En d’autres circonstances, elle aurait cru à un piège, ou à un canular. Il y a de cela plusieurs semaines, Mélinda avait reçu une demande de la part d’une noble ashnardienne venant de la campagne, Vanillia Carnelle. Une demande atypique, car la vampire avait demandé à Mélinda une livraison de femmes pour une soirée très spéciale. Elle comptait en effet organiser une immense réception, et désirait des hôtesses qui soient à la fois cultivées, polies, aimables… Et qui n’hésiteraient pas à offrir leurs corps. La vampire, qui n’avait pas l’habitude que des provinciaux s’adressent à elle, avait été sincèrement surprise, et en même temps flattée. Elle ne pensait pas que sa réputation s’étendrait en-dehors des frontières de la capitale. S’il était fréquent qu’elle prête ses locaux à des séminaires endiablés, ou qu’elle loue une partie de ses filles, il s’agissait généralement de contrats avec des personnes se trouvant au sein de la capitale. Mélinda ne cherchait que depuis seulement quelques mois à étendre son empire commercial en-dehors des frontières de la capitale, l’Empire d’Ashnard s’étendant après tout sur des milliers de kilomètres. C’est à ce titre qu’elle avait commencé à passer des alliances avec d’autres sommités ashnardiennes, et qu’elle s’était même achetée une guilde. Elle fut donc étonnée que cette vigneronne s’adresse à elle.
Leurs échanges avaient été épistolaires, et elles ne s’étaient vues qu’une seule fois. Vanillia en personne était vue, et, dès qu’elles s’étaient vues, chacune des deux femmes avait senti chez l’autre ses pulsions vampiriques. Rien n’avait filtré dans leurs bouches, mais leur regard avait été différent, chacun se renvoyant le reflet de l’autre, chacun exprimant les mêmes désirs et les mêmes pensées. La soirée avait été un succès, et, à plusieurs reprises, Mélinda avait songé à cette jeune vampire. Ses obligations professionnelles firent que, malheureusement, elle répondait tardivement à ses lettres. Vanillia avait fini par l’inviter chez elle, venant seule, en se montrant très floue sur ses intentions. Mélinda avait hésité quelques minutes avant de répondre. Une tempête de neige s’abattait dans la région du domaine de Carnelle, et de nombreuses routes étaient bloquées. Néanmoins, elle revoyait à chaque fois le regard pourpre de cette femme, ce regard rieur, et ses yeux pleins de désirs et de promesses silencieuses. C’est finalement en y songeant que la vampire acceptait cette entrevue, annonçant qu’elle arriverait seule… Ou presque.
Bran s’était chargé de conduire le chariot, et ils avaient fait route, ne s’arrêtant quasiment pas. La neige bloquait la plupart des routes, et Mélinda avait craint de se retrouver bloquée quand ils arrivèrent à une auberge. Le tenancier leur avait expliqué qu’un pont était bloqué en raison du froid, mais, quand ils y arrivèrent le lendemain, les gardes et les ingénieurs avaient réussi à stabiliser le pont, ce qui fit qu’ils ne perdirent pas trop de temps. Les chevaux de Mélinda étaient rapides, efficaces, d’anciens destriers de guerre, habitués à porter de lourdes charges. Mélinda en avait profité pour relire toutes ses correspondances avec Vanillia. L’écriture de la petite vampire était fine, ronde, belle, avec un zeste d’exotisme et de sensualité.
*
Que me veut-elle ?*
Mélinda avait bien une petite idée de la réponse, mais elle ne pouvait que
supposer. Ils rejoignirent finalement le domaine de Carnelle. L’Empire d’Ashnard avait été bâti dans des terres ingrates, rocailleuses, escarpées… Ce domaine était une heureuse exception, avec de belles forêts, et des terres fertiles. Bran se chargeait de communiquer avec les gens, Mélinda sortant très peu de son chariot. En tout, il ne leur fallut que trois ou quatre jours pour rejoindre le domaine, et ils allèrent directement vers le château, Bran présentant à chaque garde sourcilleux des procédures l’autorisation, signée par la plume de Vanillia, qui autorisait le détenteur de la missive à rejoindre son manoir. Un magnifique laissez-passer.
