Même si cela ne faisait que quelques mois que Vaelh goûtait aux plaisirs de l'incarnation -tout en subissant les déplaisirs qui s'y rapportaient-, l'immense gourmand qu'il était avait déjà éprouvé nombre des délices du monde des mortels. Quant à l'écrasante majorité de ces récréations, le bel Incube les avait souvent vécu sous le signe d'une divine luxure, dévorant ses bienheureuses victimes en toute fin tandis qu'il ne restait d'elles que des épaves de chair secouées de vibrations animales. Mais, et c'était bien plus rare, Vaelh s'octroyait des instants de contemplations. Il y avait deux conditions avant de pouvoir se livrer à de telles méditations : parvenir à calmer sa Soif intarissable, et dénicher un coin de paradis ou nul l'aurait l'audace de venir l'importuner. Evidemment, la première des deux conditions était la plus difficile à respecter ; mais, disais-je, il y avait tout de même de rares épisodes pendant lesquels Vaelh y parvenait. Ça ne durait jamais longtemps, mais il prenait sur lui. Comme lors de cette dernière semaine.
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Au premier jour, quelque chose était apparue dans les plaines, à l'orée d'une forêt si vaste qu'elle semblait être un monde à elle seule. A même l'herbe tendre et sauvage, la réalité avait éclaté en une longue blessure pourpre qui, plutôt que de laisser suinter quelque humeur surnaturelle, avait sagement déposé une grande silhouette. Lorsque cette dernière avait daigné accorder à la gravité le droit le plus élémentaire de l'attirer à terre, la brèche s'était refermée aussi silencieusement qu'elle ne s'était ouverte, non sans laisser derrière elle un nuage de fumée chromée qui avait ondulé dans les airs comme une danseuse transit de désir, avant de s'estomper complètement.
Lorsque les très rares spectateurs d'un tel spectacle avait baissé les yeux pour retrouver la grande silhouette, elle avait disparue. C'est alors que la forêt, ou du moins une zone localisée et mobile de son atmosphère, avait semblé s'épaissir en un parfum lourd mais sans arôme qui, allez savoir par quel sombre procédé, se faufilait jusqu'à l'âme des êtres conscients pour la flatter de douces caresses, leur soufflant de vivre leur vie comme il l'entendait, non sans se livrer à tous les plaisirs possibles.
Au deuxième et troisième jours, la rumeur enfla, autant qu'elle y parvint dans une jungle comme celle-ci, racontant qu'un spectre de nacre hantait les troncs. Tout ce qu'on savait de cette chose, c'est qu'elle se déplaçait vite, portée par d'immenses foulées à la grâce absolument improbable, suivant des trajectoires complètement hasardeuse. L'être semblait chercher quelque chose avec beaucoup d'entrain.
Au quatrième jour, la silhouette s'était enfoncée loin dans ce monde végétal. Presque en son coeur. Malgré les indescriptibles auras concupiscente qui s'accrochaient à lui et laissait sur son passage un parfum d'interdit et d'excès, elle était parvenue à s'isoler. La chose était sûre que la dernière créature à l’apercevoir fut un petit oiseaux bleu qui, pour pour protester contre la vitesse à laquelle il voyageait, lâcha une série de piaillements agacés avant de décoller pour faire bonne mesure.
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Au cinquième jour, Vaelh avait enfin trouvé l'Endroit. Il n'avait aucune idée qu'il s'était trouvé là, ni même qu'il eu seulement existé. En fait, il ne savait même pas quel coin de paradis il pouvait bien vouloir trouver avant de tomber dessus.
En cet endroit, la terre était rompue dans le sens le plus stricte du terme. Des îlots monstrueux avaient, semblait-il, vécu une rupture déchirante avant la roche des profondeurs du sol. Ils avaient voulu s'en éloigner, vivre une nouvelle vie libre, libérés du joug de la gravité... mais c'était sans compter sur mère nature qui avait, il y a des siècles, des millénaires de ça, laissé pousser ses troncs colossaux vers les cieux, comme des lances divines, pour percer ces îlots fuyards. Ils s'étaient retrouvés immobilisés relativement haut, maintenus contre leur ex-compagne la terre par ses bras aimants et végétaux.
