GENÈSE DU PROJETOriginellement, cette fiche aurait dû être celle d’un compte-Légion se composant de deux personnes : Jinx et Vesa.
Cependant, au fur et à mesure de l’évolution, le projet a intéressé un autre membre du forum, et, après quelques discussions, nous avons décidé de transformer ce compte-légion en un double-compte, le tout par une fiche commune, propre aux deux comptes. Il s’agit donc d’un principe similaire à la fiche commune de Jackall & Anouk. Union brisée,
Fratrie divisée,
Au salut amène la réconciliation,
Au chaos conduit la division
Prophétie de Bath Kol
PRÉAMBULE
Le Droit de SurpriseExtraits du livre « Vieilles coutumes et usages de Terra, vol. 3 », de Lothard Zambrweyn« [...] Il en est des coutumes comme des forêts : elles pullulent partout, et, parfois, elles se développent suffisamment pour imprégner l’Histoire. À démêler le vrai du faux, on finit par s’y perdre. Faite de manipulations et de réécritures, l’Histoire et ses manuels ne se livrent pas tout de suite. Il en est ainsi pour ce qu’on appelle, communément, le ‘‘droit de surprise’’, parfois aussi appelé ‘‘droit de première couche’’, ou ‘‘droit de retour’’. Par familiarité et simplification, nous choisirons, dans la présente explication, de le désigner sous son terme usuel, comme étant le droit de surprise.
Ce droit nous est surtout des sorceleurs, ces guerriers ancestraux connus pour chasser les monstres, et qui suivent une formation rigoureuse et difficile impliquant des mutations génétiques entraînant presque systématiquement un fort taux d’infécondité. Néanmoins, le droit de surprise n’est nullement l’apanage des sorceleurs, et, durant le cadre de nos recherches, nous avons pu trouver des traces d’une convention passée entre des vampires et ses clients. Notre étude nous a amenés à explorer les archives municipales, les bureaux de conversation des actes et des conventions, ou encore les archives des palais de justice et des Parlements judiciaires, où il était courant, devant les juridictions civiles, de voir des clients ou des tiers liés à ces derniers dénoncer les contrats reposant sur cette coutume. Nous ignorons toutefois l’origine précise de cette coutume à ce jour, et ne pouvons émettre que des suppositions. Il nous semble ainsi que le droit de surprise serait d’origine religieuse, remontant à une époque où des parents pouvaient confier leurs enfants adultérins à l’église locale, afin d’en faire des pupilles de Dieu.
Très simplement, nous pouvons la définir comme un mode de paiement alternatif à une dette envers le créancier. Souvent formulée de manière orale, ce droit était parfois manifesté sous forme écrite, d’où notre certitude sur le fonctionnement du principe. Quand un individu, que nous appellerons le créancier, rendait service à un autre individu, le débiteur, le créancier peut, en cas de défaillance du débiteur à honorer ses dettes, lui demander un futur enfant à venir. Nous avons, à ce titre, trouvé, au sein de cette étude, un jugement rendu il y a plusieurs siècles par le Quatrième Tribunal Civil de Nexus, dans lequel, de manière fort juste à notre sens, le juge validait une convention de ce type en l’assimilant à une ‘‘variante des conventions d’esclavage’’. Cette coutume ne s’accompagne d’aucun formalisme précis : le créancier peut ainsi exiger son dû des années après avoir accompli sa prestation. »
La Prestation« Oh, Seigneur, je vous en supplie, venez nous aider... Pitié, Seigneur ! Ne les laissez pas me le prendre, Seigneur ! »
Dans sa longue robe bleue et ample, la femme priait dans la petite chapelle de l’église, entendant, derrière elle, les hurlements et les rires des pilleurs. Elle pensait avoir épuisé toutes ses larmes, mais, en les entendant grogner, en entendant les femmes hurler et en voyant les corps des pendus flotter dans les rues, en voyant les maisons en feu et les biens amassés dans les chariots des attaquants, la femme sentait à nouveau sa peur la saisir. Son mari était probablement mort, maintenant, tué par les envahisseurs, réduit en pièces... Peut-être avaient-ils brûlé son cadavre, au milieu des restes de leurs troupes. Une attaque fulgurante et meurtrière, et, maintenant, les envahisseurs avaient percé les murailles de la ville, et venaient récolter leurs biens, violant les femmes, tuant les hommes, allant chercher la Comtesse.
Nadia avait toujours été une fervente croyante, et elle s’était rendue dans l’ancienne chapelle du château, l’église étant perdue. Elle s’était agenouillée devant l’idole d’un ange dont elle ignorait le nom, réfugiant ses dernières forces dans cette prière. Dieu lui avait permis d’avoir un mari formidable, quelqu’un qu’elle avait toujours aimé. Allait-Il l’abandonner maintenant ? Elle se refusait à y croire. Ce qu’elle vivait, elle et son comté, était une horreur, la preuve que ce monde-ci n’était pas le royaume de Dieu, mais une épreuve perpétuelle. Les envahisseurs étaient les hommes d’un baron voisin, qui avaient envahi le comté suite à un litige concernant la propriété de riches gisements de fer. Ce litige, qui avait été tranché en faveur du duc par la Couronne de Nexus, n’avait pas été du goût de l’autre partie, qui avait décidé de régler les choses à sa manière. En conséquence, la Comtesse priait.
« SALOPE !
- Ouvrez cette porte ! »
Des coups résonnaient contre la porte barrée, avec des rires gras. Nadia sursauta, serra les lèvres, continuant à prier, encore et encore, avec la même ferveur. Les coups redoublaient, tapant contre cette dernière. Puis l’idole se mit alors à flamboyer, et une lumière irradiante en jaillit, englobant totalement Nadia. La Comtesse ne pense même plus à pleurer, si ce n’est voir cet halo blanchâtre et immaculé qui l’enveloppait... Et dans laquelle une silhouette noirâtre apparut, une haute stature avec des ailes blanches magnifiques, aux plumes soyeuses et luisantes.
« Seigneur... »
L’être éthéré se tenait devant elle, et son doigt se tendit vers son visage.
« Venez-moi en aide, Seigneur... »
La forme ne disait rien, et, quand son doigt toucha son front, la Comtesse vit une image, dans laquelle son bébé, celui qui était en train de pousser dans son ventre, et qui atteignait le huitième mois, était enveloppé de plumes blanches. Nadia releva la tête, son regard croisant celui de l’Ange. Il exposait son prix, sa demande... Et elle l’accepta.
La porte s’ouvrit alors, et les soldats ennemis s’avancèrent... Avant que la main de l’Ange ne se tende vers eux, et qu’une onde de choc ne les pulvérise. Un bras explosa sur place, le sang fusa, éclaboussant le mur, et le torse d’un autre explosa intégralement, les autres morceaux de son corps tombant sur le sol, disloqués comme des morceaux de poupée. Un troisième poussa un hurlement et le regard de l’Ange croisa le sien... Puis sa tête explosa dans des hurlements d’agonie, des morceaux de cervelle venant maculer le mur. Un autre homme tenta de fuir, et l’Ange observa ses jambes, puis remua des doigts... Et les jambes de l’homme explosèrent à hauteur des tibias, l’amenant à heurter le mur du couloir, près de l’escalier en colimaçon où d’autres tueurs se trouvaient, médusés devant ce spectacle. Ils entendirent les hurlements d’agonie des autres soldats à l’intérieur de la petite pièce, et virent du sang fuser à travers la porte, avec des morceaux d’os ou des bouts d’organes tranchés. Une tête apparut alors, roulant lentement sur le sol, les orbites vides fixant ensuite l’un des hommes en-haut de l’escalier, dont le courage venait de disparaître.
