Il ne faisait pas bon. Le ciel était gris, noir, ZI.UA ne savait pas vraiment. Au-dessus de sa tête, tout se fondait en un amas inquiétant, prêt à lui tomber sur la gueule. Une personne un peu croyante y aurait vu un signe de mauvaise augure, quelque chose de néfaste, quasi-cancérigène. Elle, elle n'y voyait rien de spécial. Une absence de mythes rendait sa vie amère. Il n'y avait rien à espérer dans l'irréel, rien de fou, rien de miraculeux. Ce genre de trucs, elle ne pouvait les trouver que dans le cosmos. Cette pensée fit grincer son cœur d'une drôle de façon.
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Il va falloir y aller. La délicieuse voix robotique d'Alma sortit de son ordinateur, devant lequel elle était assise.
- Il est l'heure ? marmonna la jeune femme en grattant sa crinière verte.
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Plutôt, oui. Vous avez toutes vos affaires sur vous ? Elle répondit par un hochement de tête. De toute façon, Alma s'était connectée à la webcam et pouvait facilement la voir.
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Dépêchez-vous, alors.- Oh, c'est bon.
Le charmant logiciel qu'était Alma avait toujours un ton sentencieux. Le même qu'ont les parents. Celui à qui ne peut répondre que par par un grognement ou, au mieux, une réponse dépourvue de sens. ZI.UA se leva, enfilant une combinaison noire, qu'elle refermait sur son torse avec une fermeture dorée. C'était toujours mieux, pour voyager. Si ce genre de délires vestimentaires inquiétaient tous ceux de sa promotion, elle, elle trouvait ça cent fois plus confortable. Et puis, jusque là, elle n'avait jamais porté autre chose que des combinaisons. Elle enfila un manteau en fausse fourrure blanche, avant de saisir son sac.
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La fourrure, mademoiselle ? continua Alma sur un ton doucement moqueur.
- Tu apprendras que c'est très confortable, pour voyager, répliqua-t-elle.
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C'est surtout très fragile, mademoiselle.- Oh, c'est bon, Alma.
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J'admire votre sens de la répartie. - Raaaaah !
Elle ferma son ordinateur d'une main, avant de filer vers ce qui devait être une salle à manger, mais était devenu un endroit où s'entassaient tous ses souvenirs, tout ce qu'elle avait pu sauver de ses années à voguer dans la galaxie. Deirdre, mise sur pause, se tenait sur un fauteuil, au milieu de bouquins pour lesquels ZI.UA n'avait pas encore trouvé de place. Elle regarda un petit moment les croquis et les photographies, qui couvraient tous les murs, avant de fourrer dans son sac deux-trois p'tits trucs à bouquiner, une clope dans la bouche.
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ZI.UA ?- Ah, putain, ALMA !
Elle venait de s'incruster dans sa montre, et avait fait frôler l'arrêt cardiaque à la jeune femme. Deirdre s'anima aussitôt.
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Tu pars ? -
Mademoiselle part aujourd'hui même en voyage, oui, continua Alma.
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Je peux venir ?-
Les humanoïdes ne sont pas autorisés par …- Oh, fermez-la, FERMEZ LA !
Dieu que c'était épuisant, la technologie, par moments.
- Deirdre, tu restes ici, à moins que … Tu vois. Si j'ai un problème, tu prendras Ludwig, 'fin merde, on en a parlé hier ! Et on ose parler de la mémoire humaine !
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Mademoiselle veut-elle que je lui rappelle les notes de son dernier contrôle de connaissances ? Je pense qu'un ordinateur aurait fait beaucoup mieux.- … Alma, tu m'emmerdes.
Le temps de rafraîchir les esprits de son robot préféré, et elle rejoignit Ludwig, son vaisseau attitré. Lui la conduirait à l'Académie sans faire d'histoires. Pas d'engueulades, de sarcasmes, rien. Putain ce qu'elle l'aimait.
Aujourd'hui, c'était le jour du voyage. Elle avait dû se battre contre ses profs, qui, appréciant moyennement ses petites remarques et son ton continuellement insolent, avaient voulu l'empêcher d'y participer. Une dizaine de jours dans un centre d'étude. Elle ne pouvait pas rêver mieux. Ici, on avait fini par l'habituer à ne voir des xénomorphes que sur des photographies et des diapositives projetées sur un mur sale. Pendant dix jours, elle allait pouvoir en apprécier des vrais. Des vivants.
