I love to fall from the sky (Drake)

'And my heart is like an eagle …'

Une pause. Une toute petite pause. Après une mission haute en couleurs, de celles qui te piétinent les pupilles, Niki avait le droit à une pause. Histoire de reprendre des forces, avant de repartir. Et je la mérite bien, cette pause, qu'on se le dise! A bord de son vaisseau, Dove calée dans sa chevelure, ronronnante, elle se permettait une escapade sur Terre. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas permis ce genre de folies. La Capsule devenait, à la longue, étouffante, pour elle qui aimait tant gambader dans les vastes espaces. Elle pilotait un joli petit engin, qui aurait pu en laisser certains interloqués. Jouer le rôle de l'OVNI, elle adorait. 'fin, elle se rendait à peine compte que, sur Terre, des machines de ce genre, c'était plutôt rare. Elle avait calée, quelque part dans son engin, une moto qui avait la fabuleuse capacité de quitter le sol. Et la blondinette avait hâte d'utiliser ce joujou, tout neuf.

'I love to fall from the sky !'

En attendant, elle chantonnait. Remuant des épaules, les mains sagement posées sur les manettes, Niki profitait de ce congé.  Sur Terre, il serait dix-neuf heures quand elle atterrirait. Elle attendait juste de trouver le bon endroit où se poser. Une plaine vide, où elle serait tranquille. Même si le revêtement de son vaisseau – un truc pas très grand, un peu plus qu'une voiture 6 places – avait la faculté de se fondre dans le décor, autant minimiser les risques.

C'est pourquoi elle se 'gara' en bord de mer, au pied d'une falaise, traumatisant une bonne dizaine de baigneurs au passage. Et elle appelait ça minimiser les risques … Dove dans le cou, la jeune femme quitta son vaisseau d'un bond joyeux. Elle portait sa tenue habituelle, cette combinaison qu'elle ne quittait jamais, et qui lui attirait les regards. Niki ébouriffa ses cheveux. Seikusu, clamait un panneau. Soit. Elle ne connaissait pas cette ville japonaise. Pas encore. L'air marin la fit sourire comme une môme. La nuit tombait doucement, sur la ville paisible. Les architectures terriennes, elle ne les comprenait pas vraiment, mais parvenait à les trouver jolies. Parfois. Cet immeuble grotesque, la jeune Ættìve le toisa avec une grimace. Le blanc était usé, devenu gris sale. Cette tour immense, vitrée, l'enchanta plutôt. Elle resta un moment devant, se regardant dans la glace, essayant de calmer son petit alien qui frétillait d'envie et de curiosité. Calme, Dove. Quelle que soit la planète, les aliens n'étaient jamais très bien vu. Le petit bout de femme qu'elle était goba quelques sushis, avant de continuer sa visite. On la regarda bizarrement, on la siffla (ce à quoi Dove répondit par un grognement significatif, du style « Tu veux t'battre ? »), on la complimenta sur sa tenue … En somme, tout se passa bien.

Ce qui déconna, c'est quand elle voulu visiter le lycée. Elle le trouvait joli. La bâtisse n'était pas laide, bien qu'usée, et il s'en échappait des odeurs douces. Le savon, les parfums des adolescentes, les bonbons vendus dans l'enceinte du bahut. D'un pas léger, Niki s'invita dans ces lieux inconnus pour elle. La jeune Ættìve  en avait entendu parler, de ces lieux d'enseignement. Mais ils n'avaient rien à voir avec les siens, ceux qu'elle avait tant aimé sur D▲-ttìæ . Et puis, y'avait pas assez de végétations. Tandis que le lycée se vidait de ses étudiants, elle arpenta les longs couloirs, sereine. Il n'y avait presque plus personne.

"Tu peux sortir, Dove."

Silence. Silence fluide. Long silence fluide. Niki porta sa main à son imposante chevelure.

"Dove ?"

Pas de Dove. Putain non. Elle était encore là, pourtant, il y a deux minutes. Elle sentait encore son souffle paisible, sur sa nuque. Abandonnant sur place un bouquin qu'elle avait trouvée, ici, là, sur une table, elle poussa un lent soupir. J'devrais lui coller une puce, à cette fugueuse ... La petite blonde porta ses mains à son visage, ses yeux furetant dans les alentours. Où était-elle allée ? Un peu partout.Ça ne va pas beaucoup m'aider, ça ...

"Do-o-o-ve ! DOVE !"

Sa petite voix, habituellement enjouée, était teintée d'inquiétude, tandis qu'elle scandait son nom dans les couloirs. Si son alien, son alien chéri, qu'elle aimait malgré la bave visqueuse qu'elle crachait un peu partout quand l'envie lui passait par la tête, se faisait chopper … N'y pense même pas, tu vas flipper. Et puis, elle ne savait pas qui elle devait plaindre, dans l'histoire. Soit Dove, soit la personne qui tomberait dessus. Les aliens n'étaient pas vraiment réputés pour leur altruisme. Elle seule avait su dompter cette petite créature.

"Bébé chéri ?"

"Graaaaawl"

- ....Hon ?

Je vous avais déjà dis que mes notes n'étaient pas terribles, non ? Bon, alors vous comprendrez pourquoi ce soir, je terminais les cours après tout le monde : j'avais passé un paquet d'heures supplémentaires en soutien scolaire de fin de journée, tout simplement. L'idée de départ était plutôt sympa, en fait. Je m'étais dis qu'en plus de faire des efforts pour faire décoller mes résultats, j'aurais très sûrement la chance de me retrouver en tête-à-tête avec une de ces charmantes profs que comptait le lycée Mishima. Franchement, avec un tel paquet de bombes atomiques réunies dans un périmètre aussi réduit, j'étais persuadé que j'allais avoir de quoi mater pour faire passer la pilule. Rendez vous compte ! Ces heures d'étude m'empêchaient de sortir, d'aller retrouver mon club d'handisport où même d'aller faire un tour dans les nuages en me délectant de la sensation de liberté que m'offrait mon armure.
Mais naaaaaaaaaaaan ! En lieu et place d'une bombe sexuelle, je m'étais retrouvé en solitaire avec monsieur Katagawa, quadra encore boutonneux, avec des lunettes semblables à des lentilles de périscope, des cheveux gras et un bide par-dessus la ceinture. Le genre à coller ses étudiantes juste pour se rincer l'oeil avant de retrouver Bobonne ou son abonnement gold à Youporn, vous voyez ? Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, j'avais profité de cette détestable compagnie pour réviser avec attention, laissant les heures défiler. Et quand Katagawa me libéra, le bahut était complètement vide et le jour déclinait déjà pas mal.

