Elles étaient toutes là quand Nika arriva. Lorenza était là, contre un mur, ayant visiblement la furieuse envie de loger une balle entre les deux yeux de Kross. Elaine avait les bras croisés dans un coin, Isabelle était plantée devant Kross, sur le côté. Il y avait aussi Rozalia, Penelo, Angel, Penelo étant assise à côté de Tifa, qui avait visiblement l’air de s’être détendue. Ryouka était assise avec un ordinateur-portable sur les genoux, probablement pour enregistrer la scène. Angel, elle, venait d’éteindre une cigarette. Il y avait même Shea’Rin, qui était accroupie sur le sol, observant Kross en fronçant les sourcils, Bunny restant derrière elle. Elles étaient toutes là quand Nika arriva, en compagnie de Rinako. Chaque Héroïne put noter que Rinako était en colère, et elle directement devant Kross, pour le haranguer :
« Crache ta putain de pastille que je traine ton cul dans une vraie prison ! »
Yeux clos, assis en tailleur, Kross ne répondit pas, tandis que Rozalia se rapprocha de Nika.
« Un problème ? demanda-t-elle dans le creux de l’oreille à Nika, désignant Tifa.
- Sa copine lui manque » rétorqua Nika en haussant les épaules, dédaigneuse.
Vu ses poings serrés, Rozalia doutait que ce soit la seule explication, mais elle n’ajouta rien. L’heure ne s’y prêtait pas. Elles étaient toutes là, et Kross rouvrit lentement les yeux, les observant silencieusement... Avant de lentement se relever.
« Mesdames... Je suis heureux de voir que vous avez décidé de répondre rapidement à ma demande...
- Ne tournez pas autour du pot, Kross, intervint Nika. Plus vous en direz, plus nous serons faire preuve de clémence à votre égard. »
Kross hocha la tête, de haut en bas.
« Oui, oui, je sais ce que vous voulez savoir..., lâcha-t-il, agacé. Mais, puisque vous voulez que je vous parle, permettez que je vous pose une question... Une question à laquelle Ryouka devrait savoir répondre, car je pense que, entre deux films pornos, elle a du se tenir au courant des dernières recherches en la matière. »
Ryouka, surprise, releva le nez, de son écran, en clignant des yeux. Comment est-ce que ce type connaissait son nom ? Elle ne le lui avait jamais donné !
« La connaissance, c’est le pouvoir. Et l’Œil sait tout. Loin de ce monde, dans un autre espace, très éloigné d’ici, un chercheur, il y a plusieurs siècles, a mis au point une invention révolutionnaire, qui, comme toutes les inventions révolutionnaires, a engendré les moqueries de ses collègues... Et, récemment, dans une université tekhane, un colloque scientifique a été organisé autour de cette question...
- ...Les probabilités équationnelles... intervint Ryouka. Comment est-ce que vous... ?
- Laissez-moi parler, jeune fille. Les probabilités sont un vaste domaine mathématique, extrêmement riche et complexe. La théorie des probabilités en est encore à ses balbutiements pratiques, mais, dans cette galaxie lointaine, des chercheurs ont réussi à s’en servir pour prédire l’avenir des grandes civilisations. C’est ce qu’on appelle la psychohistoire, une science qui permet de prévoir le futur, à partir des connaissances sur la psychologie humaine et sur les phénomènes sociaux. Je vous épargne le charabia, ce raisonnement nous dépasse totalement, mais la psychohistoire, concrètement, permet de déterminer le futur prévisible d’une civilisation. »
Quel était le rapport avec la situation actuelle ? Les Héroïnes peinaient à comprendre, sauf Isabelle, qui voyait très bien où Kross voulait en venir avec son histoire... À ces rumeurs lointaines...