« Pi... Pitié, pitié... » gémissait l’homme aux genoux arrachés, rampant vers eux.
L’Ange apparut alors, étincelant de blancheur, des traînées de sang sur son corps. Il était nu, magnifique, avec une longue chevelure blanche, un corps musclé et bien bâti. Le soldat hurla alors, et se rua vers lui, épée brandie... Puis un trou se forma dans sa poitrine, et explosa de l’autre côté. Les soldats derrière virent alors un trou béant, au milieu de la poitrine. Il s’affala lentement sur le sol, et l’Ange leva sa main vers les autres. Ces derniers hurlèrent alors... En vain. Un trait argenté jaillit de l’un de ses doigts, et fila vers les soldats, les transperçant tous à hauteur de l’un des yeux, tout en laissant, dans leurs boîtes crâniennes, une petite bombe lumineuse qui ne tarda pas à enfler, au contact des vices des personnes, de leurs pensées mauvaises, et de toutes leurs cruelles actions. Il y eut ainsi une série d’explosions dans l’escalier, et les cadavres décapités des tueurs tombèrent sur l’escalier, dans un bruit de cliquètement métallique.
L’Ange resta inerte pendant quelques secondes, puis s’écarta alors... Et s’arrêta en sentant une piqûre à hauteur de son genou. Surpris, il pencha la tête vers le côté, et vit l’homme aux genoux arrachés, qui en vomissant du sang depuis ses dents, avait réussi à planter son poignard dans sa cheville. L’Ange se pencha alors vers lui, et l’attrapa par la nuque, venant le soulever.
« Lâ... Lâche-moi, fils de pute !! Va... va crever !! »
L’Ange ne dit rien, puis se concentra un peu. Entre ses doigts, une onde lumineuse se forma, puis, de la bouche et des yeux de l’homme, une lumière incandescente parut. Il commença à hurler, à hurler de douleur, des crevasses et des fissures ravageant son corps, d’où des ondes lumineuses sortaient. Il gesticulait lentement, puis un sifflement se fit entendre, de plus en plus aigu... Jusqu’à ce que le hurlement se termine dans une explosion magique. De l’homme aux genoux arrachés, il ne restait plus une trace, même pas une seule goutte de sang. Il avait intégralement disparu, et l’Ange se retourna ensuite vers la chapelle, et rentra à l’intérieur.
La Comtesse était là, tenant son ventre rond d’une main. L’Ange n’avait plus aucune trace de sang sur son corps, et sa main vint caresser le ventre de la femme, qui le regarda alors, intimidée, épuisée, mais conservant en elle la dignité d’une femme politique.
« Aide-nous... Sauve mon peuple... Et mon bébé sera à toi. »
L’Ange l’observa lentement, puis porta son regard vers l’un des vitraux de la chapelle... Qui explosa alors. Il déploya alors ses ailes, et passa par la fenêtre, voyant la ville en feu. Entre-temps, Nadia remarqua que l’idole était en morceaux. La statue avait explosé en libérant l’Ange... Et, ce que Nadia ignorait, c’est qu’elle n’avait pas prié devant la statue de l’Archange Gabriel, mais devant une statue profane, dont l’origine précise avait été perdue au fil des siècles...
C’était une statue représentant celui qui, jadis, avait été un Archange...
Lucifer.
Chapitre 1
La Créance
1.
Le départ des navires
Quelques années plus tard...«
Tu es trop lente, Vesa ! -
C’est toi qui cours trop vite ! »
Pour seule réponse, Jinx se contenta d’un sourire évasif, espiègle, de ces sourires dont elle avait le secret, puis elle reprit sa course, grimpant le long du sentier de la falaise. Le vent frais faisait virevolter leurs cheveux mutuels, et il en fallait plus pour arrêter Jinx, même se rendre dans un sentier interdit, alors qu’elles étaient censées être en cours. Encore une fois, sa petite sœur avait choisi de n’en faire qu’à sa tête, afin de voir le spectacle.
«
On ne devrait pas aller par là, Jinx, c’est dangereux... -
Tout est toujours si dangereux avec toi ! Avant d’être dangereux, c’est AMUSANT ! Et puis, personne ne t’a forcé à me suivre ! -
Je ne voulais pas que tu fasses de bêtises... -
Ou tu ne voulais pas te morfondre sans raison avec cette vieille bouque de mère supérieure ! Nous apprendre à coudre, quelle farce ! »
Vesa n’ajouta rien de plus. C’était un endroit escarpé et dangereux, où le vent soufflait fort, un vent qui venait droit de la côte. Elle n’arrivait jamais à avoir raison contre Jinx, et sa petite sœur passait son temps à faire des bêtises. Les deux femmes rejoignirent ainsi les hauteurs de la falaise, s’approchant du rebord. Jinx s’approchait dangereusement, et Vesa courut vers elle, posant une main sur son épaule.
«
Jinx ! Attention ! »
Jinx lui sourit à nouveau.
«
Regarde ! Ils sont là ! »
Et elles les virent. Filant le long de la mer, traçant des sillons sur l’eau, les navires sortaient du port, faisant entendre leurs sonneries. Elles avaient insisté auprès de leurs parents pour y aller, mais leur mère avait rétorqué qu’il était hors-de-question de rater les séances d’enseignement au monastère. Vesa et Jinx avaient dû se courber, mais Jinx était connue pour refuser de suivre les ordres, et ses fesses étaient biens rouges des multiples fessées qu’elle avait reçu de la part de son père quand elle était prise en flagrant délit de vol de bonbons, de fuites, ou d’injures envers le personnel du corps enseignant ou le personnel du château.
La flotte royale filait, avec, en son centre, le navire du Roi.
«
Ils sont dans le gros bateau, là, Vesa ! Le Roi et la Reine ! -
Et leur fille aussi... Elena... »
Elles connaissaient l’histoire. Elle avait été diffusée dans tout le royaume, et même au-delà. Après des années d’efforts infructueux, et autant de rumeurs ayant circulé sur l’incapacité du couple royal à avoir un enfant et sur les raisons de cette infécondité, Nöly Ivory, la Reine, était tombée enceinte. Elle avait accouché d’un magnifique bébé, une fille, qui permettait enfin de garantir la succession royale, et, ce faisant, de préserver l’unité du royaume par la continuité de la Couronne. C’était un immense soulagement, et, pour célébrer cette naissance, la famille royale avait choisi d’organiser un voyage vers les terres natales de la Reine, dans le but de présenter l’enfant à la famille maternelle : les Îles Mélisi. La flotte longeait les côtes, recevant des cadeaux des ducs, des comtes, des barons, des seigneurs de forts maritimes... hier, les deux filles avaient pu voir la famille, et la belle petite Elena, tout enveloppée de draps précieux, dans les bras de sa mère, qui ne la quittait jamais. Une famille qui irradiait d’amour... Vesa avait été charmée par ce spectacle, et, en un sens, c’était de sa faute si les deux filles se tenaient là. Vesa avait dit à Jinx qu’elle voulait les voir, qu’elle voulait voir la Couronne partir... Et elles étaient venues jusqu’ici. Jinx était déçue, car son plan initial avait été de rejoindre le pont d’un des deux navires, puis de revenir ensuite au comté quand les navires auraient fait demi-tour.