Alors que le gros s'échappait du lycée avec le talent d'un ninja pressé, moi je roulais tranquillement dans les couloirs. C'était incroyable, comme situation ! Seul dans Mishima alors que le soir qui naissait projettait des ombres inquiétantes contre les murs... D'enfer ! Sans compter l'excitant petit côté interdit. Et le côté flippant, aussi. Apparemment, Mishima comptait ses bizarries, ses légendes estudiantines. Tout à mes reflexions, je m'aperçus soudain que j'étais perdu. Je connaissais encore mal le lycée (en fait, deux ailes seulement était adaptées aux handicapés et je n'avais donc jamais mis les pieds -enfin les roues- dans le reste des bâtiments) et me retrouvais dans un obscur couloir qui d'un coup me parut interminable.
Pas de panique ! On était dans un bâtiment administratif, pas dans le labyrinthe du minotaure ! Je retomberai sur mon chemin au détour d'un passage et hop, à moi la sortie.

Ca, c'était ce que je me disais cinq secondes à peine avant qu'un tout petit machin ne sorte de l'ombre. Comme une boule noire montée sur pattes, pas bien haute. Et pas bien aimable non plus, en fait.

"Graaaaawl", gronda t'elle donc.

- ...Hon ?

Non mais mettez vous à ma place cinq minutes ! J'étais en plein trip Urban Legend juste avant de me retrouver nez à nez avec ce machin. Essayant de me convaincre que c'était un gros chat (à la tête un peu trop allongée pour être honnête, certes), je déglutissais lorsque ses dents se découvrirent et que sa petite queue à la pointe effilée fouetta l'air. Et tandis que je préparais mon fauteuil pour la marche arrière la plus rapide de l'histoire du handicap, je gardais les yeux rivés sur la bestiole grondante.

- J'te préviens, je suis pas bon à manger. Et si j'veux, je peux me blinder. HAHA ! T'as pas d'ouvre-boîtes, hein ? Et TOC !

"Graaaaaawl"

- ...Non mais en même temps, si tu ne fais pas d'effort de communication, on est pas sortis, mach-HEEEEEEY !

Il sauta et j'eu le réflexe de reculer, mais trop tard ! La bestiole se retrouvait plaquée sur ma face, s’agrippant à mes cheveux. De panique, je lançais le fauteuil vers l'avant à toutes barzingues, me débattant comme je pouvais. Tirant sur le petit corps en geignant à moitié et en criant tout à fait, je fonçais comme un boulet de canon à travers les couloirs présumés vides.

- LACHELACHELACHELACHE ! LAAAAAAAACHEUUUUUUUUUUUH !

Il avait suffit d'un cri. Un seul cri, dans la nuit, pour qu'elle retrouve sa Dove adorée. Haletante, la petite Ættìve traversa tous les couloirs possibles et inimaginables, appuyant la paume de sa main sur chaque surface plane pour prendre son élan. Il semblait que Dove était en pleine forme, au vu des cris de sa pauvre victime. Faite qu'elle ne lui bave pas dessus! fut la seule prière qu'elle formula. Et cet inconnu était chanceux : outre leur voix envoûtantes et leur capacité à cuisiner de tout et de rien, les Ættìves étaient des êtres rapides, très rapides à la course. Il ne lui fallut que très peu de temps pour arriver sur les lieux du crime, et … Et rester interloquée. Elle croyait à peine à ce qu'elle voyait. Son alien chérie, qui s'agrippait au visage d'un adolescent en fauteuil roulant, qui roulait à toute vitesse, un peu n'importe comment aussi. Décidément. Pleine de ressources, la p'tite. C'était toujours impressionnant de voir avec quelle hargne elle pouvait s'attaquer à chaque chose vivante. Niki avait eu un hamster, à une époque. La pauvre bête ne pourrait plus jamais témoigner de la sauvagerie de Dove.

"DOVE !"

Le petit alien cessa de torturer le pauvre martyr, et tourna sa face vers sa maîtresse, les griffes encore plantées dans les cheveux de l'adolescent. Maîtresse qui, les poings sur les hanches, fronçait les sourcils et faisait la moue. Niki secoua la tête dans un soupir, s'approchant d'eux. D'un main ferme, elle attrapa le fauteuil, histoire qu'il cesse de s'agiter en tous sens, et qu'elle puisse récupérer son petit bébé.

"Je ne t'ai pas élevée comme … 'fin, je n'ai pas essayé de t'élever comme ça, Dove ! Depuis quand t'en prends-tu aux gens incapables de s'enfuir en courant ? Tu es d'un cruauté, ma pauvre !"

Ses talons claquant sur le sol, la blondinette s'approcha du 'couple', cueillant son bébé comme une fleur. Les grognements agressifs devinrent de petits ronronnements amusés. De l'index, Niki tapota le 'front' de la bestiole, avant de lever les yeux au ciel.

"Va te cacher."

Il ne fallut pas le lui dire deux fois. Le petit alien remonta tout le bras de sa maîtresse, retournant se terrer dans sa chevelure. Sentir la tiédeur de ce petit corps, à nouveau, dans son cou, la soulagea. Brave bête. Niki ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Elle l'avait arrachée à une planète et une culture radicalement opposée à celle de la plupart des nations civilisées, où bondir sur les gens en grognant n'était pas vraiment conseillé.

Puis son visage se tourna vers lui. Lui, la victime de Dove.

"Malgré sa p'tite taille, elle est hargneuse, hein ? Et coriace. Ah ça oui."

Lui lança t'elle dans un sourire. Il était pas laid. Même plus mignon. Et il avait l'air sympathique. Même si la manière qu'elle avait de jauger les gens était plus qu'approximative – Dove en était la preuve même – Niki se trompait rarement. C'est parce que les gens n'aiment pas Dove qu'elle agit ainsi, se consolait-elle. D'une main pas très adroite, elle remit en place les quelques mèches que son alien de compagnie avait décoiffé. Un alien sur Terre. Il aurait mille raisons de s'énerver, de la menacer, ce p'tit gars. Mouais, qu'il essaye, et mon bébé alien lui fera sa fête. Avoir ce genre de créature sous la main, mine de rien, ça avait aussi ses bons côtés.

"Tu … Tu n'as rien, dis ? Elle ne t'a pas … mordu ? Non, parce que ça fait mal. Tu sais, les p'tites rangées de dents, là. C'est pas très agréable."

Expliqua t'elle, tout en se sentant obligée de mimer la scène, les deux poings devant la bouche, les index remuant comme des mandibules. Elle s'apprêtait à lui asséner un « Tu sais, elle n'est pas méchante », mais se retint. Nul doute qu'il n'y croirait qu'à moitié. Niki lui fit face, inspectant son visage, les yeux plissés. Mh, non, pas de traces, juste des égratignures. Dieu merci. Elle avait bien fait de lui limer les griffes. Puis la jolie blonde se recula, le toisant d'un œil distrait. C'était la première fois qu'elle voyait une personne en fauteuil roulant. Dans la Capsule, y'en avait pas, de ça. Les membres handicapés étaient vite remplacés par des membres robotisés et neufs. La Terre manque t'elle à ce point de moyen?

