Il arrêta de justesse son coup au visage, un coup dangereux qui aurait bien pu lui ôter un oeil, alors qu'elle bloqua également le tour qui lui était porté au ventre. Il la fixait avec ce regard neutre, presque indifférent, et malgré tout déterminé, alors que celui de la tueuse était imprégné d'un désir de tueur bien présent, bien clair. N'importe qui dans sa situation serait effrayé par ce regard, pourtant Luccius n'avait aucune peur lui traversant le regard. Seulement cette détermination et cette sérénité qu'il avait lorsqu'il croisait le fer contre un adversaire de haut niveau. C'était un plaisir pour lui, même s'il savait qu'il risquait sa vie.
Cependant, alors qu'ils combattaient, la femme dit quelque chose qui le surprit : elle avait été également engagée par quelqu'un pour le tuer ? C'était un hasard plutôt étrange, trop étrange pour l'assassin. Déjà que lui ait été engagé pour tuer un autre assassin, c'était un contrat étrange pour lui, mais qu'en plus, cet autre assassin ait reçu comme contrat de le tuer également, c'était beaucoup de coïncidence pour qu'il puisse y croire. Mentait-elle ? Non, elle n'était pas ce genre de tueuse, utilisant des ruses pour arriver à ses fins. C'était une maniaque, assoiffée de sang, n'importe qui aurait pu le deviner en le regardant se battre. Elle devait dire la vérité, sous le coup de l'émotion. Ce questionnement intérieur se traduisit dans le regard de Luccius, passant d'une grande sérénité à une grande surprise.
Pendant quelques secondes, il restait ainsi, tenant la garde contre elle qui maintenait sa lame. Il se refusait à lâcher la lame de la demoiselle qui, pour sa part, était dans la même position de lutte pour garder l'avantage. Le fait est que si l'un des deux flanchait, l'autre prenait le dessus et pouvait porter un coup mortel, vu la distance qui les séparait. Cependant, cette révélation d'être la cible de quelqu'un tracassait beaucoup trop l'assassin pour qu'il songe à prendre le dessus. Quelqu'un les avait amenés à s'affronter, pour une raison ou une autre. Ce n'était pas par vengeance, certainement, mais sans doute un piège d'autorités supérieures prête à tout pour se débarrasser des deux assassins. Et quoi de mieux que de les laisser s'entretuer.
Aussi, Luccius songea qu'ils n'étaient pas seuls. En s'affrontant, les deux assassins auraient sans doute dépensé toutes leurs forces et le vainqueur aurait été à la merci de n'importe qu'elle attaque, que ce soit lui ou Norah. Un peu parano ? Pourtant, il devait être dans le vrai, car autrement, quel était l'intérêt ? Il fallait qu'il vérifie cela. Mais Norah allait-elle lui laisser le temps ? Allait-elle seulement l'écouter ? C'était un coup à tenter. Cela le faisait rager, surtout s'il se trompait, car dans ce cas, elle aurait très bien pu songer qu'il fuit. Il allait tenter de lui faire remarquer l'absurdité de la situation.
« De toute évidence, on a tous les deux un contrat sur la tête de l'autre. Je n'aime pas trop ce genre de coup fourré, ça sent l'arnaque clairement. »
Il continuait à maintenir l'arme de la tueuse dans ses mains. L'orage gronda au-dessus d'eux, soudainement. Le clair de lune était caché par des nuages épais, sombre et menaçant. La pluie allait tomber, et les flammes allaient disparaître. S'il avait raison, il devait la convaincre avant de mourir.
« Bon, je vais être direct et te dire ce que j'en pense : si on nous a donné un contrat contre l'autre chacun, c'est pour qu'on s'entretue. Et si celui qui nous a engagés à dans l'idée de se débarrasser de deux assassins, ce n'est sans doute pas de l'or qui attend le vainqueur. Sans aucun doute, c'est la mort qui l'attend. Et quand serait-il plus judicieux de buter un assassin, si c'est bien une arnaque ? Quand il est sur ses gardes et en pleine forme ? Ou plutôt quand il a lutté sang et eau pour tuer son adversaire et soupir une fois la victoire acquise ? »
Quelques gouttes tombèrent sur son visage. Cela s'annonçait mal. La pluie allait sans doute éteindre rapidement les flammes qui les entouraient. Il devait vite finir :
« Vu la situation, tu aurais gagné, vu que les flammes vont s'éteindre. T'aurais qu'à maintenir ta garde jusqu'à ce que les ombres reviennent et utiliser ta capacité à te fondre dans le noir pour m'égorger. J'admets ma défaite. Mais laisse-moi au moins l'occasion de voir si on a bel et bien été manipulé, toi comme moi, pour qu'on se débarrasse de nous. Si je me trompe, je te laisserai me tuer sans rechigner... »
C'était un pari risqué, mais si elle ne le croyait pas, elle allait le tuer, de toute manière. Avec de la chance, elle abandonnerait l'idée de le tuer en se vengeant sur celui qui les avait engagés. Quitte à risquer de mourir, autant se donner le plus de chance de vivre.
« De toute manière, si je me trompe, tu n’auras aucun problème à me trouver et me tuer. Donc inutile que je te donne ma parole. Rappelle-toi juste qu'on nous a sans doute utilisés pour ensuite nous poignarder dans le dos. T'es prête à laisser faire cela ? »
Les flammes crépitaient au contact de la pluie qui s'intensifiait de plus en plus rapidement. Luccius l'observa avec un air à nouveau déterminé, mais empli d'une certaine colère. Bien qu'il était un assassin, l'acte de trahison était une chose qu'il ne supportait pas. Et être une marionnette plus encore. Il voulait juste s'assurer qu'il ne s'était pas trompé. Derrière les flammes, il entrevoyait des ombres mouvantes, nombreuses, qui lui laissaient penser qu'il ne s'était finalement pas trompé.