Sa dette ? Quelle dette ? Mélinda laissa cette question en suspens. Elle ignorait de quelle dette Laurelin se sentait redevable envers elle, mais ce n’était pas bien grave. Jubia leur avait été bien utile, malmenant les troupes de Tirius, et les décourageant. La vampire ne pouvait le nier ; si les forbans s’étaient rendus, c’était essentiellement parce qu’affronter un dragon ne les tentait pas. Se rendre était le choix le plus logique possible. Mélinda ne pouvait toutefois pas leur promettre qu’ils seraient bien traités. Ils relevaient de l’autorité impériale, pas de sa propre autorité. Laurelin lui demanda ensuite ce que Mélinda comptait faire, et cette dernière haussa les épaules, comme si cette question était sans importance pour elle, avant de simplement lui répondre :
« Rentrer chez moi... Mes petites filles me manquent... »
Mélinda n’en dit pas plus, et alla voir les soldats. Les cadavres avaient été réunis dans une fosse. Mieux valait rapidement les brûler, afin d’éviter d’éventuels fantômes, ou l’arrivée de goules. Des gardes répandirent sur eux un liquide inflammable, et le feu démarra. Des hautes flammes ardentes jaillirent, se mettant à danser, brûlant les corps.
« Vous pourriez faire une bonne commandante » lâcha un militaire à côté d’elle.
Un léger sourire amusé éclaira les lèvres de Mélinda, qui tourna sa tête vers le soldat.
« La vie civile est bien plus préférable pour moi.
- Une vie civile qui est bien proche du pouvoir... nota, soupçonneux, le militaire.
- C’est l’un des inconvénients qu’il y a à avoir comme mécène une démone vivant au sein de la Cour, et exerçant une certaine influence, admit pensivement Mélinda. Le hasard a voulu que je me retrouve mêlée à bien des projets impériaux relativement secrets. D’après mes informations, les services secrets ont même enquêté sur moi et sur mon harem.
- La paranoïa est l’apanage de la puissance » conclut, philosophiquement, l’interlocuteur.
Hochant pensivement la tête, Mélinda s’approcha des anciens captifs. Ils peinaient à croire qu’ils avaient réussi à réchapper aux griffes de Tirius, mais n’avaient pour autant qu’une confiance modérée envers Mélinda et ses hommes. Visiblement, son petit discours ne les avait nullement convaincus, et ils restaient entre eux, soignant leurs blessés. Pour Mélinda, cette mission était, somme toute, un petit succès. Certes, Tirius était vaincu, mais il n’y aurait rien eu de bon à tirer de lui. Au contraire, elle avait réussi à mettre la main sur des soldats, qui feraient de très bons esclaves, ou de très bons sujets d’expériences pour des tests militaires.
La vampire n’était également pas fâchée de s’éloigner de Laurelin. L’elfe était certes agréable et belle, mais elle avait aussi ce fichu caractère elfique qui était assez désagréable, cette manie de vouloir toujours être la plus forte, quelque chose qui était... Si désespérément viril ! Outre cela, elle se promenait également avec un gros monstre, et, plus Mélinda mettrait de la distance entre elle et Jubia, et plus elle serait contente. C’était ainsi ; Mélinda avait la frousse des dragons. Voilà sans doute pourquoi elle ne se rendait que peu à Sylvandell. Entendre ces gros monstres pousser des rugissements à vous crever les tympans, ce n’était définitivement pas pour elle !
Elle retourna près des chariots, et un autre soldat ashnardien s’approcha vers elle.
« Les hommes ont réfléchi, Warren... »
Au moins dix ou onze sarcasmes vinrent à l’esprit de Mélinda suite à cette réplique, mais elle se contenta de demander tout simplement :
« Et ?
- Nous avons fait une longue route... Et une autre longue route nous attend.
- C’est un fait indéniable.
- Et il y a une foire à Külkin... Alors, ben, les hommes ont pensé une fois qu’on pourrait peut-être songer à s’y reposer un peu... Vous savez, histoire de... De se reposer, quoi. »
Mélinda se retourna pour le dévisager, se titilla les lèvres, comme si elle réfléchissait, puis elle haussa les épaules.
« Allons à Külkin, alors. »
Un sourire ravi éclaira les lèvres du soldat, qui s’empressa d’aller répandre la bonne nouvelle aux autres gardes ashnardiens. Mélinda devait bien admettre qu’elle se voyait mal reprendre la route tout de suite. Voir une foire, de la musique, des tours de cirque, des ours dansants, ce n’était, dans le fond, pas pour lui déplaire. Elle alla voir Laurelin, et lui parla à nouveau :
« Sachez que vous ne me devez rien, Laurelin. Je vous présente encore mes excuses pour cet incident dans la forêt, mais vous avez vu par vous-même que Tirius et ces hommes n’étaient pas recommandables. Je ne tiens pas à vous contraindre à faire quoi que ce soit. Mes hommes et moi comptons aller à la foire de Külkin. Vous êtes libre de nous suivre. »
Pour lui montrer qu’elle était sincère, Mélinda lui fit un sourire encourageant, révélant ses belles dents blanches.