"Elle t'a attaquée … comme ça, ou tu l'as cherchée ? Que je sache si les quelques leçons que je lui donne portent leurs fruits."

Tandis que le fauteuil tournait en rond dans le couloir -et merci, un choc contre un mur à la vitesse à laquelle j'avais démarré et c'était la case hôpital- je me débattais pour me débarrasser de cette saleté griffue et mordante. Et je ne pouvais pas trop tirer pour la dégager, sinon j'étais certain d'y perdre une bonne partie de mon cuir chevelu ! Je composais donc comme je pouvais tout en lâchant de généreux wagons d'injures épicées, espérant que je ne finirai pas défiguré par ce machin venu d'ailleurs.
J'eu à peine le temps d'entendre un cri qui avait tout du rappel à l'ordre que tout s'arrêta. Le fauteuil fut stoppé dans sa course, ce qui arrêta son moteur et calma les roues. Je me retrouvais donc immobilisé sans trop savoir comment, toujours occupé à me débattre avec le machin qui me couvrait la vue et qui, lui, ne semblait plus tant que ça s'intéresser à moi. Ce qui suivit, les mots qui furent portés par une voix fluette agré   able, me laissèrent con. La nana qui parlait savait ce qu'était cette bestiole. Mieux, c'était apparemment son animal de compagnie ! Et voilà qu'elle lui faisait la leçon comme si ce n'était rien de charcuter la tronche du premier péquin venu.

De mon côté, planté comme un con devant une fille vêtue comme une sorte de fantasme bdsm du futur et presque admiratif devant le volume improbable de sa chevelure, j'assistais à une scène presque... Attendrissante. Oui, c'était à cet instant le seul terme qui me venait à l'esprit. Le machin noir ronronnait comme un moteur satisfait et sa maîtresse me regardait le plus naturellement du monde, avant de me parler de mon agresseur comme si il avait juste été un caniche mal léché.
Je ne pus qu'hausser un sourcil sur mon regard blasé, me demandant si je n'avais pas pénétré par mégarde dans la Quatrième Dimension. Au moins, la fille avait du charme. Elle était attirante à sa façon et ce fut sûrement ce qui me garda d'entrer dans une colère noire pourtant justifiée. Ça et son côté candide. Oui.

- Elle m'a griffée, c'est tout... Enfin, je suppose que si elle avait voulu mordre, elle m'aurait facilement boulotté le nez, quoi. Ça aurait été chiant pour porter des lunettes.

Complètement décalé, voilà que je plaisantais même avec la proprio' de la boule de dents qui avait manqué de me labourer le visage. Je devais manquer un peu de poigne, moi... Me passant une main sur le visage, je terminais le rapide check-up par un passage dans mes cheveux que je tentais de remettre en place au mieux. Bon, je m'en tirerai avec quelques griffures et une bonne frayeur, rien de bien méchant en soi. De quoi laisser démarrer cette rencontre difficilement réaliste assez sereinement, en fait. Je ne m'ému même pas de son arrêt visuel sur le fauteuil.

- Elle était plantée dans le couloir, je l'ai vu que quand elle s'est montrée et elle m'a sauté dessus. J'imagine que c'est moi qui lui aura fait peur, un truc comme ça. Et puis, tu lui donnes quel genre de leçons ? Parce que si c'était sa façon de saluer, je voudrais pas critiquer, mais tu crains en prof', quoi.

Un sourire amusé et un haussement d'épaules. L'incident, aussi curieux fut-il, était oublié. Maintenant, je voulais en savoir plus sur ce drôle de duo planté devant moi dans les couloirs vides de mon lycée, à savoir une rousse en latex sexy qui nichait le plus agressif des Pokémons dans ses cheveux surdimensionnés.

- Tu es qui, toi ? Et ton machin, là.. C'est quoi ? Tu n'es pas du bahut, hein ? Moi, c'est Drake.

Et de lui tendre la main, un petit sourire à peine charmeur flottant sur mes lèvres.

Coupable, Dove remuait dans la nuque de Niki. Cette dernière pouvait la sentir gigoter et grogner. Bon. Cette fameuse bestiole ne semblait craindre qu'une chose : les remontrances de sa chère maîtresse.C'est toujours ça. Au moins, elle pouvait se vanter de dompter un petit alien acariâtre qui avait la morsure facile. La remarque sur ses talents de professeure lui avait arraché un petit rire. C'est vrai qu'elle avait perdu la main ... Mais passer de prof' de chant à dompteuse de Dove, hein, j'voudrais vous y voir. La blondinette se mordit la lèvre inférieure. Bon, ce môme, il avait pas l'air bien méchant. Pour sûr, il ne la balancerait pas, en sachant la vérité. La preuve, il ne s'était pas enfui en courant une fois le petit alien retiré de son visage. 'fin, en courant … Niki fit la moue un long moment, avant de lâcher.

"J'm'appelle Niki."

Elle s'inclina même, tiens, froissant sa chevelure.

"Et … C'est Dove, qui t'a attaquée. Tu sais, je l'ai trouvé sur une planète, elle était la dernière la dernière de son espèce, comme moi, alors ça crée des liens, et … "

Niki secoua la tête, levant les yeux aux cieux. T-t-t. Voilà qu'elle parlait trop. Elle n'était pas du genre cachottière, et sa langue avait tendance à s'emballer très facilement. La jeune femme partait du principe qu'à l'heure actuelle, elle n'avait plus rien à perdre, puisque tout était derrière elle. Sa terre natale, ses amis, sa famille, ses rares amours. Y'avait plus que Dove. Mais bon, elle ne s’apitoyait pas sur son sort. Non, c'était pas vraiment son genre. Ça changerait rien. Dove ronronna amoureusement, tout contre elle. Adorable petite créature.

Il n'y avait, de toute évidence, plus personne ici. Même pas un bruit. Nombre de fois, elle s'était laissé enfermé dans son école, y passant la nuit, furetant ici et là. Les endroits endormis avaient un charme tout particulier.

"Drake, c'est … C'est pas japonais, mh ? J'ai pas encore vu tous vos pays, mais je sais que ce n'est pas d'ici. Mais c'est joli. Drake. Mh, oui, joli."

Un parfait petit sourire se dessina sur sa jolie bouche. Elle avait l'air un peu coconne, certes, ainsi. Mais non. Sa candeur était plus touchante qu'agaçante, finalement. Et puis, elle ne s'était jamais vraiment mis dans le pétrin. Ou alors, la petite blonde s'en sortait toujours, souvent grâce à Dove. Un alien, même d'aussi petite taille, ça calme.

Ses mains, jusqu'alors posée sur sa taille, s’agitèrent. L'index de l'une d'elle pointa ses jambes, avant de remuer, comme pour les entourer d'un trait invisible.