La vampire se méfiait toujours un peu des nobles et de leurs intrigues. Elle savait que le Conseil Impérial n’accordait que peu d’importances aux questions de successions. Tant que les nobles continuaient à payer leurs impôts aux nobles plus âgés, peu importait qui siégeait sur le trône. Elle ne voulait pas se retrouver dans une querelle entre nobles. Néanmoins… Et bien, Vanillia était belle, riche, et elle lui avait fait bonne impression.
Son carrosse s’avança dans la cour du manoir, se rapprochant. Des flocons de neige tombaient, et il n’y avait aucun ouvrier dehors. Mélinda nota toutefois que la route avait été proprement déblayée, et plusieurs pages les attendaient sur le perron. Bran posa un pied à terre, et ouvrit la porte de Mélinda, qui descendit lentement.
«
Nous y sommes… -
Carnelle veut me voir seule. Tu resteras dans les quartiers des serviteurs, et tu en profiteras pour en savoir plus sur elle. »
Bran ne dit rien, mais fronça lentement les sourcils. Laisser sa sœur seule n’était pas dans ses habitudes, mais il ne comptait pas discuter les ordres de Mélinda. Cette dernière s’avança, et les reflets des torches purent éclairer son corps… Ou ce qu’on en voyait. En effet, le corps de Mélinda était dissimulée derrière une
belle cape rouge à capuche.
«
Nous allons vous conduire auprès de notre Dame, Ma Dame. Veuillez avoir l’obligeance de nous suivre… »
Mélinda, frigorifiée, rentra dans des salons bien chauffés, et les pages l’abandonnèrent devant un escalier menant aux appartements de Vanillia. Lentement, Mélinda entreprit de grimper. Elle sentait l’appétissant sang de la vampire, et finit ainsi dans sa chambre. Elle découvrit sa capuche, et cligna légèrement des yeux en voyant que Vanilla l’attendait dans une courte nuisette
«
J'espère que le voyage n'a pas été trop éprouvant pour toi, Mélinda, commença la femme en se rapprochant d’elle.
-
Hum… Je suis ravie d’être arrivée, en tout cas. »
N’étant pas née de la dernière pluie, Mélinda commença à comprendre que ses suppositions étaient en traind e se vérifier. Vanillia referma la belle double porte, les enfermant dans la grande chambre. Pensivement, mélinda regarda autour d’elle, tandis que, de sa voix envoûtante, Vanillia recommençait à parler :
«
Mets-toi à ton aise, je ne voudrais surtout pas que ma convive se sente mal. Surtout après un tel voyage, dans un tel froid… »
Elle sourit délicatement, hochant lentement la tête devant ce sous-entendu.
«
Oui, il fait très froid… Nous avons failli être bloquées à hauteur d’un pont, d’ailleurs… J’ai beau être une vampire, ça ne me rend pas insensible au froid… »
Son manteau se retira, et, sous cette longue cape, Mélinda portait sa traditionnelle robe dorée. Avec une tenue aussi légère, on comprenait mieux pourquoi elle avait si froid ! Avec la chaleur qui régnait dans le manoir, ses joues avaient rougi, et elle se rapprocha un peu, ses talons heurtant la moquette entourant le lit de Vanillia. Elle se rapprocha de la femme, et tendit sa main, venant délicatement caresser sa joue.
«
Je dois admettre que ton message a piqué ma curiosité… Et que tu as aussi une ravissante demeure. Je n’ai pu la voir que de nuit pour l’heure, mais… Je trouve ton manoir très agréable, et je suis intimement convaincue que cette impression ne pourra que se confirmer… Mes filles n’ont pas tari d’éloges sur toi, que ce soit les locaux, ton personnel… Ou sur tes qualités personnelles. Elles étaient un peu craintives, au début, à l’idée de s’éloigner de moi, et d’être sous les ordres d’une autre… Mais tu as su parfaitement les convaincre et leur montrer toute la chance qu’elles avaient eu. Je crois qu’il n’y en a pas une seule qui ne demande pas à te revoir. »
Mélinda ne la flattait même pas en disant cela.
Ce n’était que la stricte vérité.