Juillet 1942
Alpes bavaroises«
Non... Non, non, non... »
Les pas cadencés et précipités de l’officier
Werner van Zimmel, qui travaillait au sein du
Reichssicherheitshauptamt, plus simplement abrégé RSHA, se répercutaient dans les couloirs de ce chalet de montagne. Il avait été construit par l’amante de Zimmel, et ce dernier avait toutes les raisons du monde d’être paniqué... Et, si on ne le croyait pas, alors il suffisait de tendre l’oreille, afin d’entendre les coups de feu des MP40 qui résonnaient dans le salon, ce salon-là même où, il y a à peine une demi-heure, Zimmel profitait d’un bon vin français en écoutant, sur son gramophone, l’un des opéras de Ludwig van Beethoven. Rien ne la prédestinait à être en train de courir dans son uniforme vert, tremblant comme une feuille en cherchant à rejoindre son garage où l’attendait sa voiture, afin de fuir le monstre qui avait débarqué depuis l’une des fenêtres du salon.
Ses gardes canardaient en vain la femme, qui bondissait dans les coins. Zimmel voyageait toujours avec trois ou quatre soldats, une nécessité impérative pour se débarrasser des manants qui voulaient l’approcher. Il les entendit hurler, et comprit qu’ils n’avaient pas réussi à retenir ce monstre.
*
Tu ne peux pas mourir comme ça, Werner. Pas maintenant, pas maintenant ! Il te reste tant à accomplir !*
Il arriva à son garage sans encombre. Il avait vu le cadavre de son chauffeur dans la cuisine, la moitié de la tête en moins, son sang coulant de ce qui lui restait de tête comme la sauce tomate débordant d’un plat, formant une plaque sur le sol. Il était mort devant son plat, encore fumant, des pommes de terre chaudes avec un ragoût. Pauvre Hans, si dévoué, si loyal... Il aurait du être encore en vie, car Werner aurait pu l’utiliser comme diversion pour retenir cette diablesse aux yeux rouges. Il savait pertinemment qui elle était, et il savait pourquoi elle était là... Mais il préférait mourir plutôt que de trahir cette femme. Il grimpa dans sa voiture, une
Excaliur Roadster, et fila dehors. L’air frais accueillit son visage, faisant remuer ses légers cheveux. La lune brillait dans le ciel, et il s’engagea vers la route forestière.
Il fit quelques mètres avant qu’un corps ne s’écrase en plein sur le capot de sa voiture. Werner poussa un hurlement suraigu quand son pare-brise, non content de se fêler, se remplit de sang. Il enclencha frénétiquement les essuie-glaces, mais ses mains tremblaient tellement que la Mercedes fit une embardée sur la droite, et faucha le petite clôture en bois délimitant la propriété. Elle passa ensuite par-dessus un talus, et atterrit lourdement sur le sol.
«
Merde ! » hurla l’Allemand.
Le capot de son moteur s’ouvrit en grand, obstruant sa vue, et l’un des pneus de la Mercedes s’enlisa dans la terre... Et heurta un arbre. L’airbag n’existant pas encore, le nez de Werner se fracassa douloureusement contre le volant, le faisant gémir. Du sang s’échappa de son nez brisé, de la fumée sortait du moteur. Une roue continuait à tourner dans le vide, mais il était encore suffisamment lucide pour savoir qu’il fallait sortir rapidement. Sa main gauche se précipita vers la portière, qui était un peu coincée. Pestant et jurant en allemand, il insista un peu, et réussit à l’ouvrir d’un coup d’épaule, qui l’envoya s’écrouler sur l’asphalte. Rapidement, Werner se releva... Et un filin argenté alla se planter dans son épaule, la transperçant=, faisant légèrement couler son sang, avant que le filin ne se retire au milieu des arbres.
«
HAAAA !! »
L’homme poussa un hurlement de douleur, et en grinçant des dents, attrapa son pistolet, un Luger P08, et leva son arme.
«
Viens ici, salope ! Je t’aurais, pétasse, tu ne me tueras pas !! »
Il ne voyait rien d’autre que l’obscurité, et regardait frénétiquement, à droite et à gauche... Quand il entendit un bruit sourd derrière lui, sur le toit de sa voiture. Zimmer se retourna rapidement, et vit une silhouette noirâtre, avec deux énormes épées argentées. Il allait appuyer sur la gâchette, mais la silhouette fut plus rapide, tranchant en deux son canon avec ses épées. Médusé, Werner vit le bout de son Luger tomber sur le sol. Claquant des dents, il tenta de récupérer son couteau de combat, mais la femme fut plus rapide, et bondit sur lui, le renversant sur le sol, se mettant à califourchon sur lui. Son couteau glissa de ses mains tremblantes, et il sentit contre sa gorge le tranchant froid d’une lame en acier.