"Tu n'as jamais pensé à les remplacer, celles-là ? T'sais, ça fait pas mal. 'fin, pas tant que ça."

Elle s'y connaissait, mine de rien. Un ami à elle s'était fait remplacer un bras, après une mission. Il arborait un bras robotique, qui ressemblait comme deux gouttes d'eaux à un vrai. Même si celui-ci pouvait tirer des balles, en prime. Un petit bonus. Un de ses ongles ouvrait même les bouteilles. En somme, il avait fait une plutôt bonne affaire.

Niki -puisque c'était là son prénom- n'était pas vraiment une fille courante. Evidemment à Seikusu (et surtout dans ce fichu lycée) la notion de normalité était toute relative, mais elle se démarquait vraiment du lot. Elle était... elle était fraîche. Oui, c'était le bon mot. Bien que je ne la connaissais que depuis cinq minutes à tout casser, j'avais la sensation que Niki était toujours aussi pétillante et pleine de vie, toujours un peu décalée par rapport au monde qui l'entourait. Pour tout vous dire, ça la rendait à mes yeux très attachante. Je m'étais déjà fait la réflexion que la jolie rousse semblait tout bonnement débarquée d'ailleurs, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle confirme malgré elle.
M'ébouriffant les cheveux en guise de salut, Niki me présenta la sale bête griffue qu'elle avait surnommée Dove (faut-il être nouille pour donner un nom de savon doux à un machin carnivore et agressif !) et me lâcha tout naturellement qu'elle l'avait trouvé sur une autre planète, avant de me faire comprendre que dans son cas, c'était un peu la même chose.
J'haussai un sourcil dubitatif et laissait planer un sourire poli -comme celui qu'on aurait eu pour le type dont la blague aurait fait un four monumental à un repas de famille- et ne répondis d'abord rien. Si j'avais tenté de faire de l'humour, j'aurai pu me montrer blessant de façon involontaire et je ne voulais pas vexer Niki. Et puis, au fond de moi, je savais parfaitement que Dove n'avait absolument rien d'un chat.
Ou d'une quelconque créature terrienne.

- C'est américain. Je suis originaire de là-bas -des Etats Unis- mais je suis au Japon depuis que je suis tout gosse. D'ailleurs, Niki ça sonne comme un prénom de chez moi. J'aime assez !

Son gentil délire extra-terrestre persistait donc et le pire, c'est que j'étais de plus en plus prêt à la croire. Naïf ? Sûrement un peu, oui. Mais Niki avait un petit quelque chose d'inhumain. "Sa gentillesse", ne pus-je m'empêcher de penser. Très certainement, oui. Et cette classe qui rendait le latex aussi sexy qu'élégant, aussi. Poli, je faisais le maximum pour garder mes yeux sur les siens, regardant ses cheveux de temps à autres. Des fois que Dove en sorte, ce qui m'aurait assuré que je n'avais pas rêvé sa présence sur ma figure l'instant juste avant.
Niki s'arrêta enfin sur mes jambes. Je sentais bien qu'elles l'intriguaient depuis un moment ! Quand elle les désigna, je m'attendais à ce que la rousse me demande simplement ce qui m'étais arrivé, comme la plupart des gens le faisaient. Et je dois avouer que si je n'avais pas déjà été assis, sa tirade m'aurait laissé sur le cul. D'ailleurs, mes yeux ronds comme des billes devaient largement suffire à traduire mon étonnement.
Je me repris tout de même et finalement, je me laissais entraîner dans son jeu.

- C'est à dire que chez nous, les prothèses ne sont pas très performantes. Et puis, mes jambes ne sont pas mortes, tu sais ? C'est plutôt qu'elles refusent d’obéir quand je leur demande de faire quelque chose.

J'haussais les épaules dans un sourire tranquille. J'expliquais mon handicap à cette jeune femme comme je l'aurai expliqué à un môme en bas âge, mais c'était bien comme ça. Pourquoi perdre son temps dans des explications complexes alors que le langage enfantin résumait tout facilement et clairement ? Je tapotais un des accoudoirs.

- Et j'aime bien mon fauteuil. On finit par s'attacher. Ça permet aussi de faire des trucs fun ! Par exemple, je pourrai te faire visiter le lycée comme si tu étais une princesse !

M'inclinant poliment, je me redressais en lui offrant un sourire malicieux, tapotant mes cuisses pour lui proposer de s'installer. Pour parfaire l'invitation, je tendis également la main. Comme un chauffeur bien éduqué, un truc comme dans les films.

- Si madame le désire, je serai son cavalier pour la soirée et je la conduirai là où elle le voudra. A travers le lycée, ou sous les étoiles. Drake Express, en voiture !

Et je pris la route, lançant le fauteuil à travers les couloirs. L'avantage de ce drôle d'engin, c'est qu'il pouvait tout à fait accueillir le poids de deux personnes sans ciller. Aussi ne ralentit-il pas même alors que Niki et Dove avaient pris place, ce qui nous permit de partir à l'aventure au coeur des bâtiments endormis que la nuit qui filtrait à travers les fenêtres transformait en terrain de jeu. J'avais l'impression de découvrir un nouveau monde et c'était très excitant ! Ou alors, cette sensation était le fait du corps de Niki contre le mien, compressé dans le latex.
Décidé à rester dans le politiquement correct, je chassais quelques pensées déplacées.

- Tu es d'où, si tu n'es pas de la Terre ? Et tu fais quoi dans la vie, à part dresser Dove ?

Sans hésitation, elle accepta d'un hochement de tête joyeux, s'appuyant sur sa main pour mieux s'installer sur ses cuisses. Niki n'était pas bien lourde. Encore un merveilleux don que se partageaient les Ættìves. Poids plume, douceur plume. La jolie blonde fit sortir Dove de sa cachette, un moment. Juste la tête. Histoire qu'elle puisse voir le spectacle. Le petit alien émit des couinements craintifs, puis enjoués, avant de retourner se blottir contre sa nuque. Et elle ? Oh, elle s'éclatait. Comme une petite folle ! Elle était montée sur beaucoup d'engins différents, tout au long de sa longue vie, mais jamais sur un fauteuil roulant. La jeune femme avait 160 ans, tout de même. Dieu merci, elle ne les faisait pas. Une des caractéristique de son espèce étant qu'au bout de 500 ans, on commençait à vieillir, et les 100 années suivantes marquaient chaque jour un peu plus le corps. Mais elle n'en était pas là. Poussant des « Yaaaa ! », des « Wooooah », étouffant des rires derrière sa mimine, Niki profitait de cette escapade au maximum. Le contact rapproché de leurs corps ? Mh. C'était plaisant. Elle sentait sa tiédeur, tout contre la sienne. Enivrant.

