To scatter the darkness [THT]

« Hmm ! Attends ! Tu penses sérieusement que je vais te raconter ce qui se passe au lit avec ma copine ? »

Ça ferait des confidences indirectes, mais Rinako était visiblement encore trop timide pour le faire. Son rire masquait sa gêne, mais Nika ne lui en voulait pas. Elle ne pouvait pas lui en valoir, de toute façon, c’était elle qui avait insisté pour que Rinako les rejoigne. En tout cas, Nika avait visé juste en anticipant le caractère de la copine de Rinako : une fonceuse. Pour être honnête, ce n’était qu’une question de déduction. Rinako avait besoin qu’on la pousse au cul, mais il fallait le faire avec une certaine finesse. Si sa copine avait réussi, c’est qu’elle était douée. Et, visiblement, le fait d’être amoureuse avait beaucoup influé sur Rinako. Nika ne pouvait pas en dire autant : l’amour n’avait entraîné chez elle que des déceptions, et elle ne le recherchait plus. Elle avait l’amour de Ryouka, sa « sœur », et c’était amplement suffisant.

« Et je me doute que Ryouka va péter un câble en m'imaginant au lit avec une autre Celkhane. Alors je préfère épargner mon romantisme. Tu m'en veux pas, j'espère ?
 -  Non, mais... »

Elle se tut alors, se mordillant les lèvres. Cette vision de sa sœur... C’était une chose que Nika allait devoir corriger. D’un certain côté, il était flatteur de considérer que Ryouka pouvait être jalouse à cause de vous, mais c’était vraiment mal la connaître que de supposer une telle chose. Peut-être, dans le fond, était-ce là le nœud du problème ? L’incompréhension entre elle et les Héroïnes ? Rinako s’obstinait à les voir comme des bourrines incapables de faire preuve de finesse. C’était une analyse inexacte. La Celkhane finit par en revenir à Kross, adoptant un ton froid et professionnel. Un ton qui ne lui allait pas, et qui fit froncer les sourcils de Nika.

« Quel défaitisme... Je crois surtout que tu veux faire table rase du passé, Rinako. Mais, si tu comptes rester ici en attendant que Kross soit prêt, tu risques d’attendre longtemps, le brave n’a encore rien dit. »

Nika s’avança un peu, et appuya sur un bouton rouge situé contre le mur, ce qui abaissa lentement le portail du garage, dans un sinistre grincement. En appuyant sur un autre bouton, des lampes s’allumèrent en hauteur, afin de les éclairer.

« Enfin, je peux comprendre que mon petit cul ne t’attire plus autant, maintenant que tu en as un autre à caresser... Mais, par contre... Tu devrais vraiment aller le dire à Ryouka, elle pourrait te surprendre. »

Et, vu comment Rinako avait l’air blasée, un peu de surprise ne pourrait pas lui faire de mal. Nika connaissait sa sœur mieux que quiconque, et elle savait donc très bien comment cette dernière réagirait à la nouvelle. Et il y avait en réalité aucune chance qu’elle s’énerve. Que Rinako pense ça était assez amusant. Paradoxalement, ça sous-entendait pas mal de choses.

« Peut-être que c’est pour ça que tu boudes et que tu irrites les autres, hum ? Ou que tu as préféré t’isoler, plutôt que de voir Ryouka ? Hey, mon cul te fait peut-être toujours de l’effet, fi... »

Elle n’eut pas le temps de poursuivre sur sa lancée, car ses branches vrombirent légèrement, annonçant un message. La voix fluette de Ryouka jaillit dans son oreille :

« Kross veut tous nous parler, Nika.
 -  Tous ?
 -  Tous. Y compris Rinako.
 -  Et... Quand ?
 -  Dans les plus brefs délais, mais il ne dira rien si nous ne sommes pas tous là. Remue-toi le cul, frangine ! »

Nika soupira, tandis que la transmission s’éteignit. Elle porta alors son regard vers Rinako :

« Navrée, ma belle, mais ton isolement se termine. Ton prisonnier veut une réunion générale, alors je crois que tu vas devoir encore supporter notre compagnie de perverses déglinguées... Je te laisse passer devant ? »

Comme ça, Nika pourrait mater ses fesses. Dans toutes les situations, il était important de revenir aux fondamentaux.

J'en ai marre. Comment elle veulent que je me braque pas tout le temps vu la façon dont elles me traitent ? Et surtout dont elles le traitent lui, juste sous mon nez.

" Putain mais je rêve ?! Tu m'enfermes pour me faire subir tes conneries, et tu me relâches seulement pour qu'on accoure aux pieds de ce connard ? Je suis conne ou boudeuse si je dis qu'on est pas sensées faire les quatre volontés du putain de prisonnier ? "

Le rideau n'est même pas rouvert en entier que je me glisse dessus. Et c'est pas en me relevant que j'arrête de pester. Elles veulent pas d'armistice ? Très bien : elles auront la guerre.

" J'en ai marre de vous, Nika ! C'est plus clair comme ça ? Vous passez toutes votre temps à me rabaisser, vous foutre de ma gueule ou détourner mes paroles. Quand vous m'ignorez pas complètement ! J'en ai marre de gaspiller ma salive avec toi et les autres ! On a jamais été d'accord que sur une chose : mon dépucelage. Je vais pas me casser éternellement la tête contre cette image à la con que vous vous faites de moi. "

En route pour les cellules, les couloirs défilent déjà. Mais je prends bien garde à ce que Nika ne rate rien de ce que je dis, et si d'autres nous entendent c'est d'autant mieux. Elles seront prévenues.

" Vous vous foutez toutes complètement de qui je suis. Tout ce qui compte pour vous c'est d'avoir le dernier mot et de m'écraser comme une merde. C'est à vous de me dire ce que je dois penser, ce que je dois ressentir, ce que je dois croire. Je dois obéir en fermant ma gueule, accepter toutes les conneries que vous me servez, et avec le sourire ! Je dois subir vos opinions tranchées et me foutre les miennes au cul. C'est comme ça depuis le tout début. Tu me trouves défaitiste ? Alors je serais quoi si je me contentais d'oublier qui je suis pour gentiment me laisser dresser ? "

On arrive déjà devant la porte. Je pose la main sur la commande d'ouverture et tourne la tête pour fusiller Nika du regard. Elle prend pour les autres, mais elle en a fait plus que toutes les autres réunies.

" Vous me traitez pas comme une gamine, Nika : vous me traitez comme une esclave. "

Ouverture. Je rentre dans le couloir des cellules en ignorant royalement toutes les femmes présentes. Mes yeux braquent déjà Kross, je voudrais lui coller une balle en pleine gueule et partir directement en volant.

" Crache ta putain de pastille que je traine ton cul dans une vraie prison ! "

Et que je m'arrache enfin de la mienne.

Elles étaient toutes là quand Nika arriva. Lorenza était là, contre un mur, ayant visiblement la furieuse envie de loger une balle entre les deux yeux de Kross. Elaine avait les bras croisés dans un coin, Isabelle était plantée devant Kross, sur le côté. Il y avait aussi Rozalia, Penelo, Angel, Penelo étant assise à côté de Tifa, qui avait visiblement l’air de s’être détendue. Ryouka était assise avec un ordinateur-portable sur les genoux, probablement pour enregistrer la scène. Angel, elle, venait d’éteindre une cigarette. Il y avait même Shea’Rin, qui était accroupie sur le sol, observant Kross en fronçant les sourcils, Bunny restant derrière elle. Elles étaient toutes là quand Nika arriva, en compagnie de Rinako. Chaque Héroïne put noter que Rinako était en colère, et elle directement devant Kross, pour le haranguer :

« Crache ta putain de pastille que je traine ton cul dans une vraie prison ! »

Yeux clos, assis en tailleur, Kross ne répondit pas, tandis que Rozalia se rapprocha de Nika.

