Avant sa rencontre avec Mélinda Warren, Lenn voyait sa vie comme une malédiction, et sa lycanthropie comme un fléau. Mais après son passage chez la vampire, il vivait 90% du temps avec le sourire (les 10% restants correspondant aux moments où il dévorait la chair de ses ennemis). Elle lui a permis, grâce à des pratiques plutôt décalées, d'apprivoiser partiellement la bête qui sommeillait en lui et de mieux se contrôler sous sa forme de lycan. Ainsi, il avait pu se bâtir une nouvelle réputation d'homme fort et puissant, étendre son influence à Nexus et dans les royaumes alentours, se faire connaître de beaucoup de nouveaux clients, et détruire bon nombre de ses ennemis contre lesquels il n'avait jamais osé déchaîner la fureur des loups-garous, par crainte d'aller trop loin. A présent, et plus que jamais, il vivait. Et ça faisait du bien !
La journée n'avait pas commencé sous les meilleurs augures. Une terranide neko avait fui au lever du jour, profitant de la négligence des hommes chargés de monter la garde devant les chambres des esclaves, et était maintenant dans une clairière proche de Nexus. Trop occupée pour aller la chercher lui même, Lenn avait envoyé deux de ses rabatteurs pour retrouver la neko et la ramener vivante et en un seul morceau. Les terranides chats, en particulier les filles encore jeunes, étaient une grande source de revenus pour le domaine, et il était hors de question d'abîmer une esclave aussi précieuse.
Les rabatteurs partirent à dos de cheval environ deux heures après la fuite de la neko. Les chances de cette dernière de s'enfuir étaient minces. En effet, l'un des rabatteurs était un lycan, doté d'un odorat si puissant qu'il pouvait encore suivre la piste de la fugitive dans la clairière, malgré leur retard et toutes les odeurs qui se rencontraient dans la nature : animaux, plantes, passants... En dix minutes, les rabatteurs avaient retrouvé la cible. En les voyant, la neko redoubla de vitesse.
« Souviens toi : lance-filets uniquement. Si on la blesse où qu'on la tue, maître Silvercoat nous fera la peau. »
« Je sais. »
Les rabatteurs descendirent de leurs chevaux pour aller traquer l'esclave en fuite. Elle avait beau être rapide, ils l'étaient plus. Surtout le lycan, dont la vitesse de course était presque effrayante. Mais la peur donnait des ailes à la neko, qui le maintenait à bonne distance grâce à son pas rapide. Quant à l'humain, il avait beau être en forme, il suivait difficilement.
Pendant sa folle course poursuite, la neko croisa la route d'un marcheur solitaire, couvert par une grande cape noire à capuche, qu'elle ignora complètement, préférant de loin courir pour s'en sortir. Quand les rabatteurs approchèrent du vagabond encapuchonné, le lycan perçut quelque chose de spécial grâce à son odorat. Ce voyageur était moins anodin qu'il ne voulait s'en donner l'air. Autour de lui gravitait une aura de puissance, dont le parfum enivrant n'avait pas échappé au nez du loup-garou. Il se sentit tout à coup obligé de capturer ce mystérieux personnage.
« On se sépare ! Tu t'occupes de la neko. »
« Et toi ? »
« Tu verras bien. »
L'humain prit un autre chemin dans le but de couper la route à la neko, le lycan s'arrêta net. Il mit moins d'une seconde à viser et à appuyer sur le détendeur de son arme, qui envoya un filet à la vitesse d'un coup de feu directement sur sa cible. Le filet la percuta de plein fouet, enserra ses membres et la fit tomber durement au sol. Le rabatteur, fier de son coup, alla jeter un œil à sa capture. Elle allait bien, malgré une plaie ouverte sur le front, mais rien de grave. Elle semblait également inconsciente.
