Il fait noir. Il fait froid. Je me sens oppressé, retenu, comme un prisonnier en cage. J'essaie de me libérer, mais rien n'y fait. Quelque chose m'empêche de m'échapper. Autour de moi, je ne vois rien. En revanche, j'entends. J'entends leurs voix.
« Nous pouvons commencer l'expérience. » « Envoyez les nanites. »
Soudain, je me sens comme si des millions de clous me traversaient les veines. C'est une douleur insupportable. Je hurle à la mort, en leur suppliant d'arrêter, mais ils ne m'écoutent pas. Ils font comme si je ne disais rien.
« Signes vitaux normaux. Aucune activité anormale détectée. » « Alors augmentez la dose de nanites. Qu'on en finisse vite. »
Sur ces mots, la douleur se fait encore plus intense. Je ne crois pas trop m'avancer si je dis que c'est la pire douleur que j'ai jamais ressenti. J'ai l'impression que mon corps peut exploser d'une seconde à l'autre. La souffrance est telle que je tombe dans les pommes.
Quand je me réveille, je suis sur une planète inconnue. Devant moi, un désert rocailleux à perte de vue. Une terre morte dans laquelle rien ne peut vivre, rien ne peut exister, à part la poussière. J'avance au milieu du paysage, sans comprendre comment j'ai pu arriver ici. Je ne reconnais rien, et je n'ai aucun souvenir d'un quelconque voyage. Remarque, ne pas avoir de souvenirs, c'est monnaie courante chez moi. Je vois une fleur, je veux aller la sentir, mais elle disparaît quand je m'approche d'elle. Je continue à marcher, sans même savoir où je vais, quand tout à coup, je sens quelque chose sur mon pied. Je baisse la tête, et là, je vois du sang. Une rivière de sang, de la largeur de ma chaussure, qui dégouline depuis une petite montagne plus loin au nord. Je me sens comme attiré par cette montagne, alors je cours dans sa direction. Plus j'avance, plus la rivière de sang s'élargit. Il y en a même d'autres qui apparaissent. Mais je n'y prête pas attention, pas plus qu'au sang suintant par tous les trous du flanc de la montagne quand je l'escalade. Finalement j'arrive au sommet. Et la vue me fait dire que j'aurais mieux fait de rester en bas. La montagne est en fait un volcan, transformé en fosse commune, et à l'intérieur se trouve des milliers de cadavres encore saignants, ce qui explique les rivières sortant par la roche. En voyant cet amoncellement de corps, je commence à paniquer. C'est là que l'un d'entre eux se met à bouger légèrement sa tête et à lever les yeux pour me regarder et me parler.
« C'est... de ta... faute... »
Pendant qu'il répète cette phrase, un autre cadavre commence à bouger pour répéter la même phrase. Puis un autre, et un autre, et encore un autre... Très vite, toute la fosse commune répète les mêmes mots. Tous m'accusent d'être responsables de leur mort. Leurs voix sont insupportables, elles me font mal à la tête, j'ai du mal à garder les yeux ouverts. Il faut que je m'éloigne d'ici. Mais comme je ne regarde pas où je vais, je glisse sur un pierre et je tombe dans la fosse commune. C'est la fin...
« AAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHH ! »
Je me réveille en criant. Je suis en sueur, le cœur qui palpite et la respiration bruyante. Bon sang, ce cauchemar est sans doute le plus effrayant que j'ai jamais fait. Il s'appuie sur deux de mes plus grandes angoisses : ce qui se serait passé si je m'étais réveillé pendant le transfert des nanites dans mon corps, et ce qui se serait passé si j'étais resté entre les mains de mes créateurs. Ils m'ont fait toutes ces choses pour me transformer en arme, pour faire de moi un destructeur à grande échelle. Et si je ne leur avait pas échappé, des millions d'individus auraient perdu la vie par ma main. D'un coup, je me dis que j'ai eu de la chance que la fosse commune ne contienne que quelques milliers de cadavres, cela aurait pu être bien pire.
Je retourne à la réalité, et je balade mon regard autour de moi. Je suis dans une cage, à peine assez grande pour moi, dont les barreaux brillent d'une lumière électrique. Dehors, il y a des ordinateurs, d'autres cages semblables à la mienne, et au moins une quinzaine de robots de sécurité, dont au moins cinq d'entre eux ont des fusils IEM. Une sacré force de sécurité. Je suis sûrement dans le bloc cellulaire du laboratoire.
J'essaie d'appeler mes nanites pour me libérer, mais ils ne répondent pas. C'est là que je percute quelque chose : où est Matt ? Nous avons été capturés ensemble, mais je ne le vois dans aucune des cages autour de moi. Pourquoi ne l'ont-ils pas amené ici ? Se pourrait-il qu'il soit... Non, non, c'est impossible ! Je refuse de croire une chose pareille. Il est en vie... Je le sens au fond de moi. Pourtant, l'inquiétude m'envahit. Je sens mon cœur devenir lourd rein qu'à l'idée qu'il ait pu lui arriver quelque chose. Mais je ne dois pas pleurer. Ce serait donner l'avantage à mes ennemis.
Pendant que je cherche un moyen de sortir, un homme entre dans le bloc cellulaire. Il a les cheveux couleur cuivre, qui lui arrivent aux épaules, les yeux verts, porte des lunettes de vue qui lui donnent un côté intellectuel, et son corps est celui d'un homme en pleine forme. Sur son visage se trouve une expression de sadique, doublé d'un sourire satisfait. Sa simple vue me fait frémir, et en même temps, me met en colère.
