La demi-Sidhe errait, sans but, entre les neuf cercles de l’Enfer. Son rôle d’Ambassadrice n’était pas très prenant. Le reste du temps, donc, elle flânait. Elle découvrait. Elle se liait avec des démons, nouait des alliances et des amitiés. Ce jour, elle se plaisait à arpenter le septième cercle, admirant les tourments qui attendaient les âmes des hommes violents. Hommes et créatures, d’ailleurs, puisqu’elle put apercevoir le célèbre Minotaure de la légende Grecque.
Arpentant les berges du fleuve Phlégéthon, la flamboyante rousse caressait du pouce sa longue larme courbe qui pendait à son côté. Glissée dans un fourreau de cuir renforcé, l’arme était huilée avec soin. C’était la seule qui soit non magique. La seule qui ait besoin d’entretien car, contrairement à l’épée de Chair offerte par la déesse Danu, l’acier rouillait et se délitait. Relâchant sa prise sur le pommeau ouvragé, Ceridwen lissa les plis de son jean, attirant l’attention de certains gardiens des damnés. Sans un regard pour eux, cependant, dédaignant l’attrait que son postérieur rebondi moulé dans le tissu exerçait sur leurs sens, elle continua son inspection toute officieuse.
Arrivée aux abords de la première fosse, la créature immortelle laissa son regard se poser avec fascination sur le Minotaure. Un être tel que ce monstre était redoutable. Mais elle ne pouvait non plus s’empêcher de compatir à son sort. Elle connaissait son histoire. Fils d’une reine et d’un taureau, il n’avait rien demandé. Il avait été jeté, dès sa naissance, dans un labyrinthe dont il ne pouvait sortir, rien qu’à cause de son ascendance et de son apparence. La demi-Sidhe ne pouvait s’empêcher non plus de rapprocher leurs deux histoires. Il n’était qu’un bâtard, nulle part à sa place. Ni chez les ruminants, ni chez les humains. Tout comme elle, qui était un métissage de plusieurs races Faes, et d’humains. Elle n’avait sa place avec aucun peuple, mais elle était plus particulièrement rejetée chez les Sidhes. Seule sa place dans la ligne de succession du trône lui attirait un peu de respect. Et encore, sa propre cousine la dédaignait, et cherchait à l’assassiner quand elle se pointait à la Cour de la Nuit.
Arrêtant d’une main les démons qui s’employaient à punir le Minotaure, l’ambassadrice s’approcha. Comme reconnaissant le pouvoir dont elle était investie, le fleuve de sang en ébullition lui ménagea un passage. A l’instar de Moïse devant la Mer rouge, la métisse se glissa jusqu’au Minotaure, et posa une main sur sa chair tuméfiée, malmenée, sur son torse large bien que torturé. La créature grogna sourdement, mais ça n’impressionna guère la demi-Sidhe. Faisant remonter la pulpe de ses doigts agiles contre ses plaies, les effleurant à peine, elle étudiait le monstre. Une idée naquit dans son esprit, et elle fit signe aux démons de relâcher le bâtard, ses doigts se glissant jusqu’à son mufle écumant.
« Suis-moi, je vais te soigner. »
Libéré de ses geôliers, le monstre voulut abattre son bras musculeux sur le crâne de la jeune femme, mais un réflexe presque surnaturel la fit se retourner et parer le coup. D’un mouvement leste, elle utilisa la force de la créature pour la faire rouler au sol. A califourchon sur lui, elle avait dégainé dans le même temps sa splendide lame courbe et celle-ci était à présent appuyée contre le cou massif du Minotaure.
