«
Honnêtement, Pez’, et je ne suis pas la seule à le penser, tu devrais apprendre à te détendre.... Baiser un bon coup, ça ne te ferait pas de mal. »
La voiture blindée s’avançait le long d’une rue qui faisait le tour des Spark Towers, un «
quartier difficile » de Tekhos Metropolis, selon l’usage. Les Spark Towers étaient dominés par deux grandes tours centrales, ainsi que par l’ancienne Spark Factory, une ancienne usine de produits chimiques qui, suite à un scandale juridique lié aux produits conçus dans l’usine, ne respectant aucune des normes écologiques mises en place par le Sénat, avait fermé, la société exploitant la Spark Factory ayant mis la clef sous la porte. Plusieurs entreprises avaient par la suite essayé de reprendre la Spark Factory, mais sans succès. Les Towers constituaient, en effet, dans le jargon, un «
ghetto masculin », à l’image des Caligulas, ou des Heights. C’était un endroit où on trouvait énormément de mâles, et où ces derniers peinaient à respecter la loi, ou la présence d’autres femmes. Des endroits où la police évitait de s’enfoncer, car il était fréquent que les gangs de rues les attaquent.
Sarah Pezzini s’avançait avec sa collègue, Myriam Dulell, le long d’un boulevard qui faisait le tour du quartier, en patrouille. Myriam Dulell était sa nouvelle partenaire, une belle femme qui se mettait un parfum sensuel sur les épaules, un parfum qui remplissait l’habitacle de la voiture de police. Les vitres étaient blindées, recouvertes par des protections supplémentaires, et la voiture de police disposait d’une radio permettant, sur pression d’un simple bouton, de contacter le QG. La voiture abritait également une puce de localisation. Tout était fait et pensé pour protéger les policières dans un environnement qui ne leur était pas favorable.
À gauche de la voiture, on pouvait voir le fleuve qui s’écoulait, séparant les Towers du reste de la ville, où d’immenses gratte-ciel toisaient les nuages dans le ciel. Sur leur droite, on voyait des rues sinistres, peu peuplées, où quelques voitures garées se posaient au milieu d’épaves déglinguées, et où des hommes avançaient de part et d’autre. Il ne se passait pas une journée sans qu’il n’y ait une Tekhane qui ne soit violée ou tuée dans ces ghettos. Bizarrement, beaucoup d’adolescentes trouvaient excitants de se rendre dans ces ghettos, malgré les vives recommandations de la police de ne surtout pas en approcher. La direction avait donc ordonné aux commissariats de multiplier les patrouilles, et de montrer qu’il n’y avait qu’une seule autorité à Tekhos : Tekhos. Les lois du Sénat s’appliquaient dans l’intégralité du territoire, y compris des ghettos sinistres où, depuis des années, la municipalité entassait les hommes.
Théoriquement, Sarah faisait ces rondes seule. Tout le monde savait, au bureau, qu’elle n’était pas aussi hostile envers les hommes que la plupart de ses collègues. Un choix surprenant, mais qui faisait qu’elle patrouillait sans problème. Cette fois-ci, Myriam avait décidé de l’accompagner, et Sarah se doutait très aisément de la raison : Myriam avait envie de l’inviter à dîner, et la baiser sec. Tekhos était une société hyper-sexualisée, où les relations sexuelles étaient tout à fait bienvenues entre collègues de travail, afin de renforcer leurs liens. On en était pas encore au point de tolérer le sexe public, mais Sarah s’attendait presque à ce que la législation change sur ce point d’ici quelques années.
«
Ce que je veux dire, c’est qu’il y a rien de mal à coucher avec d’autres personnes, surtout quand on est aussi bien roulée que toi... -
On est en patrouille, là, la sermonna Sarah,
pas dans un club de strip tease lugubre... »
Myriam soupira.
«
Putain, ce que tu peux être rétrograde, Pez’ ! Tu vois, c’est exactement de ça que je veux parler ! Tu comprends pas que tu te prends la tête pour rien ? -
Qu’est-ce que c’est supposé vouloir dire ? demanda l’intéressée en tournant à droite, s’engageant sur une autre grande rue.