« T'inquiète ma belle, on te soignera ça quand tu rentreras avec nous. »
Le rabatteur parlait de son gibier au féminin car, maintenant qu'il était aussi près, il pouvait clairement sentir qu'il venait de capturer une femme.
Il s'entreprit de la fouiller pour lui prendre ses armes et ses objets de valeur. Il ne trouva que deux dagues sur elle. Peu après la fouille, son camarade rabatteur arriva, avec la terranide neko sur son épaule, enserrée dans un filet. Elle n'arrêtait pas de feuler et de grogner de tout son souffle tout en se débattant et en hurlant.
« Lâchez moi ! Laissez moi partir ! Je ne veux pas retourner au domaine ! »
« Dommage, tu n'as pas le choix. En plus, tu as mis notre maître très en colère. A ta place, je n'aggraverais pas mon cas en me plaignant pendant tout le chemin du retour. »
La neko se tut pendant un bref instant. Puis se mit à pleurer.
« Pitié. Je veux juste... snif... rentrer chez moi. Je ne veux plus... vivre là bas... »
Le rabatteur humain souffla un grand coup.
« Pppfff, qu'est ce qu'elle me fatigue, celle là. »
Il tourna ensuite son regard vers son collègue, et sur sa capture, gisant inconsciente sur le sol. Il leva un sourcil en signe d'étonnement.
« C'est pour ça que tu m'as laissé m'occuper seul de cette fille ? Pour capturer un vagabond ? »
« Si tu avais un odorat aussi développé que le mien, tu comprendrais que ce n'est pas qu'une simple vagabond errant dans une clairière. Il y a autre chose... »
« Une vagabond ? Tu as attrapé une femme ? Bon... Au pire, si elle n'est pas aussi merveilleuse que tu le prétends, elle pourra toujours servir de prostituée si elle est sexy. »
« Je suis sur de moi. Et Maître Silvercoat le verra. »
« J'espère bien. Parce que si jamais il se trouve que tu t'es trompé, et que tu as mis en péril notre mission sans raison, on se recevra tous les deux un blâme. »
« On survivra bien à un blâme. L'important, c'est qu'on ait capturé la neko. »
« Ouais... Bon allez, en route. »
Le rabatteur lycan mit sa prise sur son épaule, comme l'humain l'avait fait avec la neko, et se mit en route avec son comparse pour retourner à leurs chevaux. En chemin, ils tombèrent sur une caravane remplie de terranides ligotés, principalement des nekos et des ushis. La caravane était conduite par Spenn, un humain conducteur de caravanes au service de Lenn Silvercoat en tant que chauffeur. Les deux rabatteurs le reconnurent immédiatement.
« Spenn ? Qu'est ce que tu fais là ? »
« Maître Silvercoat m'a demandé de ramener un groupe de terranides dont il a récemment fait l'acquisition. Et vous ? »
« On ramène une fugitive et une nouvelle prise au domaine. »
« Vous pouvez les mettre dans la caravane. Je les ramènerai en même temps que les autres. »
« Merci Spenn, c'est gentil de nous épargner le transport. »
Les deux rabatteurs déposèrent les prisonnières au milieu du groupe de terranides en faisant bien attention de ne blesser personne. Puis ils allèrent récupérer leurs chevaux, attachés à seulement quelques centaines de mètres, et rejoignirent Spenn.
« Allez, en route. »
Le convoi nouvellement formé par la caravane et les deux cavaliers prirent la route. Vingt minutes plus tard, ils arrivèrent enfin au domaine Silvercoat. La garde de Lenn les attendait pour décharger la cargaison. Les deux rabatteurs se chargèrent personnellement de la neko et de la mystérieuse vagabonde, qui avait repris conscience durant le voyage.
« Bon retour parmi nous, très chère. Et bienvenue dans ton nouveau chez-toi. »
Les deux proies capturées furent sorties de leurs filets, ligotées aux mains, puis conduites dans le manoir, tandis que les autres esclaves étaient conduits dans les quartiers résidentiels des employés, où ils pourraient s'installer et se reposer en attendant qu'il soit décidé comment ils allaient servir : entretien ou prostitution.
