La jeune femme attendit patiemment que le chef du groupe vienne la menotter. Le contraire aurait été à la fois étonnant et dangereux. Un homme, celui qui lui avait donné la possibilité de se rendre vu le timbre de sa voix, lui dit de ne pas bouger et lui lia les mains sans faire attention à sa blessure. Une nouvelle fois la rouquine serra les dents. Le fait d’avoir son bras gauche ramené dans le dos lui faisait effroyablement mal mais plutôt souffrir que de s’abaisser à demander un peu de douceur.
Marine ne fit pas attention à la remarque du type qui la trouvait à son goût et fut remise sur ses pieds avec dureté. Elle serra les dents de nouveau. La douleur devenait de plus en plus présente et le manque de douceur de ses tortionnaires n’arrangeait pas la chose. Elle déglutit avec difficulté quand elle se rendit soudain compte que tous les regards étaient braqués sur elle. Les prunelles des hommes reflétaient la surprise, la peur, le stress, l’inquiétude, la consternation… Elle fronça les sourcils. Qu’est-ce qu’ils leur prenaient à tous ? Marine comprit alors que certains avaient du la reconnaître. Elle ne se rappelait pas leurs visages mais eux visiblement, oui. Et la crainte était bien présente dans leurs yeux. Ils ne s’attendaient certainement pas à ce que l’intruse soit la femme de leur patron. Leur crainte était justifiée mais pourtant celle qui avait le plus à redouter était bien madame Dolan elle-même.
La jeune femme craignait la suite. Alors que l’homme l’accompagnait jusqu’à son patron, et accompagnait était bien le terme, on aurait même pu dire qu’il la soutenait pour éviter qu’elle ne souffre trop de sa blessure, Marine réfléchissait à la suite. La réaction de son mari était pour elle imprévisible à ce moment. Son travail passait au-dessus de tout. Parfois, elle s’était même demandé s’il ne passait pas aussi avant elle. Pourtant, elle avait toujours été certaine de l’amour qu’il lui portait et que quoi qu’il se passe, c’est elle qu’il privilégierait. A ce moment, elle n’en était plus aussi certaine. Sa seule certitude était qu’elle ne pourrait plus faire abstraction de la fonction d’esclavagiste de son époux. Sur cet élément, le compromis serait désormais impossible.
Ils avançaient dans les couloirs et les différentes pièces du complexe pour finalement ouvrir une porte de grande dimension qui donnait sur une pièce immense. D’ailleurs c’était bien dérisoire de parler de pièce pour cet endroit. Il ressemblait plus à une immense réserve ou à un entrepôt. La rouquine découvrit alors les cages pleines d’humains, la marchandise de son mari, le long des murs. Elle avait à présent sous ses yeux toute l’horreur de ce commerce immonde qu’il exerçait dans le silence.
Pendant quatre ans, elle avait fait comme si de rien n’était. Elle avait relégué l’information qu’il lui avait livrée dans un petit coin de son cerveau. Elle avait abandonné une partie de ses valeurs contre la vie qu’elle avait toujours rêvée d’avoir : un mari aimant et des enfants. Mais aujourd’hui, elle comprenait à quel point elle s’était menti à elle-même. Les visages aux regards absents l’observaient, la regardaient passer. Elle était aussi coupable que William dans cette histoire. En refusant de voir la vérité, elle avait joué la politique de l’autruche. Tant qu’on ne voit pas le mal, il n’existe pas. Mais maintenant, tout lui revenait en pleine figure. Non, elle ne pourrait plus faire semblant à présent, non, elle ne pourrait plus se mentir sur cette réalité et encore moins l’accepter.
La petite troupe dépassa les cages et arriva dans un autre espace totalement vide et blanc mis à part une sorte d’arche de pierre au fond. Plusieurs marches y donnaient accès et sur ces marches deux hommes se tenaient. Le seul qui retint son attention fut son mari, bien sûr, qui avança rapidement vers le groupe d’hommes armés probablement impatient de voir qui était l’intrus. Assez logiquement, quand il l’aperçut, il se statufia sur place. Son attitude n’avait rien à envier à la femme de Loth transformée en statue de sel. Mais finalement, la statue se mit à parler.
« Je pense que vous pouvez la détacher, monsieur Uko. Je vous remercie de me l’avoir amenée vivante »
Marine ne dit rien. Elle n’osait même pas regarder son mari. Elle baissa les yeux comme une enfant prise en faute alors que c’était lui le coupable dans l’histoire. Le dénommé Uko s’exécuta et vint trancher ses liens, lui arrachant une grimace de douleur. Mais le fait d’avoir ses bras libres, surtout celui en mauvais état, lui fit le plus grand bien.
La jeune femme s’attendait à une colère, une déferlante de questions mais rien ne vint aussi ses yeux partirent à la rencontre de ceux, émeraudes, de son époux. Décidément, en toutes circonstances, maître Dolan ne se départissait pas de son masque habituel de froideur. La seule fois où elle l’avait vu le perdre c’était la veille au soir, en apprenant sa paternité.
« Je vais t’emmener à l’infirmerie si tu le veux bien »
D’un geste il lui indiqua l’endroit et pour toute réponse, elle inclina simplement la tête. Elle avait besoin de soins, c’était indiscutable. Elle frissonna en sentant la main de William sur sa taille. Il agissait avec douceur malgré tout. Marine en avait presque les larmes aux yeux. Lui qui avait toujours été si doux, si attentionné avec elle comment pouvait-il se livrer à un tel trafic ? A cet instant, elle n’avait qu’une envie, c’était de se serrer dans ses bras, de se faire réconforter par lui mais c’était impossible pour le moment. Ils devaient s’expliquer avant tout. Marine était prête à tout pour protéger leur couple, elle ne voulait pas le perdre mais elle ne transigerait plus sur la question de l’esclavage, elle ne pourrait pas ou elle finirait par sombrer dans la folie.
La jeune femme avança vers la pièce de taille bien plus modeste, une pièce à taille humaine d’une propreté parfaite. Tout y était blanc comme dans l’entrepôt d’ailleurs. Une table d’examen se trouvait en plein milieu alors que des armoires au fond contenaient tout un tas de produits et ustensiles médicaux. Dans l’angle formé par le mur et les armoires, se trouvait un lavabo et un plan de travail. Un bureau se trouvait dans le coin opposé, près de la porte, avec ordinateur et téléphone. Madame Dolan alla s’asseoir sur la table d’examen et attendit la suite. Elle ne voulait pas ouvrir les hostilités mais cette fois ses yeux aigue-marine ne quittaient pas l’avocat. Celui-ci pourrait y voir la tristesse, la douleur mais aussi l’amour inconditionnel qu’elle lui portait. Malgré tout ce qui s’était passé, elle n’éprouvait aucune colère contre lui, ni même de la déception. Il avait toujours été honnête avec elle après tout. Mais de savoir et de voir sont deux choses différentes. Et Marine avait vu à présent, elle ne pourrait plus faire semblant de ne pas savoir.