Ce bar avait vraiment de la musique à chier. Mais c’était typique des bars et des clubs japonais. On sortait cette musique moderne, la pop à l’orientale, la J-Pop. Nathan avait essayé de se plonger avec difficulté dans la musique japonaise, qui était une sorte de reprise orientale des courants occidentaux. J-Pop, J-rock, le J-Rap, le Visual Kei... La propension de la génération actuelle à inventer de la merde était tout simplement fascinante. Qu’on se le dise, rien ne valait pour Nathan un bon vieux morceau des Lynyrd Skynyrd. Ceci dit, son caractère aigri n’était pas exclusif au Japon. Il trouvait aussi les musiques occidentales récentes à chier, pour la plupart. Le rock se résumait à mettre des chevelus sur une salle de concert, qui beuglaient des choses inaudibles dans leurs micros avec des voix caverneuses insupportables, le gangsta rap lui donnait envie de se flinguer, et l’ensemble de ces petites choses contribuait à l’envoyer dans les bars, où il buvait. C’était ce que Nathan était en train de faire.
Habituellement, il allait au pub d’Ian, mais ce dernier avait pris ses congés pour la semaine, et il avait une envie phénoménale de boire. À défaut, il s’était donc rendu dans un bar plus jeune, qui faisait aussi office de club de danse. Des nanas se déhanchaient dans des tenues de pute sur l’estrade, mais de tels vêtements, avec des collants roses flashys et des minijupes extra courtes, ne choquaient personne. Nathan ne les en blâmait pas. Il commençait à connaître un peu le Japon, et, s’il devait le décrire en un seul mot, ce serait paradoxe. Les lycéens vivaient toute la semaine dans des uniformes, et étaient bercés par les contes qu’on leur sortait sur l’Occident, une région du monde où on pouvait venir en jeans. Alors, le week end, quand ils n’avaient plus de vêtements à mettre, les lycéens s’habillaient n’importe comment. C’était une manière collective de lutter contre le conformisme sociétal japonais, qui était très fort. N’y avait-il pas, après tout, un proverbe japonais qui affirmait que, quand un clou dépassait de la rangée, il fallait l’enfoncer avec le marteau ?
*L’alcool me rend philosophe...*
Nathan n’était pas à hauteur du comptoir, mais assis contre une table, dans un coin, à côté d’une fenêtre. La nuit s’était abattue dehors, et il voyait des voitures filer rapidement. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, il n’avait pas prévu de se bourrer. L’alcool lui était encore indispensable, mais, dans la mesure du possible, il essayait de ne pas finir raide comme un trou. Certes, être ivre présentait l’avantage qu’il n’entendait plus la Bête, mais il y avait aussi un certain nombre d’inconvénients... Surtout quand on était un flic.
Tout en buvant, Nathan regardait autour de lui. Il ne connaissait pas cette clientèle, qui se composait surtout de jeunes. Il y avait de belles nénéttes. Il était préférable qu’il ne boive pas plus, car il sentait qu’il aurait du mal à se retenir de ne pas leur sauter dessus. L’alcool et les hormones ne faisaient jamais bon ménage. Au lieu de ça, Nathan préférait se calmer, et se dire qu’il rentrerait chez lui tranquillement. Dormir dans son lit, pour une fois, le changerait. C’était ce qu’il envisageait.
Il entreprit de se lever, pour commander une autre bière au comptoir, et s’y dirigea, avant d’entendre de l’agitation. On embêtait la barman, une belle blonde qui regardait plusieurs clients, en semlant aussi outrée qu’énervée.
« J'ai dit non, c'est non ! leur intima-t-elle. Et je n'ai jamais montré ma poitrine, votre ami vous a menti pour se faire mousser ! En tout cas oubliez cette idée, c'est niet. »
Nathan n’était pas encore assez ivre pour ne pas voir que c’était un mensonge. Crédible, certes, mais il était un bon flic. Il reconnaissait les signes. Elle ne détournait pas les yeux, comme si elle avait honte de son mensonge, mais regardait un peu trop fixement les autres. Et le fait qu’elle ait pris le temps de donner une raison à ce que leur hypothétique informateur avançait était un autre indice qu’elle mentait. Mais, au Japon, une fille avait le droit de montrer ses nibards... Et de ne pas les montrer. Une nuance que les adolescents éméchés n’avaient visiblement pas compris.
« C'est quoi ton problème, on est pas assez bien pour toi c'est ça ? Tu fais ta princesse ? » lâcha l’un des gars sur un ton menaçant.
Il l’attrapa par le bras, et Nathan comprit que la situation allait dégénérer. La barman poussa un cri, et un verre se brisa, ce qui imposa dans la pièce un long silence. On observait l’altercation, et Nathan se rapprocha.
« Messieurs, je crois que vous avez assez bu comme ça...
- Hey, tu te prends pour qui, toi ?! Je suis majeur, lâche-moi ! »
Agressif, les pupilles exsangues... Il ne devait pas prendre que de l’alcool. Il regardait nerveusement Nathan, qui sentait sa patience faiblir. Il avait passé les derniers jours à auditionner des abrutis d’adolescents qui faisaient des conneries, allant du vandalisme au harcèlement sexuel, en passant par le voyeurisme, à travers les classiques caméras dans les douches des filles.
« Non, mais c’est qui ce bouffon, sérieux ?! Allez, dégage de là, sale clodo, et va t’acheter des fringues ! »
Les gosses se mirent à rigoler, et firent comme si Nathan n’était pas là. Le gamin regarda ensuite la barman, puis le verre renversé, avec la tâche d’alcool.
« Je croyais que cet établissement se voulait propre et respectable... »
Visiblement, l’idée de voir les seins de la femme semblait lui plaire.
« Et ressers-moi une vodka, tiens. Bien forte.
- Je crois que vous devriez partir. »
Le ton était ferme, mais il en fallait plus pour impressionner l’homme, qui se redressa d’un coup, donnant un poing sur le comptoir, puis posa ses mains sur le torse de Nathan, poussant ce dernier.
« Les salopards de gaijins comme toi et cette pute n’ont rien à faire au Japon, à nous voler nos emplois ! Fous-moi la paix, espèce de sale petit tas de merde, ou je... »
Énervé, Nathan l’attrapa par les pans de sa veste, et le plaqua contre le comptoir, relevant alors son coude pour le coincer contre sa gorge.
« Ou tu quoi, sale con ?
- Aaaah... Lâ... Putain, espèce de taré ! »
Nathan comptait le relâcher rapidement, avant que la situation ne dégénère, mais elle empira malgré lui. L’un des amis de l’homme attrapa la bouteille en verre d’un voisin à côté de lui, la souleva, et l’abattit avec force sur le crâne de Nathan. La bouteille explosa, et Nathan s’écroula sur le sol, l’alcool glissant le long de ses cheveux. L’homme qui avait vu sa bouteille s’énerva, et envoya un uppercut dans le nez de l’homme, qui tomba à la renverse sur une table, renversant la nappe et ce qui se trouvait dessus, dans un grand fracas.
En quelques secondes, la scène avait dégénéré.