«
Tu es sûre que c’est prudent, Nariko ? »
Le ton interrogatif de Neï exaspérait au plus haut point la jeune femme. Elle ne répondit pas sur le coup, observant au loin le fort planté dans la montagne. Même maintenant, les hommes continuaient à remettre en question son jugement. Même maintenant, alors qu’elle avait dompté Heavenly Sword, et mise en pièce presque à elle seule l’armée du Roi Bohan, on continuait à douter de sa sagacité. Les chasseurs et les éclaireurs avaient rapporté que les Ashnardiens se rapprochaient, et qu’un de leurs dirigeants serait dans une espèce de place forte avancée, une sorte de ville militaire plantée dans la roche, le long d’un des fleuves. C’était une construction assez spéciale à regarder, rappelant, à bien des égards, l’architecture du palais de Bohan.
«
Il faut empêcher les Ashnardiens de se regrouper pour nous attaquer. La mort de ce général ébranlera leur organisation, et nous offrira des mois de répit. »
C’était un plan simple, et elle ne comprenait pas pourquoi ses hommes s’obstinaient à la contredire, en particulier Neï. Shen, son père, avait formellement reconnu l’autorité de Nariko, une autorité qui découlait, non seulement de sa capacité à contrôler Heavenly Sword, mais aussi de son assurance naturelle. Elle avait l’âme d’une chef, et elle ne supportait pas qu’on se permette de remettre en cause son jugement. Elle avait déjà vu, de loin, ce fort. Il était coupé du monde, uniquement relié par un petit embarcadère se trouvant à proximité, qui se chargeait d’envoyer des bateaux comprenant de la nourriture. Il faudrait passer par là, et la stratégie de Nariko était déjà bien établie. Le groupe attaquerait le port en fin de soirée, et profiterait du couvert de la nuit pour se mettre en place, afin de s’infiltrer dans le fort. Un plan simple, sur le principe, mais qui nécessiterait d’agir vite, afin d’éviter que les ennemis ne sonnent le tocsin. C’était pour ça que Kaï se chargerait de neutraliser les ennemis sur la plateforme comprenant la sirène. Si jamais elle résonnait, tout leur plan serait foutu.
«
Tant que vous respecterez la stratégie et le plan, tout se passera bien résuma Nariko.
-
C’est un bon plan, Nariko la réconforta Korla, un fils épais de bûcheron.
-
Il me semble cependant assez audacieux, nuança Neï.
-
Elle est notre chef, Neï, s’énerva Korla.
Nous nous devons de suivre ses ordres, elle s’y connaît. »
Nariko apprécia ce soutien. Elle n’avait vraiment pas le temps de se battre avec Neï, qui n’était qu’un sale con. Korla la respectait, car il avait fait partie des guerriers que la femme avait sauvé dans la prison de Bohan. Il l’avait vu se battre, et savait très bien de quoi elle était capable. C’était une femme talentueuse, une véritable tueuse. Il lui faisait confiance. Nariko se rapprocha de Kaï, afin de lui rappeler par où elle devrait passer. Elles avaient repéré le terrain, et Nariko avait repéré des anfractuosités dans la roche, des endroits qui, en somme, permettraient à Kaï de trouver un appui afin de les soutenir de haut, avec son arbalète de combat.
«
Nous attaquerons demain soir » décréta-t-elle.
*
* *
C’était une belle région, escarpée et vallonnée. Nariko ne s’y était pas souvent rendue, car elle était à la bordure de leur territoire, et, quand elle avait rejoint Nexus, elle était partie dans l’autre chemin Ce chemin-ci menait à un désert dangereux, mais que les Ashnardiens, grâce à leur magie infernale, traversaient sans aucune difficulté. Le soleil, quand il se couchait sur cette région, donnait l’impression de transformer la région en feu, de brûler dans le ciel comme une explosion permanente. Oui, c’était un spectacle tout simplement fascinant, grandiose et magnifique, devant lequel on ne se lassait pas. Mais Nariko n’avait pas le temps d’observer le paysage. Elle avait une mission à accomplir.
Kaï était déjà partie, et le groupe s’avançait le long de la falaise, surplombant le port. Ils descendraient en rappel, à l’aide de cordes solides qu’ils avaient fixé sur la roche, à l’aide de pierres et de grappins. Ils étaient en train de s’harnacher, quand quelqu’un approcha. Neï, qui était un très bon archer, pointa son arc vers la forme qui s’avançait, une femme.
«
N'ayez crainte, je suis de votre coté, se présenta la femme.
Il semblerait que nous ayons tous pour but d'attaquer ce poste de l'autre coté de la rivière, n'est-ce pas ? Je serais ravie de vous donner un coup de main. »
Nariko fronça les sourcils, méfiante.
«
Vraiment ? lâcha-t-elle, soupçonneuse.
-
Nariko, notre fenêtre d’action est étroite, rappela Korla.
-
Je sais. »
Neï tirait sans hésitation, et ferait mouche. Nariko planta son regard dans celui de cette femme. Qui était-elle ? Pourquoi venait-elle les aider ? Mais, si c’était un piège, toute une garnison leur serait déjà tombée dessus, et elle ne serait pas venue en personne les voir... Son séjour à Nexus avait rendu Nariko légèrement paranoïaque. Cependant, elle avait besoin de toute l’aide disponible. Et ce regard... C’était celui d’une guerrière, pas d’une menteuse. Nariko était audacieuse, et décida de laisser parler cette audace.
«
D’accord. Neï, baisse ton arme. »
Neï grogna, mais Nariko n’eut pas à insister. Il rengaina son arme.
«
Nous allions descendre en rappel pour attaquer ce port. Il y a une petite garnison, mais il est impératif de les empêcher de sonner l’alerte. Trahissez-nous, et je vous tuerais. »
C’était clair, sans ambiguïté. Un combat ici risquait aussi, avec l’écho, d’alerter les soldats ennemis, et de mettre Kaï en danger.
«
Je m’appelle Nariko, se présenta-t-elle.
Et vous ? »