Entre combats et voyages, la marche de l'Archange, au gré des siècles, n'a guère connu de répit. Il a désormais à son actif plus de morts que son illustre aïeul, mais il est parfois bon de se reposer. Reposer le corps meurtri malgré les victoires, reposer l'âme qui a connu bien des vicissitudes entre le bien et le mal. Et, accessoirement, reprendre quelque visage humain par un bain rafraîchissant, voire redonner aux habits quotidien quelque lustre tout en ôtant les relents de sang et de sueur. L'Archange de son surnom, Gabriel de son prénom, est un solitaire, si ce ne sont les femmes que, comme par mimétisme avec son sinistre aïeul, il met dans son lit le temps d'une nuit, les laissant soit sauves soit trucidées après qu'il en ait tiré son bon plaisir.
Mais ces crimes ont leur contrecoup ! C'est d'avoir toutes les maréchaussées aux trousses, et de vivre plus encore sa solitude. C'est ainsi que Gabriel a appris à apprivoiser la nature, à s'en faire une alliée, à s'y bâtir un abri sécurisé. Avec les années, il maîtrise les lieux et les chemins. Il ne saurait dire combien d'hères il a ainsi croisés au fil de ses pas, mais il y a toute une faune humaine qui vit hors du temps et de la civilisation, ce qui facilite d'autant plus sa vie secrète, tant les uns et les autres se gardent bien de se trahir.
Cette fois, il a laissé derrière lui trois cadavres, deux hommes qui s'étaient mis en travers de son chemin, et précisément la femme qu'ils convoitaient. Les deux malandrins avaient fini l'un la carotide sectionnée d'un coup du tranchant de sa dague, l'autre le cœur perforé de la pointe de sa dague. Cette alliée fidèle qui avait, avec lui, traversé les siècles, gardant à chaque fois quelque trace sanguinolente. Quant à la femme, effrayée d'avoir vu ses amis trucidés, elle avait très vite compris où était sa survie, et Archangel en avait abusé, avant de la réduire au silence elle aussi. Mais il conserve encore quelques traces de sang sur ses habits, et il vaut mieux les faire disparaître, ne serait-ce que par élégance.
Le calme de la forêt est un apaisement, par rapport aux cris qu'elle poussait, quand il la violait. L'eau qui coule est si paisible, par rapport aux braillements que faisaient les deux hommes. Il va pouvoir se déshabiller entièrement, faire même une sieste nu près de la rivière. Il a trouvé un endroit ; comme s'il n'attendait que lui. Juste une trouée du soleil au creux des arbres pour lui apporter quelque lumière, juste une anse de la rivière pour lui apporter quelque fraîcheur, juste un agrandissement de la berge où il pourra déposer ses affaires tout en gardant sa dague à proximité.
Sac jeté à terre, il ôte avec rapidité sa chemise blanche, offrant son torse nu au souffle très léger qui court en ce havre de paix. La balafre qui traverse de part en part ne partira donc jamais, et rougit toujours au moindre changement de température ! Souvenir d'un duel passé, elle impressionne toujours autant les femmes ; certaines en ont peur, d'autres sont fascinées. Et, de ça, il sait jouer ! Sa chemise de lin promptement lavée dans l'eau si pure, il remonte sur la berge pour l'accrocher, et manque trébucher sur ce qu'il identifie très vite comme étant deux bottes. Nul ne se sépare de cet habit essentiel, le propriétaire n'est pas loin... Et le reflet d'un rai de soleil achève de le convaincre. Instinctivement, Archangel porte la main à sa dague. Une armure ! Il y a quelqu'un dans les parages, quelqu'un de trop discret pour être rassurant ; il sort sa lame de l'étui, se tapit pour observer. Sous sa main, il devine alors des habits, des tissus d'une douceur anormale, pas grossiers comme son propre slip en toile de jute. Un homme a posé son armure et ses bottes, une femme a posé ses habits ; inutile de se demander ce qu'ils font...
Et, alors qu'il est plongé dans ses réflexions, c'est comme si une apparition passait presque au dessus d lui. Oui, une apparition, comme venue de nulle part, aérienne et diaphane. Une sirène aux longs cheveux blonds comme sortie de l'eau en s'envolant, à moins que ce ne soit une fée comme celles des légendes arthuriennes. Une vision presque irréelle, qui retourne à l'onde avec la même grâce. Voilà qui le change des paysannes qu'il trousse et égorge ; celle-là prend soin d'elle, a une silhouette de rêve, mérite qu'on en prenne soin même si elle doit finir égorgée comme les autres. Etrange toutefois qu'aucune arme ne soit visible, ni que ne se soit montré le propriétaire de l'armure.