« Ohlàlà, je ne veux surtout pas voir ça... »
Naoko posa une main sur ses yeux, en voyant Clara se déhancher sur Get Lucky. Le Japon n’échappait pas aux dernières modes musicales, surtout pas quand il s’agissait des Daft Punk. C’était un groupe musical mythique, et très apprécié au Japon. Même le manoir de Mélinda n’y avait pas échappé, et, quand les lycéennes organisaient des fêtes dans le grand salon, la musique rugissait à travers les enceintes, donnant l’impression d’être dans une boîte de nuit endiablée. Naoko écarta ses doigts, et vit Clara danser, Motoko, hirsute, la suivant sans rien comprendre. Ce n’était pas une danse très réussie, et, dans un autre registre, Naoko aurait été écroulée de rire. Motoko avait vécu pendant des siècles sous le lycée, oubliée de tous, et le retour à la réalité était logiquement très difficile. Clara avait des méthodes brutes, mais peut-être que ce système produirait quelques résultats...
Lentement, Naoko se releva, restant en retrait, n’osant pas interrompre, tandis que la musique filait. Clara rigolait joyeusement, sautillant en entraînant Motoko.
« Ouais, ouais, allez, Motoko, allez, remue-moi tout ça ! »
Naoko regrettait vraiment d’avoir une caméra. Motoko était une pure Japonaise traditionnelle, issue de cette période lointaine du Japon dont on retrouvait encore quelques traces, et qui avait toujours fasciné Naoko. Son simple choix vestimentaire était très illustratif : un serafuku, l’un des uniformes scolaires les plus conservateurs du Japon, à l’allure militaire. Et il lui allait très bien. Motoko allait avoir du chemin à venir pour rentrer dans le monde du 21ème siècle, surtout au Japon, qui était comme fracturé en deux. Naoko pensait très sincèrement que personne d’autre qu’un Japonais ne pouvait vraiment comprendre le Japon, tant ce pays était riche et complexe. Il n’avait rien à voir avec l’Occident, et Naoko était sûre que le même raisonnement pouvait se faire avec les Occidentaux. Les Japonais les percevaient comme des individus étranges, curieux, ne respectant rien, des fous furieux irascibles et insouciants, une insouciance que la jeunesse enviait et admirait, ce qui donnait lieu à de sévères oppositions dans le monde japonais. Les mangas retransmettaient plutôt bien ce sentiment, en incarnant constamment des héros d’allure occidentale. Après tout, les Américains avaient anéanti l’Empire japonais.
Encore une fois, Naoko se fustigea en réalisant qu’elle replongeait dans l’Histoire. C’était vraiment sa passion, et elle était fortement reconnaissante à Mélinda de lui avoir permis d’exercer sa passion, en lui offrant quantité de livres et d’essais qu’elle ne trouvait pas à la bibliothèque, et qu’elle n’aurait pas pu obtenir avec ses modestes moyens. C’était par l’Histoire que Mélinda avait fait de Naoko son esclave, en lui offrant des livres prestigieux.
La danse se termina, et une Motoko toute essoufflée atterrit entre les bras de Naoko, qui la réceptionna, un peu gênée de tenir entre ses bras une si puissante vampire. Clara, de son côté, affichait un grand sourire sur les lèvres, et forma un « V » avec ses doigts en les tendant fièrement.
« Yay, Motoko, une future étoilée est née ! »
Naoko lui caressait tendrement les cheveux, et fit un baiser sur son front, tout en souriant légèrement .En trois minutes, Motoko avait fait bien plus d’activité que pendant trois siècles réunis.
« Ma pauvre Motoko, tu es toute pâle... »
Naoko lui sourit encore, continuant à lui caresser le dos, tandis que Clara croisait les bras, en souriant.
« Ah, ces vampires... Ça se la pète de vivre des siècles, et c’est incapable de se déhancher ! »
Naoko émit un léger soupir. Clara était décidément unique en son genre. Au Japon, une fille comme ça tenait du fantasme. Les femmes étaient très soumises, et, même aujourd’hui, le Japon restait un pays profondément marqué par le machisme*. Il n’était dépassé à ce niveau que par les pays arabes. Autant dire que, pour Motoko, qui venait d’un passé lointain, ce contraste serait encore plus marquant. Mélinda devait vraiment l’étonner, par son tempérament, et par son autorité.
« Bon... Après cette pause, je crois qu’il est temps de... »
Naoko n’eut pas le temps d’achever qu’elle sentit venir sur son nez un parfum particulièrement enivrant et vivifiant. Elle sentit son petit cœur se retourner, et se retourna pour voir la magicienne Slotwenna entrer dans la pièce. Comme toujours, elle dégageait une aura charismatique particulièrement forte, et Naoko baissa respectueusement la tête, intimidée. Clara rougit, n’ayant pas oublié que son insubordination auprès de Slotwenna lui avait valu un sortilège de magie rose déclenchant un orgasme à chaque fois qu’elle marche... Ce qui était très pénible. Slotwenna n’était pas comme Kaileesha, elle aimait bien la discipline.
« Vous faites un sacré raffut, ma parole... » commenta-t-elle.
Clara n’osa pas répondre, et Slotwenna regarda autour d’elle.
« J’ai bon espoir de parvenir à briser les liens magiques qui te retiennent dans cette cellule, Motoko... mais n’oublie pas que toute magie a aussi une part de psychologie. Pour que ce sortilège continue à fonctionner, je pense que tu dois aussi te dire, inconsciemment, que tu ne peux pas sortir d’ici, ou que tu ne souhaites pas sortir. Persuade-toi du contraire. La Terre a beaucoup changé en quelques siècles, mais tu es une vampire, tu peux t’y adapter... Et puis, Mélinda sera là pour t’aider, elle tient trop à toi pour ne pas le faire. »