*
* *
2.
La venue de l’Ange
Borrows, port nexusien Le comté de Borrows était dirigé par un homme sévère et aimant, un croyant qui, avec sa femme, Nadia, régnait depuis longtemps sur ses terres, et désespérait un jour d’obtenir un fils pour hériter de son royaume. Le comte de Borrows, Hubert, était un homme fort, un ancien guerrier, et qui entretenait à la fois une flotte et une infanterie, s’en servant essentiellement pour pacifier les eaux environnantes en attaquant les pirates. Borrows, le nom de la ville, était un beau port, dominé par deux structures : la cathédrale, et le château. On appelait Borrows la ville-miracle, sauvée de la destruction par un Ange il y a des années, quand le Baron Cromwell avait subi une solide défaite. La bataille judiciaire entre Hubert et Cromwell avait atteint le point culminant quand le Deuxième Parlement de Nexus, faisant office de Cour d’appel, avait rendu une décision, dans le cadre du litige opposant le comte au baron, favorable à Borrows. Furieux, Cromwell, qui avait la gestion de plusieurs forts militaires, avait alors choisi d’envahir Borrows, afin de leur donner une leçon, et pouvoir définitivement récupérer la propriété des carrières et des gisements de matières premières que l’homme convoitait, dans le but d’éviter d’avoir à les acheter au marché de Borrows.
Hubert Borrows avait été lourdement blessé lors de ce siège, et en avait perdu un œil. Tous, cependant, avaient vu, au milieu des flammes et des hurlements, la silhouette lumineuse dansant dans le ciel, qui avait fondu sur les ennemis, les broyant et les massacrant. Une vision qui avait sauvé Borrows, mais qui n’avait pas été gratuite.
«
Je viens réclamer mon dû, Comte. »
L’homme qui lui parlait portait une bure recouvrant son corps, et, en entendant sa voix, mélodieuse et forte, le Comte releva la tête, s’extirpant de ses pensées.
«
C’est vous... »
L’Ange encapuchonné vint réclamer son dû L’homme posa ses mains à hauteur de sa capuche, et la rejeta en arrière, découvrant son visage, un visage beau, aux formes anguleuses, et avec une longue chevelure blanche. Nadia, en le voyant, eut un frisson, en reconnaissant bien l’Ange qu’elle avait vu jadis... Une soirée qu’elle n’avait jamais oublié, tout comme sa promesse.
«
Je suis venu vous aider à vous protéger contre les forces du Baron Cromwell, vous et votre peuple. J’ai sauvé la vie de votre femme, de votre enfant... Et le prix à payer a été convenu entre elle et moi. -
Oui, oui, nous connaissons la nature du prix... »
L’Ange hocha la tête, visiblement satisfait. Autour de lui, les nobles et les conseillers s’agitaient, ainsi que le public. Ce n’était pas tous les jours qu’un Ange débarquait ici, et celui-ci irradiait une flamboyante aura de pureté, surprenant les gens... Et les inquiétant aussi. Les inquiétant même
surtout. Ils avaient l’impression que cet Ange pouvait voir au travers de leurs âmes, et fuyaient instinctivement son regard, comme s’ils craignaient qu’ils y lisent leurs secrets les plus inavoués.
«
Il a été convenu que je disposerais d’une apprentie, d’une héritière, en vertu d’une coutume que votre nation respecte : le droit de surprise. Je demande l’application de ce droit, et vous garantis que je rendrais à votre progéniture sa liberté, dès que mon enseignement auprès d’elle aura été dispensé. »
À l’époque, Nadia n’avait pas eu le choix, mais depuis lors, elle avait beaucoup pensé à cette histoire. Évidemment, elle ne comptait pas refuser d’honorer sa parole, car il n’y avait pas pire parjure, au monde, que de contrevenir à une promesse faite à un Ange. De plus, parmi l’assistance, il y avait l’évêque de Borrows, et ce dernier était dans la confidence, et savait que Nadia avait donné sa parole devant la plus haute autorisé qui puisse exister. Pour autant, l’évêque gardait pour lui les sentiments contradictoires que cet Ange lui inspirait... Mais l’évêque de Borrows avait, lui aussi, quelques lourds secrets qu’il tenait à éviter de voir divulgués.
«
J’honorerais ma parole, Ange. Je vous confierais ma fille. »
Elle n’allait pas lui mentir, non... Mais ce n’était pas la fille que l’Ange avait caressé des doigts qu’elle lui donnerait. Pour rien au monde, elle ne se séparerait de Vesa. Jinx, en revanche... On disait souvent qu’un amour n’est jamais aussi vrai et aussi honnête que celui de la première fois. Pour l’honorable Nadia, c’était tout à fait le cas. Vesa, elle l’adorait, mais Jinx… Était-il possible que, dans sa tête, la conception de Jinx ait toujours été faite dans le but de la confier à cet Ange ? C’était une chose qu’elle n’avait encore jamais exprimé en confession, mais Nadia était suffisamment lucide en ce moment pour que la vérité puisse être connue, même si, par la suite, elle n’aura de cesse de se mentir. Quand Vesa était née, et quand Nadia avait posé les yeux sur son bébé, s’en séparer lui avait semblé impossible. L’amour infini qu’elle avait ressenti pour sa fille dépassait tout ce qu’elle avait pu promettre… Mais elle se rappelait encore de la force tranquille de cet Ange, de sa cruauté, et du caractère implacable de sa puissance. Elle n’allait pas renier sa parole avec un Ange. Fort heureusement, le droit de surprise était un droit ancestral, qui n’était pas très précis. Un enfant, il fallait… Aussi avait-il couché avec son mari, jusqu’à obtenir à nouveau un bébé. Et, si la grosse de Vesa avait été parfaite, celle de Jinx avait été infernale, comme une preuve supplémentaire, s’il en fallait, que l’engeance infernale qu’elle allait mettre au monde était un monstre abominable qui n’avait aucun autre dessein que d’aller voir l’Ange, que d’être vendu.
Le mari de Nadia avait aussi été sur cette même longueur d’onde. Vesa était un enfant pour laquelle il s’était attaché, et, dans la mesure où leur second enfant était aussi une fille, il n’avait aucune raison de la conserver. Jinx n’avait jamais reçu de ses parents l’amour qu’ils avaient eu pour Vesa. Elle était la deuxième, et elle n’avait été conçue que pour permettre aux parents de Vesa de continuer à l’aimer.
L’Ange avait-il jamais su cette vérité ? Nul ne put le dire avec certitude… Mais d’aucuns considèrent qu’un novice au poker ne peut pas manipuler le Roi… Et, en matière de corruption et de manipulation, il n’est nul mentor plus talentueux que Lucifer en personne. Pouvait-on, de fait, reprocher à l’une des deux parties à ce contrat tacite de mentir, quand l’autre avait menti sur son identité ? Disons-nous juste que ce fut de bonne de guerre.
*
* *
3.
