Depuis l'arrivée de l'hiver, les journées se faisaient de plus en plus courtes et le froid de plus en plus mordant. De plus, l'air était bien sec et frais, et on sait tous ô combien les araignées préfèrent les renfoncements sombres et humides. Sakuya n'a jamais aimé l'hiver de toute façon car le froid agresse son corps humain de façon surprenante ; elle doit donc revêtir des couches et des couches de vêtements pour ne pas grelotter et elle n'aime pas ça, les vêtements. Sous ses formes arachnéennes elle supporte le froid, mais en tant qu'humaine ça n'était pas simple. C'est drôle de se balader avec un corps humain, mais parfois ça a ses inconvénients... Au moins, à défaut de faire humide, il faisait sombre ; il était 19h pétantes et les rues étaient toujours bondées en cette période de fêtes. Pour le moment, elle errait dans les rues, à travers la foule, en quête de ragots croustillants sur ce qui pouvait se passer d'étrange dans la ville. Rien, rien, et trois fois rien. La métis Kumo ne trouvait rien à faire dans cette masse grouillante lui donnant presque faim. Elle était aussi un peu inquiète : c'est la première fois qu'on la laissait partir seule en mission.
Dans cette foule, Sakuya passait presque inaperçue grâce à son physique manifestement humain : elle portait toujours son uniforme de lycéenne (
qui ressemble à ça) avec des jambières noires montant jusqu'à la moitié de ses cuisses avec une épaisse veste en laine noire un peu miteuse mais avec de grandes poches pour dissimuler ses maigres possessions. Dans les pieds, une paire de rangers et c'est tout. Deux nattes de cheveux bruns tombaient sur ses épaules jusqu'à ses hanches. Elle portait son sac d'une épaule de manière nonchalante et elle semblait faire abstraction des personnes l'entourant. Là, son regard se perdait dans le vide : elle était perdue dans ses pensées, pensant tantôt à ce qu'elle avait fait tantôt dans la journée et à ce qu'elle pourrait bien faire dans les jours à suivre. Que pouvait-elle bien faire comme rapport à ses supérieurs ?
Marchant, marchant encore, la Yokai fini par rejoindre le chemin du retour. Pourtant, quelque chose l'arrêta net comme un mur de briques invisible. Sakuya s'immobilisa et se crispa, tandis que la foule perpétuait son mouvement de masse. Doucement elle leva les yeux pour diriger son regard vers les bois. C'était étrange : elle se sentait mal, presque plus comme une proie que comme une prédatrice. Son hémolymphe ne fit qu'un tour dans ses veines et elle se dirigea vers cette ce qui semblait être un bois. Quelque chose clochait dans le coin et elle ne le remarqua que quand une étrange odeur, pourtant familière, atteint ses narines. Cette odeur ressemblait à celle des Kumos, mais ceux ayant embrassé la voie du Tisserand, la voie de la création.
La Kumo accéléra le pas et elle était visiblement mal à l'aise. Son esprit protecteur s'agitait sous sa peau et même sa détentrice pouvait le sentir se mouvoir de curiosité. Enfin, elle quitta la ville en elle-même pour s'enfoncer dans le parc vide de toute présence humaine. L'odeur, qui n'était que son seul guide, se faisait plus forte. Sa marche rapide se transforma en course jusqu'aux bois : Sakuya s'arrête net à nouveau à la lisière des bois, comme si un nouveau mur invisible lui avait bloqué le chemin. Son cœur battait la chamade et elle pouvait sentir l'anxiété l'envahir. Subitement, elle n'arriva plus à prendre contact avec l'esprit la surveillant, là encore c'était mauvais signe. Hélas, ses codes de conduite l'empêchait formellement de faire demi-tour et d'agir en lâche. On l'avait assignée à découvrir toutes les anormalités de la ville et elle devait donc agir en conséquence. Sakuya prit une grande inspiration et s'enfonça dans les bois.
Après presque une demi-heure à galérer entre les arbres à flairer cette charmante odeur de corruption et de destruction (oui oui, ça A une odeur !), la métis tomba face à une vieille bâtisse visiblement abandonnée. Cette bâtisse devait être un magnifique temple shinto, fut une époque. Le cadre est assez inquiétant : les branches des arbres nus s'agitaient lentement avec le vent froid, presque de manière sinistre. Tout semblait... plus lent. Comme les nuages sombres dans le ciel, dissimulant la pleine lune cherchant à percer malgré tout. Toute la vie des lieux semblait s'être échappée, il n'y avait pas le moindre oiseau dans le ciel. Là, tous les sens de prédatrice de Sakuya étaient alertes : il n'y avait absolument plus rien dans les environs, pas même le moindre petit gibier, pas même le moindre petit insecte. Même les arbres semblaient mourir, sous le froid de l'hiver. Pourtant, l'odeur n'avait jamais été aussi forte qu'en cet instant : si quelque chose rodait dans le coin, il était
là. En revenant sur un détail, le temple n'était
pas abandonné. Sinon, pourquoi serait-il couvert d'une fine toile fibreuse toute fraiche ?
Probablement que quelque chose allait arriver, et pas en bien. La Kumo porta une main dans sa poche et sortit une petite fiole remplie d'un liquide rouge : du sang. Elle bu la totalité du flacon avant de le remettre dans sa poche ; une fois nourrie, ses yeux brillèrent brièvement d'une lueur rougeâtre transcendant avec la pâleur de son teint que la nuit lui conférait. Il lui fallut presque trente secondes pour se décider à pénétrer les lieux, la boule au ventre. Toujours sous forme humaine, elle poussa la porte de bois légèrement entrouverte et couverte d'une fine couche de toile collante. À travers le bois de la porte Sakuya sentit tout de suite une présence dans les lieux : des araignées. Des araignées grouillaient partout ici et elle connaissait parfaitement la sensation que cela donnait. Elle ne pouvait pas se tromper, même si elle n'avait pas l'impression que l'endroit n'était habité
que par des araignées...
Enfin, cette infâme odeur lui monta en plein dans les narines et elle fut prise d'une horrible nausée. Nareau. Voilà qui l'odeur lui rappelait. Nareau des Araignée, le Tisseur. Cela, en soit, aurait pu être pire, car elle n'était pas tombée sur sa génitrice Marawa la Destructrice... Mais quand même, Sakuya savait que la situation allait tourner au vinaigre d'ici peu, d'ici peu comme... quelques secondes ?