« Un problème ? demanda-t-elle dans le creux de l’oreille à Nika, désignant Tifa.
 -  Sa copine lui manque » rétorqua Nika en haussant les épaules, dédaigneuse.

Vu ses poings serrés, Rozalia doutait que ce soit la seule explication, mais elle n’ajouta rien. L’heure ne s’y prêtait pas. Elles étaient toutes là, et Kross rouvrit lentement les yeux, les observant silencieusement... Avant de lentement se relever.

« Mesdames... Je suis heureux de voir que vous avez décidé de répondre rapidement à ma demande...
 -  Ne tournez pas autour du pot, Kross, intervint Nika. Plus vous en direz, plus nous serons faire preuve de clémence à votre égard. »

Kross hocha la tête, de haut en bas.

« Oui, oui, je sais ce que vous voulez savoir..., lâcha-t-il, agacé. Mais, puisque vous voulez que je vous parle, permettez que je vous pose une question... Une question à laquelle Ryouka devrait savoir répondre, car je pense que, entre deux films pornos, elle a du se tenir au courant des dernières recherches en la matière. »

Ryouka, surprise, releva le nez, de son écran, en clignant des yeux. Comment est-ce que ce type connaissait son nom ? Elle ne le lui avait jamais donné !

« La connaissance, c’est le pouvoir. Et l’Œil sait tout. Loin de ce monde, dans un autre espace, très éloigné d’ici, un chercheur, il y a plusieurs siècles, a mis au point une invention révolutionnaire, qui, comme toutes les inventions révolutionnaires, a engendré les moqueries de ses collègues... Et, récemment, dans une université tekhane, un colloque scientifique a été organisé autour de cette question...
 -  ...Les probabilités équationnelles... intervint Ryouka. Comment est-ce que vous... ?
 -  Laissez-moi parler, jeune fille. Les probabilités sont un vaste domaine mathématique, extrêmement riche et complexe. La théorie des probabilités en est encore à ses balbutiements pratiques, mais, dans cette galaxie lointaine, des chercheurs ont réussi à s’en servir pour prédire l’avenir des grandes civilisations. C’est ce qu’on appelle la psychohistoire, une science qui permet de prévoir le futur, à partir des connaissances sur la psychologie humaine et sur les phénomènes sociaux. Je vous épargne le charabia, ce raisonnement nous dépasse totalement, mais la psychohistoire, concrètement, permet de déterminer le futur prévisible d’une civilisation. »

Quel était le rapport avec la situation actuelle ? Les Héroïnes peinaient à comprendre, sauf Isabelle, qui voyait très bien où Kross voulait en venir avec son histoire... À ces rumeurs lointaines...

« Le défaut de la psychohistoire est qu’elle n’est pas parfaite, car elle ne prédit pas les comportements individuels. Or, l’Histoire démontre que, à bien des reprises, la volonté d’un seul homme a pu infléchir la courbe du temps. Cependant, elle est relativement fiable sur certains points. Cette civilisation était très avancée, et a prédit sa propre destruction, ce qui est effectivement arrivé. L’Œil sait tout, et l’Œil a appris cette méthode. À partir de là, il a vu notre futur. Des profondeurs du cosmos, ils arrivent. Notre monde les attire, car il contient ce qu’ils ont toujours convoité. Vous savez de qui je parle, n’est-ce pas ? Les Anges les ont vus, mais n’y ont pas cru, les confondant avec les hordes démoniaques, avec les Légions de l’Enfer... »

Isabelle ne disait rien, ce qui était en soi un aveu. Le ton de Kross s’emballait légèrement.

« La Nuée arrive. Des galaxies entières sont sous le contrôle de ceux que vous appelez les Formiens. Ils ont modifié des planètes entières, les transformant en gigantesques ruches reliées entre elles, et forment un nuage galactique qui se répand partout. Des civilisations très avancées ont essayé, sans succès, de les repousser. Rien n’arrête la Nuée, et l’Overmind a senti que ce monde abritait un potentiel magique inespéré. Il abrite ce dont l’Overmind a besoin pour renaître. L’astéroïde qui s’est écrasé il y a quelques décennies près de Tekhos, et qui accapare toute l’attention de l’armée tekhane, est un avant-poste guerrier. J’ai vu le futur, Héroïnes. J’ai vu le ciel se nimber de marron, j’ai vu des centaines de ruches encore plus grosses que la Fourmilière s’abattre sur ce monde. J’ai vu la réaction des souverains. »

Kross continuait à parler. Il avait vu Nexus s’entre-déchirer, sombrant dans le désespoir, avant d’être complètement balayée. Il avait vu l’armée impériale ashnardienne se ruer vers une ruche, avant d’être pulvérisée sans aucun espoir. Il avait vu l’immense Palais impérial s’écrouler, il avait vu des villes entières tomber, il avait vu le feu nucléaire s’abattre sur Terra, ravageant le monde, dans un espoir désespéré de supprimer la Nuée. Il avait vu les grandes villes s’écrouler, les immenses gratte-ciel s’effondrer sur le sol. Il avait vu Caelestis tomber de son perchoir, s’écrasant sur le sol dans une explosion cataclysmique.

« C’est un futur inéluctable. Ceux qui survivront seront asservis, noyés dans les ruches immenses, où leurs corps serviront de reproducteurs pendant des millénaires, retenus en vie par leurs drogues et leurs injections, leurs corps brisés, leurs âmes tourmentés. À partir de Terra, l’Overmind pourra se reconstituer. Un corps massif, dépassant l’entendement, un corps stellaire, à partir duquel il attaquera les autres dimensions. Les Cieux tomberont, les démons disparaîtront. La Nuée est déjà en route, traversant l’espace intersidéral pour venir à nous. Demain, dans un an, ou dans un siècle, ils seront là. »

Kross avait parlé sur un ton calme et détaché, créant une sorte de silence de mort au sein des Héroïnes, avant que Lorenza ne tourne sa tête vers Isabelle.

« Il bluffe, hein ? »

Le ton n’était guère convaincant, et Isabelle ferma lentement les yeux, avant de répondre :

« Nous avons vu des empires tomber, confirma-t-elle. Pour chaque Formien tué, des millions revenaient en force. Nous avons vu les nuages marrons qui dominaient l’espace.
 -  Et l’Œil les a vus. Il a vu Terra disparaître, mais, comme je vous l’ai dit, les décisions individuelles peuvent fausser la donne. L’Œil avait vu le Magicien prendre la Sphère au sein de la Fourmilière, mais c’est vous qui l’avez prise. Le futur n’est pas inébranlable. Je suis venu à vous pour vous soumettre une offre, une proposition. »

Était-ce une manière de dire que Kross se serait laissé capturer ? Nika n’y croyait pas trop, mais elle ne s’était pas vraiment attendue à une telle confession. Kross regarda alors Rinako, et parla :

« Toi, Rinako, tu y échapperas peut-être... Mais Holy et ta belle maison seront pulvérisées par la Nuée. Prie pour que celle que tu considères comme ta fille fassent partie de ceux qui mourront quand Caelestis tombera. Autrement, elle sera violée des millions de fois, et la mort, la seule chose qu’elle pourra encore espérer, lui sera refusée. »

Sans surprise Isabelle m'a toujours l'air d'une conne. Kross est sensé être un atout, un prisonnier de premier plan, et comme une cruche elle radine absolument tous ses effectifs dos à la porte. Faut vraiment que je m'arrache de ce trou. Je m'adosse au premier mur qui vient, bras croisés, et je me concentre sur la nécessité impérative de ne pas massacrer tout le monde. Mais très vite l'enfoiré derrière les barreaux m'y aide. Ce n'est plus vraiment le connard à qui j'ai foutu sa branlée, ni même celui qui m'a cherché tout à l'heure. Sachant que le big boss peut vider la tête de ses seconds pour prendre leur place à distance... Mais il peut très bien jouer un autre jeu. Ryouka a l'air sur le cul, la pauvre.