Le départ de Jinx
«
Mais… Je ne veux pas y aller, moi ! »
En entendant la plainte de sa fille, Hubert tourna la tête vers elle, et fronça les sourcils. Un tel regard suffisait toujours à intimider sa belle Vesa, qui baissait alors nerveusement la tête en tremblant sur place… Mais pas Jinx. Pas elle. Elle, elle le défiait du regard, mais, pour une fois, il lisait dans ses yeux une peur profonde… Et, que Dieu le pardonne, cette peur avait quelque chose de
jouissif. Ce n’était pas de sa faute. Dès sa naissance, Jinx avait été un calvaire. Sa femme avait tellement souffert pour la mettre au monde.. Il avait fallu lui ouvrir le ventre, et, contrairement à Vesa, Jinx était tellement désobéissante…
«
Tu feras ce qui a été décidé, Jinx. -
Q-Quoi ?! Mais… Mais je ne veux pas ! -
Ne me réponds pas ainsi, petite garce ! »
Jinx baissa la tête, mais ses poings restaient serrés. Toujours aussi impertinente, toujours aussi rebelle… Hubert savait que ce tempérament en acier trempé lui manquerait. Il faisait d’elle une mauvaise fille, mais une bonne souveraine. Cependant, son sacrifice était un moindre coût à payer. Après tout, rien ne lui interdisait d’engrosser à nouveau Nadia, afin d’avoir un enfant mâle. Il n’existait de fait aucune loi royale empêchant à une femme d’hériter d’une succession, mais il était toujours mieux d’avoir un homme. Les soldats respectaient davantage les hommes que les femmes, ou, en tout cas, ils s’interrogeaient moins sur les pratiques sexuelles de supérieurs masculins.
Le duo avançait dans un couloir, vers la salle où l’Ange attendait. Dans leur dos, des gardes les suivaient, à distance, dissuadant ainsi Jinx de vouloir s’enfuir. Hubert reprit sa marche, d’une démarche ferme et assurée. Jinx savait depuis longtemps que son père ne voulait rien entendre, et que sa mère ne l’aimait pas. Elle, elle trouvait ça injuste… Quand elle voyait tous les câlins qu’on faisait à Vesa… Qu’avait-elle bien pu faire pour mériter
ÇA ?! Et, maintenant, voilà qu’ils voulaient l’abandonner ! Masi que pouvait-elle faire, après tout ? Ils étaient ses parents… C’était injuste ! Jinx suivit l’homme en serrant les poings et les dents, la mine sombre. Hubert ne fit aucune remarque. Tant que Jinx suivait, c’était tout ce qu’il demandait.
L’Ange se trouvait dans un salon, et Hubert posa sa main sur la poignée de la porte, invitant les gardes à rester en retrait, puis entra, en tenant fermement la main de Jinx, et en la poussant à l’intérieur. Jinx grogna en entrant rapidement, manquant tomber sur le sol. L’Ange leur tournait le dos. Une silhouette encapuchonnée fixant l’horizon depuis une fenêtre ouverte. Jinx connaissait cette pièce. Elle comprenait une mezzanine, et les fenêtres donnaient à l’extérieur du château, le long de la mer. On pouvait entendre le roulement des vagues se fracassant contre les récifs et contre les fondations du fort, ainsi que le croassement des goélands.
«
Comme prévu, la voici, Monseigneur » lança Hubert en pliant le genou.
Jinx le regarda, puis fronça les sourcils. L’Ange, lentement, se retourna, restant étrangement silencieux.
«
Oui…, finit-il par dire.
Elle est la chair de ta chair, je le sens… »
Le visage de l’Ange était partiellement dissimulé dans l’ombre de sa capuche, et il s’avança vers elle. Jinx continuait à le regarder, le visage fermé, ses yeux le fusillant du regard.
«
Petite peste ! grogna Hubert à voix basse.
Veux-tu donc lui montrer le respect qui… -
Allons, allons, nous n’allons pas reprocher aux enfants cette franchise dont nous ne faisons plus preuve. Il est normal qu’elle ne m’aime pas. Je viens l’arracher à un nid douillet et confortable, après tout. »
Sortant de l’ombre, une main aux doigts interminables s’avança vers Jinx, caressant sa joue. Elle ne dit rien, mais pencha la tête sur le côté, comme un chat qu’on caresserait alors qu’il serait de mauvais poil.
«
Même si… Je crois que ce n’est pas tes parents qui te manqueront… » glissa l’Ange d’une voix amusée, presque ironique.
Hubert ne dit rien, serrant les dents.
«
Qu’est-ce que ça peut vous fiche, hein ? finit par demander Jinx.
-
Jinx ! -
T’es pas mon père, si tu me vends à lui ! »
Hubert la fusilla à nouveau du regard en se redressant, mais l’Ange tendit sa main vers lui… Et une force supérieure força à nouveau Hubert à s’agenouiller.
«
Reste ainsi, palefrenier, c’est la position qui te sied le mieux. »
Le regard de l’Ange et de Jinx se croisèrent alors pendant quelques secondes. On dit que, parfois, un regard vaut mieux que mille mots… Et ce fut le cas ici. Peut-on dire ce qui se passa entre eux ? Qu’est-ce que Jinx se mit à penser ? Et quid de cet Ange mystérieux, qui n’avait d’angélique que l’apparence qu’il aimait se vêtir ? Ici, tout n’était qu’un jeu de dupes. Hubert, ce fier seigneur, agenouillé devant cet homme, et peinant à masquer la terreur que l’Ange lui inspirait. Et l’Ange, dissimulant son apparence derrière sa capuche. Seule Jinx était la plus honnête, car, comme l’Ange l’avait dit, la franchise d’un enfant n’a parfois pas de prix, et est chose rafraîchissante en un monde d’illusions et de tromperies. Cette franchise vous aide à démêler le vrai du faux. L’Ange se redressa lentement, et ouvrit son manteau.
«
Viens… Un jour, Jinx, tu reviendras en ce monde. Un jour, tu reverras cet homme qui t’a donné la vie, et, en le voyant, tu peineras à comprendre qu’il fut un jour ton père. »
Jinx hocha lentement la tête, et regarda une dernière fois l’homme, avant d’hausser les épaules.
«
Il m’a mis au monde… Mais je ne l’ai jamais considéré comme mon père. »
Jinx rejoignit l’homme, et le manteau l’enveloppa… Puis, dans une explosion lumineuse, l’Ange et Jinx disparurent. Jinx délaissait tout ce qu’elle avait vécu ici… Tout, sauf une chose. Une seule chose qui devrait à jamais lui manquer.
Chapitre 2
Destins opposés
1.
Le siège de Stonehold
Stonehold «
Soldats ! Pendant des siècles et des siècles, notre Confrérie a repoussé ces chiens et ces fils de putes dans les confins des Monts-de-Terre ! Rappelez-vous encore quand vos parents vous contaient les assauts légendaires sur les Tours-Jumelles ! Nous avons perdu du terrain, et l’ennemi est à nos portes ! Nous ne pouvons pas échouer. Car que signifierait un échec ? Vos femmes, vos enfants… Les avez-vous bien serrés contre vos cœurs avant d’aller en campagne ? Les plus chanceux seront tués lors de la chute de nos murs. Pour les autres… Une vie de servitude, une vie de souffrances, une vie d’humiliations. Vos femmes porteront LEURS monstres ! Vos enfants forgeront LEURS armures ! Ils pisseront sur notre culture, ils chieront sur notre patrimoine ! Alors, bordel de merde, brandissez vos épées, hurlez vos bannières, et repoussez ces enfants de putain ! Pour STONEHOLD ! Pour NEXUS ! »
Le
Haut-Commandant Thranwïn brandit son épée depuis les remparts de Stonehold, et ses hommes hurlèrent, levant également leurs armes. C’était un vieux guerrier, dont la lame ne s’était jamais émoussée, et ce n’était pas quelques démons et autres Légions Noires qui allaient l’effrayer. Stonehold avait été le rempart contre ces incursions depuis des siècles, et même maintenant, alors que la Légion Noire s’amoncelait à leurs portes, la Confrérie de l’Aube saurait faire face.
