Ancient Stronghold [Camille Temple]

« Putain, Nate, ça, c’est du château ! »

Debout, avec ses jumelles très puissantes, Sullivan observait l’épaisse structure qui se découpait au loin. Nathan, lui, se contentait de piloter le Zodiac sur cet immense lac, se rapprochant peu à peu de l’épaisse structure qui se découpait dans l’obscurité comme un monolithe gigantesque dominant les cieux. Sullie portait son habituelle chemise rouge, et reposa lentement les lourdes et précises jumelles qu’il portait. Le Zodiac filait rapidement, et il se retourna vers Nathan.

« T’es sûr de ton coup, Nate ?
 -  T’es sûr de tes infos ?
 -  Est-ce que je t’ai déjà fait faux bond ?
 -  Tu tiens vraiment à ce qu’on reparle de Navarro et de Gabriel Roman ? »

Sullie grommela dans sa barbe.

« Merde, Nate, ce que tu peux être rancunier !
 -  J’ai failli mourir, à cause de tes conneries !
 -  Bah ! soupira l’homme en secouant la tête. Une fois de plus, une fois de moins, tu sais... »

Nathan soupira brièvement, sans trouver quoi dire. Sullivan se contenta ensuite de retourner explorer le fort avec ses jumelles, tandis que Nathan réfléchissait. Lui et Lara pourchassaient toujours des artefacts qui, tous ensemble, avaient le pouvoir de contrôler le temps, mais ce n’était pas pour autant qu’ils allaient restreindre leurs activités. Depuis que Nathan et Lara avaient appris l’existence d’un autre monde, ils n’hésitaient pas à s’y rendre, car cet autre monde était également source de richesses et de reliques magiques particulièrement puissantes. C’est en enquêtant que Nathan et Sullivan avaient fini par entendre parler de cette région.

Ils étaient dans la « Contrée Interdite », un sanctuaire s’étalant sur plusieurs dizaines de kilomètres, et qui avait été intégralement verrouillée par l’Ordre Immaculé. Les paladins et les prêtres de l’Ordre avaient déclaré cette terre impie, surtout à cause du solitaire château qui se dressait à l’entrée d’un immense lac. Toutes les archives historiques sur ce château, ou sur ces terres maudites, avaient été détruites, brûlées, ou scellées, enfermées dans les caves inviolables des cathédrales de l’Ordre, ou de leurs immenses châteaux. Impossible de savoir à qui avait appartenu ce château. Tout ce qu’on savait, c’est que l’entrée principale était un énorme pont au-dessus de la mer, un pont qui était fermé, scellé à tout jamais. Ceux qui avaient été surpris à tenter d’entrer dans ce fort abandonné l’avaient chèrement payé, et l’Ordre Immaculé maintenait cette interdiction avec sévérité.

Les villages locaux refusaient d’en parler, mais une rumeur persistante disait que ce fort avait été la demeure d’une riche comtesse, jadis. Une femme puissante, très puissante, qui avait pactisé avec des forces sombres pour conquérir le monde, et qui avait amassé de formidables trésors, notamment en pillant des royaumes nains. Les rumeurs disaient que l’Ordre Immaculé cherchait ce trésor depuis des années, et que c’était la principale raison pour laquelle le fort était inaccessible. L’Ordre avait jadis chassé cette femme démoniaque, mais le trésor, lui, était resté méconnu.

« Tu la trouves cette entrée, Sullie, ou quoi ? Je croyais tes...
 -  Putain, Nate, tu vas pas recommencer, hein ? La source est fiable, merde ! »

Nathan n’allait pas évoquer à nouveau l’Amazonie, et resta silencieux. Sullie avait obtenu des informations auprès d’un pêcheur de la région, un filou qui avait trouvé un moyen de braver l’interdiction en pêchant les saumons du lac. Ils étaient juteux, gros, et se vendaient plutôt bien. Le pêcheur avait indiqué à Sullie un petit défilé qui permettait de rejoindre le lac, et, surtout, lui avait dit qu’il y avait une faille dans la montagne sur laquelle le massif château s’appuyait. Un trou qui permettait de rentrer dans des grottes, et ainsi atteindre une petite crique permettant sans doute d’entrer dans le château.

« Hum... Je crois que je l’ai, Nate !
 -  Alors, tu ne te serais pas fait avoir, pour une fois ?
 -  Prends-en de la graine, garçon ! »

Nathan esquissa un léger sourire, et guida le Zodiac vers la grotte aquatique, une faille dans la paroi. Il esquiva les légers récifs, tout en ralentissant le moteur. Il se permit une énième fois d’observer le château. Ce dernier était vraiment lugubre, et surtout particulièrement grand.

*Merde, j’en ai pour la journée à tout explorer...*

Mes doigts glissaient sur la pierre humide, suintante et couverte d'algues vertes et brunes. Depuis une heure, je suivais un couloir. Mais j'avais l'impression de tourner en rond. Pourtant, je suis sûre qu'il y a une entrée par ici. Il n'y a pas d'autre moyen d'accès au château. C'est celui d'une sorcière démoniaque, selon mes sources. C'est là qu'elle avait résidé, autrefois. Avant d'être chassée par l'Ordre Immaculé.

D'un côté, je compatis. Je n'aime pas non plus l'Ordre. Je suis une sorcière. Pour eux, je suis une impie à brûler. Heureusement que j'ai toujours réussi à leur cacher ça. J'espère juste que Desmond ne va pas cracher le morceau, pour les convaincre de l'aider à me retrouver dès lors que je remets un pied à Nexus. Ce serait bien son genre. Mais je pense qu’il a tenu sa langue. Si l’Ordre Immaculé me cherche, ce serait pour me brûler. Or, Desmond ne me veut pas morte. Il m’a tenue captive, s’il avait voulu me tuer, il l’aurait fait après la nuit de noce. Voire… Il ne m’aurait pas épousé. Il n’aurait pas tenu des fiançailles de quatre ans. Il m’aurait tout simplement décapitée la première fois qu’on a fait connaissance. J’étais alors à la recherche d’une perle bien particulière, et il se trouve qu’il la possédait. Il m’a surprise à le voler, mais il n’a rien fait pour m’empêcher de la prendre. Il m’a juste dit de lui demander, la prochaine fois…

Donc, non. Il ne me veut pas morte.

Je finis par arrêter de marcher. Ça ne sert vraiment à rien… Je tourne en rond. Ça fait trois fois que je passe par cette arche. Je le sais. Je le sens. Mon instinct magique le ressent.

Dégoûtée d’avoir fait tout ce chemin, d’avoir risqué ma vie dans les eaux glacées du lac (que j’ai traversé à la nage, évidemment), pour me retrouver coincée dans ce couloir humide et puant, en étant moi-même trempée jusqu’aux os dans ma tenue de cuir usée et d'armure passée, je pose les mains contre le mur, bien écartées, et je fais le dos ronds pour détendre mes muscles. Heureusement que j’ai les talons fermement plantés dans le sol, parce que je serais tombée sinon, quand un pan de mur disparu soudainement.

« Qu’est-ce que c’est que ce truc encore… »

Je m’avance, un peu hésitante. On n’y voit que dalle à l’intérieur.

Pourtant, à peine ais-je formulé cette pensée que ça s’illumine. Je me trouve dans une petite pièce circulaire, vierge de toute décoration. Les murs de pierres semblent avoir été polis, mais c’est la seule retouche qui semble avoir été faite sur la pièce. J’ignore même d’où provient la lumière. C’est juste une impression diffuse, comme si elle était projetée par des particules dans les murs…

Je baisse les yeux sur le sol, constatant qu’il est poli, comme les murs, et que je viens de marcher sur une étoile. Les deux pieds au centre de la peinture rouge, je sens tout à coup un flux d’air… Le sol bouge. On dirait que quelqu’un me tire vers le haut. J’ai des chatouillis dans le nombril, mais je ne vacille pas. Cet ascenseur est magique, je le sens. Mais, est-ce qu’il se déclenche uniquement avec une personne dotée de pouvoirs magiques ?

Je ferme les yeux tant que la pièce monte à allure modérée. Je dispense mon énergie autour de moi, dans l’espoir d’apprendre l’histoire de cette pièce. J’ai un aperçu des ouvriers qui ont polis les murs. Je vois une femme qui ensorcelle l’ascenseur aussi. Une femme qui, si j’avais tendance à faire des rapprochements rapidement, me ressemble tellement qu’on dirait être de la même famille. Je vois des siècles défiler. Et puis, l’ascenseur reste vide un long moment. Jusqu’à ce qu’un groupe d’hommes en cuir viennent marcher sur l’étoile rouge au sol. Et peu après, c’est moi.

Je me tire de cette transe en sursautant. Je ne suis pas toute seule dans ce château…

La pièce s’arrête brutalement de bouger. Le pan de mur par lequel je suis entrée n’était toujours pas reparu. Je voyais à présent un long couloir, éclairé par des torches le long des murs. Maintenant que je sais ne pas être seule, je me montre prudente en sortant. Je mobilise mon énergie pour la lancer sur les traces des intrus. Je ne tarde pas à repérer le chemin qu’ils ont pris. Et je le suis, brûlant de découvrir pourquoi ils étaient là. Moi, c’était pour la relique chargée de pouvoir que ces lieux recèlent. Et eux ?

