Pour elle, ce n’était qu’une question de temps avant qu’on ne vienne l’aborder. Il y avait toujours ce genre de spécimens en boîte : les dragueurs endimanchés à l’haleine agressive. Shani tombait toujours sur l’un d’eux. Ce n’était pas elle qui venait pour se faire courtiser, mais elle qui courtisait. A force de pratiquer, il fallait bien dire que la secrétaire commençait à avoir quelques exigences sur le choix de ses fréquentations nocturnes. Tout en étant assise, elle observait donc la faune locale, cherchant des partenaires intéressants. Dans ce domaine, il fallait beaucoup compter sur la chance. L’apparence physique, qu’elle soit vestimentaire ou simplement faciale, présentait de sérieuses limites. De nos jours, n’importe qui pouvait s’habiller de manière sexy, et, si Shani recherchait certes des partenaires beaux, elle cherchait avant tout des partenaires talentueux. Elle regardait donc, s’intéressant autant aux hommes qu’aux femmes. Son regard se portait à vrai dire surtout sur les fesses bien moulantes de certaines femmes qui se déhanchaient avec plaisir sous les sons de la K-Pop. Shani était un peu larguée, elle qui était plutôt habituée aux musiques occidentales. Elle restait une Européenne dans l’âme.
Shani ne vit pas le vieil homme s’approcher. Elle se retourna sur son tabouret, hésitant sur la prochaine boisson à commander. Elle avait déjà bu un peu d’alcool, mais, même si elle avait une résistance exceptionnelle à l’alcool, il ne fallait pas abuser des bonnes choses. Elle opta pour un simple Coca-Cola, et commençait à le boire, avec une paille, quand l’homme se rapprocha d’elle.
« Que peut bien faire une si jolie jeune femme sans compagnie ? »
Un accent chantant, mâture, qui avait l’air calme et sûr. Sans voir l’homme, instantanément, cette voix lui plut. Shani tourna la tête, faisant virevolter ses longs cheveux, et fut légèrement surprise en voyant l’homme devant elle .C’était un individu plutôt âgé, avec une barbe blanche, et elle se demanda si elle n’avait pas affaire à l’un de ces excentriques issues des années 1970’s. Il portait une tenue violette qui lui allait plutôt bien, et faisait relativement jeune. Elle discernait assez peu de rides, et voyait surtout, dans ses yeux, brûler la jeunesse, une joie de vivre qu’on ne retrouvait généralement pas des personnes âgées.
Ne répondant rien sur le coup, Shani comprit avoir affaire à uns éducateur tenant de la vieille école, puisqu’il lui fit un élégant baisemains. C’était peut-être un brin trop exagéré au milieu d’une boîte de nuit, mais Shani ne s’en formalisa pas, se contentant d’un léger sourire amusé. Elle ne dit rien, sous le coup de la surprise, et l’homme s’assit nonchalamment sur le tabouret face à elle. Un bref coup d’œil vers le barman suffit à Shani pour comprendre que cet homme n’était pas un rookie, mais un habitué du coin. Elle s’imaginait presque être tombée sur le responsable de la boîte de nuit, lorsque l’homme entreprit de se présenter :
« Je m'apelle Sheogorath, je suis venu avec un groupe d'amis. Nous sommes dans le coin, appelé VIP. Me ferez vous l'honneur de vous joindre à nous, mademoiselle... »
Le coin VIP... A cette mention, Shani regarda instinctivement la mezzanine en hauteur, tout en essayant de s’imaginer à quoi ce « groupe d’amis » devait ressembler. Sur le coup, elle imaginait un groupe d’excentriques, de mécènes et d’artistes, qui adoraient Andy Warhol, et qui, aux États-Unis, auraient clairement été contre le Parti républicain. Elle s’imaginait un groupe de jeunes qui avaient tout vécu jadis, avant de se ranger : drogue, alcool, orgies dans les maisons, le tout dans une ambiance hippie post soixante-huitarde. Elle se permit alors de sourire, révélant ses belles dents, flattée malgré elle, et ne tarda pas à répondre :
« Et bien... Je suis justement venue pour trouver un peu de compagnie. Les jeunes se sentent désespérément seules, de nos jours. »
C’était d’autant plus vrai au Japon, qui était tristement connu pour être l’un des pays ayant le plus fort taux de suicides au monde, notamment chez les jeunes, mais Shani ne tenait pas spécialement à rentrer dans ce sujet. Son sourire persista, et elle continua :
« Appelez-moi Shani, et... Ma foi, je serais ravie de me joindre à votre petit groupe. »
Elle reprit rapidement, ménageant une pause. Sheogorath... Ce nom confirmait encore plus, dans ses yeux, le profil de l’homme. Sûrement un pseudonyme. Un nom d’artiste. Voilà qui était intéressant !