L'Œil ! Bouh que ça fait peur ! Ryouka m'a bien gavé avec sa baise en ligne et ses pornos, elle passe tout son temps connectée à des réseaux de tous poils, c'est une pirate informatique et elle s'étonne d'être citée... Deux solution : soit Kross est bien informé et il essaie de s'imposer, soit les infos viennent directement du patron qui essaie lui aussi de s'imposer. Dans un cas comme dans l'autre il y a de fortes chances que je revienne sans lui, cette situation prend une toute autre importance. Il faudra que je rapporte fidèlement les propos du prisonnier dans mon rapport. Pas besoin de les comprendre et hors de question de me laisser entraîner : je dois en apprendre et en retenir le plus possible.

Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine... Sérieux ? Plus j'en entends plus je m'étonne de voir toutes ces femmes si choquées. Les modèles prévisionnels : c'est pas nouveau. Elle on jamais entendu parler de la pub ou quoi ? Bref ! Psychohistoire, un genre de sociaux à grande échelle, sur lequel les Tekhane se creuse apparemment la soupière. Ensuite un plus dans la case des trucs qui font peur : le gros Nœ-nœil et les Formiens. La Fourmilière n'est pas la seule merde du genre farcie de bestioles qui flotte dans l'espace, et d'autres risquent de nous tomber dessus. Je pensais que c'était admis. Les Tekhanes ont des radars et des téléscopes qui sondent le ciel à la recherche de ces menacent.

Et Kross nous joue les prophètes habité par ses visions apocalyptiques. Dire que je vais devoir retranscrire aussi fidèlement que possible ces conneries... Et il maintenant il s'est laissé faire ? Bien. La prochaine fois je serais ravie de lui plier une articulation dans le mauvais sens pour lui obtenir un rencard avec miss Douce et Fraîche. Je ne dois pas me laisser énerver. Si le patron est aux commandes... Si c'est toi, le gros connard Gras-Moisi, tu vas devoir tomber le masque. Pour l'instant tout ce que j'ai sous les yeux c'est un bouffon qui se prend pour un roi.

Kross me parle directement, et si c'est pas un appel à la fracture ouverte ça y ressemble. Holy... Rien que d'entendre tout ça me donne envie d'aller lui éclater sa sale gueule. Mais c'est plus le jeu. Et si d'aventure ses prédictions merdiques venaient à se réaliser... Non, tu vas quand même pas répondre à ce connard, ma fille ? Ou si, justement. Tant qu'à faire je peux mettre les points sur les i.

" Je la tuerai avant. "

Sans ciller, sans hausser le ton. On m'invite, je viens. Je ne décolle pas du mur pour balayer lentement les Héroïnes du regard.

" Elle a cinq ans. On l'a trouvée dans un bunker de trafiquants. Sa mère avait été exécutée en voulant la défendre, et vidée de ses organes pour le marché noir. Holy avait encore le cul dilaté et débordant de foutre quand on l'a trouvée. Je lui ai juré qu'elle subirait plus jamais ça. "

Je sais comment ces connards procèdent, sur quoi ils jouent pour nous manipuler et nous enfiler en beauté. Les meilleures défense sont la solidarité et la transparence. Ici la solidarité n'est pas envisageable, je ne peux jouer que la transparence. Mon regard revient à Kross.

" Tout le monde ici se branle de mon avis, alors fait pas comme si ça t'intéressait. Et je trouve la remarque plutôt maladroite venant du gars qui a séquestré et violé ma mère. "

Mes sourcils se froncent encore un peu.

" Mais je suis pas certaine de m'adresser à lui, et dans le fond ça change rien. Caelestis a été fondé par un groupe dissident, on est seules depuis le début et on le sait. Tes Formiens par millions font que rallonger une liste qui compte tout Terra. Tu n'arriveras pas à m'impressionner avec ça. Alors si t'es Kross tu vas finir ton histoire en restant factuel avant que je te pètes quelques articulations pour faire avance-rapide. Et si t'es le marionnettiste à la con : tu vas me donner ta proposition que je ferais tourner à mes supérieures, tu vas commencer à te faire à l'idée qu'un jour je remonterai les fils de tes pantins pour te tuer. "

Le petit discours de Kross eut l’effet donné : pendant quelques secondes, il instaura un silence de mort. Aucune des Héroïnes ne savait trop quoi dire, et ce fut Rinako qui intervint :

« Je la tuerai avant »

La petite femme, restant dos vissé contre le mur, en position de retrait, consentit à donner quelques explications. Holy était une gamine de cinq ans, martyrisée par des esclavagistes, violée... À l’âge de cinq ans, c’était écœurant. Le monde était rempli de malades et de monstres. Visiblement, Rinako avait décidé de la prendre. Aucune des Héroïnes n’osant parler, Rinako poursuivit, s’adressant à Kross, qui l’écouta silencieusement, sans rien dire, avant qu’un sourire amusé ne traverse ses lèvres quand Rinako termina son petit discours sur Caelestis :

« Alors si t'es Kross tu vas finir ton histoire en restant factuel avant que je te pètes quelques articulations pour faire avance-rapide. Et si t'es le marionnettiste à la con : tu vas me donner ta proposition que je ferais tourner à mes supérieures, tu vas commencer à te faire à l'idée qu'un jour je remonterai les fils de tes pantins pour te tuer. »

Kross pencha la tête sur le côté, et répondit plutôt rapidement :

« Rassure-toi, Rinako, je suis bien ton papa adoré... Et autre chose, à la fois. Il m’est difficile de te l’expliquer, car je ne suis moi-même pas trop sûr de comprendre ce que le Magicien m’a fait, mais... Enfin, disons que c’est mon corps, mes pensées, mes souvenirs, mais pas forcément mes leçons... En gros... »

Ce n’était pas très clair, mais, pour Nika, c’était sans importance. Ce type était un connard, le reste importait peu. Elle lui aurait bien éclaté la cervelle sur place, rien que pour se détendre. Une chose était sûre : après cet interrogatoire, elle irait rejoindre Tifa pour une partie virtuelle endiablée. Probablement « Super Tekhos Strike », ce jeu de combat où on pouvait cogner sur des centaines de Formiens en même temps, avec des déjections de tripes et d’hémoglobine qui vous pétaient à la gueule.

« Du reste, Rinako, je suis désolé de briser tes douces illusions, mais un petit groupe de dissidentes n’aurait jamais pu faire flotter seule un Archipel. Caelestis a été créé par les Anges, et vous avez les mêmes qualités et les mêmes défauts que ces chers emplumés... Cette même tendance arrogante et insupportable de ne voir que la surface des choses, de régler les problèmes simplement par leur enveloppe extérieure... Nous ne pouvons pas nous fier aux Anges... Du moins, c’est ce que nous pensons... Mais il en existe certains qui sont plus malins que d’autres... N’est-ce pas, Isabelle ? »

Isabelle Desforges avait toujours les bras croisés, qui soupira lentement.