-
Ben... Exactement ce que ça veut dire. Le contribuable se fout de ces ghettos, Pez’, y faut pas être un génie pour le réaliser ! On en a rien à secouer de ces mecs, et, si on laissait parler nos Tekhanes, les Sénatrices organiseraient un programme massif de démolition urbaine, afin de tout reconstruire, et de se débarrasser pour de bon de ces sales singes violeurs. -
Tu ne crois pas que c’est un peu simpliste ? Je veux dire, ils sont parqués dans des endroits insalubres, méprisés par le reste de la société... Tu ne crois pas que... ? -
Ce n’est pas une question de croyance, Pez’, c’est génétique ! C’est scientifique, c’est prouvé, irréfutable, inscrit dans le marbre, comme on dit... Un homme est naturellement dominé par ses pulsions, et tient plus d’une espèce de bête sauvage qu’autre chose. Les sociétés primitives en ont besoin pour enfanter, mais, grâce à la technologie, le sexe masculine st définitivement relayé dans la catégorie des races en voie de disparition. »
Sarah ne dit rien. Quand on venait de la Terre, de New York, il était assez troublant de voir une telle politique discriminatoire. Tout ça semblait absurde, totalement idiot, mais, après tout, les pires absurdités avaient souvent été à l’origine des plus grands crimes du monde. Homme ou femme, chacun avait des droits, et Sarah était là pour s’assurer que ces droits soient respectés. Myriam était partie dans une longue explication sur l’inutilité du sexe masculin... Quand il y eut une violente onde de choc, comme si une bombe venait d’exploser. La voiture se mit brusquement à vibrer, et Sarah raffermit ses doigts sur le volant, tout en sentant la voiture perdre le contrôle. Les pneus glissèrent, le pare-brise, en verre renforcé, se fêla, et la voiture partit sur la gauche, filant vers un solide camion de transport. Sarah réussit à redresser les roues, mais la voiture heurta le flanc du camion, et partit en vrille. Elle tournoya avant d’être emportée dans son élan, se soulevant.
Sarah poussa un hurlement de surprise et de douleur quand le toit de la voiture heurta le sol, laissant des myriades d’étincelles, avant de faire un nouveau tonneau et de terminer sa course contre une voiture stationnée. Entre-temps, les airbags avaient jailli, écrabouillant Sarah et Myriam contre leurs sièges, tout en assommant Myriam.
«
Patrouille B-03, Patrouille B-03, ici Central. Veuillez répondre !... -
Aouch... »
Poussant un faible soupir, Sarah se tortilla. Il y avait des bris de verre un peu partout, et elle réussit à diriger sa main vers un bouton qui permettait de rappeler l’airbag. Ce dernier se retira, libérant un poids de la poitrine de la policière. Cette dernière soupira lentement, et attrapa la radio.
«
Cen... Central, ici Patrouille B-03... -
Que vous est-il arrivé, B-03 ? Votre puce s’est affolée sans raison... -
Ouais... Il... Je saurais pas trop comment l’expliquer, mais il y a eu comme une onde de choc, et... J’ai perdu le contrôle du véhicule... -
Une onde de choc ? Où se trouve votre coéquipière ? »
Sarah tourna la tête vers ladite partenaire, et tâta son pouls.
«
Elle est sonnée... Mais elle va bien. -
Il y a eu un impact dans la zone, B-03. Les capteurs sismiques l’ont détecté. Nous vous envoyons des renforts. -
Où se trouve l’épicentre ? »
La standardiste donna les lieux. Les portières de la voiture étaient cabossées, mais, en forçant un peu, Sarah réussit à sortir.Elle se retrouva dehors, titubant un peu. L’épicentre n’était pas très éloigné, et elle se mit à courir, sortant son arme de service de son holster, un
Dakini. La policière s’enfonçait dans des ruelles, quand elle entendit des hurlements paniqués.
«
Au secours ! -
C’est un monstre ! -
Fuyez !! »
Se pinçant les lèvres en se demandant à quoi rimait tout ce cirque, Sarah reprit sa course, s’avançant rapidement à travers des ruelles étroites. La jeune femme avait
noué ses cheveux en queue-de-cheval, et portait un court débardeur blanc, avec un jean. Elle s’engagea dans une nouvelle ruelle, entendant des bruits sur une impasse à gauche. Elle se rapprocha lentement, et jeta un œil... Pour voir une sorte de femme rouge en tenue en cuir moulante écraser un homme contre le mur. Elle défonça une brique et l’homme s’affala sur le sol, mort, ou dans un état proche. Sarah réagit rapidement, et surgit, pointant son arme vers la femme, jambes écartées.
«
Police de Tekhos, inspectrice Sarah Pezzini ! Vous êtes en état d’arrestation ! » lâcha-t-elle sur un ton fort.