Les hurlements des guerriers se firent entendre en contrebas. Les ennemis avaient incendié la forêt de Stonehold. Habituellement un endroit paradisiaque, propice à l’amour, le lac de Stonehold était un endroit où on avait coutume de dire que la moitié des Stonains avait été fécondé, une nuit de pleine lune, sous les reflets enchanteurs du lac, ce lac où, disait-on aussi, des nymphes dormaient dans les profondeurs. Ils avaient brûlé la forêt, et le lac, ce si beau lac, était rouge du sang des cadavres et de leurs victimes, qu’ils avaient balancé à l’intérieur après les avoir massacrés. En entendant les hurlements des soldats, les démons réagirent, hurlant à leur tour, brandissant également leurs armes, frappant contre leurs solides armures. Ils étaient menés par un impitoyable ennemi, répondant au simple nom de
Pourpre. Pourpre était en tête, et poussa un hurlement inhumain, ses yeux luisant d’une intense lueur magique maléfique.
Et puis, ils chargèrent. Depuis les murs de Stonehold, les archers ciblèrent leurs ennemis, atteignant les zones non recouvertes par les armures, tandis que eux s’avançaient, poussant de lourdes tours de siège.
«
Concentrez le tir sur ceux qui poussent les tours ! Empêchez-les de les installer ! »
Parmi les Légionnaires Noirs, il y avait de solides Trolls, qui poussaient les tours. Il fallait de nombreux coups pour en venir à bout, mais Stonehold n’était pas défendue que par l’acier et par les flèches. Depuis de hautes tours, les mages blancs de la Confrérie concentraient leur énergie, et des éclairs jaillissaient depuis les tours, frappant les tours, enflammant le bois. La Confrérie de l’Aube affrontait les Légions Noires depuis des siècles, et jamais ils n’avaient réussi à prendre Stonehold. Aujourd’hui ne serait pas une exception, Thranwïn s’en faisait la promesse.
Les archers et les arbalétriers étaient précis et efficaces.
«
Allez, allez ! »
Une nouvelle tour s’enflamma, et le ciel rugit alors. Thranwïn leva la tête, et serra les lèvres en voyant des boules de feu jaillir des nuages noirs. La Légion Noire avait aussi ses propres magiciens, et ces derniers donnaient la réplique. Fort heureusement, les habitants qui n’avaient pas évacués dans des villes secondaires avaient tous été regroupés dans le fort. Les boules de feu fendirent le ciel, et se fracassèrent sur la ville, ainsi que sur les remparts. Malgré les boucliers magiques, beaucoup de ces boules les traversèrent. Thranwïn vit une boule heurter une tour légère, la faisant exploser, disloquant les archers à l’intérieur dans des hurlements d’agonie. La plupart s’abattirent sur la ville, dévastant des maisons, avant d’exploser au sol, déclenchant instantanément des incendies sur tout un pâté de maisons.
Les Légionnaires Noirs étaient suffisamment proches. Thranwïn, avec horreur, vit des ailes noirâtres magiques se former à côté d’eux, et ils s’en servirent pour bondir en hauteur. Des sauts périlleux prodigieux, de plus d’une dizaine de mètres. Les archers sur les remparts hurlèrent de terreur en voyant ces masses compactes s’abattre sur eux. Pourpre s’abattit au milieu de plusieurs arbalétriers, et sa lourde hache repoussa les soldats en défense. Un arbalétrier, les mains tremblants, brandit son arme vers lui, et se reçut l’épée de Pourpre, qui l’ouvrit en deux des cuisses vers l’épaule, faisant vomir ses tripes.
«
Pas de prisonniers ! Tuez-les tous !! »
Une autre tour de siège s’enflamma alors, et Pourpre tourna la tête vers les mages sur leur tour.
«
Eux, je m’en occupe… »
Thranwïn, de son côté, se heurta aux Légionnaires Noirs. Ils étaient massifs, puissants, et animés par une bestialité ancestrale. Il évita la lourde massue de l’un des ennemis en bondissant en arrière, puis le décapita d’un solide coup circulaire avec sa lame, avant de fondre sur un autre. En levant la tête, il vit Pourpre s’élancer vers une tour. Il y eut une explosion magique, puis il vit l’un des mages tomber dans le vide, en laissant dans son sillage une traînée de sang. Un autre s’envola ensuite, et son corps heurta le rempart, avant de s’écrouler sur le sol, dans la poussière. Le Commandant s’élança plus rapidement, rejoignant l’entrée de la tour. Les tours de siège, eux, se rapprochaient, et il vit des plateformes en bois s’abattre sur les remparts, permettant aux assiégeants de vomir le reste de leur armée. Des Orcs jaillirent en hurlant férocement, rejoignant les Légionnaires. Le Commandant tomba ainsi sur un Orc, et évita sa charge, avant de le passer le long du fil de sa lame. Le cadavre de l’Orc tomba sur le sol, baignant dans son sang, et Thranwïn atteignit la porte de la tour.
Il l’ouvrit d’un coup de pied. La tour sentait le soufre et la sueur, et il entreprit rapidement de grimper les marches. Parfois, la tour tremblait, généralement quand une boule de feu s’abattait sur elle. L’homme avait confiance dans la solidité des murs et des tours de Stonehold. Il rejoignit le sommet de la tour, et vit des éclairs jaillir des doigts d’un des magiciens, frappant Pourpre, le faisant reculer. Pourpre grogna, puis son épée canalisa les éclairs, lui laissant le temps d’égorger le mage avec sa lourde hache à double tranchant. Dans son dos, un autre mage en profita pour concentrer une boule de feu, et l’envoya exploser sur son dos. Pourpre se retourna alors, lança sa hache, qui éventra le malheureux magicien, dont le regard vide croisa le regard de Thranwïn, du sang s’échappant de ses lèvres.
«
Monstre… -
Thranwïn… Ce siège sera plus court que prévu, finalement. »
Serrant les lèvres, Thranwïn se rua vers l’ennemi en hurlant. Leurs lames s’entrechoquèrent.
«
Les Nexusiens ne te viendront plus en aide, cette fois, Commandant… Leur armée est occupée ailleurs ! Aujourd’hui, Stonehold meurt enfin ! »
Pourpre repoussa Thranwïn, et tenta de le décapiter avec un rapide et massif coup d’épée. Fort heureusement, malgré son âge, le Commandant avait encore de bons réflexes. Il fléchit les genoux, la lame venant juste lui manger quelques cheveux, et bondit en avant. Son épée frappa l’armure de Pourpre, en taillant cette dernière, l’acier venant mordre l’acier. Thranwïn arriva ainsi dans le dos de Pourpre, mais ce dernier se retourna, et, d’une claque, repoussa l’homme. Pourpre en profita pour récupérer sa hache, soulevant au passage le cadavre du mage qui l’avait reçu, avant de l’arracher d’un coup sec. L’un de ses bouts était maculé de sang, formant une bien sombre couverture.