« C’est la Sphère que vous voulez.
 -   Bingo ! Oh, putain, toi, je t’aime, ma belle ! »

Et Kross se mit à rigoler en l’applaudissant. Aucune Héroïne ne goûtait à son humour.

« À votre avis ? Qu’est-ce que je pourrais bien vouloir d’autre ? Cette Sphère est à nous. Les Formiens nous l’ont volé, et nous avons déployé des efforts incroyables pour la récupérer... Jusqu’à ce que trois petites putes nous la volent sous le nez. Vous croyez pouvoir prendre ce qui est aux autres et espérer vous en sortir comme ça, misérables salopes de merde ? Ma proposition est très simple. Dans deux jours, nous viendrons récupérer la Sphère. Deux jours, et non trois, Isabelle. »

Elle ne dit rien, serrant les dents.

« Dans trois jours, vous mettrez la Sphère dehors, bien en évidence. Nous la prendrons, et nous partirons. Moi ? Mon sort importe peu... Et puis, il faut bien que je passe du temps avec ma fille... Je suis sûr que nous avons beaucoup de choses à partager, elle et moi... Les réunions de familles, vous savez ce que c’est... »

Ce type était abject, mais, derrière son humour et sa suffisance, Nika devinait un individu à l’esprit retors et vicieux... Quelqu’un sans émotion.

« Et si nous refusons ? »

Kross haussa les épaules.

« Alors, nous irons chercher la Sphère... Et nous vous tuerons. Tu vas être contente, Rinako, le marionnettiste y sera en personne. Peut-être que ton cher papa te protègera de lui, mais j’en doute... Après tout, tu as levé la main sur moi, alors, quand il te pétera ta petite gueule, sois sûre que j’irais voir ta chère Suki. Je lui ferais bouffer son armure, et ta charmante Holy, je lui labourerais tellement le cul qu’elle deviendra une putain d’estropiée. Vous allez comprendre ce qui se passe quand on se mêle des affaires des grands, mes beautés. »

À cet instant, un champ électrique s’activa dans la cellule, et Kross ne dit plus rien, se mettant à gémir faiblement, le corps traversé par de puissants arcs électriques, qui durèrent une quinzaine de secondes, avant que Lorenza ne relâche le bouton actionnant les champs électriques.

« Là, tu t’excites un peu trop... Tout ce que ton Boss verra dans trois jours, c’est ta carcasse dévorée par les mites. S’il ramène son cul par ici, je lui fourrerais le canon de mon fusil à pompe dans le cul, et je le couperais en deux. »

Voilà qui terminait les négociations.

Mon cher papa ? Ma mère avait plus de couilles que cette merde, métaphoriquement bien sûr. Et bon, s'il est un peu des deux il peut prendre toutes les menaces que je viens de formuler. Je devrais peut-être m'étonner mais non, pourtant son discours sur Caelestis ne vole pas bien loin de celui des autres. Comme d'hab les Anges récoltes les lauriers, mais quand il s'agit d'aller risquer sa peau pour sauver des esclaves c'est pour les commandos. De toute façon je me branle de l'avis de ce cadavre qui s'ignore.

Et bingo ! Qu'elle est conne, celle-là ! Qu'est-ce que les méchant peuvent bien vouloir ? Le trucs qu'on leur a fauché dans la Fourmilière ? Sérieux ? Les trois petites putes ont bien baisé le mac des macs, je ne peux pas m'empêcher de sourire. Ce connard pathétique se la joue et tout le monde a l'air de suivre. Mais qu'il continue, c'est tellement drôle ! Même quand il se met à me chercher en menaçant Suki et Holy je trouve ça comique. Donc forcément j'apprécie pas qu'on le coupe.

" Lorenza ! J'écoutais, je te signale ! "

Je gueule pas, je me plains comme si elle avait changé de chaîne sans me demander mon avis. Le sourire ne tarde pas à me revenir. J'approche des barreaux derrière lesquels mon géniteur est affalé, les cheveux encore plus ébouriffés que d'habitude. Dire que j'ai été dans sa situation avec Rayka.

" Arrêtez un peu de faire ces tronches, moi je trouve tout ça marrant. Il nous traite de petites putes, de misérables salopes de merde et tout... Mais dans l'histoire c'est lui qui est de la baise. Son patron l'invincible enculé de sa race aussi a été de la baise. Et je suis partante pour la revanche quand ils veulent. "

Je tourne les yeux vers Isabelle.

" De toute façon ils viennent réclamer. "

Puis je m'en détourne pour ouvrir la porte.

" Bon ! Moi j'ai la dalle. Et des boulets qui veulent enculer toutes mes proches j'en vois assez sur le terrain. "

C'est affolant à quel point on devient vite blasée de ce genre de menaces. Je quitte la salle mais j'attends Isabelle à la sortie. Je la joue légère devant l'autre abruti mais je n'oublie pas la gravité de la situation, ni les détails. Quand l'emmerdeuse emplumée sort de là c'est à elle que je m'adresse.

" Faut le piquer à la dymérite. Quand Rayka nous a chopées à la Fourmilière, elle m'a collé des menottes comme les siennes et elle m'a électrocutée. Si j'ai réussi à utiliser mes pouvoirs pour me libérer il risque d'en être capable aussi. "

Quelque chose me dit que cet enfoiré ne verra jamais le tribunal de Caelestis, je me vois mal en faire un drame au vu des circonstances. je vais laisser Isabelle flipper dans son coin pour concentrer sur la facette excitante du problème : on va avoir une chance de torcher ce merdier une fois pour toutes.

L’interrogatoire, si tant est qu’on puisse appeler cette discussion un interrogatoire, se termina ainsi, avec de nombreuses questions en suspens, mais aussi beaucoup de réponses. Dans deux jours, le Magicien viendrait. Celui qui avait transformé un vulgaire Tekhan sans envergure en un dangereux Psychique, MasterMind, capable d’aller jusqu’à perturber le lien mental de l’Overmind. Quelqu’un qui en savait beaucoup sur elles, ce qui troublait Overlord. Son groupe était plutôt assez méconnu, une organisation discrète qui s’était installé dans un ancien bunker militaire pour le reconstruire, et le réadapter. Comment en savait-il sur elles ? De quoi ce Magicien était-il capable ? Isabelle avait un très mauvais pressentiment. Deux jours... Trop court pour obtenir des renforts des Cieux, le magicien connaissait la musique. Le temps d’aller là-bas, même en empruntant les Portails les plus rapides, il faudrait un minimum de trois jours. Contrairement à Terra et la Terre, les Cieux n’étaient pas sur le même plan dimensionnel, mais dans un autre couloir, et les passerelles étaient bien plus longues à prendre.

« Bon ! Moi j'ai la dalle, décréta soudain Rinako. Et des boulets qui veulent enculer toutes mes proches j'en vois assez sur le terrain. »

Cette idée sembla convaincre les Héroïnes, qui décidèrent d’aller vers le réfectoire. Isabelle, elle, continuait à réfléchir. Cette idée lui déplaisait, mais elle n’en voyait pas d’autre. Elle ne commettrait pas le péché d’orgueil en sous-estimant le Magicien. Si c’était bien de lui dont il s’agissait...