« Enfin. Après des mois et des mois de recherche, d'argent dépensé et de pièges tendus, j'ai enfin réussi. Tu es finalement revenu à moi. »
Il me parle comme si on était censé se connaître. Pourtant, son visage ne me dit absolument rien.
« Tu ne te souviens pas de moi ? Alors les rumeurs étaient vraies. Ta mémoire a été altérée. C'est sans doute du au fait que tu t'es réveillé pendant le transfert. »
Le transfert ? Une minute...
« Dire que sans cette simple erreur d'estimation, l'expérience se serait déroulée sans le moindre problème. »
L'expérience ? Le transfert ? Le fait qu'il semble me connaître ? Il n'y a qu'une seule explication logique à tout ça. Et elle n'est pas du tout rassurante. Je me jette contre les barreaux pour me rapprocher de lui.
« C'est vous qui m'avez fait ça ! C'est vous... »
« Ah, tu commences à t'en souvenir. »
Son sourire devient plus large.
« Dis moi... te souviens-tu d'autre chose ? »
« Je me souviens que vous et d'autres scientifiques avaient essayé de me transformer en monstre. Vous m'avez volé ma vie pour faire de moi une arme. »
« Volé ta vie ? C'est comme ça que tu le vois ? »
On dirait qu'il sait des choses que j'ignore.
« Nous avons fait de toi quelque chose de bien plus grand que ce que tu étais quand nous t'avons trouvé. »
« Où ça ? Où m'avez vous trouvé ? »
« Tu aimerais bien le savoir, hein ? Mais je ne vais pas tout te dire maintenant. Ce ne serait pas amusant. »
Amusant ? Il voit ça comme un jeu ? Lui et ses cinglés de collègues ont anéanti mon existence, et c'est tout ce que ça lui fait ?
« Je pourrais te révéler des choses... mais pas sans une contrepartie. »
« Quelle genre de contrepartie ? »
« C'est simple : nous t'avons conçu pour être une arme, alors tu vas me servir en tant que tel. Et si tu es sage, je te dirai ce que tu veux entendre. »
Je tremble sur place en l'écoutant. Mon cauchemar devient réalité devant moi : ma puissance utilisée pour détruire des mondes entiers. Je préfère mourir plutôt que d'accepter de servir d'arme.
« Va te faire voir ! Jamais je ne serai à ton service ! »
« Oh que si, tu vas m'obéir. Car si tu ne le fais pas pour moi, tu le feras pour ton ami. »
Il claque des doigts. Deux robots sortent d'un coin de la pièce. Ils tiennent Matt, menotté et bailloné.
« MATT ! »
Il se débat pour essayer de se libérer, mais l'étreinte des robots est trop forte. Un autre robot apporte un revolver à mon geôlier, qui va le pointer sur la tempe de Matt. Je me colle contre les barreaux, en retenant ma respiration.
« Soit tu te soumets, soit je le tue. »
Il enclenche le détendeur de l'arme. Matt sent que la fin approche pour lui. J'enrage d'être aussi impuissant, piégé comme un lion en cage, obligé de regarder une personne à laquelle je tiens se faire menacer de mort. Je ne peux pas retenir une larme, que l'humain remarque.
« Si ce n'est pas mignon : notre arme vivante croit qu'elle peut éprouver des émotions. »
Les robots lâchent Matt, puis il l'amène vers moi, l'arme toujours posé sur sa tête.
« Tu dois comprendre quelque chose : nous t'avons crée uniquement pour détruire. Les émotions te sont interdites car elles te détournent de tes objectifs de mission. Et même si tu crois pouvoir ressentir quelque chose, ce n'est qu'une illusion. Tu ne seras jamais rien d'autre qu'un objet entre mes mains. »
Son discours me déchire le cœur en deux, et on dirait que ça lui fait plaisir.
Bizarrement, c'est en le voyant agir que je prends conscience de quelque chose qui aurait du me sauter aux yeux depuis longtemps : un système de sécurité capable de reconnaître mes nanites, des armes IEM, le fait que chacun de ses actes ait un impact sur moi... toute cette opération était un piège mortel à mon attention. Il voulait m'amener jusqu'à lui.
« Dépêche toi de décider. Dans 10 secondes, je lui explose la tête. »
Je sens la panique monter en moi : si j'accepte son offre, toute la galaxie sera en danger. Mais si je refuse, Matt va mourir. Il n'y a aucune option positive. Fou de rage, je me jette contre les barreaux pour le regarder droit dans les yeux.
« Quand je sortirai d'ici, je te ferai regretter de ne pas m'avoir tué plus tôt. »
« Il n'y a aucune chance que tu t'échappes. Cette cellule est entourée par un champ IEM qui neutralise tes nanites, et tes camarades rebelles sont isolés de cet endroit. Tu es tout seul. »
C'est quand il finit sa phrase que la porte explose, et qu'une déferlante de balles surgit de la fumée. Tous les robots de sécurité sont désossés. L'homme se retourne, utilisant Matt comme bouclier. Je vois Jim et ses hommes sortir de la fumée. Timing parfait.
Quand il voit l'homme retenant Matt, il braque son fusil sur lui.
« Jim ! Ne tirez pas ! »
Il est étonné de m'entendre dire ça.
« Cet homme sait des choses sur mon passé. Il me le faut vivant. »
Je dis ça, mais ce même homme menace Matt. Et il ne faudra pas longtemps avant que Jim ne se décide à descendre l'inconnu pour sauver son second. Si seulement il pouvait me faire sortir de cette cage...