Putain, ça faisait tellement longtemps. Elle éteignit sa cigarette avant d'entrer dans les bâtiments de l'Académie, rejoignant avec dix minutes de retard le reste de sa promotion. Tout le monde avait déjà pris sa place dans le vaisseau. Il ne lui restait plus qu'un siège, au fond, là où il n'y avait aucune fenêtre. Elle poussa un « Putain » gavé de rage avant de jeter son sac dans la soute et de rejoindre les autres.
Qu'est-ce que les gens font chier, c'est impressionnant. Elle passa les quelques heures de voyage des écouteurs vissés dans les oreilles. Toutes les têtes s'agitaient, autour d'elle. ZI.UA détestait entendre les gens. Elle n'aimait pas les entendre parler. Chaque fois que ses écouteurs flanchaient et qu'elle devait se confronter aux bruits des autres, elle fumait deux fois plus que d'habitude. Ça l'agaçait. Elle préférait largement choisir les bruits avec lesquels elle voulait s'entourer.
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Nous vous rappelons que vous serez logés dans cet internat, destiné aux jeunes chercheurs ! Nous vous demandons beaucoup de soin ! La petite prof blonde glapissait comme un renard en fin de vie.
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Trois par chambre ! La liste est ici ! Quand je donne votre nom, vous venez, vous prenez les clés, et … Silence, s'il vous plaît ! Silence ! Et elle commença à réciter les noms. Son sac sur l'épaule, le regard un peu vide, ZI.UA regardait les gens défiler. Un classement par ordre alphabétique, la grosse blague. C'était sans doute la classification la moins ingénieuse de tous les systèmes réunis. Elle serait à la fin, comme d'habitude, avec deux personnes dont elle entendit à peine le nom. Un garçon et une fille. Elle le sentait, elle allait se marrer. La fille prit la clé, et ils avancèrent dans le bâtiment rond, isolé du centre, au milieu d'un jardin.
On dirait un asile, bordel. La visite de la chambre fut rapide. Trois lits, trois bureaux, une salle de bain.
Mh, une prison plutôt. Elle jeta son sac sur son lit, près d'une fenêtre. Elle avait sa revanche. La jeune femme attendit que les deux élèves sortent, avant de s'affaler sur son lit. Elle n'avait pas dit un mot. Elle voulait le calme, le silence, la paix, et …
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Mademoiselle, vous devriez parler à ces jeunes gens. Ce sont vos camarades. Alma.
Bordel. Elle regarda sa montre. La voix venait de là.
- De quoi je me mêle ?
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Vous allez passer dix jours avec eux, ici. Soyez raisonnable.- Je ne suis pas venue ici pour apprendre à être sociable. Je suis ici pour étudier.
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Ah, Mademoiselle. - Alma, dis-mo, si on mettait à côté de toi une … Mh, je ne sais pas, une Game Boy Color, tu vois ? Tu voudrais lui parler ? Elle aurait des choses à t'apprendre, tu crois ? Eh non ! Elle ne saurait même pas parler !
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Vous êtes trop présomptueuse. Pour la peine, ZI.UA s'alluma une cigarette, refermant son manteau de fourrure autour d'elle. Dehors, sa professeur hurlait encore. Ils pouvait faire ce qu'ils voulaient de leur soirée, et demain, les visites commenceraient. Puis les études. Elle n'attendait que ça.
Tout en regardant les corps de ses « camarades » s'éparpiller un peu partout, animés par une vie qu'elle trouvait agaçante et profondément vide, elle s'enfonça dans son lit, un bouquin entre les mains.
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La capacité d'adaptation du xénomorphe est impressionnante. C'est une créature passionnante. Il suffit de l'étudier pour s'en rendre compte, et vous, jeunes étudiants, avez cette chance, celle d'étudier une des créatures les plus importantes de notre système. Je vais compter tous ses mots en « ante ». Première journée. Conférences autour du statut, de l'Histoire, de l'anatomie des xénomorphes. C'était pas vraiment la partie la plus passionnante. Engoncée dans un slim noir, un t-shirt blanc cent fois trop grand sur le dos et son inimitable manteau de fourrure, ZI.UA prenait des notes à propos des choses qu'elle savait déjà. C'est bon, elle en avait vu des paquets, des créatures de ce type. Affalée, le visage calé dans une main, elle comptait les minutes qui la séparait de la pause-cigarette. Elle n'aurait pas dû. Le résultat la découragea.
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C'est une expérience troublante, que de rencontrer pour la première fois un xénomorphe. Grands dieux, va-t-il s'arrêter ? Elle fit une petite croix, en haut de sa feuille. Vivement que ça bouge. Parce qu'à ce train-là, elle allait fondre d'ennui.