*Mais je vais devoir déployer Elaine... Puis-je seulement m’y risquer ?*

Mais avait-elle vraiment le choix ? Elle détestait cette situation. Elle fut la dernière à sortir, Elaine notant son trouble. Cependant, Red Armor savait qu’il ne fallait pas déranger sa mère quand elle était ainsi, et Elaine était polie et respectueuse. Elle sortit donc rapidement. Elle était la plus nerveuse de toutes les Héroïnes. Elles allaient donc se faire attaquer ? C’était terrible ! De plus, ces gens avaient l’air de savoir beaucoup de choses sur elles... Il y avait de quoi être troublée ! Isabelle sortit, et tomba sur Rinako, qui lui fit une suggestion qui la sortit de ses réflexions.

« Faut le piquer à la dymérite. Quand Rayka nous a chopées à la Fourmilière, elle m'a collé des menottes comme les siennes et elle m'a électrocutée. Si j'ai réussi à utiliser mes pouvoirs pour me libérer il risque d'en être capable aussi. »

Parlait-elle du Magicien ? De Kross ? Se pouvait-il que, malgré ses bravades, la Celkhane soit légèrement inquiète ? Elle avait clairement expliqué à Overlord en quoi cette dernière était une incompétente. La revoir faire un conseil était donc troublant. Travailler avec des femmes fortes, qui masquaient perpétuellement leurs émotions, ce n’était vraiment pas de tout repos.

« Tu parles de Kross, je suppose ? C’est une bonne idée... Mais je ne pense pas qu’il cherche à s’évader. De toute manière, les barreaux ne sont pas qu’en acier. Tu as peut-être du le sentir, c’est de l’obsidienne. Malheureusement, la dymérite est un minerai très dur à produire, et très onéreux... Nous en avons quelques stocks, mais je préfère les conserver contre le Magicien... »

Les balles à la dymérite seraient peut-être une arme efficace contre elle. Isabelle s’avança, rejoignant la cafétéria.

« Pourquoi attendre deux jours ? demanda Tifa à Lorenza.
 -  Parce que nous ne pourrons pas recevoir de renforts pendant ce délai. Même si on appelait les Celkhanes, comme nous ne faisons pas partie de leur armée, le temps qu’elles se concertent, décident d’envoyer des troupes, et que leurs commandos arrivent, il se sera écoulé deux jours.
 -  Et les Anges ? Je croyais qu’ils se déplaçaient plus vite que la lumière...
 -  Les Cieux ne sont pas sur le même plan dimensionnel. Bien sûr, on pourrait instantanément les invoquer en priant, mais je ne pense pas que nous ayons une âme suffisamment pure pour ça... Et, pour anticiper ta prochaine question, Elaine est une Ange, elle ne peut pas se prier elle-même. »

Tifa sembla se renfrogner.

« Alors, on va devoir se défendre seules...
 -  Ce bunker est capable de soutenir un siège, répliqua Nika. Rappelle-toi qu’il a précisément été conçu pour ce genre de choses. »

Tifa fit la moue. Elle venait de Terre. Le Titanic avait été conçu pour être un super-navire insubmersible, et un choc avec un iceberg l’avait englouti.

La cafétéria fonctionnait comme un self-service, avec des plateaux, et une série de plats. C’était Bunny qui était aux fourneaux, et il y avait essentiellement des pâtisseries et des viennoiseries.

Rinako n’eut pas vraiment le temps de faire grand-chose qu’une main se leva devant elle. Une main gantée appartenant à une femme aux cheveux courts et argentés. Ryouka, alias Brainstorm.

« Hey, Rinako ! Tu veux bien poser tes fesses à côté de moi ? J’ai envie de te dire un turc super important ! »

Je préfère m'abstenir de suggérer un plan B pour Kross. B comme comme balles : deux dans le cœur et une dans la tête pour éliminer le risque. Je réprime aussi une pointe de colère, parce que son minerai rare et précieux j'en ai reçu un échantillon gratuit au coin de la gueule dans la Fourmilière ! J'abandonne l'idée de demander du renfort, elles sont bien assez emmerdées avec une seule Celkhane. D'ailleurs j'imagine que je vais encore bien les emmerder, mais quand j'entends des énormités pareilles...

" Et rappelle-toi que les Xenos ont refait la déco d'un autre bunker imprenable pendant qu'on était dedans, Nika. Tifa a raison de s'inquiéter. "

Un bunker c'est avant tout une saleté de trou dans le sol, ça n'a rien de rassurant. Et vu comme elle en a parlé ce n'est pas pour le fun qu'elle était sortie flinguer des radscorpions. En garnissant mon plateau je pèse la situation à mon niveau. Verdict ? On va toutes mourir. Mais si dans la mêlée on peut porter un sale coup à l'ennemi ce sera ça de pris. Je ferais mieux de foutre le camp mais ce serait renier mes principes en plus de désobéir aux ordres. Reste à espérer que cette fois Isabelle pondra une strat potable, et qu'il va se mettre à pleuvoir dans le désert tant qu'on y est.

Avant toute chose il faut buter Kross, mais est-ce que je dois en parler à quelqu'un avant de le faire ? Je ne suis pas encore décidée sur ce point.

Soudain je sursaute, mon plateau manque de se faire la malle. Ryouka veut me parler d'un truc important ? Ça fait peur. J'hésite une seconde devant la forte probabilité de me prendre encore la tête avec une Zéroïne. Mais je viens d'en reprendre pour deux jours sans compter le siège qu'on va subir, je vais pas passer tout ce temps planquée dans mon coin même si c'est pas l'envie qui manque. Je pose donc mes fesses à côté d'elle en m'efforçant de sourire un peu. Elle n'a jamais été chiante avec moi, j'espère que ça va pas changer.

" Important comment ? "

Ryouka lui était quasiment tombée dessus. Observatrice, Ryouka avait vu Isabelle s’isoler dans un coin, avec sa fille. Difficile de saisir leur conservation, mais, vu les grands yeux étonnés d’Elaine, ça avait l’air important. Ryouka se serait bien rapprochée, mais son attention fut alors accaparée par Rinako. Depuis que sa Celkhane chérie était rentrée au bunker, elle n’avait pas encore eu une seule occasion de la voir ! C’était à croire qu’elle cherchait à l’éviter ! Mais qui donc voudrait éviter une fille aussi adorable et magnifique que Ryouka ? La Celkhane semblait visiblement plongée dans ses pensées, et, quand la voix de Ryouka fusa, elle sursauta, comme si elle était prise en faute.

*Je me demande bien à quoi elle pensait... Sûrement pas de sexe, ce serait trop beau...*

Le petit sourire sympathique de Rinako était bienvenu, mais il sonnait tout de même un peu faux... Ryouka avait des yeux partout, puisqu’elle avait accès au système de sécurité de la base, et savait donc que la Celkhane était sur les nerfs. Brainstormavait un traitement tout à fait indiqué, mais ce n’était pas de ça qu’elle voulait parler. Elle mordit dans son sandwich (jambon-beurre, un grand classique), tandis que Rinako entra rapidement dans le vif du sujet :

« Important comment ? »

Oh, cette perche tendue ! Diable, c’était à croire que tout le monde voulait la tenter aujourd’hui ! Ryouka engloutit un morceau de son sandwich, et décapsula sa bouteille d’Hydro-Jet, une sorte d’eau sucrée vitaminée, qu’on recommandait pour conserver les yeux ouverts quand on passait des heures à faire de la programmation sur ordinateur, comme Ryouka. Elle en but un peu, reposa le gobelet en plastique, et consentit à lui répondre :

« C’est très important ! renchérit-elle, en clignant des yeux. J’ai pas beaucoup de nouvelles de toi, Rinako, et voilà que j’apprends que tu as une fille adoptive, et une copine. Et, comme est un petit peu intime, toi et moi, je voulais savoir... »

Elle haussa les épaules, en buvant un peu d’Hydro-Jet.