« Le défaut de la psychohistoire est qu’elle n’est pas parfaite, car elle ne prédit pas les comportements individuels. Or, l’Histoire démontre que, à bien des reprises, la volonté d’un seul homme a pu infléchir la courbe du temps. Cependant, elle est relativement fiable sur certains points. Cette civilisation était très avancée, et a prédit sa propre destruction, ce qui est effectivement arrivé. L’Œil sait tout, et l’Œil a appris cette méthode. À partir de là, il a vu notre futur. Des profondeurs du cosmos, ils arrivent. Notre monde les attire, car il contient ce qu’ils ont toujours convoité. Vous savez de qui je parle, n’est-ce pas ? Les Anges les ont vus, mais n’y ont pas cru, les confondant avec les hordes démoniaques, avec les Légions de l’Enfer... »
Isabelle ne disait rien, ce qui était en soi un aveu. Le ton de Kross s’emballait légèrement.
« La Nuée arrive. Des galaxies entières sont sous le contrôle de ceux que vous appelez les Formiens. Ils ont modifié des planètes entières, les transformant en gigantesques ruches reliées entre elles, et forment un nuage galactique qui se répand partout. Des civilisations très avancées ont essayé, sans succès, de les repousser. Rien n’arrête la Nuée, et l’Overmind a senti que ce monde abritait un potentiel magique inespéré. Il abrite ce dont l’Overmind a besoin pour renaître. L’astéroïde qui s’est écrasé il y a quelques décennies près de Tekhos, et qui accapare toute l’attention de l’armée tekhane, est un avant-poste guerrier. J’ai vu le futur, Héroïnes. J’ai vu le ciel se nimber de marron, j’ai vu des centaines de ruches encore plus grosses que la Fourmilière s’abattre sur ce monde. J’ai vu la réaction des souverains. »
Kross continuait à parler. Il avait vu Nexus s’entre-déchirer, sombrant dans le désespoir, avant d’être complètement balayée. Il avait vu l’armée impériale ashnardienne se ruer vers une ruche, avant d’être pulvérisée sans aucun espoir. Il avait vu l’immense Palais impérial s’écrouler, il avait vu des villes entières tomber, il avait vu le feu nucléaire s’abattre sur Terra, ravageant le monde, dans un espoir désespéré de supprimer la Nuée. Il avait vu les grandes villes s’écrouler, les immenses gratte-ciel s’effondrer sur le sol. Il avait vu Caelestis tomber de son perchoir, s’écrasant sur le sol dans une explosion cataclysmique.
« C’est un futur inéluctable. Ceux qui survivront seront asservis, noyés dans les ruches immenses, où leurs corps serviront de reproducteurs pendant des millénaires, retenus en vie par leurs drogues et leurs injections, leurs corps brisés, leurs âmes tourmentés. À partir de Terra, l’Overmind pourra se reconstituer. Un corps massif, dépassant l’entendement, un corps stellaire, à partir duquel il attaquera les autres dimensions. Les Cieux tomberont, les démons disparaîtront. La Nuée est déjà en route, traversant l’espace intersidéral pour venir à nous. Demain, dans un an, ou dans un siècle, ils seront là. »
Kross avait parlé sur un ton calme et détaché, créant une sorte de silence de mort au sein des Héroïnes, avant que Lorenza ne tourne sa tête vers Isabelle.
« Il bluffe, hein ? »
Le ton n’était guère convaincant, et Isabelle ferma lentement les yeux, avant de répondre :
« Nous avons vu des empires tomber, confirma-t-elle. Pour chaque Formien tué, des millions revenaient en force. Nous avons vu les nuages marrons qui dominaient l’espace.
- Et l’Œil les a vus. Il a vu Terra disparaître, mais, comme je vous l’ai dit, les décisions individuelles peuvent fausser la donne. L’Œil avait vu le Magicien prendre la Sphère au sein de la Fourmilière, mais c’est vous qui l’avez prise. Le futur n’est pas inébranlable. Je suis venu à vous pour vous soumettre une offre, une proposition. »
Était-ce une manière de dire que Kross se serait laissé capturer ? Nika n’y croyait pas trop, mais elle ne s’était pas vraiment attendue à une telle confession. Kross regarda alors Rinako, et parla :
« Toi, Rinako, tu y échapperas peut-être... Mais Holy et ta belle maison seront pulvérisées par la Nuée. Prie pour que celle que tu considères comme ta fille fassent partie de ceux qui mourront quand Caelestis tombera. Autrement, elle sera violée des millions de fois, et la mort, la seule chose qu’elle pourra encore espérer, lui sera refusée. »