Les Cieux... T’en souviens-tu ? Cet endroit infini ? Ces immenses tours d’argent s’étendant au milieu des nuages ? Cette impression de liberté absolue ? Ce bonheur naturel que tu ressentais, même maintenant, en t’y rendant, cette impression de sérénité et d’amour, de paix éternelle, de félicité... Tu as beaucoup voyagé, n’est-ce pas, et tu as vu beaucoup de choses... Mais rien qui ne puisse égaler la richesse des Cieux, rien qui ne puisse égaler sa splendeur, rien qui ne puisse se comparer à la beauté de cet endroit. C’était ta terre natale, c’était un lieu de félicité et d’amour, et tu aurais aimé qu’il le soit toujours... Qu’il conserve toujours sa pureté... Mais la souillure et la corruption ne sont pas le privilège des démons. Les Cieux ont été souillés bien des fois, n’est-ce pas ? Tu le sais depuis que les Anges se sont entretués, et que Lucifer et Azazel, avec d’autres Anges, ont choisi de devenir des Déchus, des Anges noirs, des renégats et des traîtres. Tu t’en souviens encore, mais tu sais que la trahison ne s’est pas arrêtée à eux. Oh non. Il y a eu d’autres personnes... Dont une... Et, alors que son nom te revient, tu te revois...
« Je ne pense pas être la personne la plus qualifiée pour ça... »
Il ne t’avait rien répondu. Pas sur le coup. Il te connaissait, et savait que ton inquiétude n’était pas simplement l’expression d’une sorte de crainte. Tu n’étais tout simplement pas une diplomate. Tu ne l’avais jamais été. Tu étais Yehaël, l’Ange de la Pureté, créature intransigeante, qui était liée à la Pureté, et à tout ce que cette dernière représentait. La fermeté. La rigueur morale. On ne pouvait pas négocier avec toi, c’était bien connu.
« Remettrais-tu en doute la décision du Conseil ? » t’avait-il alors demandé, en penchant lentement la tête.
Ses quatre ailes dans son dos indiquaient qu’il était un Archange, l’un de ces Anges supérieurs qui étaient supposés être des parangons de respect et d’obéissance. Et, depuis un certain temps, il y avait une Archange qui ennuyait le Conseil. Abigahëlle. Ce dernier s’était réuni pour se prononcer à son sujet, estimant que les agissements d’Abigahëlle dans les plans inférieurs étaient indignes des Anges, a fortiori d’une Archange. Les cinq principaux Archanges, représentant les cinq vertus cardinales des Cieux, s’étaient réunis, et avaient délibéré. Une conclusion importante, puisqu’elle portait sur le sort d’une Archange. Et, contrairement aux tribunaux humains, il n’y avait pas de juridiction de second degré. La décision du Conseil des Archanges devait être parfaite, ne pouvant être théoriquement révisée que dans des cas rarissimes, ce qui n’était encore jamais arrivée en pratique. On pouvait ainsi attendre des années avant qu’un délibéré ne soit rendu, vu que les Archanges étudiaient toutes les possibilités.
L’Archange Abigahëlle te répugnait. À dire vrai, tu avais du mal à la comprendre. Elle ne respectait aucune règle, n’en faisait qu’à sa tête, et, si les Anges n’étaient en soi pas opposés à la sexualité, elle faisait preuve d’une telle lubricité que, pour eux, il y avait une véritable débauche, ce qui, en soi, était répréhensible. Mais, outre ça, on la soupçonnait d’avoir des idées séditieuses, de ne pas respecter les vertus cardinales qui définissaient toute la relation des Anges avec les autres espèces : le libre-arbitre. Un Ange ne pouvait pas imposer sa volonté sur les autres espèces, simplement les guider, ce que les Anges estimaient, pour la plupart, avoir faits. Il y avait, sur ce point, une ancienne décision du Conseil, qui était formelle. Ce qui avait trahi Lucifer, c’était tout simplement qu’il n’avait pas accepté le libre-arbitre, et avait tenté d’imposer ses propres normes sur celles des autres. Tu le savais, mais, au fond de toi, tu avais toujours un peu de mal à t’en convaincre. Les démons ne se privaient pas pour influer sur la vie des gens, alors même que les pactes anciens interdisaient formellement toute forme d’intervention qui ne soit pas sollicitée.
« Bien sûr que non, rétorquas-tu. J’émets juste des réserves sur ma capacité à la raisonner... »
L’Archange hocha silencieusement la tête. Vous vous teniez alors sur une sorte de balcon, de l’une des tours du Royaume des Anges, voyant devant vous, outre des tours, deux bandes de nuages, en haut et en bas. Des rayons solaires fendaient ceux du haut, formant une sorte de magnifique éclairage. C’était vraiment un endroit magnifique.
« Tu ne devrais pas, répliqua l’Archange. Tu es l’une des Anges les plus âgées qui existe, Yehaël. »
Ça, tu ne pouvais pas le nier. Quand un Ange mourait, son âme, si elle survivait, se réincarnait tôt ou tard dans le corps d’un autre Ange. Mais toi... Toi, tu étais la Pureté, et personne n’avait encore jamais réussi à te tuer... Et, à cet instant, tu pensais que ça n’arriverait jamais... Tu n’en es plus aussi sûre, maintenant, n’est-ce pas ?
« Le Conseil a décidé de te confier cette responsabilité, car tu es l’une de celles qui se rappellent le plus la trahison de Lucifer... Tu étais proche de lui, tu étais sa disciple. »
Tu ne dis rien. C’était la vérité.
« Il vaut mieux que ce soit une Ange, et non l’un des Archanges. Nous ne voulons pas prendre de sanctions envers Abigahëlle, et c’est pour ça que le Conseila décidé de surseoir à statuer. Mais, d’un autre côté, nous ne pouvons pas non plus faire comme s’il ne se passait rien.
- Ah oui ? »
Le ton était un peu railleur, ce qui n’échappa pas à l’Archange.
« Je sais ce que tu penses, Yehaël... Que nous n’agissons pas, que nous laissons les démons se répandre... Mais il y a des règles, des règles qu’il faut respecter ! Car, si on ne suit pas les règles...
- Je ne suis pas un chérubin, je connais la leçon ! »
L’Archange ne dit rien, et tu te mis à soupirer.
« Abigahëlle est en plein doute. Elle ne croit plus en nos vertus, et ne croit plus en la rédemption. Tu dois l’aider, Yehaël. Elle est une sœur. »
La trahison des Déchus était encore douloureuse aux Cieux. Lentement, tu hochas la tête.
« Très bien. Je ferais le nécessaire.
- Et je te remercie pour cela. »
Tu ne dis rien, et te contentas de t’envoler, rejoignant Abigahëlle.