« Ça te les casse, hein, d’être avec nous ? Alors que tu n’es pas avec elle, je veux dire... Je t’aurais bien proposé un peu de détente, mais... Enfin, c’est pas que je sois contre l’idée des couples à trois, mais je voudrais pas semer le boxon entre toi et... Euh... Suki, c’est ça ? »

C’était une fausse question, Ryouka avait une mémoire d’éléphant. Elle rajouta alors, plus rapidement, sur un ton se voulant plus sérieux :

« Nan, plus sérieusement, Rinako, je voulais te féliciter. Que ce soit pour avoir sauvé les fesses de ma sœur chez les Formiens, pour avoir poursuivi Kross et nous aider à démanteler une base de criminels qui, à mon avis, devraient tous êtres castrés et balancés devant une armée de rancors affamés... Ou tout simplement pour avoir trouvé quelqu’un qui t’aime, et que tu aimes, toi aussi. »

Elle mangea encore un peu. Ryouka était une pipelette, mais, du coin de l’œil, elle continuait à observer Isabelle et Elaine. Son instinct lui disait que leur conversation était intéressante, et Isabelle avait précisément choisi un coin mort du mess, un endroit où les micros ne pourraient pas capter grand-chose. Elaine se massait l’arrière du front, regardant par en bas sa mère, une petite moue songeuse sur les lèvres, et cette dernière continua à lui parler. L’Ange croisa les bras, la regardant de profil, comme si elle réfléchissait.

Ryouka regarda ensuite Rinako, la belle Celkhane aux longs cheveux roses, à qui elle avait enlevé, avec sa sœur, sa virginité.

« Allez, Rinako, santé ! C’est pas tous les jours qu’on tombe amoureuse ! Et... Au fait, par l’Enfer... C’est quoi, cette histoire avec Holy ? »

" Elle... Elle s'appelle pas Holy. "

Je saute sur sa question n'importe comment, sinon je vais définitivement me barrer en vol plané. J'ai l'air nerveuse ? J'ai de bonnes raisons de l'être. Ryouka est sympa et je crois bien que c'est ça qui me fout l'angoisse. Il y a une foule de choses que je ne dis à personne, même pas et surtout pas à Suki. Je ne voulais pas parler d'elle ni de celle qu'on voit déjà comme notre fille, mais dans le fond je pensais surtout que je ne pouvais pas. À part Suki, à qui je pourrais bien parler d'adoption ? J'ai personne, et même la femme que j'aime ignore ce qui se passe dans ma tête.

Quand Ryouka s'est mise à parler j'ai pris en pleine poire l'évidence que j'ai pas d'amies, par extension le fait que je suis bien assez conne pour m'en priver moi-même. Pourtant j'en veux. Mais ça aussi j'ai préféré l'oublier depuis la mort de ma mère. Et je me retrouve là, en partie dévastée de tout ce qui me tombe dessus. Mais quelque part toute contente de parler du petit bout de chou blond qui me manque et qui doit se morfondre toute seule dans sa chambre. Je relève les yeux, un peu ennuyée par les aspects répugnants de l'histoire.

" C'est une gamine qu'on a trouvée pendant ma première mission, dans un trou à rats tenu par des trafiquants. Je devais m'occuper des esclaves mais elle était pas avec. Suki l'a trouvée en état de choc avec le chef du réseau, il avait fait tuer sa mère quelques heures plus tôt parce qu'elle avait essayé de la protéger. "

Je souris mais j'essaie de me retenir, et donc je me mets à rougir.

" C'est... C'est une sale histoire et la petite ne s'en remet pas... Elle a toujours pas donné son vrai nom, à qui que ce soit. C'est Suki qui l'appelle Holy... Mais elle est complètement accro à Suki, c'est trop craquant. C'est pas drôle mais chaque fois qu'elles doivent se séparer c'est la crise de larmes. Et Suki... "

Cette fois je souris pour de bon, mais il faut la connaître comme je la connais pour comprendre. Je dois avoir les yeux pétillent, en tous cas c'est l'effet que ça me fait. J'ai des frissons partout.

" Elle est dingue de cette gamine... Moi aussi, mais j'ai encore du mal à la dérider quand Suki est pas là. Elles sont trop mignonnes, toutes les deux... "

Mon regard dérive un peu, et se voile. Trop craquantes, mais quand il faut se dire au revoir l'une fond en larme alors que l'autre ravale tout. Je reviens à Ryouka.

" J'ai pas de fille adoptive, Ryouka. On veut adopter Holy mais c'est pas gagné... Je veux bien raser la Fourmilière à poils avec les mains attachées dans le dos si tu veux : à côté de la paperasse c'est une promenade de santé. "

J'en reviens pas moi-même, pourtant je laisse flotter un petit rire. Ça fait aussi du bien de parler de bonnes choses, plus que des drames et de tout le reste. je commence à voir que ce ne sont pas les autres qui m'étouffent et m'écrasent autant : c'est ma carapace. Je baisse les yeux.

" Je... Je suis désolée de pas t'avoir donné de nouvelles... Et de t'avoir évitée... Et d'être aussi chiante avec tout le monde... "

Je me mordille la lèvre une seconde. Je ne dois pas le dire, tout mon être veut m'en empêcher. Je vais encore passer pour une gamine, une conne, une faible. Ne jamais s'exposer, ne jamais s'endormir, ne jamais se reposer sur les autres. Je sais ce qui a fait de moi ce que je suis, mais ce n'est pas pour ça que je peux passer au-dessus. Après la mort de ma mère l'armée m'a instruite et entraînée, mais c'est tout seule que je me suis dressée comme une chienne. Je devais être la meilleure, surclasser toutes les autres à tout prix, et y arriver seule. Je ne devais plus jamais avoir quelqu'un que je pourrais perdre. Mais je ne peux plus revenir en arrière.

" La vérité c'est que... J'ai... J'ai aucune amie... "

Ryouka aimait bien Rinako. Non seulement leurs noms se rapprochaient, mais Rinako était une Celkhane... Sexy... Très sexy, même... Et, outre ces éléments purement physiques, elle avait sauvé sa sœur, et avait en elle quelque chose qui forçait Ryouka à vouloir se rapprocher d’elle, et la couver... Un peu comme une grande sœur. Après tout, Ryouka avait toujours été la protégée de Nika. À chaque fois que quelqu’un l’embêtait, Nika était là pour le remettre à sa place. Il fallait croire que son comportement avait déteint sur Ryouka, mais ce n’était pas pour autant qu’elle considérait Rinako comme une gamine. En réalité, personne, au sein des Héroïnes, ne la prenait pour telle. Mais Ryouka avait du subir une formation militaire rigoureuse, et, comme toute formation militaire digne de ce nom, ingrate... Les éducateurs privilégiaient les défauts de leurs élèves à leurs qualités. Rinako s’était forgée une carapace, et on avait sans cesse du lui dire qu’elle agissait de manière immature, amenant une sorte de blocage... Ryouka se faisait une petite minute de psychologie, tandis que Rinako parlait d’Holy, et de Suki.