« Je ne te veux aucun mal, mais je n’aurais aucun scrupule à te découper en morceau si tu tentes encore de me tuer… »
Elle relâcha alors son emprise sur le monstre écumant, et se releva en rengainant, comme si de rien n’était. Sa poitrine se soulevait à peine plus vite que la normal sous son corsage de cuir et de dentelle. Elle entendit le pas lourd de la créature mi-homme mi-taureau qui la suivait alors qu’elle quittait le giron du fleuve et que ce dernier reprenait sa place sur son sillage. Elle gagna le rivage, et trouva un endroit relativement à l’écart. Les démons s’étaient remis à l’ouvrage sur les damnés. Grognant toujours, le Minotaure s’était arrêté près de la jeune femme. Elle paraissait frêle, à ses côtés, mais ce n’était qu’une apparence. Quand on plantait son regard dans ses prunelles tricolores, on y voyait toute la détermination et la sagesse accumulée au cours de ses cinq siècles d’existence.
Ses doigts fins effleuraient à peine les cloques qui parsemaient la peau de la bête. Elle devait le guérir, mais à présent qu’elle était face à lui, elle hésitait. Danu, sa Déesse, lui avait offert le pouvoir de guérison par le sexe. Mais jamais encore la rousse ne l’avait fait avec une telle créature qu’un Minotaure. Deux, voire trois fois plus large qu’elle, et bien plus grand, il pouvait facilement l’écraser sous son poids. Une moue songeuse prit place sur ses traits mobiles, alors qu’elle auscultait la bête. Mais elle n’était pas obligée d’offrir son corps, cela dit. Ses doigts se firent caressant contre le torse puissant du monstre, et elle ne tarda pas à se mettre à l’ouvrage, répandant sa magie au travers de ses lèvres gourmandes. Si le mandrin de la bête était trop gros pour qu’elle s’en occupe naturellement, elle rusait et sa langue habile ne tarda pas à dispenser son pouvoir sur le pieu de chair. Au terme de cet « examen médical », alors que l’épaisse jouissance de la bête jaillissait et souillait le sol, alors que la demi-Sidhe finissait de nettoyer convenablement son membre apaisé, le Minotaure était comme neuf. Plus de cloques, plus de lambeaux de chair, mais un monstre en parfait état, en bonne santé, et soulagé d’une certaine tension, par ailleurs.
S’essuyant les lèvres, la rousse tendit la main pour faire apparaître une bouteille d’eau claire et pure, qu’elle but presque entièrement pour se désaltérer.
« A présent que tu es sain et sauf, j’aimerais te proposer un contrat. Une alliance, si on veut. Ses lèvres se plissèrent un instant alors qu’elle levait la tête pour étudier le monstre. Je te libère. En échange, tu t’engages à me servir. Je ne suis pas contraignante, et quand je n’aurais pas besoin de tes services, tu seras libre d’aller où bon te semble. Mais je suis intraitable sur l’obéissance alors, dès que je t’appelle, tu rappliques. »
Le Minotaure fronça ses épais sourcils, la toisant de son regard de braise. Littéralement, de braise.
« Es-tu d’accord ? Si tu ne veux pas… Eh bien je suppose que tes gardiens seront ravis de te retrouver pour te tourmenter à nouveau… »
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il grognait déjà son approbation. Un sourire satisfait incurva ses lèvres pleines.
« Parfait. Prends ce talisman, souffla-t-elle en tirant de sa poche un lacet de cuir au bout duquel était accroché une médaille en diamant. Avec ceci, tu possèdes un laisser-passer pour sortir d’ici et parcourir le monde sans risquer d’être arrêté. Tu peux, par ailleurs, te téléporter dans d’un lieu à un autre. Fais-en bon usage. Et quand je t’appellerais, le diamant prendre la couleur du rubis. Tu ne pourras pas te tromper… »
La créature attrapa, presque délicatement, le lacet de cuir. Il eut un peu de mal à le faire passer autour de son cou, les cornes proéminentes ayant retrouvé leur envergure d’antan après avoir été limée par les démons, mais il finit par réussir. Après un signe de tête qui se voulait respectueux, il prit le chemin du départ de son pas lourd et régulier. Satisfaite, la demi-Sidhe se posa sur un rocher, non loin de la flaque de semence que le Minotaure avait créé et qui n’était pas encore aspirée par la terre du septième cercle. Elle avait acquis un allié de choix. Si sa cousine tentait quoi que ce soit, le Minotaure lui serait bien utile…