Un couple qui transgresse la mort. (PV: Selene)

Le fief de Meisa est un endroit très chaleureux et agréable, surtout prospère, grâce à la régence du précédent Seigneur jusqu'à son décès. Le nouveau s'intègre cependant davantage à la vie du peuple, affectionnant la sortie du manoir sans la permission de sa belle gardienne, Selene. Il n'avait pas l'intention de rester enfermé dans un manoir et vivre en ermite pour ne voir simplement que les centaines de nobles avares et puant d'une énorme quantité de parfums plus étouffants les uns que les autres. Il aimait montrer ses talents musicaux aux villageois qui vivaient sous sa protection, déclamer des poèmes aux jolies demoiselles qui repartaient en rougissant, chanter les ballades des grands héros et héroïnes qui peuplaient les contes pour enfants et guérir les malades avec sa sorcellerie. Les rares contacts humains qu'il avait était ceux qu'il avait avec la Dame de Meisa, Dame qu'il n'a jamais même songé à déplacer. Elle était à sa place à la tête du fief, elle était là bien avant lui et savait parfaitement ce qu'elle faisait. Leur relation était particulière, surtout par l'attachement bizarre qu'il lui portait, jusqu'à chasser chaque être se permettant de l'approcher. Elle s'absente souvent, ce qui le rend anxieux, mais elle revient de bonne humeur, ce qui le rend davantage stressé.

Il quitta le village qu'il fréquentait jusque là, un bon morceau de fromage dans les mains qui lui a été offert par un des fermiers. Il savait que Dame Selene serait furieuse contre lui s'il n'était pas auprès de son précepteur au moment de son retour. La belle femme n'était pas d'un caractère doux de nature, mais aussi sauvage et égocentrique qu'elle soit, elle restait attentionnée derrière ses airs stricts. Jamais Kamui n'avait eu à se plaindre de corrections déplacées de la part de sa bonne amie. Il avait parfois du mal à croire qu'elle ait été l'épouse du précédent seigneur et qu'elle n'a pas une ride, n'étant au courant de son immortalité que par les informations que lui donnait Lucifer, l'être qui partageait son corps. Il n'avait pas confiance en cet esprit malin, mais comme quoi ils étaient lié très intimement, il n'avait pas vraiment de raison de lui mentir. Lucifer et lui avaient développé une relation assez spécial, relation amicale-rivale, mais cet esprit malin se plaisait à faire voir des images bizarres dans l'esprit du jeune homme pendant ses rêves, parfois des ébats entre eux, parfois des combats. Selene a du le traiter pour cela, lui faisant boire une drogue qui l'empêchait de rêver, depuis qu'il lui avait fait par de cette seconde entité en lui. Cela amusait bien Lucifer, mais froissait énormément le Seigneur.

Soudainement, un son de galop d'équidé lui fit tourner la tête et, sur une belle jument noire de l'écurie personnelle des seigneurs de Meisa, se dressait fièrement la belle Selene de Meisa. En la voyant approcher, le jeune homme figea. La jument s'arrêta, laissant le jeune adulte voir sa belle cavalière. "Dame Selene" La salua-t-il en s'inclinant poliment, comme on le lui avait enseigné. "Je ne m'attendais pas à vous savoir de retour aussi tôt. Je suis confus." ajouta-t-il en relevant la tête. Il ne se faisait pas d'illusion, notre petit Kamui, il savait qu'il allait avoir droit à un sacré savon.

(Désolé, la reprise est dure)

Ça faisait maintenant 17 ans que Kamui était mort. Elle le haïssait. Il l'avait abandonné et trahis. Selene s'était permis de l'aimer car elle pensait qu'il ne lui ferait pas défaut mais elle avait été dupée. C'est cette colère, cette rage qui lui avait permis de ne pas sombrer dans la folie. Malheureusement, cette haine retombait parfois sur le jeune Kamui qui la voyait surement comme une peste tyrannique. Mais, ça ne la dérangeait pas. Peu importe ce que disent Ama et Christie, pour elle, son époux est bel et bien mort. L'identité d'une personne est construite sur les expériences de la vie et non sur l'âme. L'exemple le plus évident est qu'une Selene qui ne serait pas immortelle n'aurait rien à voir avec ce qu'elle est maintenant, même si elle possédait la même âme. Pourtant la dame Meisa ne pouvait pas nier que les ressemblances entre les deux Kamui étaient nombreuses et parfois troublantes. Mais il n'avait pas son aura. Cette puissance latente que Kamui rayonnait et qui apaisait l'immortelle. Lorsqu'elle était à ses côtés, elle avait l'impression qu'il pouvait la découper en morceaux sans le moindre effort mais elle savait aussi qu'il ne l'aurait jamais fait. C'est ça qui faisait de Kamui, l'amour de sa vie.