Holy était donc un surnom désignant une gamine martyrisée par des salopards. Elle s’était amourachée de Suki, et vice-versa. Cette Suki devait avoir un cœur d’or... Mais, curieusement, quand elle essayait d’imaginer la copine de Rinako, elle avait du mal à voir une fille romantique et ouverte... Plutôt un style garçon manqué. Les Celkhanes avaient la réputation d’être des fleurs bleues, et, par conséquent, elles se forgeaient une carapace solide, en se donnant un style de guerrières insensibles. Holy était donc en cours d’adoption. Ryouka hocha la tête. Dans ses pérégrinations sur la Toile, elle s’était renseignée là-dessus. Caelestis autorisait l’adoption d’anciennes esclaves, mais, comme on pouvait s’y attendre, la procédure était longue et difficile. Juridiquement parlant, Caelestis n’était clairement pas au point, et l’adoption était donc une procédure obscure et complexe.

D’Holy, Rinako se mit à dériver, tandis que Ryouka reprit un coup d’Hydro-Jet. Elle pouvait voir cette dernière trembler devant elle, se mordillant les lèvres, hésitant visiblement à parler, à se confier. Brainstorm évita de parler, sachant que, dans ce genre de moments, il fallait tout simplement se montrer patient. Elle pouvait sentir une sorte de lutte interne dans le corps de Rinako. Ryouka attendait, sentant presque les mots venir, imaginant ce que Rinako allait dire... Et l’aveu finit par sortir, d’une voix tremblante et hésitante.

« La vérité c'est que... J'ai... J'ai aucune amie... »

Un léger silence suivit cet aveu. Ryouka aurait pu mal le prendre (et elle le prenait d’ailleurs un peu mal, mais savait le dissimuler), et finit par hocher lentement la tête, son dos glissant contre le dossier de sa chaise, retournant dessus.

« Je vois... » dit-elle.

Elle cligna des yeux, attendit quelques secondes, et répondit, essayant de deviner ce qui amenait Rinako à penser ça...

« Tu sais... Ah, Rinako, si je peux me permettre... Tu as tellement peur qu’on te prenne pour une gamine que tu finis par voir n’importe quel comportement comme un reproche envers ton immaturité... Mais nous, on te prend pas pour une gamine... Bon, on râle beaucoup, mais on est des filles, après tout, donc, c’est normal... Ce que je veux te dire, Rinako, c’est que, si on te prenait pour une nulle, une faible, une gamine, ou je sais pas quel autre truc, on aurait jamais accepté que tu travailles encore avec nous... C’est Isabelle qui t’a foutu le moral à zéro ? C’est une Ange, c’est normal qu’elle soit casse-couilles... Quand Nika m’avait présenté à elle, elle m’avait complètement démoli... Incompétente, immature, perverse... Bien que j’admette volontiers sa dernière critique, elle m’avait complètement plombé... Malgré ça, j’ai réussi à creuser mon trou... Isabelle n’a jamais admis qu’elle avait tort, mais elle me fait confiance... C’est dans la nature des Anges... Regarde comment elle se comporte avec Elaine. Elle est douée, elle a du charisme, mais elle est incapable de donner des compliments. D’agir comme une mère... Crois-moi, elle n’est pas méchante, mais elle ne peut pas s’empêcher de nous trouver faibles... Nous ne sommes que des humaines, après tout... »

Et Ryouka était une sacrée pipelette. Isabelle continuait à parler avec Elaine, et Elaine avait les bras croisés, une moue pensive sur le visage. Visiblement, elle réfléchissait à ce que sa mère lui avait dit. Ryouka attrapa alors le poignet de Rinako, et planta son regard dans le sien :

« Soit dit en passant, Rinako... Si jamais tu oses encore me dire que tu n’as aucune amie, je te défoncerai le cul si fort que même ta culotte infernale ne pourra plus se poser dessus. »

Elle avait dit ça sans ciller, et continuait à tenir la main de Rinako.

« Je te l’ai dit : tu n’es qu’une humaine. Holy... Son histoire est terrible, ça se voit que ça te turlupine... Je ne pourrais jamais remplacer ta Suki, mais, être ton amie, ça, je peux le faire... Et ne crois pas que toutes les filles ici sont toutes des bourrines insensibles. La souffrance, on sait ce que c’est. J’essaie pas de te dire que ce que tu ressens, que tes problèmes, sont insignifiants, et que tu devrais te secouer le cul pour penser à autre chose... C’est tout le contraire. Tu veux finir comme Lorenza ? Une jeune fille qui agit comme une vieille snob’ en préférant passer du temps auprès de ses armes ? Lorenza en a gros sur la patate, aussi, mais a tellement peur qu’on se foute de sa gueule qu’elle ne dit rien... Moi, je suis ton amie, Rinako. Et crois pas que ce soit un comportement de gamine que de vouloir avoir des amies... À moi, tu peux te confier. Tu sais que je suis plutôt douée pour conserver des secrets, non ? »

Elle lui fit alors un petit sourire, et relâcha son poignet.

« Quant à tes problèmes d’adoption... Et bien, je ne suis peut-être pas assez forte pour aller botter le cul d’un Annexien, mais j’ai passé trente-six heures d’affilée à faire des recherches de programmation sur des milliers de pages... Alors, je pense que je peux t’aider à faire en sorte qu’Holy devienne ta fille adoptive. »

Et Ryouka prit un coup de Jet.

Mine de rien, elle avait quand même beaucoup parlé.

Ho non, pas Isabelle. Ça va, le couplet sur la nature profonde des Anges et des Humaines je le connais. Elle a pas pris assez de coups de pied au cul, comme dirait mon instructrice numéro 3... Elle me manque, l'instructrice numéro 3. Ryouka est bien gentille et c'est tout à son honneur d'être compréhensive, mais je compte pas faire mon trou ici et Miss Douce et Fraîche va très certainement prendre ma main sur la tronche avant longtemps. Je sais ce que je vaux et avec ce qui va nous tomber dessus je peux me permettre de rester à cinquante pour cent.

Soudain la geekette me chope et me fait les gros yeux... Elle a de trop beaux yeux. Minute, elle est en train de me menacer ou de me faire des avances ? C'est que j'ai du stresse à évacuer, moi ! En plus elle m'énerve avec son couplet bidon comme quoi les Humaines valent moins que les Anges. Visiblement j'ai mis dans le mille à l'infirmerie. Mais pas le temps de s'étendre sur le sujet, et de toute façon ça servirait à rien. On verra au briefing parce que ça s'annonce chaud. En attendant j'ai quand même du mal à suivre son raisonnement concernant Lorenza, mais ça fait partie de nos nombreuses différence de point de vue.

Houlà  ! On va se calmer tout de suite ! Je me redresse sur ma chaise et cette fois c'est moi qui la prend par le poignet. Un peu nerveuse mais je sourie, c'est que le sujet est hyper-sensible.

" C'est gentil mais je veux surtout pas de ton aide, Ryouka. La paperasse c'est juste chiant, on a de plus gros problèmes à régler avant d'adopter Holy. On doit s'en sortir seules... On... On traine des casseroles sur la base... Surtout Suki. "

Les rumeurs sur le cas Warren ne sont pas à prendre en compte, même si elle a pas intérêt à me croiser si elle tient à la vie. Je relâche Ryouka et mon petit sourire a pris du plomb dans l'aile.

" Suki est... Je l'aime plus que tout, mais elle... Ho merde ! "

Quelle conne ! Comment j'ai pu oublié un truc pareil ? Je bondis de ma chaise tellement vite que je manque de la renverser.

" Une seconde ! Je reviens ! "

Mais pour l'instant je pars en courant à travers le réfectoire. Je défonce presque la porte en sortant et à peine dans le couloir je vire ma broche. Je presse la commande d'appel.

