Il y a de cela plusieurs siècles, deux des Trois grandes nations de ce monde-ci entrèrent en guerre. L’une était la richissime Nexus, dont l’opulence lui permettait de se tenir au cœur du monde, car toutes les nations connues étaient ses débitrices. Et, quand on détient l’or, on détient le pouvoir. La seconde ces nations, quant à elle, était un petit poucet redoutable, émergeant des profondeurs des terres, le terrible Empire d’Ashnard, dont le nom seul suffit à taire n’importe quelle bonne humeur, et à remplir d’effroi et de peur le cœur des plus hardis. Et, si vous n’avez point peur en entendant ce nom, alors, mes braves gens, c’est que vous avez confondu une mer d’étoiles dans le ciel avec leur reflet dans le lac... Ou, pour le dire plus simplement, que vous êtes téméraire, de cette témérité dont on fait les linceuls.
Nulle nation ne résistait éternellement face à l’implacable machine de guerre impériale. Là où Tekhos s’enfermait derrière ses montagnes pour développer sa technologie, Ashnard, elle, se répandait dans tout le monde, massacrant, pillant, asservissant, puis colonisant, repeuplant les jeunes colonies. Et, très rapidement, le long de sa marche, Ashnard se retrouva confrontée à son pire ennemi : Nexus. N’écoutez point tous les discours idéologiques et toutes les démagogies militaires prônées par les deux régimes, l’un décrivant l’autre comme un Empire du Mal, l’autre comme un Empire de banquiers et de financiers. La réalité est que nous avons deux blocs se faisant face, deux blocs ayant chacun une vision différente du monde, et, plus particulièrement, de ce que les politologues, entre eux, et parfois malheureusement entre nous, appellent le « cœur du monde ». Qui contrôle le cœur contrôle le monde. Qui contrôle le monde gagne à ce jeu de trônes et de pouvoirs.
La réalité est toute simple : les Nexusiens pensent contrôler le cœur par les mers, par l’argent, par les flux commerciaux, et pensent que ce n’est pas tant le cœur du monde qui compte, que ses frontières et ses abords. Ainsi en va-t-il de la terrible flotte nexusienne, présente sur toutes les mers. Les Ashnardiens, eux, ont une vision plus continentale. Le cœur, c’est le cœur. On ne contrôle le monde qu’en en dominant ses terres, ses richesses, ses mines, ses gisements. Deux visions se heurtent, deux Empires se font face. Les chocs furent terribles et brutaux, mais jamais Nexus ne fut rompue, et jamais Ashnard ne fut brisée.
Plusieurs siècles de conflits ne peuvent durer sans relâche, et, à plusieurs reprises, on observa des périodes de relâchement, des périodes de détente, des moments où les deux nations envisagèrent une chose honnie et impensable : faire la paix.
Impossible, la paix ? Vous pouvez y croire, cyniques que vous êtes, mais d’autres eurent des avis différents. Et ce fut précisément le cas de nos deux jeunes héroïnes. Une Ashnardienne, une Nexusienne, les symboles de la Détente, et de la paix... Une image que nous retrouvons, comme un souvenir funeste, dans les méandres du manoir où commence notre aventure, un tableau que vous pouvez maintenant apercevoir en vous rendant dans l’un des salons de ce manoir, mais que, par sympathie, nous transmettons ici :
«
Les curetons ne sont pas les bienvenus à Ashnard, et ils ne le seront jamais. -
Ce n’est assurément pas avec une telle analyse, si fine, et si judicieuse, que nous parviendrons à mener à bien nos objectifs, ma très chère sœur. »
Pour seule réponse à la remarque de
Declan,
Ellen Dowell émit un grognement désapprobateur. Elle se redressa, s’extirpant de son lit, sans accorder un seul regard vers les quelques servantes, qui rougirent devant le spectacle du corps nu de la puissante Comtesse. Elle avait quelques cicatrices dans le dos, signe de son combat contre un redoutable griffon, cicatrices qui, même malgré sa nature vampirique, n’étaient pas disparus.
