« Je veux que ça marche..., le prévint-elle.
- Je n’ai pas pour habitude d’échouer, Dame des Ombres. Je sens en cette femme un profond trouble... Quelque chose qu’il sera facile d’utiliser. »
Croisant les bras, Ephemera l’écoutait parler. Le mage se tenait devant une boule de cristal, dans une salle qui enchaînait tous les clichés et tous les archétypes de la tanière sombre d’un mage démoniaque. Les longues mains griffues de l’être remuaient le long de la boule de cristal, sur laquelle on voyait un beau visage avec des cheveux bleutés noués en queue-de-cheval. Ephemera l’observait, avec un léger sourire. Elle n’avait plus d’yeux, mais ça ne l’empêchait pas de voir cette femme. Tracy... Une femme qu’Ephemera suivait depuis longtemps, avant tout en raison de ses facultés spéciales, des pouvoirs qui pouvaient lui être très utiles. Depuis la mort de ses parents, elle errait comme une âme en peine, suivant une thérapie qui n’aboutissait à rien. La Dame des Ombres avait certes des pouvoirs magiques, mais, pour tout ce qui était de la persuasion et de la manipulation mentale, elle montrait ses limites, d’où le choix de recourir à l’aide de tiers. Son plan était finement dessiné dans sa tête, et impliquait l’aide de ce psychiatre.
« Sa force magique est grande, nota le démon.
- Ne me dis pas ce que je sais déjà... Arriverais-je à rentrer dans son esprit ? Voilà tout ce que je demande...
- Si vos agents ont correctement tracé le pentagramme sur lequel elle se trouvera, et si vous vous trouvez au centre du mien, vous pourrez y aller quand le rituel commencera. »
Ephemera hocha brièvement la tête, satisfaite. Elle se disait qu’elle agissait ainsi pour obtenir Tracy, mais, en réalité, les raisons étaient infiniment plus simples. Les pouvoirs magiques de Tracy n’étaient que l’excuse, la justification officielle qu’elle pouvait avancer. La véritable raison relevait de la mentalité d’Ephemera. Là où la majorité des humains vivaient pour s’aimer, se reproduire, trouver son âme sœur, et fabriquer des gosses, elle, elle vivait exactement pour l’inverse. La construction ne l’intéressait que pour la destruction. En ce sens, elle estimait qu’elle était infiniment plus proche de la Nature que la plupart des autres individus se prétendant intelligents. Tout ce qu’une personne créait finissait forcément un jour par disparaître. Son seul objectif était de torturer cette fille parce que c’était comme ça qu’Ephemera se persuadait qu’elle existait. Elle aimait les cibles faciles et els esprits perturbés comme le sien.
Tracy ne pouvait pas le savoir, mais son psychologue n’en était plus vraiment un. Elle avait pris le soin de le remplacer par l’un de ses sbires, qui était capable de changer d’apparence. Il en allait de même pour sa secrétaire. Les deux n’étaient pas morts, juste au repos dans leur chambre. Ephemera avait en effet considéré que les tuer, pour l’heure, apporterait plus de problème qu’autre chose, mais elle se réservait toujours cette option, dépendant de la manière dont sa séance avec Tracy allait avancer. Quoiqu’il en soit, ensemble, ils avaient tracé, autour du fauteuil rouge où Tracy allait s’asseoir, un pentagramme magique. La jeune femme ne pourrait pas le voir, mais il était bien là, et le magicien avait tracé un pentagramme exactement similaire, dans lequel Ephemera se trouvait.
« J’aimerais que nous nous concentrions sur le jour précis où cet évènement est arrivé, Tracy, poursuivit le « psychologue ». Vous savez, j’ai relu hier mes notes vous concernant, et je pense que nous n’avançons pas parce que votre esprit fait un blocage précis sur ce moment. C’est un phénomène assez caractéristique des survivants, comme je vous l’avais dit. Vous avez revendu votre ancienne maison pour vous décider à rompre avec votre passé, et c’est une démarche qui est très positive. Cependant, votre traumatisme est trop fort pour qu’une simple vente de meubles y suffise, et je pense que vous n’y arrivez pas. »
Ephemera ignorait s’il serait un psychologue convaincant. Tout ce qu’elle lui demandait était de faire son boulot. L’esprit était une zone très difficile à franchir. Les télépathes eux-mêmes ne pouvaient généralement se contenter que de prendre les pensées extérieures des gens, ce qu’une personne pensait instantanément, en pouvant difficilement aller plus loin. L’esprit avait ses blocages, ses barrières, ses murs, et s’insinuer en profondeur était risqué. Il fallait un télépathe extrêmement compétent, quelqu’un qui soit capable de maintenir le lien psychique entre les deux esprits. Les risques étaient évidemment très grands, mais Ephemera était prête à les prendre.
Le psychologue poursuivait, en se redressant légèrement :
« Il existe des méthodes peu orthodoxes, mais qui ont fait leurs preuves. Ce que vous avez vécu est affreux, Tracy, et une thérapie pour vous guérir prendrait des années... Ce que je trouve regrettable, car vous êtes en pleine fleur de l’âge, et vous mériteriez sûrement mieux que de passer vos après-midis en séance dans mon bureau. Avez-vous entendu parler de l’hypnose, Tracy ? Je... J’ai une méthode de ce genre. »
Un simple pentagramme ne permettrait pas à Ephemera de s’enfoncer dans l’esprit de la femme, il fallait aussi affaiblir son esprit. L’hypnose était une bonne façon de le faire... Ainsi qu’un élixir que le faux-psychologue avait.
« On dit bien du mal sur l’hypnose, et c’est vrai que, la plupart du temps, elle n’aboutit à aucun résultat, mais, quand il s’agit de revivre un traumatisme afin de l’exorciser... Disons que ça a pu aussi prouver son efficacité. Certaines cliniques spécialisées y recourent, et je pense que cela pourrait être utile. Néanmoins, je tiens à vous prévenir, ça risque d’être douloureux, alors... Je comprendrais tout à fait que vous n’en ayez pas envie, et je ne peux pas forcer ma patiente à accepter des méthodes qui ont suscité des critiques dans leur temps. »
Ephemera respectait la tradition jusqu’au bout. Tel le Serpent biblique, elle n’imposait rien à ses victimes. C’était à elles de faire le premier pas, d’accepter leur sort. Et, honnêtement, c’était beaucoup plus excitant comme ça.
Pour Ephemera, violer l’esprit de Tracy, c’était un peu comme séduire une personne qu’on venait d’aimer. Les deux étaient dans des dimensions différentes, l’une sur Terre, l’autre en Enfer, mais, quand Tracy tomberait dans les pommes, elles seraient alors aussi proches que des sœurs.
Et alors, son traitement pourrait commencer.