Selene regardait le jeune homme du haut de sa jument. Ses cheveux brun soulevés par la brise, se tortillait comme des anguilles. Des mèches rebelles venaient lui fouetter le visage mais elle ne paraissait pas incommodée. Ses mires violines fixées sur le garçon jetait un froid. Ce n'est pas Kamui...

Je sais que c'est très gratifiant d'être apprécié par ses gens mais ce n'est pas une raison pour perdre son temps en leur compagnie.

Selene fit passer sa jambe par-dessus l'encolure de l'équidé qui piaffa de surprise, et atterrit avec grâce sur le sol. Elle s'approcha du jeune homme qui la dominait d'une tête mais ce n'était pas ce genre de considérations qui impressionnait l'immortelle.

Tu n'as rien de mieux à faire que de bavarder avec des esprits étriqués et soigner des rhumes?

Elle le détestait. Pourquoi cela lui faisait-il aussi mal d'être haï par cette femme? Son visage se glaça comme si on lui avait percé le coeur d'une lame froide. Il plongea un regard impitoyable dans les yeux de la femme qui fut son épouse dans son autre vie, aussi indomptable que celui qu'il fut. L'envie de répondre sèchement à ses remarques ne manqua pas de lui brûler les lèvres, mais il avait énormément de contrôle sur sa personne et donc, il ne fit aucun geste hostile envers cette femme qui lui procurait toujours ces frissons de crainte et d'apaisement. Une image de lui agrippant les poignets et de la plaquant férocement contre l'arbre derrière elle pour l'embrasser avec une passion refoulée depuis des années était aussi très présente dans sa petite tête et elle tenta de la chasser. Ca ne provenait pas de Lucifer, cela, et il le savait, mais alors d'où? Certes, il avait pour cette femme des sentiments qu'il ne comprenait pas et qu'il ne voulait pas comprendre. Aussitôt qu'il se reprit de ses émotions, son regard se durcit et alors, il posa sa main sur la joue de celle qu'il eut épousé autrefois.

- Vous ne semblez guère tenir votre place, ma Dame. Entre mes mains se retrouvent les responsabilités de gérance de mon territoire et je n'ai actuellement aucune obligation, légale ou guerrière, de rester assis à l'intérieur du beau manoir que nous partageons. Vous m'avez toujours bien traité, belle Selene, mais je crois avoir la maturité de reprendre ma vie en main par moi-même. La défia-t-il, dans son regard brillant la flamme de liberté qui avait toujours animé l'époux de la belle demoiselle.

Il caressa l'encolure du cheval qui se tenait à ses cotés puis il fit monter la dame dessus, sans lui demander son avis, l'ayant soumise à une de ses capacités ténébreuses, et s'installa derrière elle. Il talonna la bête qui avança lentement. Kamui n'avait plus l'âge d'être traité en enfant et il serait temps que sa Dame le comprenne. Les bras enlaçant légèrement cette femme parfois énervante, il tenait les rênes d'une main de fer. Il dégageait une telle aura d'autorité que même le pire criminel du monde n'aurait absolument rien dit contre lui. Il s'arrêta plus loin puis laissa la jeune femme descendre. Dans ce lieu calme du territoire Meisa, il pourrait parler plus franchement à la jeune femme sans se soucier des commérages. Il lui prit le poignet, la releva et la regarda dans les yeux. La colère se lisait sur son visage.

- Maintenant, dites-moi pourquoi vous me détestez tant! Je ne sais pas ce que je vous ai fait, mais je devais être très jeune parce que je n'en ai absolument aucune idée! S'écria-t-il.