«
Tu n’as pas encore été transformé... Rien d’autre qu’un bouffon qui pense sincèrement qu’Engel a pu l’aimer... -
Je vous en prie, ne me tuez pas, ne me tuez pas !! -
Que manigance Engel ? -
Je ne sais pas, je… Pitié, pitié… -
Que manigance Engel ?! répéta la femme, plus insistante.
-
Je ne dirais rien... Vous devrez me tuer, sorcière ! »
La femme se tut légèrement, et, dans l’obscurité, Werner fut sûr de la voir sourire. Lui qui pensait que rien ne pouvait être pire que la mort, il vit toutes ses convictions se mettre à s’écrouler, quand elle se pencha vers lui.
Stalingrad
Septembre 1942Dans ce maudit pays, la neige ne cessait de tomber. Le froid aurait pu griser ses vieux os, mais, en réalité, elle s’en moquait. Depuis quelques mois, il y avait un rouage dans l’inébranlable machine de guerre allemande. Une résistance inattendue. Le Reich avait échoué dans le Caucase, et se rabattait sur Stalingrad, essayant de briser la résistance acharnée et désespérée de cette ville, parfaite illustration d’un immense pays aux abois. La situation économique et militaire de l’URSS était catastrophique, désespérée, et, pourtant, ces maudits arrivaient encore à tenir tête aux forces allemandes. Le conflit s’enlisait, et
Frau Engel n’aimait pas ça. Elle était l’une des principales dirigeantes du RSHA, et sa présence ici paraissait un peu surprenante. De fait, elle paraissait hors de ses compétences, ce que les officiers de la Werhmacht, ces pantins crédules, ne manquaient guère de lui signaler.
La RSHA était l’office de central de la sécurité du Reich, une organisation massive, indépendante de l’armée, relevant directement de l’autorité du parti nazi. C’était une grosse structure administrative se subdivisant en plusieurs sections, et dont la mission globale était, très simplement, d’appréhender et de neutraliser toutes les menaces du Reich... Ce qui, techniquement, impliquait donc les Soviétiques. Officiellement, Frau Engel était ici pour donner son avis sur la propagande que les nazis déployaient à Stalingrad pour briser le moral des Rouges, ainsi que pour s’occuper du sort des prisonniers. Actuellement dirigée par Himmler, le RSHA avait perdu son chef en Juin dernier, et Frau savait qu’un nouveau devait être nommé. Elle aurait pu user de ses influences auprès du parti nazi pour être nommée à ce poste, mais ce n’était pas ce qu’
il avait voulu. Ça avait été son plan initial, et c’était pour ça qu’
il s’était arrangé pour que l’ancien dirigeant du RSHA, l’
Obergruppenführer Heydrich, soit tué. Il avait été abattu par des résistants tchèques, alors qu’il était promu à une carrière brillante. Engel savait qu’
il s’était débrouillé pour que ces résistants aient accès à ce jeune général talentueux, et le tuent. Frau Engel aurait ensuite pu rejoindre le RSHA, mais
il en avait décidé autrement. Elle se retrouvait donc à Stalingrad.
Engel était dans un camp allemand, au nord de la ville, et avait rejoint la 6
ème armée, commandée par Friedrich Paulus. L’objectif de l’armée était d’encercler Stalingrad, afin de pouvoir l’étouffer. Paulus se trouvait au nord de la ville, et, depuis Août, affrontait les Soviétiques le long de la Volga. Les affrontements étaient récurrents, de jour comme de nuit, et les morts s’amoncelaient en une véritable orgie de sang et d’explosions, ravivant le vieux cœur presque éteint de Frau Engel. La femme prenait son mal en patience. Sa cible se trouvait à l’intérieur de Stalingrad, et elle savait qu’elle avait réchappé aux bombardements de la Lutwaffe, qui avait réduit cette sinistre ville en un tas de cendres et de cailloux. Un paysage de désolation qui, à ses yeux, sonnait comme le début de la fin de l’espèce humaine. Car elle ne se battait pas pour l’Axe. Ses objectifs étaient tout à fait différents, bien plus ambitieux que de servir l’ambition démente d’un homme fou qui avait réussi à plonger tout un peuple dans sa folie. Il était la démonstration vivante que les humains n’étaient que des moutons, des créatures aptes et faites pour servir.
Sortant de sa tente, elle voyait, au loin, les chars se tirer dessus, les soldats mourir et s’étriper pour quelques bouts de terre. Lentement, elle continuait à fumer son cigare. Vite, vite, pensait-elle... Elle était impatiente à l’idée d’entrer dans Stalingrad, et de pouvoir enfin retrouver la cible.
Il serait content, et c’était la seule chose qui importait. Cependant,
il l’avait prévenu :
elle pouvait être là. Celle qui avait tué plusieurs de ses fils, et plusieurs de ses fils
potentiels, comme cet idiot de Zimmel. Elle avait beau être froide comme un glaçon, il lui restait encore suffisamment d’humanité en elle pour la haïr, et pour souhaiter sa mort... Et
elle serait là, Engel le savait. Elle avait hâte de la trouver, de voir cette maudite salope... Et de la faire payer.