Jonah Wyngrave venait de finir de boire son café, et se relevait quand on sonna à la porte de la vieille maison familiale. Une sympathique demeure qui avait été bâtie au milieu de ces champs, et qui semblait bien vide, depuis qu’il en était le dernier occupant. Ses parents étaient morts tous les deux. Son père avait été tué il y a plusieurs années en effectuant son service militaire, trépassant sur les remparts d’un superfort en protégeant la nation des invasions ashnardiennes, et sa mère avait fini par mourir d’une leucémie, après avoir passé sa vie à traire leurs vaches. Jonah avait donc hérité de cette ferme, qui existait depuis maintenant plusieurs siècles, et qui était spécialisée dans l’élevage. Le long de la cour, on voyait ainsi des poules qui se baladaient rapidement, et qui fuirent quand le petit cortège approcha. Néanmoins, outre les œufs du poulailler et la volaille, la ferme tirait sa principale source de revenus de son lait. À ce titre, Jonah disposait d’une cinquantaine de vaches laitières, et, pour les entretenir, disposait de plusieurs employés, des commis qui venaient depuis le plus proche village, Hocquebourt.
Situé dans la campagne nexusienne, Hocquebourt n’était néanmoins pas si éloigné que ça de Nexus, car, depuis la ferme de Jonah, on pouvait, à dos de cheval, rejoindre un grand lac proche, et, depuis ce lac, on voyait, de l’autre côté, les remparts de la muraille entourant la cité-État. Pour autant, Jonah n’avait jamais envisagé de quitter ses terres. Il était l’héritier de la ferme, une ferme qu’on se transmettait de père en fils depuis une quinzaine de générations, au moins, et, plus que tout, Jonah aimait sa terre. Nexus l’effrayait, par son gigantisme, par l’insécurité chronique qui y régnait. Pour autant, beaucoup de ses amis étaient partis, lassés de la vie à la ferme, une vie exigeante, et peu gratifiante. S’il existait des agriculteurs riches, ce n’était pas le cas de Jonah, qui dirigeait une petite exploitation agricole familiale, et qui avait de nombreuses dettes. Lui et les autres fermiers d’Hocquebourt vivaient continuellement dans la crainte que les établissements bancaires viennent réclamer leur dû, et n’envoient des huissiers pour les saisir, et vendre ensuite les biens à de grosses guildes agricoles, qui pratiquaient une agriculture massive et intensive, sur la base de pesticides et d’engrais conçus par les alchimistes nexusiens.
*
C’est une vie dure, mais c’est la mienne...*
Voilà souvent ce que ce bel homme se plaisait à répéter. Pour autant, au-delà même du fait de devoir se lever tout le temps à cinq heures du matin, et de devoir entretenir son bien et toutes ses vaches, à les laver, les traire, récolter le lait, nettoyer les champs, il y avait une chose qui pesait par-dessus tout sur Jonah. C’était cette ferme vide, ces couloirs silencieux, cette grande maison qui ressemblait de plus en plus à une maison hantée. Le fait est que Jonah approchait de la trentaine, était vierge, et désespérément seul. Il n’avait jamais rencontré une femme qui puisse vraiment lui plaire, et Jonah savait que, si bien de ses amis avaient choisi de s’installer dans la capitale, c’était aussi pour ça. Il n’y avait plus personne dans la campagne, car toutes les filles potables partaient.
Jonah, de plus, subissait le contrecoup du fait d’avoir enterré sa mère, et avait déprimé pendant une ou deux semaines, avant de reprendre du poil de la bête. Mais, chaque nuit, les cauchemars venaient l’étreindre. Allait-il mourir seul, dans son lit, dans cette ferme mal isolée, où le vent sifflait dangereusement l’hiver ? La simple idée le déprimait considérablement.
Ce midi, donc, il s’apprêtait à aller faire un tour de surveillance quand on sonna à sa porte.
*
Qui’est-ce que c’est ?*
Troublé, il s’approcha, et entrouvrit la porte, fronçant les sourcils... Pour croiser le regard d’un homme en impeccable costume médiéval.