C'était le fief des Meisa. Selene l'administrait depuis toutes ces années, par obligation. Elle avait les compétences pour le faire et s'y était pliée mais elle n'en tirait aucune joie. L'immortelle avait attendu que Kamui grandisse et devienne mature mais même maintenant alors qu'il était devenu un homme, elle ne le considérait pas apte à prendre les rênes. Il avait trop de tendresse en lui et manquait de tempérance. Pourtant, s'il voulait en reprendre le contrôle, Selene n'avait ni le pouvoir, ni l'envie de l'en empêcher.

Elle aurait tout de même appréciée remettre ce petit morveux à sa place. Cependant, une main de fer l'en empêcha ; la magie du seigneur de Meisa. Ce garçon la maitrisait forcement moins bien que son époux mais c'était suffisant pour faire plier l'immortelle. Elle fut donc perchée sur le coursier et le garçon monta derrière elle.

Là contre son torse, invisible, il lui semblait que c'était Kamui qui chevauchait avec elle. Selene ressentait l'aura de puissance qui s'étirait jusqu'à elle, la couvrant d'un manteau protecteur. Ce pouvoir infini qui ne lui fera jamais le moindre mal, qui repousse les maux et les afflictions. Elle se sentait en sécurité et terriblement amoureuse de ce sentiment comme de celui qui en était la cause. Hélas, l'enchantement se brisa lorsque la dame descendit de la jument et qu'elle fit face au jeune homme qui n'était pas son époux.

Lorsqu'il lui attrapa les poignets, elle s'apprêta à lui briser les membres qui osaient la malmener de la sorte mais les mots qui suivirent la transpercèrent. Elle resta abasourdie devant cette attaque surprise. Elle ne le détestait pas. Elle détestait seulement ce qu'il représentait. C'était comme avoir l'objet de son désir sans cesse sous les yeux sans pouvoir y accéder. Le supplice de Tantale.

Elle avait autant envie de pleurer que de le serrer dans ses bras. Mais Selene ne faisait pas partie de ce genre de femme. Elle lui renvoya sa colère comme s'il regardait dans un miroir et lui décocha une formidable gifle.

J'aurais dû insister sur la galanterie lors de ton éducation, lui dit-elle calmement. Inutile de me raccompagner.

Etant plutôt disposé à marcher, elle ne fit pas mine de remonter sur le cheval et prit la direction du manoir à pied.

La gifle de la belle Selene eut l'effet d'une masse métaphorique dans l'esprit du jeune homme, qui aurait pu pleurer à cause de la brutale douleur dans son coeur que provoquait ce simple coup. Pourquoi n'arrivait-elle pas à le supporter? Pourquoi le méprisait-elle autant? "Le précédent seigneur devait avoir marqué profondément son coeur..." en conclut-il. Pourtant, le jeune homme avait détecté sur le corps de la belle Dame l'odeur d'un Dieu. Comment savait-il tant de choses? Même lui ne le comprenait pas, il savait simplement que telles ou telles choses recelaient divers secrets qu'il parvenait à comprendre d'un coup d'oeil. C'est comme s'il avait une banque de données sauvegardée dans la tête, données qu'il ne pouvait obtenir qu'en présence de l'objet de ces connaissances inexpliquées. Il pouvait aussi voir, grâce à ses pupilles particulières, que son amie était non seulement immortelle, mais très dangereuse. Sur son corps, il voyait des marques étranges, et il devinait que c'était une espèce de "trace" qu'avait sans le savoir laissé le dieu avec lequel elle a fricoté. La colère de Kamui n'était pas légitime, mais chaque fois qu'il se rappelait de cet ébat entre deux êtres immortels avec lesquels il n'a rien à voir avait le dont de le mettre hors de lui.