«
La Confrérie a d’autres alliés… Maintes et maintes fois, nous avons repoussé la Légion Noire. Aujourd’hui, ce sera la même chose. -
Tout est différent aujourd’hui, paltoquet ! »
En hurlant, Pourpre bondit à nouveau, et sa hache heurta violemment le sol. Il continua ensuite à attaquer, et la hache de Pourpre heurta l’épée de Thranwïn, renversant ce dernier sur le sol. L’épée de Pourpre chercha alors à se planter dans son ventre, mais Thrawïn la dévia en la frappant avec le bout de son pied. Il bondit alors en avant, repoussant Pourpre d’un coup d’épaule, et son épée heurta ensuite, à nouveau, la sienne.
C’est à cet instant qu’un cor retentit. Surpris, Pourpre tourna la tête.
«
Que… ? -
La cavalerie est arrivée… »
*
* *
2.
Une histoire de cailloux
Le caillou fila vers elle, et elle bondit sur le côté, évitant le premier… Puis le second, en revenant dans l’autre sens. Un troisième frôla ses cheveux, qu’elle évita à nouveau, puis, en sentant plusieurs autres cailloux filer en même temps, elle leva sa main, et forma un bouclier magique contre lequel les cailloux rebondirent.
«
Bien… Tu t’améliores, Jinx. »
Elle savait que cette phrase n’était faite que dans le but de la distraire, de la provoquer… Et Jinx ne tomberait pas dans le panneau. Elle avait passé l’âge de réclamer l’attention de ses formateurs. S’élevant le long du sol, des cailloux supplémentaires fusèrent vers elle, et elle les évita encore, encore et encore. Au bout d’un moment, l’entraînement cessa, et Jinx retira son masque, retrouvant l’usage de ses sens. C’était une nouvelle séance parfaite, car aucun des projectiles ne l’avait égratigné.
Nahila la regarda en souriant depuis le balcon du Palais, heureuse des talents de Jinx, et de voir la preuve des progrès accomplis.
Gamorra, elle, resta plus neutre. C’était compréhensible, car elle formait Jinx depuis son enfance. Néanmoins, Jinx pouvait lire, dans ses yeux, une franche admiration, ce qui, naturellement, ne pouvait que lui faire plaisir.
«
Tu es enfin prête, Jinx. »
Ces mots lui allèrent droit au cœur. De la main, Gamorra désigna l’une des portes menant à l’intérieur du Palais.
«
Il veut te voir… »
Jinx acquiesça.
C’était la seule chose qu’elle espérait depuis tant d’années.
Jinx, « Princesse de l’Enfer » Sa confrontation avec Lucifer.
*
* *
3.
Paladins de Lumière
«
Depuis des siècles, la Légion Noire hante cette région ! Une ancienne armée, qui a été condamnée à mourir en prenant possession d’une cité naine après un séisme... La cité s’est effondrée sur elle-même, condamnant de multiples soldats à une longue mort atroce, sans possibilité d’être secourue. »
L’histoire de la Légion Noire était connue des Paladins, et ce discours ne les heurtait guère, impassibles et calmes qu’ils étaient. Elle était avant tout destinée aux régiments nexusiens qui s’agglutinaient autour des fiers guerriers lumineux. Fidèle à son rôle,
Kabam, l’un des Frères Supérieurs d’Haven, parlait d’une voix forte, encourageant ses troupes, alors que les cors d’Haven retentaient dans la colline, à quelques lieues d’une ville en feu. Stonehold était une ville qu’elle connaissait bien, car elle s’y rendait souvent en vacances. Elle aimait se promener le long du lac, jeter des pièces dans ses fontaines, apprécier les lierres s’écoulant le long des murs, ou tout simplement se délecter des artistes de rues qui pullulaient dans cette tranquille bourgade de campagne, bien loin du tumulte de Nexus, ou même d’Haven, qui restait une grande et puissante cité.
La Légion Noire était le récit malheureux d’une armée condamnée à mourir, qui avait peu à peu sombré dans la folie. Alors que les morts se multipliaient, et que les vivants en étaient réduits à s’entretuer et à manger les vivants dans l’espoir de se sustenter, ils avaient découvert de vieux sortilèges, et avaient réussi à survivre en appelant l’aide d’un démon. Un pacte maudit, car le démon leur avait offert la liberté en les téléportant, et en leur offrant tout ce qu’ils voulaient, mais, en contrepartie, leurs âmes lui reviendraient. Éternellement damnés, ils erraient indéfiniment dans cette cité, disparue dans les profondeurs d’un massif montagneux faisant plusieurs milliers de kilomètres. Depuis des siècles, la Confrérie de l’Aube fouillait les montagnes, toutes les grottes, à la recherche de la cité perdue, dans le but de mettre fin à l’antique sortilège... Et, régulièrement, les morts revenaient à la vie. Leurs armures, ils les forgeaient dans cette ancienne cité, probablement grâce à l’aide de gobelins ou d’esclaves nécrophages, et revenaient en suite assiéger Stonehold et les bastions de l’Aube. Cette fois, la Légion Noire avait mis le paquet, parvenant à rallier sous sa bannière infernale plusieurs clans d’Orcs, et plusieurs villages de Trolls. Thranwïn, le Commandant de la Confrérie de l’Aube, avait appelé à l’aide, et Haven avait répondu.
Haven, c’était un ordre de Paladins répondant à l’autorité de la Couronne de Nexus et à celle de l’Ordre Immaculé. Un ordre militaro-religieux, disposant d’une grande indépendance dans la gestion de ses affaires, de ses terres, mais dont le Grand Maître renouvelait chaque année son serment de fidélité envers le Souverain de Nexus. Ainsi, quand Thranwïn avait appelé à l’aide, c’était tout naturellement qu’Haven avait répondu. Elle avait envoyé plusieurs de ses meilleurs paladins, comme
Vanguard. Cet ancien sorceleur était devenu un redoutable paladin d’Haven, et une source d’admiration pour son courage et pour ses talents au combat.
«
En garde ! terminait Kabam.
CHAAAARGEEEEZZZ !! »
Et les paladins s’élancèrent, en tête, sur leurs puissants destriers. Kabam menait la charge en hurlant, filant, non pas vers l’une des entrées de Stonehold, mais vers le lac, où l’essentiel des forces ennemies s’agglutinaient. Dans la main gauche de Kabam, celle ne tenant aucune épée, une boule d’énergie se forma, et il la balança. Un concentré de magie sacrée, un rayon lumineux qui jaillit de la paume de sa main, et s’abattit au milieu d’un groupe d’ennemis, provoquant une intense explosion lumineuse qui les déchiqueta sur place.
Nuriel bondit de son cheval, et son épée flamboya sur place, avant de s’abattre sur un Orc, l’entaillant profondément. La femme posa à peine les pieds sur le sol qu’elle bondit en avant, son épée laissant des braises et des cendres autour d’elle, frappant les ennemis, tombant comme des mouches autour d’elle. La femme n’avait pas pour habitude de faire dans la dentelle, surtout pas contre ces vermines d’Orcs, qui avaient massacré toute sa famille, quand elle était encore une jeune fermière.
«
C’est tout ce que vous avez dans le ventre ?! »
Un Légionnaire Noir s’approcha en volant, et se posa lourdement sur le sol, puis chargea une paladine. La femme bondit sur le côté, et l’épée du Légionnaire Noir mangea le sol, loupant la cape rouge de la femme, dont l’épée se mit également à s’animer, s’enroulant d’arcs électriques éblouissants. Un sourire sur le coin des lèvres, la femme évita une nouvelle attaque, puis son épée frappa le torse de l’ennemi, le faisant reculer. Elle bondit ensuite en arrière, puis s’élança en avant en hurlant, et décocha un nouveau coup, mortel.