La dernière question qu'il posa, elle n'y répondit pas tout de suite. Comment formuler cela ? Y'avait beaucoup de choses à dire, mais elle ne voulait pas l'assommer de détails lourdingues.

"Mon peuple, les Ættìves, a été décimé, et D▲-ttìæ , ma planète, colonisée."

Dove gigota. Ah, oui, ça, elles connaissaient. Toutes deux. La mélancolie de ne jamais retrouver sa terre natale, et tous les souvenirs emmagasinés en 140 ans de vie là-bas qui prennent la poussière. C'était bien une des seules choses qui pouvait miner son moral, ça. L'avant, qui lui manquait cruellement.

"Mon vrai nom est Nikììmæj Hanìselmæwúúteckónê, tu sais. Tu ne sauras ni le retenir, ni le répéter."

En effet. Tour tout être n'étant pas Ættìve, ces mots étaient reçus comme une suite de sons impossibles à répéter. Le langage parlé sur D▲-ttìæ était relativement … Complexe, pour ceux dont ce n'était pas la langue maternelle.

"Et je suis une guerrière intergalactiiiiique !"  ♫

Le poing levé en l'air, elle étouffa un petit rire.

"Je vais de planète en planète, là-bas dans le ciel, et puis j'aide les peuples. C't'aussi con que ça. Et c'est comme ça que j'ai sauvé Dove. T'sais, l'organisation, là-haut, c'est un peu anarchique. On s'y perd."

Hochement de tête. La législation spatiale était une légende spatiale. Seuls les quelques peuples civilisés s'appliquaient à respecter les lois. Les autres n'appliquaient que la loin du plus fort. Qui avait causé la perte de son peuple et de sa planète.

"Et toi ? T'es étudiant, ici ? Rien d'autre ? Tu ne caches pas un petit secret ... ?"

Elle s'était tournée vers lui, dans un sourire, pour lui poser cette question. Ses yeux brillants le dévisagèrent quelques secondes. Graou. Il n'était pas mal du tout, pour un humain. On faisait souvent des blagues sur la Terre, lors des missions. Des tellement vilaines que je n'oserais même pas les répéter, mais qui véhiculait une mauvaise image des humains. Là, dans ces couloirs, avec lui, Niki avait bien envie d'oublier toutes ces idées reçues.

Le fauteuil filait à bonne allure dans les longs corridors du lycée et je dois dire que j'en profitais autant que Niki. Le moteur de mon accessoire était très puissant et je ne le lâchais que trop rarement. Alors le faire dans un tel cadre, c'était tellement agréable ! Je partageais ses réactions en riant, enserrant instinctivement ses hanches de ma main libre tandis que nous montions et descendions les petites pentes lisses qui jouxtaient les escaliers, pour éviter que ma drôle de compagnie ne glisse de sur mes cuisses. Allez, j'avoue : c'était également pour profiter un peu d'elle. Mais je n'avais absolument aucun geste déplacé, ça non ! Tout ce qui était interprétable était plutôt un mouvement de tendresse et d'attention. D'attirance mal dissimulée aussi, d'accord. De toute façons, je ne doutais pas que Niki me rappelerait à l'ordre si je me montrais trop entreprenant. Elle ou Dove, chose que je préférais tout de même éviter.

- C'est... Pardon, mais je n'ai pas DU TOUT compris le nom de ton peuple ou celui de ta planète, Niki.

Gêné, je souriais un peu bêtement. En guise de mots, ça avait été davantage un ensemble de sons improbables que j'avais trouvés somme toutes assez agréables à l'oreille, comme très chantants. Niki continua, me révélant la totalité de son patronyme. Enfin... D'après elle. Pour le coup, je ne pouvais que le croire sur parole !

- Et bien, moi c'est Noventa. Drake Noventa, c'est tout de même plus facile à retenir ! Mais moins joli que ton nom, je trouve.

Tandis qu'elle m'expliquait son travail, je nous fis pénétrer dans une salle assez particulière du lycée. Pour ce que j'en savais, elle avait été aménagée suite à la demande un peu farfelue d'un prof qui voulait étudier l'astronomie. Ainsi, le plafond de la classe était une grande verrière claire, qui donnait ce soir sur une nuit superbement étoilée. Et ça allait de paire avec les mots de Niki, qui me tira une nouvelle fois un sourire attendri tandis que je la couvais du regard. A présent que le fauteuil était arrêté, mes deux mains lui ceignaient la taille, croisées l'une sur l'autre. Du regard, je lui désignai le drôle de plafond.

- Une justicière de l'espace... Une très jolie justicière, d'ailleurs. Je suis sous le charme, là.

Je tournais cela à l'ironie, mais c'était finalement sincère et mon regard ne me faisait aucunement mentir. Niki était très plaisante à regarder, à fréquenter... A désirer. Assurément, je la désirai. Le cadre dans lequel nous nous trouvions prêtait au rapprochement et d'ailleurs, je calais un peu plus le corps de la rousse contre le mien, mes bras l'emprisonnant davantage.

- Hm... Si, j'ai un petit secret. Mais si tu veux que je t'en parle, il va falloir que tu me montre ce que tu sais faire.

Je réalisais que mon regard avait dérivé sur son corps tandis que j'avais parlé. Et ce que je venais de dire pouvait du coup être très mal interprété ! Je rougissais et bafouillais en essayant de me rattraper au mieux pour éviter l'esclandre.

- Je veux dire...euh... c'est pas une proposition de coucher, hein ! Pas que ça me déplairait, bien s- NON NON, c'est pas ce que je voulais dire ! Enfin, tu me déplais pas non plus, j'ai pas dis ça ! Dépité, je posai mon front contre elle et soupirais. Je voulais dire que tu avais peut-être des pouvoirs extra-terrestres, quoi. Et que j'aurai bien voulu que tu me montre.

Le reste avait très bien témoigné de mon émoi. J’espérais juste qu'elle ne prendrait pas la mouche devant ma maladresse.

Ce petit tour enchanteur à bord de ce carrosse atypique prit fin, au grand regret de Niki. Et de Dove, qui marmonna dans sa langue. La blondinette mit un temps à comprendre qu'il fallait qu'elle lève son museau pour comprendre l’intérêt de cette pièce où il l'avait amené. Au-dessus d'eux, le cosmos. Le ciel, comme un dôme, les couvait gentiment. Sentir le poids du ciel la rassurait toujours, et lui rappelait à quel point l'univers était beau. Putain ce qu'elle aimait ça, gambader entre les étoiles, rebondir sur les planètes et admirer les quasar. Un petit frisson fit danser ses vertèbres, tandis qu'il serrait ses mains autour de sa taille. Ce contact la fit frémir. Bien que légèrement misanthrope sur les bords, Niki savait apprécier la pression d'une peau contre une autre. Même le compliment manqua de la faire rougir, et elle agita négligemment la main, comme pour dire « Tu ne sais pas de quoi tu parles. » Dove allait devoir se trouver une autre occupation, bientôt, tiens.