" Allez-allez-allez... "

Le répondeur s'enclenche.

" Coucou ma chérie, c'est encore moi !... Je... J'ai eu un petit souci et finalement je suis bloquée pour deux jours. T'inquiètes pas, je reviens le plus vite possible... Ho ! Et la maison avec vue sur le parc aquatique est super, mais si la proprio met pas la piscine aux normes : tu l'envoies se faire voir, d'accord ? Je t'aime... Et embrasse Holy de ma part si tu vas la voir. Bisou. "

Je coupe la transmission avant de raccrocher ma broche. Et voilà ! Elle me manque encore plus, maintenant ! Bref, je me tourne vers la porte et je me retrouve bien ennuyée d'avoir été suivie, sans doute aussi écoutée d'un bout à l'autre.

" Ok... Au temps pour ma vie privée... "

RYOUKA

Rinako rejeta derechef son aide, ce qui l’irrita un peu. Comment diable voulait-elle se faire des amies, si elle rejetait systématiquement toute forme d’aide ? Ryouka avait du mal s’exprimer quand elle disait à Rinako qu’il fallait savoir compter sur les autres. Elle se mordilla les lèvres, ne sachant plus quoi dire. L’aider ne lui coûterait rien, d’autant que Ryouka savait y faire. Au sein des Héroïnes, elle était un peu la petite génie. C’était elle qui avait donné une couverture légale à leur entreprise, après tout. Et pourtant, elle n’avait jamais fait d’études de droit... Mais elle avait une tête, et savait rechercher. Elle avait trouvé des informations ici et là, les avait engrangées, et s’en était servie pour monter une façade, une entreprise, qui permettait plusieurs avantages sur le sol tekhan.

« Une seconde ! Je reviens ! » s’exclama soudain Rinako.

Clignant des yeux sous l’effet de la surprise, Ryouka la laissa filer, n’ayant de toute façon pas eu le temps de dire un seul mot qu’elle voyait déjà le joli petit cul de Rinako filer dans le couloir.

*Euh... J’ai raté un épisode ou quoi ?*

Rinako n’était plus là, et Ryouka regarda son assiette.

« Maudite Celkhane... » finit-elle par lâcher, avant de secouer la tête.

Le pire, c’était que revoir Rinako lui avait encore donné envie de la prendre... Ce n’est pas de sa faute, Rinako était terriblement sexy.

*Maintenant qu’elle est en couple, ça risque d’être compliqué... Quoique... Peut-être que cette Suki est sexy aussi. Une partie à trois, ça pourrait me détendre...*

ANGEL

Angel ne comptait pas attendre sagement qu’on leur tombe dessus sans réagir. Kross avait été capturé dans une base du Red Sun, et il était plus que certain que le Red Sun allait à nouveau les attaquer. Angel vivait dans les Badlands, et savait de quoi le Red Sun était capable. Ces types n’étaient pas un vulgaire gang, c’était une véritable milice privée. Ils attaquaient même des bases tekhanes. Angel savait que les Héroïnes étaient costaudes, mais, face à un assaut en règle du Red Sun, leurs chances étaient faibles. Et la jeune femme n’avait pas envie de mourir ici, dans ce bunker sordide... Elle avait toujours une vengeance à accomplir, et espérait toujours purifier les Badlands de tous les salopards qui y traînaient. Mourir ici ne faisait donc pas partie de ses priorités.

Elle se rendit vers l’une des bornes de communication de la salle de détente. Le bunker avait beau être souterrain, il était relié à une parabole, ce qui permettait de communiquer avec l’extérieur. C’était plutôt bien pratique, et la connexion était bonne. La parabole était reliée à un satellite tekhan. Elle voulait contacter Anachore, l’une des villes centrales des Badlands. Contrairement à Lorenza, dont la guerre avec les raiders l’empêchait de se lier, Angel avait des contacts. Deux jours, c’était suffisant pour obtenir des renforts. Alors qu’elle se rapprochait, Angel entendit du bruit, et perçut une conversation :

« ...L'envoies se faire voir, d'accord ? Je t'aime... Et embrasse Holy de ma part si tu vas la voir. Bisou. »

Cette voix... C’était la Celkhane. Angel se rapprocha donc, et, en l’entendant, la Celkhane se retourna. Leurs regards se croisèrent, et Angel, en croisant les bras, pencha la tête sur le côté.

« Ok... Au temps pour ma vie privée... » soupira-t-elle.

Angel s’était adossée contre le mur, et s’en détacha.

« Tu as de la chance d’avoir une famille. Si je peux te donner un conseil... Protège-là. »

Angel parlait en connaissance de cause, dans la mesure où elle avait perdu la sienne. Elle se rapprocha de la borne, et appuya dessus, composant un numéro pour son contact à Anachore. « APPEL EN COURS... » titrait le moniteur bleu devant elle. Elle se retourna vers Rinako, faisant une précision :

« Soit dit en passant... Il y a des caméras de sécurité partout ici... Et tu m’as l’air de savoir que Ryouka est du genre à adorer connaître les détails les plus croustillants de notre vie privée. »

Elle ne poursuivit pas, car elle entendit le son du combiné. Elle attrapa le téléphone, un modèle assez ancien.

« Angel... C’est toi, mon bébé ? »

C’était une voix masculine.

« Ouais... Écoute, je...
 -  Tu vas bien ? Merde, j’étais mort d’inquiétude ! Je n’aurais jamais du t’impliquer dans cette histoire...
 -  Ne t’en fais pas, Maxwell, tout s’est bien passé. Leur base a été complètement pulvérisée, tes hommes pourront la reprendre. »

Maxwell Drue était un gangster d’Anachore. Ce n’était pas un individu sain, mais, contrairement à la plupart des rats des Badlands, il avait des principes. Si la police n’était pas aussi virtuelle sur Anachore, il aurait fait flic. C’était lui qui lui avait parlé de la base du Red Sun, et il se vantait d’avoir aidé à de nombreuses reprises les Celkhanes, en leur donnant des informations sur des convois d’esclaves. L’esclavage était une saloperie que Drue ne supportait pas, et il savait que plusieurs gangs, à Anachore, s’y prêtaient volontiers... Comme le Red Sun.

« Ça, c’est cool... Mais tu m’appelles d’où, la réception est foireuse...
 -  Le Red Sun n’a vraiment pas aimé ça, Max’... J’ai besoin rapidement d’aide.
 -  Toi, tu aurais besoin d’aide ?
 -  Je te propose de regrouper des hommes pour dégommer bon nombre de membres du Red Sun, Maxwell. Je pensais que tu sauterais sur l’occasion, mais je vais finir par croire que tu n’es qu’un mâle dominant que quand je suis dans ton lit... »

La queue, ça marchait toujours avec un homme.

« Okay, okay, bébé, t’excites pas, merde... Je m’apprêtais à sortir le champagne... Envoie-moi ta position, je réunirais mes gars. Ya pas mal de gens qui se sentiront redevables de toi et de tes copines après ce petit exploit. »

Elle communiqua les informations requises, et raccrocha, un léger sourire sur les lèvres.

Elle allait sûrement en devoir parler à Isabelle, maintenant... Et elle allait probablement se faire engueuler, mais elle ne pouvait pas s’ôter de la tête ce mauvais pressentiment qu’elle avait. Elle reporta son attention sur Rinako, et lui sourit, avant de lâcher :

« Je comprends mieux pourquoi Ryouka aime tant les Celkhanes, maintenant... Et toi en particulier. »