«
Que... Qui êtes-vous ? -
Enchanté, Monsieur. Je suis Maître Prizjweckä, clerc de Maître Lesmond, Notaire de Nexus. Êtes-vous bien Monsieur Jonah Wyngrave ? -
Je... Euh... Enchanté, Monsieur Pi... Pris... Euh... Maître. Je... Oui, oui, c’est bien moi... -
Ah ! Fort bien, fort bien. Auriez-vous une pièce d’identité susceptible d’en justifier ? -
Oui, mais... Vous venez pour quoi, au juste ?! -
Mais... Pour la succession ! »
Surpris, Jonah cligna des yeux à plusieurs reprises.
«
La... La succession ? Mais... Cette dernière a déjà été réglée, je... »
Semblant s’agacer, Maître Prizjweckä secoua la main, lui coupant la parole :
«
La question de l’assurance-vie est traitée à part. Bon ! Pouvons-nous rentrer, pendant que vous cherchez une pièce d’identité ? Nous serons plus à l’aise pour discuter... »
L’assurance-vie ? Jonah n’y comprenait plus rien, et l’homme lui présenta sa carte, comme pour attester qu’il était bien un Notaire. Eberlué, Jonah ouvrit la porte, et, tout en s’écartant, vit, non seulement l’homme rentrer, mais aussi deux gaillards, transportant une épaisse caisse noire métallique, sur laquelle Jonah vit un étrange logo, gravé dessus : «
GWC ». Sur le toit de la boîte, il y avait des espèces d’appareils qui bipaient et clignotaient, ainsi qu’une petite trappe, qui servait à aérer l’intérieur de la boîte.
«
C’est quoi ce truc ?! -
Procédons par étapes ! Allez chercher une pièce, pendant que je prépare les documents ! »
Silencieux quelques secondes, Jonah hocha la tête, et leur indiqua de se rendre au salon, tout en allant chercher dans une commode le papier attestant de son identité, signé et tamponné par le bailli d’Hocquebourt. Le temps qu’il revienne, le Notaire avait sorti une liasse de documents, et lui expliqua rapidement le contenu :
«
Il y a des années, quand votre père a appris qu’il allait partir à la guerre, vos parents ont fait le choix de souscrire une assurance-vie. C’est une procédure très courante, à la différence que le bénéficiaire n’a pas été votre mère, mais vous-même. Quand votre père est mort, votre mère a reçu une importante prime de la part de l’État, qu’elle a néanmoins choisi d’ajouter à la prime de l’assurance. Et, il y a de cela quelques semaines, la de cujus s’est rendue auprès de notre étude, afin de procéder à une modification de la prime. Elle ne souhaitait plus un versement de capital, mais que la prime se présente sous la forme de la fourniture du bien ci-présent. Il nous a fallu l’acheminer depuis Tekhos, ce qui explique notre arrivée si tardive, ce sur quoi je tiens à préciser qu’il ne peut nous être imputé aucune négligence dans le traitement du dossier, car nous avons agi dans les plus brefs délais, mais ne pouvons être tenus pour responsable des délais d’acheminement du... -
Euh... Temps mort ! C’est quoi, cette histoire ? »
De nouveau agacé, le Notaire émit un grommellement. Parler avec un fermier devait être très désagréable pour lui, ce que Jonah pouvait aisément comprendre, et il récapitula donc.
«
Vos parents ont souscrit une assurance-vie très précise, et ont tenu à modifier ce que vous pouvez gagner en cas de réalisation de l’évènement ayant été couvert, à savoir leur mort accidentelle. Le montant de la prime étant particulièrement élevé, les différents émoluments et frais d’honoraires ont d’ores et déjà été prélevés sur la prime. Ce qui compte, c’est que vos parents vous ont légué ceci, fit-il en désignant la boîte.
-
Mais... Y a quoi dedans ?! -
Eh bien, ouvrez, et vous serez fixés ! »
Jonah hocha lentement la tête, puis s’approcha de cette machine infernale, un peu mécaniquement. Lui qui s’attendait à inspecter ses vaches, se retrouvait dans une situation des plus cocasses, avec une espèce d’olibrius mal dégrossi qui le prenait pour un péquenaud. Il s’approcha de l’appareil, et appuya sur un bouton. La boîte émit alors un sifflement, puis le haut s’ouvrit de lui-même.
Dedans, il y avait un gros coussin rose qui s’étalait sur le fond de la caisse, des tubes sur les côtés permettant de diffuser un gaz de nettoyage, ainsi que du parfum, et, surtout, à l’intérieur, couchée sur le coussin, avec plusieurs vibromasseurs roses posés autour d’elle...
«
C’EST UNE BLAGUE ?!! »
...Une
Ushi !