Le trouble de Sha n’avait nullement échappé aux deux femmes, et, alors qu’Aliona ne lui répondait pas, ce fut la démone qui s’en chargea.
Agrat lui annonça ainsi, non sans une certaine fierté, avoir un culte qui, en tout, comprenait quelques milliers de personnes. Sha haussa légèrement les sourcils, en se demandant néanmoins si, dans son calcul, elle incluait le culte depuis sa formation, soit il y a quelques siècles, ou juste maintenant. Ceci étant dit, il n’était pas forcément difficile de subjuguer des foules, quand on disposait de pouvoirs magiques. Soit le peuple vous idolâtrait, soit il vous haïssait. Mais, dans un cas ou dans l’autre, Sha savait que ces milliers de cultistes n’étaient pas tous réunis à Seikusu. Autrement dit, la femme avait voyagé dans le monde.
Aliona demanda alors à Sha ce qui lui était familier, et la Déesse la regarda. Elle aurait pu s’offusquer de l’impertinence de la femme, mais, au lieu de ça, sa main se leva, et alla caresser la joue de la femme, glissant lentement sur sa peau.
«
Toi... »
Sha retira sa main de sa peau, et regarda autour d’elle.
«
Et ce rituel... »
Elle tourna ensuite sa tête vers Agrat. Elle aussi, elle lui était familière, mais... Pas de cette façon. Sha marcha alors un peu, continuant à réfléchir, les hypothèses se bousculant dans son esprit.
«
C’est un rituel de sorcellerie, et je me demande si... Tu sais, la vie est comme un fleuve dont chaque mort serait une incursion. L’âme, éternelle, se réincarne toujours, sauf cas particuliers. Je ne sais pas... Je ne sais pas, car ma mémoire me fait défaut, mais... Il est peut-être possible que, dans une précédente vie, tu étais une sorcière. »
Le plus troublant, c’est qu’elle pensait que ce rituel, la manière dont les corps étaient agenouillés dans des endroits précis, était peut-être l’un de ses rituels, à une époque où Sha n’était pas l’Ombre, où elle était la puissante Déesse des sorcières, cette époque lointaine où les divinités étaient des femmes, bien avant l’essor du christianisme, ou même des vieilles religions polythéistes grecques et romaines.
Sha finit par clarifier certains points.
«
J’ignore si tu as été l’une de mes sorcières jadis, mais je ne m’opposerai nullement à tes petits rituels. Tout ce que je peux faire, c’est te conseiller d’être vigilante... Et, par ailleurs, je te présente mes excuses pour avoir perturbé ta séance. Il va de soi que, si tu veux une compensation, je peux te l’autoriser. »
Le fait de penser qu’Aliona pouvait avoir, jadis, dans une autre vie, l’une de ses sorcières, la rendait instinctivement nettement plus sympathique aux yeux de Sha... D’où le fait que l’Ombre s’était sensiblement adoucie. Elle avait beau parfois se montrer cruelle et sanglante, quand il s’agissait de ses propres enfants (ce que chaque sorcière était), elle pouvait faire preuve de compréhension et de sympathie... Comme en ce moment.