Hm... Si, j'ai un petit secret. Mais si tu veux que je t'en parle, il va falloir que tu me montre ce que tu sais faire.

Wat wat wat ? Niki écarquilla les yeux, un peu surprise. Ah, pour être direct, c'était direct.

Puis il se rattrapa, bafouillant, perdant ses mots. Il était canon, même quand il essayait de reprendre une certaine contenance après un tel cafouillage. Niki appuya son doigt sur son front, penchant la tête pour le regarder.

"Je vais t'en mettre plein la vue, Drake."

Promesse, prononcée sur un ton léger. Elle défit l'emprise de ses bras d'une main, pour retourner le sol. La blondinette manqua de tomber à la renverse, mais s'appuya sur un bureau, évitant la chute. Dieu merci. Son regard se balada dans la pièce, et elle ouvrit un, deux, trois tiroirs, avant de trouver ce qu'elle cherchait. Un allume-gaz. Qui se balada entre ses doigts, gracieusement.

"Les Ættìves  ont plusieurs dons. Notamment celui de ne souffrir ni du froid … "

Allume-gaz allumé. Une flamme épaisse s'éleva. Et elle plongea naturellement sa main dedans, la remuant, dansante.

"… Ni du chaud."

Pour appuyer ses propos, elle continua son petit manège, allant même jusqu'à faire glisser la flamme de long de ses bras, sur son ventre, sur son front. Aucune peur, sur son visage. Même sa chevelure ne s'enflammait pas. Au bout d'un moment, Niki éteignit le petit objet, le remettant à sa place. Puis elle croisa les bras sur son ventre.

"Je sais aussi chanter. Mais … Pas comme vous. Tu vas voir, attends. Mh mh."

Elle frappa son buste du poing, doucement, s'éclaircissant la voix. Puis elle chanta. Et la voix qui s'échappait d'entre ses lèvres n'avait rien, rien à voir avec les voix humaines. Ce n'était pas robotique, non plus, ni électronique. C'était comme un ensemble de notes, pures, que l'on ne pouvait rattacher à aucun instrument existant. Le genre de voix qu'on peut écouter sans ciller, sans s'ennuyer, complètement épris par la mélodie. Et puis, elle avait été prof' de chant, la p'tite, alors elle maîtrisait sur le bout des doigts.

Deux minutes après, elle cessa. Pour revenir vers lui. Les mains appuyées contre les cuisses de Drake, penchée, elle lui adressa le plus charmant de tous les sourires.

"Mon peuple savait aussi très bien cuisiner. Et de tout. Je pourrais te faire une salade de papier avec une sauce d'encre, que tu trouverais délicieuse à crever."

Léger rire. Cet atout, elle l'adorait.

"Alors, mh ? J'ai mérité de connaître ton secret ?"

- Je vais t'en mettre plein la vue, Drake.
- Si c'est le cas, j'espère que tu ne m'en voudras pas de ne pas te faire une standing ovation.

Hop hop hop, Drake ! Pas d'amertume ni d'humour noir ce soir, Niki n'avait rien fait pour mériter ça ! Vrai que c'était déplacé de ma part d'ironiser autant, mais la mignonne avait encore quelques preuves à faire. Comment pouvais-je avaler d'un bloc qu'elle était une guerrière intergalactique et qu'elle était issue d'un peuple aujourd'hui exterminé. Bon, il fallait bien admettre que la présence de Dove et le drôle de vocabulaire chanté de la rousse quand elle avait prononcé son nom et celui de sa planète ne laissaient plus trop de place aux doutes. Maiiiiiiis je restais sceptique. J'avais envie qu'elle parvienne à me convaincre, à me faire rêver. Ou peur, qui pouvait le dire ? Dans les films, les nanas débarquées de l'espace étaient souvent aussi attirantes que cradingues dans leurs habitudes. Diana, dans V, elle bouffait des bestioles vivantes et ressemblait à un lézard tout vicieux ! Et pourtant, quelle femme !

Bras croisés, j'observais Niki fureter à droite puis à gauche comme si elle cherchait un objet bien précis, sur lequel elle mit enfin la main. Un allume-gaz ? Pourquoi pas. Je l'écoutais me parler une nouvelle fois des siens -j'appréciais vraiment ce langage si partculier, même si je n'y comprenais absolument rien- et me méfiais quand la flamme éclaira la pénombre de la salle. Et là, cette folle plongea la main dans le feu, carrément ! Je me redressais d'un bon sur mon fauteuil, la tronche fixée dans une expression de surprise pas du tout contenue. Mais non : Niki n'avait pas mal. Elle s'amusait de ce feu qui lui léchait la peau et les cheveux, me démontrant par A+B qu'elle était proprement ignifugée ! De mon côté, je restais con et franchement très impressionné.
Inutile de dire que le tour de chant qui suivit l'arrêt de l'allume-gaz ne m'aida pas à me reprendre. Mieux, j'en aurai presque glissé de ma chaise tellement j'étais étonné, abasourdi, conquis. Oui, oui. Conquis. C'était le mot. Cette rousse qui chantait à sa façon si particulière sous les étoiles qui l'avaient vue naître et évoluer (j'en étais maintenant absolument convaincu) était à elle seule un spectacle incroyable. Comme un film Disney, en fait : un condensé de bonne humeur et de naïveté touchante qui n'était pas tout à fait assez irréaliste pour qu'on n'y croit pas du tout. Si Niki avait été un bonbon, je l'aurai sucotté pour m'enivrer de ses saveurs fruitées.

- Pour le coup de la bouffe, je voudrais bien voir ça. Enfin, goûter, plus tard.

Spontanément, je déposais un baiser léger sur la pointe de son nez avant de doucement saisir ses bras pour la faire se relever tranquillement.

- Écarte toi un peu, Niki. Je vais te montrer mais je te préviens, c'est un peu moins...hm...amusant que ce que tu sais faire.

Une fois qu'elle fut à bonne distance -un pas ou deux- j'activais le mécanisme très particulier de mon fauteuil roulant. Rapidement, mes bras et mes jambes furent emprisonnées dans le métal avant que dans un bruit de machine je ne passe en station debout, soutenu par l'armure qui prenait forme au fur et à mesure que les plaques du blIndage s'ajustaient sur mon corps pour le recouvrir et le protéger à l'instar d'une carapace d'acier qui finalement mangea la totalité de mon être, ne laissant plus qu'en face de l'extraterrestre que la forme effilée et encasquée du MetalBone mark 4, dont les aspérités luisaient presque agréablement de l'énergie qui irriguait les muscles cybernétiques.

[Je te l'avais dis, c'est loin d'être aussi classe que toi. Mais c'est mon secret, comme promis ! Au fait, je suis toujours ton cavalier. On peut s'approcher un peu de tes étoiles tout les deux. Seikusu est très belle, de nuit.]