Ils ont progressé avec précaution. Ils ne doivent pas être là depuis plus de deux heures. Quoiqu’il en soit, je me rapproche sans cesse. Jusqu’à entendre des voix.

Et bien sûr, je n’ai pas prévu ce que je ferais lorsque je les retrouverais. Moi et les plans stratégiques…

Je recule, aussi doucement que possible, mais un caillou crisse sous ma botte. Immédiatement, les six hommes devant moi se retourne, et braquent leurs armes en direction de ma tête.

« Eh... C'est sympa par ici, non ? »

Leurs mines patibulaires ne m'aide pas à me sentir comme étant la bienvenue. Je murmure rapidement un mot de protection, en espérant que ça résiste aux coups de feu.

Je vais bientôt le savoir, puisque, comme dans un ralenti, je les vois armer leurs flingues, et appuyer sur la détente. Je vois les balles sortirent dans une gerbe d'étincelle. Je les vois se rapprocher. Et je grimace quand l'une d'elle se plante dans mon bras. Avant que les autres ne viennent également me trouer la peau.

Ça fait un mal de chien. Je les sens me traverser. Je les sens finir leur course dans les parois de mur nu derrière moi. Et, chose incroyable, j'ai senti mes organes se mouvoir pour éviter les balles. J'ai eu l'impression d'avoir l'estomac qui dansait le tango, les intestins qui jouaient à saute-mouton, et ainsi de suite.

Je tombe à genoux. La java de mes organes a fait aussi mal que les trous dans ma peau. Je saigne, mais peu. Les blessures se referment rapidement. Le tissu ne se reforme pas, cela dit. Quoi qu'en forçant un peu la dose magique... C'est chose faite.

Tout s'est passé très vite. J'ai la tête qui tourne, maintenant que la vitesse de ce que je vois a repris sa vitesse habituelle. J'ai des tâches d'ombres qui dansent devant mes yeux. Je ne veux pas perdre conscience. Je suis une sorcière, bordel.

« Bordel... »

Je serre les dents avec les forces qu'il me reste tandis que ma tête heurte le sol sans que je ne puisse l'éviter. L'utilisation d'un sort de protection comme je viens de le faire m'a vidée de mes forces. Et il ne m'a pas épargné la souffrance...

Le Zodiac filait le long d’une grotte souterraine, faiblement éclairée par le trou dans la paroi qui permettait d’éclairer ce canal. Nathan continuait à piloter le hors-bord, dont l’allure avait décru, et il finit par voir une sorte de petite crique au bout du passage, avec un petit quai en bois.

« Tout ça ressemble à une ancienne cache de contrebande, commenta Sullie. Rapproche-nous, Nate, mais fais gaffe, il y a des stalagmites qui sortent du sol.
 -  Je sais piloter ce bébé, t’en fais pas pour ça. »

Le Zodiac se balança à gauche et à droite, et Nathan l’arrêta devant le ponton, puis grimpa sur ce dernier. Ils étaient dans une grotte, tout simplement, et il commençait à faire sombre, si bien que les deux sortirent leurs lampes-torches, et les enclenchèrent. Ils avaient amené un sac à dos comprenant du matériel, notamment deux pistolets, des Glock. Chacun en prit un, ainsi que quelques chargeurs. Les dernières explorations archéologiques de Nathan l’avaient amené à comprendre qu’il était toujours bon de se protéger un minimum. Silencieusement, les deux homes regardèrent ensuite les murs, ne voyant aucune peinture rupestre, aucun tatouage tribal. L’endroit semblait tout simplement complètement abandonné, à l’exception du ponton en bois, mais le chemin filait droit devant eux, dans une sorte de tunnel souterrain.

C’est par là-bas que le duo s’avança, Nathan transportant le sac à dos. Il y avait également, à l’intérieur, des baudriers, des cordes, des pitons... Du matériel d’escalade, en somme, ainsi que plusieurs gourdes d’eau fraîche, et quelques rations. Sans parler de son carnet de notes, bien entendu. Le duo s’avança pendant plusieurs minutes. On entendait le bruit de l’eau au loin, s’estompant progressivement, jusqu’à ce qu’ils empruntent un chemin qui était en train de monter. Une sorte de pente, parfois relativement raide, qui finit par les conduire à un mur en pierre.

« Hum...
 -  Sûrement un passage secret. »

Sullie tapa contre le mur, et constata, effectivement, que le son était creux, signe qu’il y avait de l’écho derrière. Il ne restait dès lors plus qu’à trouver le mécanisme, et Nathan finit par le repérer. Sullivan étudiait le mur, et Nathan analysa plutôt le décor, et finit par remarquer une stalagmite qui était différent des autres, pointant dans un sens différent. Il posa sa main dessus, et le tira en arrière. Il y eut un déclic, et le mur coulissa alors, leur permettant de rejoindre un couloir.

Nathan fila sur la gauche, et ne tarda pas à pénétrer dans une pièce immense. Un vaste hall à plusieurs étages, et plusieurs petits escaliers intérieurs, menant à une espèce d’énorme porte, en hauteur, au fond, et close. Plus troublant encore, il y avait, sur tout le rebord cette pièce, des espèces de grosses boîtes noires alignées les uns à côté des autres. Globalement, la pièce avait la forme d’un œuf, avec des espèces de grosses boîtes sur tout le pourtour. D’étranges lettres ornaient chacun des caissons, dans une langue incompréhensible pour Nathan.

« C’est quoi, ces trucs ? »

Victor se contenta de hausser les épaules en se rapprochant d’un des caissons. Il y avait une petite trappe dessus, comme pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Il posa sa main dessus, mais, alors qu’il allait l’ouvrir, les deux entendirent alors les échos de coups de feu. Instantanément, Nathan porta la main à son Glock, et tourna sa tête vers Sullie.

« T’as une explication pour ça ?
 -  Elle veut dire quoi, cette question ?
 -  Je dois encore te rappeler l’Amazonie ?
 -  Putain, Nate, ce que tu peux être susceptible ! Pire qu’un gosse, je te jure ! Okay, j’avais perdu quelques dollars au poker... Et alors ? T’as jamais fait de conneries, toi, peut-être ?
 -  Jamais une qui...
 -  Tu tiens à ce qu’on évoque Londres ? »

Il n’y tenait pas vraiment.

« Je vais aller voir. Toi, couvre mes arrières, on ne sait pas sur quoi on va tomber.
 -  On devrait y aller tous les deux, imagine que...
 -  Tu me couvres, c’est tout !
 -  Okay, okay..., soupira Sullie. Foutu gosse… »

Un vrai chien fou. Sullie en oublia le caisson, et ce qu’il y avait à l’intérieur. Nathan se dépêcha de courir vers l’origine des coups de feu, tenant son Glock à deux mains. Il grimpa un long escalier en colimaçon, et ralentit progressivement le rythme, afin qu’on ne surprenne pas l’écho de ses propres pas. Il se mit à longer le mur, jusqu’à atteindre un couloir plutôt bien éclairé, avec des meurtrières sur la droite. Elles permettaient de voir le lac, mais il n’avait pas le temps d’admirer le paysage. Il continua à marcher, le dos légèrement courbé, et entendit alors des bruits au bout du couloir, dans un angle. Les bruits venaient de la gauche, et il se plaqua contre le mur, et tourna brièvement la tête.

Un groupe d’hommes en combinaison en cuir intégral entouraient une femme prostrée sur le sol. Nathan resta dans l’ombre, et put voir que la dame avait également du cuir sur le corps, tandis que les hommes l’entouraient.

« On a capturé une intruse... lâchait un homme dans son talkie-walkie.
 -  ...
 -  Non, identité inconnue, mais elle a des pouvoirs.
 -  …
 -  Vous croyez que ?
 -  ...
 -  Le plus prudent serait de l’abattre, Sire, mais...
 -  …
 -  Non, bien sûr, ce n’était qu’une hypothèse, mais…
 -  ...
 -  Il y a des manifestations magiques ici, oui, mais la source est... »

Ils étaient bien armés, ce qui laissait entendre des professionnels. Nathan s’avança un peu, accroupi, faisant le moins de bruit possible. Ils en comptaient six, leur chef discutant. Impossible de s’approcher. Nate se dissimula dans un abri, mais constata vite qu’il ne pouvait rien faire pour cette fille depuis sa position. Il n’avait qu’un petit Glock, et il n’était pas Lucky Luke. Il remarqua que l’un des six hommes avait sorti une espèce d’appareil ressemblant à un compteur Geiger. Il se mit alors à biper, tandis que celui qui discutait abaissait son talkie-walkie.

« Monsieur ! Il y a des interférences à proximité !
 -  Ça doit être elle. Gemmins, surveillez cette fille, il ne faut pas que l’anomalie nous échappe ! »

Gemmins hocha lentement la tête, et les cinq autres s’éloignèrent en courant. Nathan tenait sa chance. Il vit l’homme sortir des menottes adhésives, tout en se rapprochant de la femme, prostrée sur le sol.