Vesa, Paladine au service d’Haven, se jeta dans la mêlée avec une ardeur féroce Stonehold ne tomberait pas aujourd’hui, Vesa s’en faisait le serment. La Légion Noire était un adversaire bien connu des Paladins. Très souvent, on avait envoyé des chevaliers et des paladins dans les profondeurs de la montagne, afin de comprendre d’où cette dernière était originaire, mais ces expéditions étaient toujours redevenues bredouilles, sans aucun élément d’information supplémentaire qui aurait permis de comprendre ce qu’était la Légion. À défaut, Haven était resté à l’approche simple de la Légion Noire : une force malfaisante qui revenait régulièrement, et qu’il fallait endiguer. Autrement, elle déferlerait dans d’autres régions de Nexus, et elle ferait des ravages. En effet, Stonehold et sa région se trouvaient éloignées des principales positions défensives nexusiennes, et, en conséquence, si la Légion Noire arrivait à passer, elle arriverait dans des campagnes sans défense, et ferait des ravages.
Vesa faisait donc partie des troupes de renforts, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle était à la hauteur de la réputation qu’on se faisait des Paladins de Haven. Il fallait la voir se battre pour le réaliser. Haven avait une formation extrêmement difficile, mélangeant à la perfection les arcanes magiques et les techniques martiales dans leurs programmes de formations. Son épée donnait la réplique à ses éclairs magiques, à ses boules de feu, ou aux rayons dorés qu’elle lançait quand elle se concentrait. La redoutable magie sacrée, l’arme suprême des Paladins, une magie que seuls les esprits les plus purs pouvaient maîtriser... La magie redoutable des Anges, que les vertueux Paladins pouvaient maîtriser... Et vertueuse, Vesa l’était. Quand la magie sacrée l’envahissait, ses pupilles devenaient incandescentes, et elle envoyait des rayons particulièrement redoutables, pulvérisant les Légionnaires Noirs.
«
Allez, mes Frères et mes Sœurs ! beuglait Kabam.
Renvoyez ces saloperies en Enfer ! Pour Haven ! Pour la Flamme Blanche ! »
Kabam était un Frère Supérieur... Un guerrier d’élite, vétéran de nombreuses batailles, dont l’âge n’avait pas émoussé son épée. Sa lame était auréolée d’une lumière blanche éclatante... Une parfaite symbiose entre l’acier et la magie sacrée, la preuve d’une vie menée à se battre pour les autres, à défendre les saintes valeurs des Commandements Divins. Un homme que Vesa respectait, et que, à bien des égards, elle considérait comme son père... Bien plus que son père biologique, en tout cas. Elle sortit de ses réflexions quand un Légionnaire Noir la chargea en sortant d’une maison, le redoutable monstre défonçant la porte sur son passage. Sa lourde épée heurta violemment celle de Vesa, surprenant la jeune femme qui s’étala sur le sol. L’odieuse créature brandit son épée, et Vesa usa de sa main libre, formant un bouclier magique contre lequel l’épée se fracassa. Le Légionnaire Noir poussa un sinistre grondement, et, avant qu’il ne puisse à nouveau attaquer, un éclair le frappa en pleine tête, et, à côté de Vesa, cette dernière put voir Nuriel se jeter sur l’adversaire. Leurs épées se heurtèrent violemment, et elle frappa le plastron du légionnaire Noir, l’entaillant en faisant couler un sang noirâtre. La créature infernale grogna, et repoussa Nuriel en posant sa grosse main sur sa tête.
Vesa s’était alors relevé, et son épée frappa là où il fallait, tranchant le bras du monstre. La douleur ne sembla guère le stopper, car, avec son autre bras, qui tenait son épée, il l’abattit sur elle. Vesa bondit in extremis en arrière, évitant l’épée, qui alla manger le sol, puis, voyant une ouverture, elle décapita proprement la bête, faisant jaillir du sang noir depuis son crâne.
«
Ce sont des golems... soupira Nuriel.
-
Leur tatouage se trouve à leur nuque... Mais ils sont de plus en plus forts au fur et à mesure qu’ils sont réincarnés... -
Ça ne reste que de stupides golems ! Reste sur tes gardes, Vesa ! »
Le sang qui s’écoulait du visage de Nuriel avait déjà disparu, grâce aux sorts de magie blanche que les Prêtres faisaient. Ils étaient prudemment en retrait en arrière, juchés sur des collines et sur des plateformes d’observation, en profitant pour aider de loin les courageux guerriers. Des archers se tenaient également à côté d’eux, leur précision légendaire leur permettant de faucher les unités ennemies, notamment les Orcs et les gobelins. Avec les Légionnaires Noirs, les choses étaient plus compliquées, car il fallait atteindre des points très précis pour réussir à les tuer.
Ils étaient Haven.
Ils ne tomberaient pas.
*
* *
4.
Le Récit
«
Il t’attend, Jinx... -
C’est ce que j’ai cru comprendre. »
Pour autant, elle n’était pas sa chienne, et le Palais de Lucifer était suffisamment grand pour qu’elle puisse avoir quelques minutes de retard... Surtout quand elle était face à
Jiraya Magoa, l’une des concubines de Lucifer, et accessoirement l’une des formatrices de Jinx. Jiraya était belle, et maîtrisait aussi la magie. Les Magoa avaient toujours produit de redoutables succubes, tant sur le plan sexuel que sur le plan militaire. Leurs succubes étaient ainsi très souvent utilisées comme espionnes, ou comme tueuses. La légende disait que le Prince de la Luxure avait envoyé Jiraya pour tuer Lucifer, mais Jinx ne pensait pas que c’était vrai. Jiraya avait au contraire tout du cadeau de paix.
Entre les Princes Infernaux, la guerre était permanente, perpétuelle, routinière, lassante. C’était bien simple : les Princes Infernaux passaient leur temps à envoyer leurs Légions Infernales s’affronter en elles, généralement dans des assauts monstrueux dans les Plaines Infernales, provoquant des milliers de morts... Sauf qu’un démon mourant en Enfer ne mourrait pas vraiment, car il revenait à la vie, sous une forme différente, et, ainsi, les guerres entre Légions pouvaient volontiers être qualifiées de «
Guerres Éternelles ». Concrètement, elles se terminaient quand l’un des Princes se lassait, et il offrait à l’autre Prince un cadeau. La diplomatie en Enfer était très différente de celle dans les autres Plans. Elle reposait toute entière sur la loi du plus fort. Là où la diplomatie humaine avait ainsi pour fondement le respect de la souveraineté des États, en Enfer, la principale question, c’était de déterminer qui était le plus fort. Et ce système ne pouvait que tenir, car la mort n’était pas définitive, et il y avait un tel écart de puissance entre les Princes Infernaux et les autres démons qu’on ne voyait pas comment le système pourrait s’écrouler. Ce système était après tout vieux comme la Création, et continuerait à perdurer jusqu’à la Fin des Temps... Car c’était l’Enfer.
Jinx appréciait beaucoup Jiraya, et les deux femmes ne tardèrent pas à s’embrasser. Comme toujours, Jiraya avait des lèvres magnifiques, mais termina leur étreinte.