Je lui ouvris alors les bras pendant que la partie faciale de mon casque se relevait pour laissait apparaître mon visage nanti d'un sourire doux et enjôleur. D'un signe de tête, je désignais une fenêtre laissée ouverte.

- Alors, cette petite virée ?

La jolie blonde ne cachait pas sa joie. A en voir son regard, et le charmant baiser qu'il déposa sur la pointe de son nez, elle le sentait : il était conquis. Et elle, pour le coup, était victorieuse. Quand elle causait de son passé, Niki le faisait naturellement, tant cela lui semblait évident. Mais elle avait tendance à oublier que son histoire était tout de même farfelue. Et, si elle voulait et captiver l'auditoire et ne pas passer pour une menteuse, la jeune femme avait beaucoup à faire. A l'Académie, étant donné qu'on lui parlait peu, elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de partager son univers et ses pouvoirs. Mais la balance était inversée. Cette fois, elle était à l'honneur.

Niki s'éloigna prudemment du fauteuil quand il le lui demanda. Elle avait tant hâte de connaître son secret qu'elle tapait des mains, souriante, comme une gamine qui attend de voir son idole. Et elle ne fut pas déçue. Non, loin de là. Très loin de là, même. Sous le coup de la surprise, Niki s'appuya sur le bureau, derrière elle. Un robot. Un alliage savant, qui venait de donner corps à une toute autre créature robotique. La blondinette s'approcha, tapotant cette carapace de ses doigts, son index suivant le dessin de quelques alliages.

"… C'est dingue."

Elle en avait vu peu, des trucs de ce genre. La plupart des gens gardaient ça jalousement. Et puis ça demandait du travail, de l'énergie, de la patience … C'était la première fois qu'elle approchait d'une telle armure. Hors dessins et hors compétitions où, le ventre compressé par une barrière, au creux d'une foule, elle assistait à des compétitions où des robots se battaient. Ce n'est que quand il lui adressa la parole qu'elle sortit de ses pensées. D'un bond, Niki se recula.

Alors, cette petite virée ?

Immédiatement, c'est un sourire qui poussa sur ses lèvres. Elle mit ses mains sur ses hanches, le toisant, joueuse.

"On fait la course ?"

Elle sortit une petite télécommande de sa combinaison. Fit craquer sa nuque. Et sauta par la fenêtre. Même pas peur. Aussitôt, un vrombissement se fit entendre, sourd et puissant. Le bruit … d'une moto, oui. Si Drake regardait pas ladite fenêtre, il la verrait, perchée sur sa moto, un casque aux motifs de sa tenue sur la tête. Quelques mèches s'échappaient de ce casque, et Dove était sagement rangé dans un petit coffre, sous le siège arrière du véhicule. Une moto volante. Décidément, on aura tout vu, ce soir. Nul doute que les quelques humains qui les croiseront seraient traumatisés.

La petite blonde releva sa visière. Ses yeux brillants le fixaient.

"Allons chambouler les étoiles ! Le ciel se souviendra de nous."

Comme pour appuyer ses propos, elle fit rugir la moto, qui commença à s'élever dans les cieux. Sensation enivrante. Et pour elle qui ne craignait ni le froid, ni le chaud, elle pouvait se permettre de voguer très très très haut. 'fin, pour le moment, elle ne souhaitait pas perdre de vue ce charmant cavalier. Aussi Niki lui fit-elle un signe de la main gracieux. « Viens ! » Qu'il la suive. Et qu'ils s'amusent.

- La course ?

A peine le temps de finir ma phrase que Niki me plantait bêtement là après avoir fait joué sa nuque et un bouton d'une télécommande sortie du latex qui cintrait son joli petit corps. Je me retrouvais comme un con alors qu'elle sautait par la fenêtre ouverte, moi qui avait les bras grand ouvert pour originellement l'y accueillir ! Une exclamation de surprise plus tard, je me penchais sur le bord de la croisée pour trouver mon ET à la coiffure aussi dense qu'improbable juchée sur une...putain...une moto volante de l'espace ! Ca dépassait mes rêves de gosse les plus imaginatifs, là ! Tout sourire, je contemplais le tableau alors que je sentais peu-à-peu l'adrénaline se déverser dans mes veines, comme juste avant l'une de ces compétitions de sports extrêmes à laquelle je participais avant mon accident. Alors, elle voulait vraiment jouer ? Nos regards se croisèrent et un petit sourire de défi vint fendre mes lèvres juste avant que la partie faciale de mon casque ne se rabatte, les yeux artificiels se mettant à luire alors que devant mes yeux s'affichaient de nombreuses réticules et autres fenêtres d'information sur l'environnement en réalité augmentée.

Niki s'envola après un vrombissement de moteur délicieusement agressif et j'activais mes propulseurs à air dans la foulée, décollant depuis la salle de classe et filant en ligne droite pour me mettre à sa hauteur sans réelle difficulté. J'ignorai de quoi sa bécane était capable, mais mon armure en avait assez sous le capot pour faire la nique à bien des records de vitesse !

[Le vainqueur embrasse le perdant, ça te va ?]

Elle ne pouvait pas voir mon sourire ni même réellement le lire dans ma voix au rendu informatisé, mais il était présent. Dans ces conditions, il n'y aurait de défaite pour personne, mais ça importait peu. Mieux, c'était même très bien comme ça ! Plaquant le bout des doigts à l'emplacement supposé de ma bouche, je mimais l'envoi d'un baiser avant de mettre les gaz vers le centre-ville. On allait commencer par un peu d'acrobatie entre les buildings pour se mettre en jambes, avant d'aller rejoindre les étoiles pour plus de liberté dans le parcours.

En attendant, je filais déjà en tournant sur moi-même avant de négocier un étroit passage entre deux immeubles, jetant un oeil à Niki pour qu'elle me suive.

Patiemment perchée sur sa bécane, elle attendit qu'il vienne à son niveau.

Le vainqueur embrasse le perdant, ça te va ?

"Compte bien sur moi pour gagner !"

Réponse suivit d'un petit sourire, tandis qu'elle tendait vivement la joue pour recueillir ce joli baiser lancé sur bout des doigts. C'est vrai qu'il n'y aurait pas de perdant, ni vraiment de gagnant, dans ce cas-là. Mais qu'importe. On ne rigole pas avec l'honneur d'une Ættìve. Pendant longtemps, elle avait été entraînée, manipulant merveilleusement bien tous les engins. Et si elle avait ramené cette moto sur Terre, c'était parce qu'elle la maîtrisait à merveille. Un vrombissement, et Niki le suivit à toute allure. L'adrénaline pulsait sous sa peau. Elle n'avait qu'une envie, le rattraper, lui en mettre plein les yeux, et s'éclater un bon coup.