« Hum... Les sorcières sont décidément sacrément bonnes... Ils en ont sûrement pour vingt bonnes minutes. Ça nous laisse le temps de s’amuser, toi et moi, poupée... »

L’homme ne put résister à la tentation de caresser le buste qui était offert, et posa ensuite ses mains à l’emplacement des seins de la femme. Il pressa un peu... Et se reçut un solide coup de crosse derrière la nuque.

« Navré, mon pote, mais, s’il y a un homme qui touchera à ce corps-là, ce sera moi » grommela Nathan.

Il se pencha ensuite vers la femme. Elle avait l’air plutôt bien sonnée... Il passa un bras derrière sa nuque, et la souleva, se disant que ce serait mieux pour elle que de la porter comme un sac de patates sur l’épaule. Nathan s’écarta alors prudemment, s’avançant dans le couloir, traînant la femme, jusqu’à atteindre une autre pièce, où il la posa délicatement sur le sol.

« Oh ! La belle au bois dormant, réveillez-vous ! Ce n’est pas une place totalement sûre par ici ! Allez, debout, chérie ! »

Comme pour l’aider à se réveiller plus vite, il lui donna de petites gifles sur chaque joue.

Je reste dans les vapes un moment. Je n’ai que très vaguement conscience de mon corps, traîné jusqu’à un mur. De voix qui bourdonnent autour de moi. Mon énergie est au plus bas. Mon corps cherche à la régénérer, puisant dans ce qui l’entoure. Mais, à part les hommes, il n’y a rien de bon pour moi ici. Tout est vide, mauvais, asséché… Maudit. Et ces hommes… Je pourrais les drainer. Mais je ne peux pas le faire sans les subjuguer. Un peu à la façon d’un succube. Et, dans mon état, je ne subjuguerais personne…

Quelques mots filtrent de temps à autres. « Sorcière », « L’abattre », « Manifestations magiques »… Je ne saisis rien de concret. Mon esprit joue au yo-yo. Je ne ressens que la paroi rugueuse du mur derrière mon dos.

J’essaie malgré tout de relever la tête, et de lancer mon maigre pouvoir à la recherche d’énergie. Je me heurte à un mur, comme s’ils étaient protégés. Leur appareil s’affole et bip dans tous les sens. Je suis fichue.

Ma tête retombe lourdement contre mon épaule, et je glisse le long de la paroi rocailleuse.

« […] Les sorcières […] bonnes... […] vingt bonnes minutes. […] s’amuser […] poupée... »

Je ne capte rien. Je n’arrive même pas à tressaillir dès lors que je sens une main flatter la courbe de mes seins.

Et puis un bruit mat résonne, tandis qu’un poids s’affaisse sur mes pieds.

« Navré […] qui touchera […] corps-là […] sera moi »

Que des bouts de phrases. Je ne comprends rien. Je me laisse faire, comme une poupée de chiffon. On me soulève. J’entends de vagues paroles, et ma tête dodeline doucement.

« […] belle […] dormant […]’veillez-vous ! […] place totalement sûre […] Allez […] chérie ! »

Oooh. Ma tête. Quelque chose de cinglant me rends un peu de ma conscience. Pas trop fort. Mais assez pour m’extirper de mon apathie.

Je redresse -difficilement- la tête et ouvre les yeux. D’abord, tout est flou. Mais des contours se dessinent, et bientôt, je distingue le visage d’un homme en face de moi. Une autre gifle me fait sursauter. Je me cogne ainsi contre le mur, et grimace en laissant échapper un grognement sourd.

« Aïe… »

Je me frotte la tête. Et les joues. Un léger sourire parvient à étirer mes lèvres. Un sourire sans joie.

« Est-ce que ça vous dérange si je vous pompe… Un peu d’énergie ?

Qu’est-ce qui m’a pris de faire une pause après ce mot si trompeur, si audacieux ?

Enfin. Il faut savoir se détendre, même dans les instants les plus critiques.

Et, sans attendre l’acquiescement de l’homme, je pose ma main sur sa joue, et je le fixe dans les yeux. Une douce chaleur doit se propager dans ses veines tandis que ma peau absorbe un peu de son énergie. Il sent peut-être des picotements dans la nuque, et dans les extrémités. Mais je retire ma main assez vite pour qu’il n’ait pas le temps de réagir. Je ne lui ai pas pris énormément d’énergie. Tout au plus, il se sentira comme après avoir couru cinq minutes sur une route en pente. Mais j’en ai pris juste assez pour être pleinement consciente.

« Je suis désolée. C’était la seule solution pour que je ne sois pas une loque…

J’essaie de me relever, mais des étoiles menacent de danser devant mes yeux. J’aurais peut-être dû puiser plus, d’énergie. Enfin. Ça suffira. J’espère…

Des cris furieux ne tardèrent pas à résonner.

« Je crois que la place n’est plus sûre… »

Rendons à César ce qui est à César : cette femme était, non seulement bien foutue, mais aussi plutôt belle. Qu’est-ce qu’elle fabriquait là ? Tout comme ces types armés... On lui avait pourtant dit que c’était un endroit désert, sans âme qui vive. Le château avait l’air bien vivant, et Nathan n’allait pas tarder à avoir toute une brigade aux fesses. Quelque chose lui disait que ces types armés et en combinaison devaient être les méchants, et elle la fille sympa... Sans doute parce qu’elle était bien roulée. Parfois, il n’en fallait pas plus pour convaincre un homme. Ces types ressemblaient tout simplement à des mercenaires. Préparés, organisés, et bien armés. Le pied, en somme ! Voilà qui allait rappeler à Nathan l’Amazonie... En attendant, il donnait de petites tapes sur les joues de la femme, et cette dernière finit par ouvrir les yeux. Il cessa alors de la toucher.

« Désolé de vous avoir frappé, mais le temps presse », entama-t-il.

La femme lui répondit alors par une phrase qui le fit tiquer :

« Est-ce que ça vous dérange si je vous pompe… »

Si elle le... ? Nathan cligna des yeux, mais la femme se reprit alors :

« Un peu d’énergie ?
 -  Hein ? De quoi est-ce que vous... Hey ! »

Il poussa une exclamation de surprise quand la femme alla poser sa main sur sa joue, et il sentit alors quelque chose être drainé en lui. Le contact fut assez bref, mais son cœur s’emballa, sa respiration s’alourdit, et, quand la femme retira ses doigts, Nate se sentait légèrement fatigué. Comprenant qu’il avait affaire à une sorcière, il ne dit rien, étonné, et comprit sans doute pourquoi ces types voulaient la capturer... N’avaient-ils pas parlé d’interférences magiques ? Nathan avait beau venir de la Terre, il avait eu amplement l’occasion de remarquer qu’il existait, dans son monde d’origine, des phénomènes paranormaux, phénomènes qui étaient bien plus présents à Terra.

Ce contact n’avait duré que quelques secondes, et la mystérieuse femme semblait aller mieux. Nathan s’écarta un peu en se redressant, tandis qu’elle lui présentait ses excuses :

« Je suis désolée. C’était la seule solution pour que je ne sois pas une loque…
 -  Hum... Non, vous en faites pas pour ça, mais... Vous... »

Il ne put achever sa question, car il entendit du bruit, venant de la salle où il avait neutralisé Gemmins. Visiblement, les autres garçons étaient revenus, et avaient aperçu l’homme assommé, et la femme, en fuite.

« Merde... » marmonna l’homme.

Nathan sortit son Glock, retirale cran de sûreté, et chargea l’arme.

« Je crois que la place n’est plus sûre… » nota alors la femme.

Il hocha lentement la tête.

« Je crois que vous avez raison... »

Nathan s’approcha de la porte de la petite pièce. Il n’y avait aucun mobilier dans cette pièce, mais une fenêtre permettait de sortir. Il suffisait de l’ouvrir. Le mur était âgé, et il y avait donc des fissures, permettant de grimper.

« Elle ne doit pas être loin. Il faut la retrouver ! Mais ne la tuez pas ! Elle pourrait être la Clef ! »

La Clef ? Nathan se rapprocha de la porte. Il n’y avait aucune porte de sortie. À gauche, le couloir se terminait face à un mur, et, à droite, le couloir filait vers les ennemis. Il y avait certes l’escalier permettant de partir, mais l’ouverture y menant était à plusieurs mètres. S’il essayait de l’atteindre, il se ferait trouer comme du gruyère.

*Tant pis...*

Ils fouilleraient rapidement la pièce. Nathan préféra donc bénéficier de l’élément de surprise, et, se mettant contre la porte, il avança son corps, et fit feu. Les balles résonnèrent dans le couloir en pierre, et il atteignit la cheville d’un des tueurs, qui poussa un hurlement en trébuchant sur le sol. Les autres répliquèrent immédiatement avec leurs fusils d’assaut, faisant rugir leurs canons, arrachant des morceaux de pierraille sous l’impact des balles, provoquant un amoncellement de poussières dans le couloir. L’homme en avait les oreilles qui bourdonnaient, et fit feu au jugé, se contentant juste de sortir son arme.

« Elle a une arme !
 -  Ne la tuez surtout pas, bordel ! »

Nathan rangea son arme. Ils avaient peu de temps pour agir, avant qu’ils ne se décident à foncer vers eux.

« Une idée pour vous barrer d’ici ? » demanda-t-il alors en tournant la tête vers l’endroit où elle était censée être.

