(Amen )Hum… de toute évidence, elle était secouée par le voyage, ce qui ne manqua pas d’embarrasser Saïl pour la maladresse dont il avait fait preuve dans sa précipitation, mais il fit taire ses remords en se disant que de toute manière, il ne pouvait pas revenir en arrière, et qu’il avait d’ailleurs eu ses raisons pour se hâter : mais valait qu’elle fût un peu patraque plutôt que blessée, car on se remet plus facilement d’une nausée que de chairs déchirées ! Il suffirait d’un peu de repos dans la quiétude de la caverne, et elle pourrait aller beaucoup mieux en très peu de temps ; il y avait juste à dégager l’entrée, ce qui serait fait en un tournemain, et qui détromperait bien vite la jeune fille qui semblait croire que cette étendue de roche plane sur laquelle ils se trouvaient était tout ce en quoi consistait l’habitation de l’homme-loup.
« Attendez avant de vous prononcer ! » Choisit-il de dire avec assurance plutôt que de la rembarrer d’un fort peu élégant « Vous me prenez pour quoi ? » en se gaussant, ce qui aurait de son avis ruiné l’image positive que Cyanne aurait éventuellement pu se faire de lui.
Ne se préparant pas davantage que par quelques roulements d’épaules, ses muscles ayant déjà été échauffés par sa course nocturne, il s’approcha de sa « porte » au pied de laquelle il s’agenouilla pour placer ses mains en coupe en dessous, et ensuite soulever cet énorme rocher sans autre manifestation d’effort qu’un faible grognement alors que dans une chute de quelques gravillons accompagnant des panaches de poussière de faible envergure, le véritable logis se révélait aux regards par le biais d’une ouverture de deux bons mètres de large et d’approximativement autant de haut. La seule lumière provenait d’une sorte de petite lucarne naturelle au « plafond », et une tranquillité d’église empreignait les lieux, mais ce qui frappait le plus était le parfum ambiant propre au loup-garou qu’il était et qui, sans pour autant être à proprement parler une odeur de fauve, imprégnait suffisamment l'air pour être plus que facilement perceptible, même par des narines humaines. Khral, pour sa part, n’avait même pas eu à s’y habituer, mais il espérait que cela n’incommoderait pas trop la visiteuse car, après tout, c’était la première fois qu’il recevait, et il ne savait donc pas comment un invité pourrait réagir.
« Entrez, vous serez bien mieux à l’intérieur. » Dit-il sans trop se préoccuper d’un fort possible étonnement de la part de l’adolescente, pensant qu’il valait mieux lui laisser le temps de s’adapter à l’endroit par elle-même.
Et de fait, une fois la « porte » remise en place, le lieu désormais clos offrait un habitacle relativement confortable : une salle de roche naturelle d’à peu près vingt mètres carrés aux contours irréguliers, dont certains endroits avaient été plus ou moins aménagés par le propriétaire à coups de griffes. Au début, une pénombre presque angoissante envahissait les lieux, mais Saïl s’affaira -comme à son habitude- rapidement à battre le silex au-dessus d’un trou creusé dans le sol qui faisait parfaitement l’affaire pour entreposer du bois dont il conservait en permanence une réserve conséquente dans le coin le moins humide de sa caverne. Ainsi, un feu ronflant éclaira et réchauffa bien vite la grotte, permettant d’en discerner mieux les détails : jouxtant le trou à feu, un large matelas/tapis de peaux de bêtes diverses suffisamment large pour accueillir deux êtres de la taille de l’homme-loup, et maintenu dans un état de propreté auquel seul pouvait s'astreindre un scientifique habitué à une hygiène stricte ; dans le fond du local, une rivière souterraine offrant de l’eau pure dont le clapotis se faisait doucement entendre ; près de l’entrée un gros rocher plat qui faisait manifestement office de table de travail aussi bien que de dîner quand besoin était ; et surtout, élément le plus intriguant, une large bâche qui couvrait un objet de plus de trois mètres de long pour facilement deux de large, à la forme indéfinissable sous le voile informe qui le couvrait. Il s’agissait là de la jeep de Saïl, celle-là même avec laquelle il était parti il y avait quatorze mois pour ne plus pouvoir revenir, et qu’il avait donc laissée en inactivité, n’en ayant désormais plus l’usage, tout en la gardant ainsi que son contenu sous le coude pour divers usages, le véhicule restant non seulement opérationnel au cas où, mais contenant également tout un chargement de matériel de survie qui pouvait s’avérer utile –voire vital- en plus d’une occasion bien que le robuste Terranis extrême n’en eût jamais eu l’usage jusqu'à ce jour.
Cependant, le plus frappant restait les parois pierreuses, couvertes de marques de griffes qui pouvaient paraître au premier regard dénuées de sens, mais qui consistaient en réalité en toute une tapisserie d’équations, de formules et de composés moléculaires divers et variés qui appartenaient littéralement au domaine de l’occulte autant par leur complexité que par la main hâtive avec laquelle ils avaient été gravés, leur sens demeurant obscur pour probablement tout le monde hormis leur auteur même : véritable cavalcade déchaînée de raisonnement biochimique échevelé, il s’agissait là du génie scientifique de Saïl à l’état pur, qui s’exprimait dans son propre langage alambiqué et désordonné mais qui, bon gré mal gré, finissait toujours par donner des résultats ; la preuve en était de ce Terranis qu’il avait créé et dont il restait toujours quatre autres échantillons à bord de le jeep, aussi précieux que dangereux…
Mais assez divergé, et revenons-en à la situation présente : après avoir fait jaillir la lumière dans les ténèbres, il déposa la plaquette de chocolat, qu’il avait jusqu’ici gardée à proximité, sur sa « table » pour un usage futur, puis se tourna vers Cyanne tout en indiquant avec bienveillance le tapis d’un geste de la patte :
« Je vous en prie, installez vous. Désirez-vous quelque chose ? » Proposa-t-il avec une affabilité d’hôte qui contrastait avec sa nervosité des dernières minutes.
Il se trouvait que, comme il l’a été signalé précédemment, il était tout ce qu’il avait de plus chez lui, au cœur de son territoire, et se trouvait désormais beaucoup plus à son aise, et ainsi d’autant plus prêt à faire en sorte que sa protégée le fût également. Dorénavant, il pouvait assumer plus véritablement son rôle de gardien, certain qu’il était qu’ici, rien ne pourrait les atteindre, et qu’il pouvait se détendre avec l’assurance qu’aucun danger ne risquerait de se profiler.
Home sweet home…