Ça pouvait sembler stupide mais Amser ne pouvait pas le dire autrement. Quelques pièces de métal entre les doigts, il se disait tout simplement : la magie, c'est magique. C'était un peu enfantin comme réflexion mais il n'y avait aucun mot, sûrement pour ça qu'il avait fallu en créer un tout particulièrement. Lui qui avait assisté à tant de tour de passe passe et qui forger depuis si longtemps, il lui arrivait de confondre les multitudes sans s'en rendre compte au point de s'être posé un jour une question stupide où cette fois, il confondait ciel et terre, confondant jusqu'aux mortels et leurs dieux. Quelle était l'origine de cette magie ? Amser avait l'impression d'en avoir vu naître et d'autres s'éteindre alors son regard régénéré intégralement se perdait sur ces morceaux d'acier à mi-chemin entre son visage et les flammes de la forge. Quel était cet ancêtre commun ? Le monde était cyclique, peu importe lequel, c'était une règle absolue et pourtant, derrière cette boucle infinie un début. L'art des Runes, les véritables, faisait que le terranide s’imprégnait d'une idée jusqu'à lui donner vie, sans pour autant la poser sur papiers et maintenant, il savait que cette réponse était en lui. A un endroit où il ne voulait pas chercher, trop distrait par un univers en continuellement expansion autour d'un seul point : lui.
« - Que veut le Ciel ? Avez-vous seulement la réponse, seigneur Lanos ? »
Un écho dans son âme et son regard se fermait, s'élevant vers des plus hautes sphères pour enfin être percuté par un rayon lumineux par la porte ouverte qui amenait par ailleurs le premier invité du forgeron, les courants d'air frais. Il faisait encore nuit et pourtant le jour n'allait pas tarder à poindre. Combien de temps avait-il passé à frapper l'acier, entassant couche sur couche sans relâche ? La bassine d'eau était encore fumante du trempage de la lame rougie qui se reposait à présent sur le côté, sur une sorte de petit présentoir. Dormir ? Pas tout de suite. Un petit coup de balai sur le sol pour virer les débris de l'artisanat suffisait à remettre le cerveau et les muscles du titan en marche.
Ô Soleil de Terra, que tu es paresseux, l'heureux boulanger était levé bien avant toi. Les lumières de son échoppe allumées, marquant pour lui le début des hostilités avec ces fourneaux, attiraient comme un insecte un personnage à la taille à la fois impressionnante et monstrueuse nommé Amser.
« - Excuse-moi chef ? Tu peux m'avoir un pain dans une petite heure ?
- Vous repartez à la chasse, m'sieur Amser ? V'd'vriez dormir plus souvent savez ? »
Un sourire en guise de réponse, le travailleur était déjà habitué à la présence du monstre qui s'éloignait sans rien rajouter d'autre mis à part quelques piécettes pour payer son futur dû. Ils ne connaissaient que depuis peu mais savaient déjà les délais de l'un et de l'autre, de quoi faire des bonnes affaires et surtout des bons amis pour le coup !
La seconde étape était une charrette avec un bonhomme grisonnant fumant la pipe qui se reposait encore un peu comme mal réveillé de la courte nuit qu'il avait eu lui-aussi. Son attelage contenait la plupart des aliments préférés d'Amser ; du fromage provenant de divers laits, de la viande séchée ou bien salée, ainsi que quelques branches dont la résine était excellente à sucer ou bien simplement à fumer, friandises à la fois pour les adultes et à la fois pour les enfants. Tout dépendait de comment on s'en servait et dans le cas d'Amser, c'était un peu des deux en réalité !
A moitié surpris, le fermier laissait son camarade s'éloigner avec une petite pile d'argent dans la paume de la main et des brides de discussion encore vivaces en tête. Double ration ? Son vieux rire indiquait qu'il pensait à de la visite chez le forgeron et il n'avait pas tord mais plus encore, il le poursuivait pour lui donner quelques vivres qu'il disait avoir en 'trop' car l'ancêtre connaissait déjà la prochaine destination du géant qui le remerciait comme à son habitude, pressant son pas par la suite comme s'il l'avait attendu pour recevoir ce surplus qui le chargeait comme un âne.
« - Bonjour les enfants. Déjà réveillés ? La Sœur Cassandre va vous taper sur les doigts vous savez ? »
Quel tableau agréable, digne de faire sourire le forgeron épuisé qui admirait une petite ribambelle d'enfants l'attendant déjà. C'était vrai qu'hier, il n'était pas venu parce que sa cliente l'avait surpris et après maintes reproches qui finissaient par attirer les surveillants, Amser s'avouait vaincu et s'excusait humblement en laissant sur place un petit déjeuner pour toute la bande, promettant par la même occasion de revenir ce soir mais de partir tôt. Le travail était une chose fabuleuse limitant la vie des hommes !
Parfait. Du miel et un peu de jus de fruits, le dos du terranide était plein de sa liste de course alors qu'il parvenait à son chez-lui. Quel paresseux ce soleil, Amser avait rencontré un tas de personne qu'il n'était pas encore levé et sûrement qu'il serait au lit avant de voire le moindre rayon. Dormir ? Pas encore. Il disposait sagement le petit déjeuner sur la table près des restes froids mais encore savoureux de cochon, sur des petites plaques de bois qui servaient de plateaux pour tous les ingrédients qu'il avait récolté ainsi que d'assiettes.
« - Bon bon bon... Je finirai la lame cette nuit. De toute manière elle doit encore reposer... »
La lame non finie reposait cette fois près de la table, à l'abri sur un petit râtelier, pour que Sayana puisse la voire et inspecter les détails. La longueur était bonne et à côté, on pouvait déjà voire un pinceau et un petit gobelet plein d'eau et de souffre, ce qui allait servir pour faire la ligne de trempage et le dessin de comète demandé par la belle platine. Visiblement, le forgeron était déjà bien préparé pour la suite de son œuvre mais préférait reprendre des forces avant de se lancer dans une nouvelle affaire, pour bien faire.
Sous son bras, deux livres de contes pour enfant qu'il comptait étudier pour ce soir, dans sa main libre, un gros morceau de tome de fromage qu'il grignotait en progressant vers la salle de bain, comptant le manger. Ne pensant pas changer les draps dans les prochains jours, il ne voulait cependant pas les salir en dormant sur ceux-ci ou bien les couvrir de transpiration alors la meilleure solution à son problème restait probablement un lavage rapide de son corps endolori légèrement par la nuit de travail. L'eau était encore là, froide, mais cela ne le gênait pas. Il fallait varier les plaisirs ! Après des heures en Enfer, un peu de liquide glacé était un plaisir dans lequel il se vautrait nu après avoir semé ses vêtements en cours de route comme le petit Poucet. Les tentacules dans le dos lui servant de matelas, il ouvrait son premier livre alors que le second reposait plus loin sur une petite commode dans la pièce.
Qu'est-ce qu'il pouvait être fatigué... Et comme preuve, la bouquin lui échappait bien vite des doigts, se cassant sur le côté et laissant juste un Amser assoupi dans l'eau de son bain, la bouche béante vers le plafond et un petit ronflement étrangement élégant et sourd pour son imposante stature. Et ça, ça faisait du bien, surtout à lui.