« Je crois que vous avez raison... »
« Elle ne doit pas être loin. Il faut la retrouver ! Mais ne la tuez pas ! Elle pourrait être la Clef ! »

La clef ? mais de quoi ?

Je crois que l'homme à mes côtés avait l'air aussi perdu que moi. J'éluciderais ce mystère plus tard. Je m'accroupis, parcourant la pièce du regard. Une issue. La fenêtre. Ce devait être haut. Il faudrait choisir : Grimper, ou descendre ? Personnellement, j'opterais pour monter. J'ai un objectif, il ne faut pas l'oublier. On dit que la relique enfermée ici, cachée depuis des siècles, recèle de fabuleux pouvoirs.

Oh, mais... Peut-être que les hommes, des mercenaires (sans aucun doute), sont aussi après cette légende... Peut-être même que celui qui m'accompagne a cet objectif en tête également...

Des coups de feux coupèrent net ma réflexion.

« Elle a une arme !
 -  Ne la tuez surtout pas, bordel ! »

Ils croyaient que j'étais armée ? Drôle d'idée, sachant que mes pouvoirs font office de protection... Mais ils ne pouvaient pas être trop intelligents. Sinon, ils auraient déjà trouvé l'artefact, et ils ne me prendraient pas pour une clef...

« Une idée pour vous barrer d’ici ? »

A part la fenêtre... Mais il faudrait faire diversion.

Profitant de l'énergie récupérée grâce à l'homme, je lui indiquais la fenêtre, et levais trois doigts. Trois secondes. Je fermais les yeux, posant ma main sur le sol. Deux secondes. Je baissais un doigt. La poussière se souleva en tournoyant, formant deux silhouettes humanoïdes. Une seconde. Je baissais un autre doigt. Bientôt, l'air se troubla autour des deux silhouettes, et elles ressemblèrent, traits pour traits, à la mienne et à celle de mon bienfaiteur encore anonyme. Je finis par baisser mon dernier doigt, et les silhouettes se mouvèrent, entamant une course pour sortir de la pièce, se frayant un passage au travers des mercenaires.

« La fenêtre... »

Ce sort, basique, ne me prit que peu d'énergie. Il m'en restais assez pour créer une sorte de filet de protection autour de mon compagnon et moi-même.

« Vous préférez grimper ou descendre ? »

Personnellement, je grimpe. J'enjambe le rebord, et je m'accroche, trouvant des prises. S'il descendait, le filet le suivrais. Je ne suis pas un monstre d'égoïsme. Je commence à grimper, essayant de faire le plus vite possible pour dégager la voie, au cas où mon compagnon déciderais de monter.

Je ne tarde pas à atteindre une corniche. Je m'y hisse, aisément (si on ne compte pas mes bras flageolants ou mon dos luisant de transpiration), et je crochète la fenêtre par magie. Je me laisse tomber sur le plancher, et m'écarte, à quatre pattes, vers un âtre vide où subsistait encore quelques cendres froides depuis des siècles. Je posais mes mains sur la pierre, et puisais dans mes dernières réserves d'énergies pour formuler un sort d'invisibilité.

Si l'homme était monté, il devrait commencer à me voir disparaître. Il faudrait qu'il me touche, pour continuer à me voir, et être invisible également.

La situation était tendue. Faits comme des rats... Nathan avait peur de ne pas avoir le temps de passer par la fenêtre, et de se mettre à l’abri. Sur le mur, ils seraient tous les deux des proies vulnérables. Néanmoins, dans sa situation actuelle, l’homme ne pouvait pas faire grand-chose. Ils étaient plus nombreux, mieux équipés, et savaient tirer. Impossible de les surprendre avec son arme, et il n’avait pas un stock inépuisable de munitions. Les choses étaient légèrement en train de lui échapper, et il vit la femme lever trois doigts, avant de se concentrer.

*Qu’est-ce qu’elle fout ?* se demanda l’homme.

Il n’y comprenait rien, et la vit alors poser sa main sur le sol. Des silhouettes apparurent alors devant lui, se matérialisant peu à peu, et il vit alors une réplique exacte de lui et de la femme. Des illusions d’optique, qui confirmèrent la présence d’une magicienne. La femme sexy les envoya alors dans le couloir.

« Ils cherchent à s’enfuir !
 -  Ne la tuez pas !! »

Ils se rendraient rapidement compte de la supercherie, mais ceci laisserait à Nate le temps de s’enfuir. Les deux clones filèrent rapidement dans le couloir par lequel il était venu, et les mercenaires s’élancèrent à leur suite. Le duo devait avoir moins d’une minute avant qu’ils ne réalisent qu’on s’était joués d’eux. Il féliciterait la nana plus tard. Nathan rangea son arme, et fila par la fenêtre, se dépêchant de la suivre. Nathan avait toujours aimé escalader. Dans l’orphelinat où il avait grandi, sa plus grande passion était d’escalader les arbres du petit parc interne, ou, à défaut, les colonnes de l’église, provoquant la fureur de ses instructeurs. Sur ce point, il égalait sans peine Lara, et n’eut donc aucune réelle difficulté à suivre la femme.

Le vent soufflait dehors, et il faisait surtout attention à ne pas lâcher prise. La chute serait mortelle. La femme grimpait vers le haut, et il en profita à peine pour observer ses fesses, préférant se concentrer sur les anfractuosités et les points d’appui, grimpant ainsi, s’appuyant sur les interstices et les fissures provoquées par l’érosion de la roche. Il continuait à suivre la femme, jusqu’à atteindre une corniche. Nathan la suivait, sautant sur place, et réussit à poser ses mains sur la corniche. Il se hissa alors, sentant ses muscles gémir, puis réussit à s’appuyer contre le mur.

Il remarqua alors que la femme n’était plus là, et cligna des yeux, surpris, avant de voir de curieux reflets devant lui... Comme une silhouette invisible se découpant par rapport au décor. Il avança sa main, et toucha la femme... À l’emplacement de sa poitrine. Il la revit alors, et retira précipitamment sa main, un sourire désolé sur le visage :

« Hum... Navré... »

En contrebas, les mercenaires venaient de comprendre qu’ils traquaient des visions, et retournaient dans la pièce. L’un d’eux bascula sa tête en avant en visant en contrebas, ne voyant rien, puis en haut. Il fronça les sourcils, puis secoua négativement la tête, et se replia. Nathan regarda alors la femme, et commenta :

« Je commence à saisir... Vous êtes une magicienne, hein ? C’est cool. »

Le vent continuait à siffler, et il leva la tête. Le sommet de ce bâtiment n’était plus très éloigné, et il se retourna prudemment.

« Je propose de continuer à discuter là-haut... »

Nathan ne s’en faisait pas trop pour Sullivan. Ce marin d’eau douce avait toujours eu la peau dure. Nathan grimpa alors en premier. Il comprenait que cette femme avait du le rendre invisible quand il l’avait touché. Il continua à grimper, et entendit alors le croassement d’oiseaux. Des corbeaux. Ils étaient sur le toit, et il réussit à le rejoindre, s’appuyant entre deux meurtrières, puis balança sa jambe droite en avant, la coinçant de l’autre côté de la meurtrière. L’homme utilisa ensuite sa position précaire pour se hisser à nouveau, et tendit ensuite sa main, afin d’aider la mystérieuse sorcière à se redresser.

Ils se retrouvèrent ainsi sur un toit, vide, protégé par des meurtrières. Nathan avait légèrement mal aux bras, une conséquence normale après l’effort physique qu’il venait de produire.

« Je m’appelle Nathan, au fait... Nathan Drake, mais mes amis m’appellent Nate... Et vous ? Qu’est-ce que fous fabriquez ici, sans indiscrétion ? »

Vu qu’ils venaient de frôler la mort ensemble, ils pouvaient bien se permettre de discuter entre eux.

Je ne sursautais pas quand il me toucha. Un léger sourire étira mes lèvres, mais je continuais le sort jusqu'à son terme. Et le résultat fut probant. L'invisibilité était en marche, pour nous deux. L'énergie déployée par mon rituel avait dû le contaminer, plus ou moins, et le rendre aussi invisible. Je le voyais grâce aux frémissements du bord de sa silhouette.

« Je commence à saisir... Vous êtes une magicienne, hein ? C’est cool. [...] Je propose de continuer à discuter là-haut... »

J'approuvais du chef, avec une expression affable sur mes traits. Il passa le premier, et je ne tardais pas à le suivre. Je m'étais encore affaiblie, avec le sort d'invisibilité. Mais il fallait que j'exécute ce rituel. Sinon, il était assuré que nous finissions pas nous faire canarder.

Je coinçais mes pieds dans les fissures de la roche, tentant d'affermir mes prises. Mes jambes tremblaient. Mes bras tremblaient. Je luttais pour tenir bon. La sueur ruisselait le long de mon échine, perlait sur mon front... Aucun doute, je devais avoir les joues rouges. L'effort que je devais déployer me paraissais surhumain, à présent que le peu d'énergie récupéré était employé à sauver nos fesses en les rendant invisibles.

J'étais sur le point de tout lâcher, de glisser, quand la main de l'homme que je suivais attrapa la mienne pour m'aider à tenir bon. Je ne sais pas s'il en a vraiment eu conscience, mais s'il n'avait pas eu ce geste pour m'aider, je serais tombée, à bout de forces.

