotin pour moi quand je me retournais dessus ? Si ton but était de me donner envie, alors mission accomplie soldate. »
Mira plaqua ses lèvres contre celles de Lena, puis se retira aussi vite qu'elle avait approché.
« J'ai envie de toi Lena. Viens dans ma chambre et montre moi tes fesses. »