ExCell était bien connu de Pamela Isley, alors Poison Ivy. C’était une entreprise pharmaceutique assez influente en Asie du Sud-Est, qui avait son siège social à Tokyo, et une succursale à Seikusu. Dans les montagnes de la ville, ExCell avait un laboratoire assez riche, qui était solidement gardé, et qui attendait la venue d’une plante trouvée sur une île sauvage au large du Viêt Nam par une expédition scientifique financée par ExCell. ExCell appartenait, de manière plus générale, à un puissant consortium japonais, et s’opposait à toutes ces puissantes multinationales qui voyaient d’un très mauvais œil la médecine à base de plantes. Les humains étaient toutefois adeptes de paradoxes, et c’était en effet un sacré paradoxe que de savoir que les médicaments et autres éléments conçus dans les laboratoires ExCell avaient, pour base, des plantes médicinales. Ivy avait ainsi appris que les scientifiques avaient découvert un nouveau type de plante. Honnêtement, ça n’avait pas franchement fait la une des journaux, ni même du journal télévisé, les Terriens préférant visiblement un reportage sur l’ouverture des soldes ou le taux d’enneigement plutôt que la découverte d’une nouvelle plante. Les scientifiques d’ExCell étaient formels. La plante avait été analysée dans le laboratoire le plus proche de sa découverte, mettant fin à de longues recherches menées par un scientifique, qui avait fait des recherches climatiques pour trouver l’environnement le plus propice à l’apparition de cette plante.
Pamela s’était renseignée, de son côté. Bien qu’elle soit une ancienne criminelle, son casier judiciaire avait été lavé, moyennant quelques bénéfices corporels envers des responsables administratifs hauts placés. Ceci lui avait permis d’obtenir des informations sur cette plante, en rendant visite aux chercheurs en question, et en faisant parler son charme légendaire. Elle avait ainsi obtenu divers rapports incompréhensibles pour le commun des mortels, mais qui attestaient de l’originalité de cette planète, et de ses facultés importantes. ExCell y voyait de quoi révolutionner le monde de la médecine, mais Pamela y voyait surtout une plante rare, extrêmement précieuse, qui allait se faire déchiqueter par des imbéciles d’humains, et ce pour faussement tenter de soigner d’autres imbéciles d’humains, et surtout permettre à des actionnaires peu scrupuleux de s’enrichir. L’âme d’écologiste d’Ivy avait fortement réagi, et elle s’était emparée de la plante. Elle n’était pas très bien surveillée lors de son transfert vers Seikusu, et elle était maintenant dans son laboratoire souterrain, à l’étudier.
Elle regardait la manière dont la plante réagissait à ses différents produits, se sentant bien. Son repaire était dans une ancienne station de métro désaffectée et fermée, uniquement accessible par les égouts. Ses plantes diffusaient néanmoins d’agréables spores, afin d’éviter que l’odeur écœurante des canalisations ne se répande dans son antre. Il y avait une sorte de pelouse végétale tendre un peu partout, de la mousse verte sur les murs, et quantité de plantes. C’était son repaire, et les plantes ne faisaient de mal à personne. Elle rendait même service à la ville, les racines se nourrissant d’une partie des déchets pour survivre, et se reproduire. Tout, dans la Nature, avait une fonction, une utilité bien précise. Ceci formait une sorte de grande harmonie collective et évolutionniste, dont la seule erreur générationnelle, ou presque, se résumait à l’espèce humaine. La Nature n’avait aucun maître, et que les humains tentent de se faire passer pour tels était tout simplement un crime d’arrogance.
Ivy travaillait donc tranquillement, quand ses plantes l’avertirent d’une présence. Pamela entretenait presque une sorte de lient télépathique avec ses plantes, et elles l’avertirent donc. Pamela ne fit rien pour dissuader cette jeune femme, qui avançait rapidement. Elle déposa la plante exotique sur une table, et se rapprocha d’autres tables. La plante exotique dégageait des spores spéciales, que Pamela n’avait pas encore réussi à supprimer, et il était probable qu’ExCell ait envoyé quelqu’un pour la lui voler. Elle travaillait sur d’autres plantes, voyant des petits tentacules pousser le long des racines, s’enroulant timidement autour des doigts d’Ivy, qui les contemplait amoureusement.
*Le miracle de la Nature... Voilà pourquoi les humains sont dotés d’intelligence. Notre rôle n’est pas de nous servir des ressources naturelles pour vivre en pillant allégrement le monde, mais protéger cette incroyable diversité biologique, s’assurer de son plein épanouissement.*
C’était d’une telle limpidité pour elle... Pamela ne fut pas surprise quand un fouet claqua contre la seule lampe qu’elle avait allumé, l’explosant, plongeant la pièce dans l’obscurité. Elle sentit une femme descendre rapidement, semblant visiblement se repérer dans la nuit. Malheureusement pour elle, Ivy aussi savait se repérer dans la nuit. Une plante, après tout, ne bougeait pas, n’entendait pas, et ne parlait pas. Restait-elle pour autant ignorante des choses qui l’entouraient ? Bien sûr que non ! C’était un organisme vivant, qui fonctionnait de manière innée. Elle aurait pu, à n’importe quel moment, stopper cette femme, mais elle préféra la laisser partir, afin de voir sa rapidité, son agilité.