Je me laissais glisser sur le sol, essouflée. J'avais mal partout.

Posant l'arrière de ma tête contre la pierre, contre une meurtrière, je pris le temps de me remettre un peu, avant de répondre.

« Camille... Temple. »

Une quinte de toux m'empêcha de continuer tout de suite. Quand elle se calma, laissant ma gorge irritée, je parlais d'un ton qui me rappela désagréablement le croassement des corbeaux.

« Il parais qu'il y a une relique ici... Avec des métaux et des joyaux que je pourrais réutiliser... Je suis, plus ou moins, une joallière de talent. Enfin, il paraît. Et puis... Une relique magique... Ça ne pouvait qu'attiser mon intérêt... Je suis persuadée de pouvoir inverser le sort, si c'est une malédiction... »

Je ne devrais pas livrer mes buts, ainsi. Il pourrait être comme un Desmond. Un hommee manipulateur, à l'affût de mes faiblesses et de mes pouvoirs. Ou comme ces mercenaires, plus bas...

Trop tard, maintenant, pour garder secrètes mes motivations. J'esquissais un sourire sans joie, avant de lui retourner la question.

« Et vous, Nathan ? »

Le sort d'invisibilité lâcha d'un coup, provoquant une nouvelle quinte de toux de ma part. Je n'avais officiellement plus de force. Il faudrait que je mange, ou que je pompe l'énergie de quelqu'un. J'appuyais à nouveau mon dos contre la parois du mur, essayant de reprendre mon souffle, avant de laisser quelques mots m'échapper.

« Nous ne sommes plus invisibles... »

Et, comme par hasard, des coups de feux se firent entendre dans l'air. Déjà les mercenaires ?

La femme semblait être épuisée. Comme quoi, il fallait croire que la magie, c’était fatigant. Nathan ne pouvait que le supposer, car, après tout, il n’était pas vraiment un magicien. Il avait bien senti la femme s’épuiser en grimpant le long du mur, et être sur le point de lâcher avant qu’il ne l’attrape. Elle se reposait maintenant contre une meurtrière, et Nate regarda autour de lui. Depuis ce bastion, on pouvait voir, outre la mer, l’intérieur du fort. Il y avait une succession de ponts, d’escaliers, de murs internes, avec des cours en contrebas. Toute cette île était recouverte par ce solide fort, formant une épaisse structure qui avait colonisé toute la nature. Un véritable labyrinthe. La femme se présenta ensuite.

Elle s’appelait Camille Temple, et se décrivit comme une « joaillière ». Elle était venue ici pour retrouver une relique comprenant des joyaux, et, apparemment, des propriétés magiques. Silencieusement, Nathan l’écoutait, tout en se rapprochant d’elle. Reprenant les théories de l’Ordre, elle avança l’idée que cet endroit pouvait être maudit... Cependant, Nathan doutait que ce soit bien une malédiction qui ait amené ici ces tueurs en combinaison. Si quelqu’un avait envoyé une telle équipe, c’était probablement le signe qu’il y avait quelque chose d’important là-dessous, et qui était donc probablement particulièrement dangereux. La femme continuait à se reposer, avant de lui poser une question prévisible :

« Et vous, Nathan ? »

Il alla répondre quand, déchirant le silence, on entendit des coups de feu. Il reporta immédiatement la main sur son Glock, mais constata rapidement que les tirs n’étaient pas pour eux. Ils venaient certainement de la même équipe, mais émanaient de l’intérieur du bastion.

*Sullie !* pensa instantanément Nate, ressentant immédiatement une bouffée d’inquiétude pour son vieil ami et mentor.

Les coups de feu se turent provisoirement, avant de reprendre. Nathan se pencha par-dessus les meurtrières, essayant d’entendre quoi que ce soit, et entendit alors une série d’hurlements. Sullie, toujours ? Il n’en était plus sûr. Les corbeaux se mirent alors à croasser dangereusement, volant autour du bastion, tout en commençant à s’amonceler de plus en plus, décrivant des cercles autour du toit. Prudemment, Nathan s’écarta du rebord, avec la singulière impression de vivre un remake en puissance des Oiseaux.

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » s’exclama-t-il.

Les corbeaux formaient une véritable masse noire, et les mercenaires hurlèrent à nouveau, avant que Nate n’entende des chocs sourds. Il était cependant difficile d’entendre quoi que ce soit, car les corbeaux croassaient dangereusement en tournoyant, leurs sons remplissant l’air. Ils s’envolèrent à nouveau, se rapprochant dangereusement des deux protagonistes sur le toit. Ils formaient une véritable langue qui se mit alors à fondre sur Nathan, menaçants et meurtriers. Nate sauta sur le côté, les esquivant de justesse, mais plusieurs d’entre eux le frappèrent avec leurs becs. Il en lâcha son arme, qui roula sur le sol, et les corbeaux se redressèrent alors, et libérèrent la présence d’une silhouette féminine.  Toute cette masse noire éclata devant Camille, révélant alors la présence d’une singulière femme.

Nathan, surpris, récupéra son arme, mais la femme n’eut même pas à le regarder pour qu’il sente quelque chose le frapper. Il se sentit partir en arrière, et son dos heurta une meurtrière, tandis qu’il en lâchait à nouveau son arme, appuyant maladroitement sur la gâchette, le tir partant à l’assaut des nuages. L’étrange femme avait des lueurs violettes autour de ses mains, et tendit sa main vers Camille. Une lueur violette sembla alors entourer la joaillière.

« Hum... C’est bien toi... On ne m’avait pas menti... »

Sur chaque meurtrière de ce toit, il y avait un corbeau. Du sang s’échappait de l’une des lèvres de Nate, qui entreprit péniblement de se redresser... Ou d’essayer, en tout cas.

« Méfie-toi des hommes, Camille... Ce sont des menteurs » poursuivit l’étrange apparition, semblkant s’adresser uniquement à la femme.

Comment connaissait-elle son nom ? Est-ce qu’elle les avait espionnés ? Ou est-ce qu’il y avait encore autre chose ? On pouvait encore entendre les corbeaux croasser, parfois, ce qui n’aidait pas vraiment Nate à se détendre.

*Encore une foutue sorcière... Ça, il n’y a pas de doute !*

Les choses commençaient sérieusement à se compliquer, et il n’était même pas dans ce château depuis une heure !

Les coups de feu déchiraient le silence, et les corbeaux se mirent à voler, à se regrouper, à tourner autour de nous, autour du château. Plaquée contre la paroi, je ne bougeais pas. Trop surprise peut-être. Ou encore trop épuisée pour esquisser un geste. Les deux, sans doute. Toujours est-il que les oiseaux croassaient dans une horrible cacophonie, et bientôt, les coups de feu cessèrent avec les cris des mercenaires. Ou du moins, je supposaient que c'était les leurs.

J'essayais de me relever, de me rapprocher de Nathan pour pouvoir faire face aux corbeaux, dos à dos, mais ils ne m'en laissèrent pas le temps, fondant dans un même ensemble sur l'homme qui se dressait face à eux. Il réussit à les esquiver en partie, mais mon regard nota la présence d'un rouge carmin bien reconnaissable à l'endroit où le bec acéré des oiseaux avait frappé. Et les corbeaux reprirent leur envol, leur altitude, laissant derrière eux une femme. Impressionnante, dangereuse et menaçante. C'est ce que me livraient mes sens, et ce que je pouvais voir de son aura. Puissante, également.

Mon regard fut attiré par un mouvement de la part de Nathan, et la sorcière, car s'en était obligatoirement une, l'empêcha d'intervenir en l'éjectant sans même esquisser un geste. Je dois avouer, je suis soufflée. Ses pouvoirs sont bien plus puissants que les miens. Elle ne semble même pas souffrir d'une quelconque perte d'énergie. Le tir de l'homme se perdit en l'air, inoffensif.

Et, tout de suite après, je sentis une chose me sonder. Du pouvoir. Si puissant que j'en suffoquais un peu. La lueur violette des mains de la sorcière m'entourait à présent, m'étouffant légèrement.

« Hum... C’est bien toi... On ne m’avait pas menti... »

Moi ? Mais de quoi elle parle ? Elle me connaît ?

« Méfie-toi des hommes, Camille... Ce sont des menteurs »

D'où est-ce qu'elle sort mon nom ? On n'a pas gardé les cochons ensembles, il me semble...

J'étudiais alors ses traits, ressentant une certaine familiarité. C'était confus, mais... J'avais l'étrange impression de la connaître. Comme si... Je ne sais pas. Je ressentais une connexion étrange... Un peu comme... Comme avec grand-mère... Se pourrait-il que...

« Que je sois de ta famille ? »

La femme partit d'un grand rire après avoir complété ma pensée.

« C'est évident, non ? Allons Camille... Réfléchit... Tu croyais vraiment que notre lignée n'était composée que de sorcières de faible envergure ? »

Je reniflais, mon esprit tournant à vive allure, mélangeant mes pensées.