La blondinette zigzagua entre quelques bâtisses, évitant prudemment les baies vitrées qui lui renvoyaient son reflet. Celui d'une petite folle, intenable, perchée sur un moto volante. Elle fit rugir le moteur, avant de s'élever dans les airs. Hop, le toit. Elle fit mine de s'y poser, pour mieux en ... sauter. Oui. La moto 'roula' le long de la façade du building, mimant une chute, avant de retourner s'élever dans les airs, rattrapant Drake. Quelle sensation grisante, que celle de se laisser tomber. Niki joua un moment à saute-moutons au-dessus des bâtiments, intrépide.

"Yiaaaah !" ♫

... Mais à trop faire l'idiote, elle en perdait son but : le battre à la course. Et il avait pris de l'avance. Niki s'approcha tant bien que mal de lui, lui criant :

"Attention les yeux !"

Et elle prit de l'élan. Et elle s'envola littéralement, visant les étoiles, le ciel, lourd et imposant. L'air y était frais, et le silence apaisant. Niki fit taire son moteur, un instant, admirant au travers de la visière de son casque les étoiles, imaginant les petites planètes flottantes. C'était un ciel qu'elle aimait tant parcourir, autrefois, quand D▲-ttìæ ... Mmh, ne pense pas à ça. Se remémorer tout ça ne ramènerait pas le passé. Il était derrière elle, maintenant. Elle poussa un petit soupir. La Terre n'avait rien à voir avec sa planète natale, et tout lui manquait.

Nouveau soupir. Elle fit chanter son moteur, fit danser la moto dans les airs.

"C'est moi qui vais t'embrasser, petit !"

Lui lança t'elle, reprenant la course, fougueuse. 

Niki pensait-elle que je ne la suivrai pas là-haut, au plus près des étoiles, alors qu'elle se ruait vers elle ? C'était mal me connaître ! Je n'avais jamais poussé les capacités de l'armure à pareille hauteur mais dans l'euphorie du moment, cela n'avait guère d'importance. Demandant un effort supplémentaire à mes propulseurs qui avalaient l'air pour le compresser et l'expulser avec force, je m'élançais dans son sillage comme un missile au fuselage de ténèbres. Et autant dire que je lui tétais la gomme, à l'ET la plus sexy de ce côté de la Voie Lactée ! Même si elle n'avait pas de roues, oui. Arrivé à bonne hauteur, je laissais mon armure mettre en route le chauffage intégré et m'aperçu que je perdais de la vitesse. Logique, l'air était ici plus rare qu'en bas et mes moteurs ne pouvaient pas tourner à plein régime. Mais... Ca n'avait pas beaucoup d'importance. Le ciel nocture s'étendait devant moi, vierge de toute souillure des lumières artificielles qui rendaient fade son éclat. Les étoiles brillaient comme autant de diamants bruts dans le boyau d'une mine et l'espace d'un instant la beauté du cadre me coupa le souffle. Niki, qui sillonnait l'espace, voyait donc ce panorama fantastique tous les jours ? Je me demandais si elle se rendait compte de la chance qu'elle avait de pouvoir tutoyer l'immensité de l'univers. Pour moi, humain désespérément cloué sur Terre, la rousse jouissait de la plus absolue des libertés.

[Woow...] ne pus-je m'empêcher de laisser filer.

Elle redémarra, faisant rugir les entrailles de sa drôle de bécane et me ramenant ainsi à la réalité. Souriant dans mon casque à son petit défi, je ne pus m'empêcher de lui répondre alors que mes propres moteurs reprenaient leur vrombissement sourd pour que la course s'enchaîne.

[Tu peux toujours y croire, grande ! Je vais t'embrasser et pour te punir de te la jouer avec moi, je vais même mettre la langue !] je lui désignais une direction. [Là-bas, tu as la grande antenne-relais de la ville. C'est là que le vainqueur réclamera son dû ! 3, 2, 1... FIRE !]

Mimant à son attention l'envoi d'un baiser du bout de mes doigts, je redescendis brutalement vers la terre ferme, profitant de la pression de l'air pour augmenter grandement ma vitesse. Ce fut un bolide noir aux lignes luminescentes qui redressa in-extremis dans la zone industrielle de Seikusu, à la limite de la ville. Je passais devant quelques usines et autres buildings en survolant des voitures qui me semblaient bien paresseuses au vu de ma vitesse, avant de filer comme une bombe vers la flèche de l'antenne qui découpait l'horizon nocturne. On verrait bien d'ici quelques très courtes minutes qui allait rouler un patin à l'autre, foi de Drake !

3, 2, 1 ... FIRE !

Niki n'eut pas besoin d'en entendre plus pour faire vrombir sa bécane. Vroum, vroum ! Un bruit impressionnant, surtout venant des cieux, et non pas d'une route gentiment goudronnée. La jeune créature lâcha la moto, pour lever les mains aux cieux, gigotant sur son siège. Elle avait dans la tête un air, qu'elle avait entendue un peu plus tôt dans son vaisseau. Chantonnant approximativement les paroles, elle s'empara des commandes de sa moto, et s'envola plus haut. Elle aurait pu en toucher, des étoiles. De nombreuses images défilaient devant ses yeux, souvenirs de son passé d'extra-terrestre paisible. Pas le temps pour la nostalgie. Un sourire dévoila ses dents, tandis qu'elle redescendait brusquement, en trombe, l'air giflant son épiderme.

"Ahahah !"

Un rire cristallin, frais.

Niki remarqua l'antenne relais, qui la narguait. Et lui, qui s'en approchait. Tudieu ! Pas question de perdre. Elle fit chanter le moteur, démarrant comme un petit missile agile. Immeuble, cheminée, camion, la blondinette s'amusait à tout frôler, tendant parfois le bras pour toucher les différents matériaux qui lui passaient sous la main. Et Dove, elle, s'endormait, sagement rangée.

C'est au bout d'un long moment qu'elle arriva au lieu de rendez-vous, y garant sa moto. 'fin, du mieux qu'elle le pouvait, hein. Et puis le casque, elle l'ôta, délivrant ses longs cheveux blonds.

" ... Y'a quelqu'un ? Drake ? J't'ai battue ?"

Lança t'elle, souriante. Soit il se cachait quelque part, soit elle était arrivée première. Pour tout vous dire, trop occupée à admirer la ville, elle n'avait pas surveillée son compagnon. Résultat ; Niki ignorait où elle en était, dans la course. Aux moment où elle avait zigzagué entre quelques camions de livraisons aux logos colorés, il était un peu devant elle. Mais elle ne se souvenait pas l'avoir dépassée. Peut-être se cachait-il. La jolie petite Ættìve regarda un moment le ciel, baigné d'étoiles. D'ici peu, elle y retournerait, là-haut. Cette pensée l'enchantait tout particulièrement.