Ma tête résonne comme si un millier de bombardes tirent en même temps ! Mes tempes, c'est à peine si je les sens, hormis par la douleur ; je n'ose même pas poser les mains dessus. L'un après l'autre, j'ouvre les yeux. Le droit d'abord, presque brûlé par une lumière qui aurait pu être celle du paradis, mais ça fait longtemps que je n'y crois plus. Le gauche ensuite, comme pour équilibrer, mais ça ne change rien à mon mal de tête. En tout cas, ma vue fonctionne, son côté sensoriel aussi, je distingue la lumière de l'ombre. Les bruits aussi, ou plutôt un brouhaha permanent, comme dans une ruche où le mouvement est perpétuel. Mes sens fonctionnent, la vue et l'ouïe déjà. Je continue, mes doigts bougent, mon corps semble sortir d'une longue torpeur, mes jambes répondent, mon cou aussi, j'essaie de me soulever pour quitter cette position allongée.
Peu à peu, je distingue mon environnement, d'abord le banc sur lequel j'étais allongé, du moins cela y ressemble-t-il malgré des couleurs vraiment criardes. Encore un effort et je m'assieds enfin ! Autour de moi, des constructions au loin dont une avec une enseigne « supermarket » - qu'est-ce donc ? -, une allée juste devant, et des gens, des gens, encore des gens, étrangement vêtus. Rien à voir avec la dernière image d'avant que je sombre, cette si élégante lady dans sa longue robe noire qui lui laissait les épaules nues. Je me rappelle même la vision de ses seins prisonniers, tandis qu'elle m'offrait ce nectar dans la coupe argentée. Et plus plus rien...
Réflexe de survie, je vérifie que mon fidèle Triskell est toujours contre mon torse, et que la dague est dans son étui, au long de ma cuisse. Je ne sais où je suis, autant éviter que quelqu'un ne se rende compte de sa présence. Maintenant que mon mal de tête s'est atténué, peut-être parce que ma lucidité revient, je parviens enfin à me lever. Que font autant de gens en cet endroit ? Que font toutes ces choses qui roulent à grand bruit, ou se mettent entre des lignes blanches au sol ? Pourquoi tant courent et crient, poussent des trucs en grillage sur roulettes, trimbalent des paquets de toutes formes et de toutes couleurs ? Je fais un pas, un deuxième, titubant un peu ; certains vont croire que j'ai trop forcé sur la gnôle, mais je n'ai aucun souvenir de quelque taverne. De toutes façons, l'au-delà m'a refusé et, si je suis ici, c'est que je n'ai pas le choix...