Les rabatteurs et leurs gibiers n'allèrent pas plus loin que l'entrée du manoir : leur maître, Lenn Silvercoat, les avait vu arriver et les attendait. Son visage de vieil homme affichait une expression sévère, soutenue par la dureté de ses yeux bleus. Ses hommes tremblaient légèrement, surtout l'humain. Le lycan semblait plus calme.
« Je vous ai envoyé me chercher une neko en fuite... et vous me ramenez une terranide louve ? »
Débarrassé de sa cape, le corps de la femme se distinguait clairement, ainsi que ses oreilles et sa queue de louve.
« Maître, nous avons malgré tout capturé la neko. »
« Encore heureux. Ramenez là dans les quartiers des employés, je déciderai de son sort plus tard. »
Le rabatteur humain s'inclina respectueusement et partit. L'attention du chef du domaine se porta maintenant sur le rabatteur lycan.
« J'attends tes explications. »
« Maître, ne sentez vous pas cette puissance qu'elle dégage ? Ce n'est pas une terranide ordinaire. Elle renferme un pouvoir incroyable. »
Lenn étudia la terranide grâce à son flair de lycan. En effet, elle portait en elle une puissance d'origine inconnue. Une puissance si forte qu'il était impossible qu'elle se soit laissée capturer par un simple filet. Quelque chose clochait...
« Où l'as tu trouvée ? »
« Elle errait dans la clairière où se trouvait la neko. Dès que j'ai senti sa force, j'ai su qu'il fallait la capturer. De plus... »
En même temps qu'il écoutait tous les motifs qui avait poussé son rabatteur à capturer cette femme, Lenn l'observa très attentivement. En particulier son visage. Malgré le fait qu'elle se soit faite capturer, elle n'affichait que de la confiance et du défi dans son regard scintillant. Apparemment, être ici ne la dérangeait pas le moins du monde. Pourtant, au vu du transport, elle avait bien du comprendre où elle allait finir ? Alors pourquoi ? En combinant son attitude à son indiscutable aura de pouvoir, une seule explication s'offrait au lycan. Et elle offrait de nombreuses options, aussi bien des bonnes que des mauvaises.
Lenn ordonna au rabatteur de s'écarter puis il s'approcha de la louve et coupa ses liens.
« Maître... Que faites vous ? »
« Je répare tes erreurs. »
« Quoi ? »
« Tu as amené une individu armée dans mon domaine. »
« Impossible ! Je l'ai fouillé avant de l'embarquer. »
« Elle a des lames cachées sous ses poignets, imbécile. »
« Hein ? »
Lenn l'avait immédiatement noté, contrairement au rabatteur, dont tout le corps se crispa d'un seul coup.
« Mais alors... Pourquoi l'avoir détachée ? »
« Parce que si elle voulait nous tuer, nous serions déjà morts. Crois tu vraiment qu'un être avec autant de pouvoir qui suinte de son corps se laisse arrêter par un filet ? »
« Je... »
« Autre chose : elle aurait pu te tuer avant même que tu ne la voies. Si elle est ici, c'est parce qu'elle voulait y être. »
Le rabatteur avait la voix coupée. Il réalisa que, même inconsciente et dans un filet, cette femme avait été plus maligne que lui depuis l'instant où ils s'étaient croisés.
« Du vent, maintenant. Je m'occuperai de toi plus tard. »
Il partit sans un mot. Lenn tourna son regard vers sa nouvelle invitée.
« Madame, je vous prie de m'excuser pour le comportement totalement inqualifiable de mes hommes. Soyez sur qu'ils seront châtiés en conséquence. Ce n'est pas grand chose mais, pour m'excuser, je tiens à vous inviter à ma table pour le dîner. Nous pourrons discuter calmement, mademoiselle... ? »