« Je ne te veux aucun mal, Camille... Mais ce n'est pas le cas des hommes... Ils veulent tous te contrôler. Ils veulent tous te tenir en cage...
— Non...
— Crois-moi... Ils sont tous comme ça. Comme Desmond. Ils ne recherchent que ta puissance. Ils se fichent pas mal de ce que tu peux ressentir... Tu te souviens des mensonges de Desmond, n'est-ce pas ?
— Desmond n'est pas tous les hommes...
— Crois-moi... »

Ma voix manquait d'assurance, et elle me susurrait ses paroles avec tant de chaleur... Je penchais doucement la tête sur le côté, sans prendre garde à cette émanation violette qui s'insinuait dans les pores de ma peau. Elle profitait de ma confusion. De ma faiblesse. Elle... Elle commençait à me posséder.

« Non ! »

Avec ce qui me restait de force et de détermination, je la repoussais. Je ne tolérais pas cette intrusion.

« Laisses-toi faire !
— Hors de question. Vous êtes comme eux ! Vous ne désirez que vous approprier mes pouvoirs. Mon corps... »

Encore une fois, elle partit d'un grand rire. Diabolique. Elle me glaçait les sangs.

« Si tu refuses de l'aide à ton ancêtre, Camille, je vais être obligée de me montrer plus persuasive... »

Elle se pencha alors vers moi, ses doigts fins entourant ma gorge. Je ne ressentis aucune pression physique. Mais niveau métaphysique, ça frôlait l'étau d'acier. J'eus l'impression qu'elle m'étouffais. J'ouvris la bouche, pour chercher quelques goulées d'air frais, mais son pouvoir s'insinua dans ma gorge. Elle posa ensuite une main sur mon ventre. Et elle susurra alors quelques phrases à mon oreille, audible de moi seule.

« Puisque tu ne te laisses pas faire, de ton plein gré, je vais devoir posséder la chair de ta chair... Cette âme si innocente qui n'a pas encore vu le jour...
— Que- Quoi ? »

Je ne pus prononcer plus de mot. Ma tête se rejeta vers l'arrière, cognant douloureuse contre la pierre, et son pouvoir me traversa, se logeant au niveau de mon ventre... De.. Mon enfant ?

Ma reflexion s'arrêta dès que le transfert fut fini, me laissant essouflée. Pantelante. Un peu pâle aussi. J'hoquetais, cherchant une goulée d'air frais, et j'ouvris les yeux. Je ne me souvenais pas les avoir fermé.

Plus de trace de la sorcière. Les corbeaux se dispersèrent, et le toit redevint presque vide. Mais je la sentais toujours. Quelque part... En moi ?

Je posais brusquement une main sur mon ventre. Il était encore plat. Je ne pouvais pas être...

Je fis le calcul. Depuis mes noces. Depuis ma fuite.

« Oh mon dieu... »

Mon regard tomba alors sur Nathan. Il saignait, mais ne paraissait pas plus blessé que ça.

« Nathan ! Vous allez bien ? »

Je me trainais jusqu'à lui, à quatre patte. J'étais encore épuisée. Vidée de mon énergie. Et la lutte métaphysique avec la sorcière ne m'avait pas aidée à recharger mes batteries. Je ne fis même pas gaffe aux pas qui résonnaient, indiquant une personne qui montait. Une seule.

Nathan ignorait l’identité de cette nouvelle arrivante, mais elle était puissante. Elle se désintéressait totalement de lui, pensant l’avoir assommé, mais l’aventurier était plus résistant que ce que les femmes, généralement, pensaient de lui. Il avait le goût du sang dans la bouche, et reprenait son souffle, en voyant son arme. Le Glock gisait à terre, à proximité, et il tendit lentement ses doigts vers ce dernier. La mystérieuse sorcière s’adressait à Camille, cherchant à faire quelque chose avec elle. Nathan étant sonné, il peinait à entendre ce qu’elles se disaient entre elles, mais il était question d’un certain « Desmond », et d’autres choses qu’il peinait à retenir. Ses doigts glissaient le long de la pierre, et il réussit à saisir la crosse de son Glock, alors que la sorcière se penchait vers elle. Lentement, Nathan leva son arme, en la visant maladroitement.

*Merde...* songea Nathan.

Il appuya sur la gâchette, et la femme se volatilisa alors, tandis que les corbeaux, dans un concert de croassements, s’envolèrent à leur tour. Nathan abaissa son bras, et sentit la douleur qui engourdissait ses muscles disparaître. Est-ce qu’il l’avait touché ? Il ne pensait pas l’avoir tué aussi facilement, mais il reprenait son souffle. Camille s’avança alors vers lui, à quatre pattes, lui offrant une vue imprenable sur sa poitrine, arrachant à l’homme un fantôme de sourire sur les lèvres.

« Nathan ! Vous allez bien ? »

L’homme hocha lentement la tête.

« Ouais... J’ai connu pire, beauté... Et je le dis sans vantardise... Quand t’es dans un train qui déraille en pleine montagne, et que tu te retrouves suspendu au-dessus du vide, là, tu sais vraiment ce que c’est qu’avoir une journée de merde. J’ai juste besoin de repos... Cette femme m’a épuisé... Comme toi tout à l’heure quand t’avais besoin de reprendre des forces. Vous êtes quoi, exactement, toutes les deux ? Des vampires psychiques ? »

Il reprenait lentement son souffle en parlant, mais des bruits de pas précipités interrompirent alors sa tirade. Il était sur le point de dire que, quitte à le pomper, il préférait que Camille lui pompe autre chose, mais les bruits de bas dans l’escalier mirent fin à toute forme de grivoiserie. Nathan attrapa à nouveau son Glock, et le pointa vers l’entrée. Encore un mercenaire ? Ils avaient probablement entendu les coups de feu. L’aventurier visait l’ouverture, mais sa main tremblait, le pistolet oscillant de gauche à droite. Quand une silhouette apparut, il tira instinctivement. La balle ricocha contre le mur, manquant de peu Sullivan, qui s’arrêta sur place.

« Nate, merde, t’as failli me buter ! »

Sullie avait une voix vieille, légèrement éraillée, et grave. Nate esquissa un léger sourire, et hocha lentement la tête.

« Sullie, merde... T’étais où ?
 -  J’essayais de te rejoindre ! Et... Euh... »

Il venait de voir Camille contre Nathan, les deux à terre, et haussa alors un sourcil, à la Sean Connery, en levant les bras.

« J’espère que je n’interromps pas quelque chose... »

Nathan agita la main.

« Non... Sullie, je te présente Camille. Camille... C’est Victor Sullivan, mon mentor... Et mon coéquipier.
 -  Dit comme ça, on semble oublier que c’est moi le cerveau de l’équipe. Enchanté, Madame. »

Sullivan laissa planer quelques secondes, et poursuivit :

« Tu m’expliques ce qui se passe, ou tu tentes de séduire ta nouvelle copine ?
 -  ’Faites pas attention, il est jaloux... »

Sullie soupira, et se rapprocha de la meurtrière.

« Hum... Putain..., soupira-t-il alors.
 -  Quoi encore ?
 -  Vous devriez venir voir ça… »

Pour un château abandonné, ce dernier était bien trop actif à son goût. Nathan avait encore quantité de questions à poser à Camille, mais Sullivan ne le dérangerait pas pour rien.  Nathan le rejoignit donc, et constata pourquoi Sullivan avait juré. En contrebas, le long d’un des remparts d’enceinte, un mercenaire était en train de ramper, gémissant silencieusement, une longue traînée de sang derrière lui. Il pleurait lentement, et Nathan regarda autour de lui.

« Impossible de descendre... Il lui est arrivé quoi, à ce cave ?
 -  J’en sais foutrement rien... »

Nathan entendit alors des grondements. En les entendant, le mercenaire se mit à paniquer. Il pleurait à moitié, et une bête noirâtre jaillit alors du donjon, semblable à une espèce de terrible loup noir, et bondit sur l’homme, plantant ses crocs dans son cou. L’homme essaya de se débattre, mais ses cris se muèrent en des gargouillements affreux, et son sang se mit à jaillir, fusant contre les créneaux.

La gueule pleine de sang, la bête se retourna alors, et leva la tête, montrant des crocs imbibés de sang, tandis que ses terrifiants yeux rouges fixaient le trio.

Après cette intervention, le curieux loup partit ensuite, laissant à Nathan des frissons dans le dos, et un cadavre qui baignait dans son sang.

Dire que j'étais soulagée qu'il ailles bien était un euphémisme. En réalité, je m'en serais vraiment beaucoup voulu s'il lui était arrivé quelque chose de grave par ma faute. Parce qu'il ne faut pas se leurrer. La sorcière, elle n'en voulait qu'à moi.

Y penser me fit poser ma main sur mon ventre, machinalement. Un sourire éclaira bien vite mes lèvres quand la suite des paroles de Nathan me parvint. Suspendu au-dessus du vide après un déraillement de train... Il devait avoir un quotidien très mouvementé. J'hochais la tête, rassurée, et je m'apprêtais à répondre à sa question quand des bruits de pas me firent tourner la tête. Trop brusquement peut-être, car mon cou craqua méchamment. Nathan tira, et un juron se fit entendre en réponse.

« Nate, merde, t’as failli me buter ! »

"Nate" ? Ils devaient bien se connaître ces deux-là. Je restais silencieuse durant leur échange, massant distraitement mon ventre bien à l'abris derrière mon corset de cuir.