Un spectacle aussi saisissant que titanesque.
Comme s'il avait sentit que tout ce qu'il désirait se trouvait là, Vaelh, toujours paré de son manteau de nacre, s'était apprêté à débuté l'escalade des troncs géants. C'est alors qu'il y eu dans l'air un arôme saisissant, reconnaissable entre tous comme étant celui de quelque chose de... Comestible ? Ou du moins, la saveur de quelque chose avec lequel on pouvait jouer. Sous sa capuche, un large sourire illumina son visage. Quel créature avait pu être assez têtue pour le suivre tout ce temps durant ? A moins que ça ne soit un coup de chance et que son poursuivant venait juste de lui tomber dessus par hasard ?
Quoi qu'il en fut, Vaelh en vint à se demander si la chose qui l'épiait pouvait le suivre jusqu'en haut. Alors s'élança-t-il dans une ascension rendue simple par l'inclinaison du tronc sur lequel il galopait avec un entrain furieux. Endurant, il parvint en haut très rapidement.
Ce qu'il trouva remplit son sombre coeur d'une allégresse mortelle.
Le colossal îlot était coiffé, sur tout son pourtour, d'une large bande faite d'arbre aux feuilles émeraudes translucides et aux troncs blancs. Au centre, une longue dépression d'herbe courte et sombre qui guidait le regard jusqu'à un tronc absolument gigantesque, coiffé d'une frondaison rouge, aussi vive qu'une lumière dans la nuit. Plutôt que de s’embarrasser de bêtes branches sur la première moitié de son tronc en partant du sol, le roi végétal avait la force de faire graviter près d'une centaine de cercles concentriques dont le diamètre variait de la grosseur du tronc jusqu'au pourtour de l'île ! Quant à ce qui constituait toutes ces couronnes écarlates... Des feuilles aussi rouges que celles qui coiffaient le sommet du monstre, mais nervurées d'une magie bleue plasma.
Et à la base du tronc pâle du colosse... Un lac turquoise bordée de sable, aux fonds égayés de coraux colorés.
Un instant de silence parfait. Vaelh, théâtralement, s'inclina face à cette toile que les forces primordiales avaient peintes avec un talents sans commune mesure. Sensible comme il l'était, il sentait son âme, ses sens se faire pulvériser par l'impacte d'une telle splendeur. Il en perdit l'équilibre pour se retrouver dos sur le sol. Hilare.
Le Démon ne parvint à se redresser que quelques heures plus tard alors que ses rires hystériques s'étaient calmés. Lentement, il s'était dirigé vers les eaux calmes du lac turquoise.
Alors s'était-il délesté de son manteau et des ses atours princiers qui, au vu de la vitesse à laquelle il tombèrent par terre, devaient avoir été conçus pour s'ôter bien vite. Et ce fut comme si ce coin de paradis avait en fait toujours été affreusement laid comparé à ce nouveau spectacle qui s'offrait à la nature.
Un Dieu. Ça ne pouvait rien être de moins qu'un Dieu. La pâleur de sa peau rivalisait avec celle du tronc du roi des arbres. Aucun défaut, pas la moindre aspérité, son corps n'était qu'un enchaînement de reliefs beaucoup trop bien taillés pour qu'on puisse y poser l’œil sans sentir sa raison flamber pour faire de la place à un flots d'idées bien peu sage. Les membres du mâle était fin mais musculeux, et on les devinait capable d'une souplesse sans limite. Même la démarche de cette... Perfection ambulante était un rappelle à ses origines impériales, divines. Ou démoniaques.
Sa prestance était telle qu'on aurait cru que la réalité allait s'essouffler à force d'essayer de donner une cohérence à ses contours, à sa peau parfaitement nue.
Heureusement, la douloureuse vision de son absolue perfection s'atténua fortement lorsque le mâle s'immergea dans les flots turquoises. Il ne laissa que son visage à la surface, auréolé de l'encre et du platine de sa crinière qu'on devinait pouvoir s'agiter avec délicieusement dans quelque ébat passionné.
Et il ne bougea plus, un sourire au lèvres. Il était resté ainsi toute une journée