«
Une prochaine fois, peut-être... Je te l’ai dit, le Prince veut te voir. »
Jinx soupira, mais comprit. Hochant lentement la tête, elle se mit à marcher, et rejoignit un escalier menant vers les étages supérieurs du Palais. Même s’il n’avait pas, d’un point de vue externe, la forme d’une pyramide, ce Palais était une structure pyramidale, avec, tout en-haut, les quartiers de Lucifer. Jinx s’y était assez rarement rendue, et, tout en grimpant, elle repensait au passé.
Sa formation en Enfer avait été infernale. Ce qu’elle avait subi était clairement une forme de torture. On l’avait entraîné en la lapidant, en la battant à mort, aussi bien par des démons masculins que féminins. Mais elle avait su s’en sortir... Elle avait su se relever, et apprendre à maîtriser la magie, ainsi que savoir se battre avec une épée. Lucifer envoyait sur elle des démons qu’elle devait tuer. En quelques années qu’elle était là, Jinx avait ainsi bien dû tuer une centaine de démons, au bas mot. Le premier avait été une sorte d’affreux truc verdâtre avec un énorme œil unique en plein milieu du front, un long cou, et des griffes proéminentes. Elle l’avait décapité, puis avait ensuite continué à s’entraîner, que ce soit en se battant yeux clos, en apprenant à esquiver des cailloux qu’on lançait sur elle comme des projectiles, ou en allant dans des grottes pour récupérer des artefacts, en affrontant des démons et des monstres. Il n’y avait aucun endroit sûr en Enfer, si ce n’est les Palais et les Maisons. Tout le reste n’était qu’un ensemble de régions mortelles, et il fallait se méfier d’absolument tout le monde, aussi bien des démons que des monstres. La solidarité était un concept creux, ici. La loi du plus fort, encore et toujours, était la seule chose qui importait. Ce n’est pas parce qu’on était affilié à tel ou tel démon que se promener dans ses terres vous exonérait d’être vigilant... Ça, Jinx l’avait bien compris.
Elle rejoignit les derniers étages du palais, abritant les chambres des hôtes de marque. Il y avait celle de
Magadalena, une autre concubine de Lucifer, et une femme que Jinx, au demeurant, appréciait beaucoup. Elle était belle, elle avait l’esprit vif, et elle était bien plus forte que l’apparence fragile qu’elle se donnait.
Jinx continua sa marche, jusqu’à un dernier escalier, petit, menant à un grand vestibule. La porte à double battant devant elle s’ouvrit lentement, et elle entra dans la Chambre de Lucifer. La jeune femme s’avança lentement, et, comme il incombait de le faire, mit un genou à terre.
«
Vous m’avez mandé, Père... Alors, me voici. »
Quelques secondes silence passèrent, avant qu’une petite brise sur sa droite ne lui fasse tourner la tête.
«
Environ dix ans de formation, et tu n’as toujours pas réussi à comprendre les bienfaits de la ponctualité, Jinx... -
Je vous demande pardon, Père... -
Si tu étais si désolée, tu serais arrivée à l’heure... Mais passons. »
Lucifer venait de sortir d’une pièce dans un coin.
C’était bien lui, dans une forme éclatante de beauté, avec une longue chevelure blanche qui tombait en cascade le long d’un corps long et musclé. L’homme qui l’avait arraché à une vie de souffrance avec ses géniteurs... Pourquoi l’avait-il demandé ?
«
Relève-toi, et suis-moi. »
Jinx obtempéra, et suivit l’homme par l’une des alcôves, où ils arrivèrent dans une pièce cylindrique sombre, uniquement éclairée par les reflets aquatiques d’un grand bassin au centre. Un bassin circulaire, leur arrivant à hauteur du ventre. Les longs et fins doigts de Lucifer caressèrent la surface de l’eau, perturbant les traits fins et plats de l’eau. Jinx cligna des yeux en voyant le visage de sa sœur...
«
Vesa... -
En train de se battre contre la Légion Noire, compléta Lucifer.
Ta sœur a bien progressé depuis la dernière fois. Elle a, comme toi, renié sa famille en devenant Paladine. »
Jinx ne dit rien, la mine sombre, mais Lucifer n’avait pas besoin d’en dire plus pour savoir ce à quoi elle pensait. Jinx avait tout renié de son ancienne vie... Ses parents qui ne l’avaient jamais aimé, les promesses d’un héritage royal, Nexus et la loyauté envers la Couronne... Tout, sauf sa sœur. Tout, sauf Vesa. Et Vesa, elle, avait tout renié pour retrouver sa sœur.
«
Elle a rejoint Haven pour rentrer en contact avec les Cieux, et pour apprendre où tu étais... Elle a dû apprendre que l’Ange qui est venu la chercher n’est plus vraiment un Ange aux yeux des Cieux. Quelle ironie... Si proches, et pourtant si éloignées... -
M’as-tu fait mander pour me tourmenter, Lucifer ? » grogna la femme.
Redevenant plus sérieux, et délaissant cette lueur espiègle qui commençait à brûler des yeux, celui que ses hommes appelaient «
Monarque des Enfers » remua la main, et l’eau redevint claire. Il se déplaça ensuite, et Jinx commença à regarder autour d’elle. Les murs de cette étrange pièce, cet observatoire, étaient décorés de runes magiques et de fresques montrant des constellations, des étoiles... Et des formules mathématiques.
«
Je sais que tu te poses des questions, Jinx... Je sais que tu cherches à comprendre pourquoi je t’ai emmené, pourquoi je t’ai formé... Je ne manque pas de rejetons, vois-tu, et, dans la mesure où la plupart d’entre eux cherchent à me tuer, il paraît idiot de vouloir en récupérer un autre. »
Jinx était d’accord... Elle avait compris que, en Enfer, l’amour filial était souvent meurtrier, surtout aux hautes sphères. Un enfant n’était un bon fils que quand il cherchait à tuer son père, et les fils de Lucifer n’y faisaient guère exception. Jinx, elle, n’avait pas été éduquée avec cette mentalité, mais, que ce soit Jiraya ou Magdalena, nul n’avait pu lui dire ce que Lucifer attendait d’elle. Elle connaissait l’histoire autour du droit de surprise. Sa mère avait prié devant une ancienne statue de Lucifer, et ce dernier avait répondu à cet appel, et avait exigé, en retour, l’un des enfants du couple.
Lucifer se déplaça un peu, et leur conversation se poursuivit :
«
Alors... Pourquoi ? -
Magdalena t’a parlé de la Guerre contre les Grands Anciens, je suppose? »
Jinx hocha la tête. Le premier conflit historique, mené entre les Anges et leurs alliés contre des forces cosmiques, des créatures gigantesques qu’on appelait «
Grands Anciens », et dont l’origine était encore inconnue. Des êtres d’une puissance exceptionnelle, qui avaient déferlé dans les Plans Intermédiaires, à une époque où les frontières dimensionnelles étaient encore bien séparées, et où seuls les Anges avaient percé les frontières des dimensions... Une époque où l’Enfer n’était encore peuplée que de démons.
«
Pour venir à bout des Grands Anciens, les Anges n’ont pas eu d’autres choix que de les bannir hors de l’espace et du temps, de les enfermer dans d’autres dimensions. Ils n’ont pas eu d’autres choix que de briser les frontières du Multivers. »
Lucifer leva la main, et les runes murales s’illuminèrent alors, révélant alors, autour du duo, un spectacle fascinant, qui aurait eu tout à fait sa place dans une salle de projection holographique tekhane :