Se redressant donc, elle tendit la main vers l’une de ses servantes, récupérant un verre de sang, et s’approcha de la fenêtre donnant sur son domaine.
Le domaine Dowell était très agréable, rappelant un peu Nexus, car il se composait de belles verdures, de pâturages, et de montagnes abritant des gisements miniers importants. Buvant dans sa coupe, la puissante Ellen écoutait d’une oreille distraite la litanie de son frère, Declan Dowell, actuel Patriarche du clan, qui lui rappelait ce qu’elle savait déjà. Elle allait devoir se marier avec une Nexusienne pour favoriser les accords de paix voulus par l’Ordre Immaculé.
«
Tu as beau critiquer la religion, le fait est que la plupart des nouveaux territoires annexés par l’Empire sont des territoires qui reconnaissent le Dieu unique et les préceptes de l’Ordre Immaculé. »
On avait beau tout enlever aux esclaves, la foi continuait à rester, donnant lieu à de multiples révoltes. L’Empereur avait décidé de faire de la religion de l’Ordre Immaculé une religion reconnue par l’Empire, car il ne pouvait pas lutter contre Nexus et contre l’Ordre en même temps. Ce faisant, l’Ordre Immaculé était derrière cette nouvelle tentative de paix. Les religieux voulaient d’un monde apaisé pour pouvoir s’implanter plus profondément dans l’Empire. Une telle décision avait soulevé une levée de boucliers et d’hostilités au sein de la Cour, et on disait que l’Empereur avait dû raccourcir de nombreuses personnes pour pouvoir éviter une nouvelle guerre civile. La chute du Roi Cramoisi avait beau dater d’il y a plusieurs années, elle était encore très bien ancrée dans toutes les mémoires.
Les Dowell faisaient partie de ce processus de paix, et c’était leur père, Archibald Dowell, qui avait autorisé la venue de l’Ordre Immaculé, et proposé l’instauration d’une alliance politique entre son clan, et une puissante famille nexusienne. Autrement dit, un mariage purement politique destiné à rapprocher les Nexusiens et les Ashnardiens, et, ainsi, développer la paix.
Ellen allait devoir se marier aujourd’hui, et, tandis qu’elle voyait le cortège nexusien s’approcher, on mit sur son corps un manteau noir avec des sortes de plumes de corbeaux aux épaules. Elle reposa le verre de sang, et accorda à peine un bref regard vers les deux concubines endormies dans son lit, à qui elle avait fait l’amour, les ponctionnant dans la foulée de leur sang. Torse nu, Declan était penché vers ses cartes, vers ses traités, et vers les moyens les plus efficaces pour permettre aux Dowell de briller davantage dans l’échiquier politique qu’ils étaient en train de faire.
Elle retourna vers Declan, dont le côté très efféminé lui avait toujours plu, et embrassa ce dernier. Ils avaient fait l’amour, mais Declan s’était réveillé plus tôt qu’elle.
«
Je vais aller accueillir notre petite dévote... -
Fais donc, je vous rejoindrais plus tard, je ne voudrais pas perturber la rencontre de deux amours naissants... -
Va te faire foutre, mon chéri... »
Ellen lui mordilla l’épaule, puis sortit ensuite. Avant de rejoindre ses invités, qui devaient attendre dans un salon, elle enfila une robe noire... Ou, plutôt, laissa ses servantes l’enfiler. Fait notable, tout le personnel du manoir présentait deux petites traces d’incisives dans le creux du cou.
Ellen arriva ainsi, par un escalier donnant sur une mezzanine surplombant le salon, dans une superbe robe noire, et se tint sur le rebord, adressant à ses invités un sourire ravissant, ses lèvres rouge sang semblant scintiller sur sa peau pâle.
«
Chers amis de Nexus, je vous souhaite la bienvenue ! »
Les servantes leur apportaient à manger et du vin, tout en portant des
soubrettes très agréables à regarder.
Tout en descendant à leur niveau, Ellen tenait, dans sa main, un verre de vin rouge, et leur souriait chaleureusement.
«
J’espère que votre voyage s’est passé sans accroc, Nexus est très éloignée de nos terres. »