« Désolée ma belle ! Telle est prise qui croyait prendre ! В один из этих дней ! »
Hum ? Du russe ? Ou un idiome similaire ? Elle avait cru sentir un léger accent derrière ce ton désinvolte, et se contenta de croiser les bras. La femme courait rapidement, filant vers la sortie. Elle était entrée par le passage dans le parc, où Ivy avait, là aussi, modifié une partie des plantes, donnant lieu à quelques surprises inattendues chez des visiteurs traversant le parc un peu tardivement. La sortie fut refermée par une série de tentacules, bloquant la femme, et d’autres lianes vinrent s’enrouler fermement autour d’elle, avant de la tirer en arrière. Ivy, de son côté, se dirigea vers un interrupteur, et appuya une autre lampe. Elle eut ensuite devant elle une femme dans une superbe tenue de cuir moulante, qui lui rappela étrangement Selina Kyle.
*Catwoman ? Non, c’est impossible...*
La femme n’était visiblement pas du genre à supplier, et ne tarda pas à le prouver, tandis que la plante retrouvait sa place.
« C'est bon, sale garce ! Tu peut le dire... Tel est prise qui croyait prendre hein ? Dis moi, pourquoi tu tiens tant à cette plante ? Imagine ce que ce foutu laboratoire pourrait faire avec elle, penses à ces médicaments ! Pourquoi tu ne me laisserai pas l'avoir ? Hein ? Sans elle, je suis bonne pour la taule... Ca nous fait un point commun, non ? J'imagine que ta petite installation n'a rien de très légale... »
Pamela pencha la tête, et s’avança un peu vers la femme, tandis qu’elle retirait lentement sa blouse blanche, révélant sa tunique verte recouvrant son haut. C’était une excroissance végétale que son propre corps sécrétait, Pamela ne supportant pas les vêtements sur son corps. Elle s’avança vers la femme, dont les bras et les jambes étaient entravés par des tentacules, intriguée malgré elle. Ce n’était pas Selina... D’une part, Selina n’avait pas cet accent, et, d’autre part, elle l’aurait reconnu. Elles avaient déjà travaillé ensemble à Gotham, après tout.
« Hum... Tu parles beaucoup, ma belle... Si j’ai bien compris, tu as remonté les spores de cette plante pour la remettre à ce laboratoire ? »
C’était une question rhétorique, et elle n’écouta même pas la réponse de la femme, avant de se rapprocher d’elle. Il se dégageait naturellement du corps de Pamela une certaine forme de sensualité, et elle se mit à l’observer de la tête aux pieds. Sa tenue de cuir était un peu salie, mais lui allait plutôt bien. Elle caressa alors le cuir, s’efforçant de nettoyer sa combinaison.
« Du reste, pourquoi poser des questions auxquelles les réponses sont évidentes ? Regarde autour de toi... Moi et les plantes, c’est une grande histoire... »
Tout était vert ici. Il y avait de la mousse partout, et on pouvait voir, sous le sol, parfois, des espèces de mouvements, comme si de longs serpents se déplaçaient.
« Sais-tu à quel point notre monde est diversifié ? Pour l’heure, notre espèce a repéré et identifié entre 300 000 et 315 000 espèces de plantes. Ces petits bouts verts sont indispensables à notre épanouissement, à la vie. Elles en sont la plus belle manifestation, la plus noble, la plus pure, la plus harmonieuse. Elles sont le socle nécessaire à la vie. Les gens qui t’ont envoyé ici ne veulent qu’une chose : disséquer cette plante rare, précieuse, pour en faire un produit pharmaceutique qui leur permettra de se remplir les poches d’argent. C’est une chose que j’exècre tout particulièrement. Quant à toi, tu devrais plutôt te préoccuper de ton propre sort. Tu sens la puissance de mes plantes, n’est-ce pas ? Je dispose aussi de plantes carnivores, alors, sois un gentil chaton, et évite de trop m’agacer. »
Pamela ne parlait pas sur un ton menaçant, mais était au contraire très calme. Elle cessa de nettoyer la combinaison de la jeune femme, puis s’écarta un peu.
« J’ai jadis connu une femme qui te ressemblait beaucoup... Mais tu n’es pas Selina Kyle. Qui es-tu ? Je t’aurais volontiers laissé libre de tes mouvements, mais, vu la manière dont tu t’es présentée à moi, tu comprendras que je ne veuille pas si rapidement me débarrasser d’une si belle créature... »
Elle lâcha cette tirade en caressant avec le dos des doigts la joue de la femme. Quand on tombait entre les plantes d’Ivy, il n’y avait pas grand-chose à faire. Et cette femme s’était jetée toute droit dans la gueule du loup. Il y a des années, Pamela l’aurait sûrement torturé, mais elle était guérie depuis... Presque.