« Enchantée également. »

Un petit sourire étira de nouveau mes lèvres, faisant pétiller mon regard d'amusement. A les voir tous les deux, on se doutaient qu'ils étaient proches. Qu'ils s'appréciaient sincèrement, et qu'ils avaient une totale confiance l'un dans l'autre. Leur complicité était rafraîchissante, après tout ce bordel.

« Vous devriez venir voir ça… »

Si Nathan se leva pour le rejoindre, moi, je restais adossée contre la muraille. Je me sentais vraiment bizarre. Et je mettrais ma main à couper que c'était cette satanée sorcière qui fichait mes hormones en l'air en tentant de posséder ce qui était sans doute encore un embryon.

Je n'arrive pas à le croire. Je suis enceinte. Je n'ai même pas fait gaffe aux dates. J'aurais dû me montrer plus prudente... Il faudrait que je fasse une potion, ou un sort, pour me débarasser de ça... De... D'un enfant... Je ne sais pas si j'y arriverais. Je ne suis pas une meurtrière. Je n'ai fait que blesser des gens, je n'en ai jamais tué...

J'étais perdue dans mes réflexions quand le grondement animal et les cris humains me firent sursauter. Une sensation étrange m'envahit. Celle d'un être repus. Mais, ce n'était pas moi. Non, ça venait... De la sorcière je pense. Alors ce grondement, c'était sans doute une sorte de protection qu'elle avait mis en place...

Brusquement, un sentiment de panique me submergea. Je fermais les yeux, et l'image d'une couronne en or vieillit et en joyaux divers me traversa l'esprit. Je vis distinctement un homme tendre les mains vers la relique, et un chien noir jaillir du néant. Un chien noir, aux yeux si rouge... Il avait l'air si affamé, si... Dangereux...

Pourtant, je n'avais pas peur. Certes, je n'ai jamais crains les bêtes. Même celles que l'on disait maléfique. Mais là... Je me sentais inexplicablement rassurée.

La vision cessa aussi soudainement qu'elle était apparue. Je me retrouvais de nouveau sur le toit. Déboussolée.

Mon regard capta un mouvement par là d'où était venu Victor Sullivan. Mais avant que je n'ai pu avertir les deux hommes debout devant les meurtrières, un gigantesque chien sauta de l'obscurité. Son bond, impressionnant, l'amena directement devant moi.

Il ne ressemblait en rien à l'autre, qui tenait plus du loup. Celui-là avait des airs de... De Dogue, ou quelque chose comme ça. Il avait un regard différent aussi. Pas rouge, mais comme si c'était de la lave en fusion. Mais la même sensation de sérénité me reprit en le voyant. Je devinais aisément que c'était l'animal de la sorcière, comme l'autre. Mais le confort que me procurait sa présence était toutefois mâtinée d'un peu de vigilance. Comme si la sorcière avait encore des doutes quant à sa dévotion aveugle envers elle, même avec tout le pouvoir déployé pour le faire obéir.

La voix me revint quand le molosse se coucha à mes pieds.

« Euh... Les gars... ? »

La tête du chien de garde se tourna vers les deux hommes, et il montra les dents. Comme pour les défier d'approcher. Mais je sentais en lui comme une incertitude. Cette brèche, je l'exploitais. J'avançais la main comme pour le toucher, et il me laissa faire. Quand mes doigts touchèrent son pelage ras, noir, d'autres chiens bondirent sur le toit également. Au même instant, mon pouvoir se déversa sur la créature que je touchais, se l'appropriant, comme un fermier marque son bétail. Et les intrus, des chiens qui tenaient plus du loup, avec des yeux rouges comme l'enfer, ne semblèrent pas apprécier ce déluge de pouvoir. La sorcière non plus. Et à vrai dire, j'ignorais qu'il me restais tant de puissance après m'être épuisée, tout à l'heure.

Le chien couché à mes pieds se leva, et gronda en direction de ses... Confrères. Un mélange de contrariété et de fureur m'envahit, mais ça ne venait pas de moi. C'était la sorcière. Je crois... Je crois qu'elle était furieuse que je lui ai ôté le contrôle du dogue infernal. Je crois... Oui, j'en suis même presque sûre... Je ressens un lien entre moi, et l'animal. Un peu comme ce que j'ai ressenti lors de la vision, entre la sorcière et son chien de garde. Un lien de fidélité absolu.

« Je crois que je viens de me faire un amis. Et ils n'apprécient pas tellement ça les autres... »

La scène m'a paru durer des heures, mais en réalité, quelques secondes à peine s'étaient écoulées.

Sur la dizaine de chiens arrivés, trois foncèrent vers moi et mon nouveau molosse de garde. Les autres se dirigèrent vers les deux hommes.

« Pas du tout même... »

Je rassemblais mes forces pour créer un bouclier métaphysique. Pas pour moi, uniquement. Mais pour tous les êtres humanoïdes sur ce toit. Incluant donc Nathan et Victor. Je tendis la main pour la poser sur l'encolure du molosse devant moi, et il s'intégra derrière le bouclier que je formais. Les balles que n'allaient pas manquer de tirer les hommes passeraient à travers sans problèmes. Les chiens-loups... J'espère qu'ils seront repoussés. Et j'espère que les deux hommes pourront achever les bêtes assez rapidement, parce qu'un assaut magique provenant de la sorcière cherchait déjà à mettre à mal ma défense.

« Tremblez donc, pauvres humains. J'aurais raison de vous. Vous avez voulu ma couronne ? Payez-en d'abord le prix ! »

Et elle partit d'un grand rire machiavélique tandis que je luttais, la sueur coulant à grosses gouttes sur mon front et dans mon dos.

« N'essaies pas de lutter Camille. Je t'aurais. Tu ne peux rien contre moi. Tu es du même sang, mais tu es plus faible... Ton pitoyable bouclier va lâcher. Ta tentative de sauver deux humains que tu ne connais même pas va échouer... HA HA HA ! »

Les choses étaient en train de prendre une tournure sinistre qui n’était pas vraiment au goût de Nathan. Ce cadavre déchiqueté en contrebas, les corbeaux... La mission était sensiblement en train de se compliquer, et Sullivan en prenait aussi conscience. Les deux homes avaient déjà rencontré de sérieux imprévus au cours de leur carrière, et ce qui était en train d’avoir lieu dans cet énorme château risquait bien de figurer dans les annales. Que se passait-il ici ? Qui étaient ces mystérieux mercenaires ? Et cette espèce de sorcière qui l’avait plaqué contre le mur ? Instinctivement, Nate pensait que ces chiens infernaux étaient liés à cette femme...Il était plongé dans ses réflexions quand il entendit du bruit dans son dos. Camille les appela alors, et, en se retournant, Nathan crut défaillir... Une espèce d’énorme berger allemand se tenait juste devant Camille ! Sullie et Nate sortirent leurs pistolets, les pointant sur le monstre, s’apprêtant à tirer... Avant de voir que Camille semblait contrôler la bête.

C’est ce que Nate crut comprendre, avant que l’espèce de chien-loup noir qu’il avait aperçu en contrebas ne débarque... Avec toute sa meute. Ils grondaient en montrant leurs crocs, tout en se rapprochant d’eux.

« Merde, y a tout un putain de troupeau ! » s’exclama Sullie.

Camille leur expliqua s’être fait un ami, ce qui, visiblement, n’était pas au goût des autres monstres. Ils grondaient furieusement, et ne tardèrent pas avant de charger, fonçant droit vers les deux hommes, ainsi que vers Camille et le chien. Nathan fit feu instinctivement, mais crut avoir la berlue quand il vit que l’un des monstres ne s’arrêta pas tout de suite. La balle s’était plantée dans sa fourrure, faisant voleter un peu de fumée noire, mais ça ne l’empêcha pas de lui sauter dessus.

« Bordel ! »

Nate allait l’esquiver quand le chien heurta alors une sorte de bouclier magique, qui forma comme un dôme translucide. Le monstre se mit à couiner en partant en arrière, et secoua la tête en se relevant. Sullie faisait également feu. Contrairement à Nathan, il avait rangé son Glock pour prendre son six-coups. Il arriva cependant au même constat que Nathan : les balles ne semblaient pas vraiment blesser ces saloperies. C’est à cet instant qu’une voix sarcastique se mit à résonner : la voix de la sorcière qui les avait attaqués tantôt, et qui semblait se gausser de la situation.

« N'essaies pas de lutter Camille. Je t'aurais. Tu ne peux rien contre moi. Tu es du même sang, mais tu es plus faible... Ton pitoyable bouclier va lâcher. Ta tentative de sauver deux humains que tu ne connais même pas va échouer... HA HA HA !
- C’est qui, cette conne ? »

Nathan haussa les épaules.

« Je... Je t’expliquerai plus tard, Sullie.
 -  En fait, je sais pas si j’ai vraiment envie d’en savoir plus... »

Les monstres étaient plus nombreux qu’eux, et continuaient à bondir sur les dômes, les brisant peu à peu, les fragilisant. Ils étaient complètement furieux, et Nathan ne pouvait absolument rien faire. Il n’avait aucune arme efficace contre ces espèces de saloperies semblant sorties tout droit d’un conte d’heroïc-fantasy. Le bouclier de Sullivan explosa en premier, et un monstre le rneversa en premier, essayant de planter ses crocs dans sa gorge.

« Sullie ! »

Nathan se précipita vers lui, et saisit le monstre par l’encolure, le poussant. Un autre attaqua alors Nathan dans le dos, et le bouclier le repoussa, mais déstabilisa Nathan, qui s’affala contre une meurtrière, tombant sur le sol. Sullie vit un monstre foncer vers lui, et lui envoya son pied dans la figure.

« Prends ça, enfoiré ! »

En grondant un autre lui bondit alors dessus, et Sullie attrapa un objet contondant qu’il tenait à hauteur de sa chemise, et frappa le monstre avec, avec l’énergie du désespoir...

À sa surprise, le monstre poussa un couinement suraigu, et s’écarta, la joue enflammée. Tous les autres loups se retournèrent alors vers Sullie, qui tenait entre ses doigts un curieux pendentif. Utilisant une idée subite, il le brandit alors vers les monstres. Les rayons du soleil l’illuminèrent, et les créatures infernales poussèrent alors des couinements terrorisés, leur peau se mettant à fondre, laissant s’échapper des volutes de fumée noire. Nate n’y comprenait rien, mais une sorte de rayon lumineux semblait émaner de cet appareil sorti d’on ne sait où.

Les loups, blessés dans leur chair, se mirent alors à filer, bondissant pardessus les meurtrières, laissant le trio en paix...Ainsi que le gros dogue près de Camille.

« Sullie ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? »

Sullivan tourna sa tête vers Nathan, et sourit faiblement, puis lui montra plus attentivement le pendentif.

« Je l’ai récupéré sur l’un des cadavres en venant vous voir... Je comptais vous en parler, car je trouve ça étrange, pas vous ? »

Le pendentif représentait une croix.

Une croix de l’Ordre Immaculé.

Ce n'est pas possible. Ça ne peut pas être la fin. Pas maintenant. Pourtant, les chiens semblaient enragés. Déterminés à nous tuer. Et les balles ne leurs faisaient rien ! Pas que j'ai un flingue, mais bon. Mes boucliers magiques me pompaient toute l'énergie dont je disposais, et ce n'était même pas assez. Je frémis en voyant celui qui entourait Victor se briser, l'impact se ressentant dans tout mon corps. J'haletais, alors que mon garde du corps canin infernal se jetait sur ses anciens compatriotes avec férocité.

Parallèlement, je sentais aussi l'assaut de la sorcière contre moi. Contre mon esprit. Contre le... Le truc, dans mon ventre. J'ai du mal à l'appeler "bébé". J'ai du mal à envisager que ce soit un futur être vivant. J'essayais de repousser du mieux que je le pouvais les attaques magiques de toute part, tandis que les deux hommes luttaient contre les loups.

Et tout à coup, tandis que le dogue nouvellement attaché à ma personne était en train de mordre la gorge d'un des loups, un cri déchirant perça l'air. Mon regard alla à Victor qui tenait une croix. Une croix qui éloignait les monstres, les blessant plus grièvement les monstres que ce que j'aurais pu faire. Ils décampèrent rapidement, sautant par-dessus les murailles, nous laissant seuls sur le toit. Nathan, Victor, moi. Et le chien.

« Sullie ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
— Je l’ai récupéré sur l’un des cadavres en venant vous voir... Je comptais vous en parler, car je trouve ça étrange, pas vous ? »

Effectivement.

Lentement, je fis céder les boucliers restants, récupérant un peu d'énergie.

« Ils ont interdit l'accès à ce fichu château. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien... Oh. Bien sûr. La relique... »

C'est probablement pour l'avoir pour eux, pour la détruire ou l'utiliser à leurs fins...

Je relevais soudain la tête, trop brusquement car des points noirs dansaient devant mes yeux.

« Je sais où elle est, d'ailleurs. Je l'ai.. Euh. Vue, en quelque sortes. »

Je tentais de me relever, mais une vague de pouvoir émanant de la sorcière me fit chanceler et tomber. Un juron m'échappa tandis que le dogue grogna contre la force invisible. Mais seul le rire grinçant de la sorcière flottait dans l'air.

J'avais vraiment du mal à croire qu'un être aussi maléfique puisse être de ma famille...

« Tu ne m'échapperas pas, Camille... »

Sa voix me susurrait ses menaces à l'oreille. Mais elle résonnait sur le toit. Et ça m'éclatais les tympans, du coup.

Puis soudain, calme plat. Plus la moindre sensation d'un pouvoir qui me hérissais les poils. Plus de menace sous-jacente, écrasante. Le molosse se calma immédiatement, et s'occupa de se lécher les pattes.

« Je... Vous le sentez vous-aussi ? Elle n'est... Plus là. Juste, plus là. »

Probablement un piège, me chuchote ma conscience.

« Ils ont interdit l'accès à ce fichu château. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien... Oh. Bien sûr. La relique... »

Victor et Nathan se regardèrent silencieusement, partageant la même interrogation. Visiblement, cette femme en savait plus qu’eux sur le contenu de ce château. Néanmoins, Nathan était surpris que Victor ait trouvé une croix... L’Ordre Immaculé disposait d’un bon équipement pour envoyer des mercenaires. Ils tireraient à vue sur n’importe quel intrus, l’endroit ayant été interdit par l’Ordre. Que cherchaient-ils ici ? Quelle était donc cette relique ? Et cette mystérieuse femme qui s’était acharnée sur eux ? Nathan sentait déjà son esprit fulminer, en imaginant de multiples hypothèses. D’une manière ou d’une autre, cette mystérieuse femme devait être liée à ce château, sans doute en être la châtelaine. Elle n’en avait pas après Nate ou Sullie, seulement après Camille. Pourquoi ? C’était une question à laquelle ils allaient devoir répondre, car Nathan n’avait pas le sentiment que Camille pourrait la leur apporter... Néanmoins, le fait qu’elle ait réussi à adoucir l’un des monstres de ce château semblait indiquer qu’elle avait des ressources cachées, et que, d’une manière ou d’une autre, elle était liée à cet endroit. Peut-être parce qu’elle était une sorcière ? À moins qu’il n’y ait encore un autre lien... Un lien qui échappait à Nathan, pour le moment.

Il reprenait son souffle, de même que Sullivan, tandis que le gros chien restait proche de Camille, visiblement pour la surveiller. Rassuré, il se léchait les pattes, et la femme finit alors par leur poser une question :

« Je... Vous le sentez vous-aussi ? Elle n'est... Plus là. Juste, plus là. »

Sentir quelque chose ? Sullivan répondit assez rapidement :

« Tout ce que je sens, c’est qu’il fait frisquet ici... Et que je vais conserver ce pendentif avec moi... »

Les deux n’avaient pas entendu le message de la sorcière, ni ressenti sa présence, n’étant pas des sorciers. Nathan regarda à nouveau autour de lui. Mis à part le cadavre qui commençait à pourrir contre un mur, il n’y avait personne, et ce château semblait désespérément vide. Pourtant, l’Ordre Immaculé n’en resterait pas là. Ils étaient têtus, et avaient les moyens d’envoyer des troupes supplémentaires. Néanmoins, le château semblait désespérément vide et silencieux. Mis à part le bruissement du vent, Nathan entendit les croassements de quelques corbeaux, qui tournaient autour du cadavre du mercenaire, probablement pour se nourrir sur son cadavre.

« Vous êtes en état de marcher, Camille ? Je ne crois pas qu’il y ait grand-chose à faire sur cette tour...
 -  On devrait revenir dans la pièce aux sarcophages, je pense qu’il y a une piste à explorer là-bas. »

Nathan était d’accord avec ce point de vue, et Sullivan ouvrit la marche. Un escalier en colimaçon les attendait, et Nathan restait à côté de Camille. Il avait noté que la femme semblait fatiguée, et, malgré le chien infernal à ses côtés, il n’hésiterait pas à la soutenir si le besoin s’en faisait sentir. En bas de l’escalier, il y avait un couloir, menant à un embranchement. Il y avait, au bout du chemin à gauche, une grande pièce, mais Sullie en déconseilla l’accès. C’est là que l’équipe de mercenaires avait été massacrée, sûrement par les espèces de chiens-loups qui les avaient attaqués tantôt, et ce n’était tout simplement pas très beau à voir.

Le groupe revint ensuite là où Nathan avait aidé Camille, et il fallut ensuite emprunter un autre escalier pour rejoindre la salle aux sarcophages.

« Je suis convaincu qu’il y a une réponse ici... » lâcha Sullivan.

Nathan ne dit rien. C’est aussi ce qu’il pensait, mais il n’avait aucune preuve pour en attester. Il n’avait juste que son intuition. Nathan d’avança lentement vers l’un des sarcophages, et posa sa main dessus. Le sarcophage ronronnait. Il n’était pas magicien, mais il pensait que Camille devait sûrement sentir comme des résonances, d’étranges vibrations magiques. Nathan regarda alors à travers un sarcophage, et un frisson le traversa.

« Oh putain ! »

Il y avait des ossements dedans.

Le squelette d’un petit garçon, enfermé ici depuis des siècles, et qui avait lentement commencé à pourrir.