Selene était une femme magnifique, mais son horrible caractère et son apparent plaisir à faire du mal au jeune homme n'était pas quelque chose qu'elle cachait. Elle le connaissait bien et elle savait qu'il n'allait pas rester là à rien faire. Il la rattrapa alors puis s'empara d'elle pour la serrer contre lui avec une tendresse venue non pas de lui, mais de quelque chose en lui. Les instincts qu'il ne contrôlait pas en présence de certaines personnes prenaient le dessus. Ses yeux bleus s'étaient soudainement remplit de tendresse et de passion. Ses bras doucement refermés sur le corps de la belle la maîtrisaient, évitant un coup désagréable, mais il ne poussait pas la pression jusqu'à lui faire mal. Une telle proximité l,aurait pourtant gêné, en temps normal, mais il se sentait bien. Bien mieux que lorsqu'il était auprès d'autres femmes, qui avaient disparues mystérieusement, ce qui avait poussé le jeune homme à éviter les contacts trop rapprochés, croyant qu'il était à l'origine de ces soudaines disparitions. Il força doucement Selene à tourner la tête vers son visage.

"Je ne voulais pas vous offenser, ma Dame... j'ai manqué de courtoisie à votre égard, je l'admets, mais je me retrouve de plus en plus confus face à votre comportement vis-à-vis de ma personne, et je me demandais simplement ce qui motivait cette colère que je juge, dans mon ignorance, inconvenante."

Il frictionna doucement les épaules de la belle demoiselle aux cheveux d'ébène, plongeant son regard dans celui, améthyste, qu'était le sien. Il se sentait inexorablement attiré par cette beauté hautaine, sans toutefois comprendre ses propres motivations. Il voulait la garder ainsi jusqu'à la fin des temps, en sachant bien que cela n'était guère possible. Sa compréhension était très limitée car il avait énormément de question et bien peu de réponses, même s'il interrogeait les deux filles de Selene, aucune ne lui répondait, même s'il les suppliait de lui parler, elles restaient muettes, il avait donc abandonné tout cela. La mère comme les filles, toutes trois ne disaient rien, et donc, sa confusion et sa peur de la réalité sur ses origines ne cessaient de croître cruellement, martyrisant son coeur et son esprit, jusqu'à ce qu'il décide de tout laisser tomber. Son passé est un mystère, son avenir lui est aussi caché, il devait donc vivre dans le présent.

"Selene... que voulez-vous de moi?... Pourquoi tenez-vous tant à ce que je prenne les rennes du fief..." L'interrogea-t-il avant qu'une crainte ne se fraye un chemin dans sa tête. "Avez-vous l'intention de partir?" Ajouta-t-il, le regard plein d'appréhension, comme si cette seule perspective était un blasphème impardonnable.

Les émotions sont une plaie! Kamui avait raison. Elle avait été injuste avec lui et avait fait payer ce garçon pour les fautes commises par feu Kamui. Fautes qu'il n'avait pas commises mais cela aidait l'immortelle de s'en persuader. Pour elle, il l'avait abandonné et l'avait laissé avec un gamin amnésique et instable. Mais lorsqu'on grandit sous le giron d'une haine tenace et injustifiée, cela n'a rien d'étonnant.

Selene n'aimait pas lorsqu'il la prenait dans ses bras. Elle avait tendance à fermer les yeux. Il n'y avait alors plus que la voix de Kamui et son aura. Toutes les différences qui existait entre les deux hommes disparaissaient. L'immortelle avait toujours repoussée Kamui et évitait les câlins – de toute façon, il n'aurait jamais eu la folie d'en demander - , mais il aurait été malvenu de refuser dans un moment pareil. Elle se laissa donc enlacer, tout en se forçant à garder les pieds sur terre. Exercice qui se compliqua lorsqu'il l'obligea à la regarder.

Ma colère est inconvenante? Demanda-t-elle. Je crois que ta "tendresse" pour moi l'est d'avantage.

Cela avait été dit sans mépris, ni colère. C'était un simple constat. D'un point de vue extérieur, sa colère contre Kamui était aussi étrange que les sentiments de ce dernier à son égard. Elle ne chercha pourtant pas à se dégager, se contentant de le fixer avec un air neutre pour qu'il se rende compte par lui-même de la situation. Il n'avait pas à la serrer de cette façon. C'était inconvenant...
Selene poussa un gros soupir et le repoussa légèrement pour se masser les tempes d'un air exaspéré. Elle n'avait pas mal à la tête, c'était plus un tic qu'autre chose. Sans le regarder, elle continua sur le ton de la conversation:

Je ne vais pas quitter le fief. J'ai encore des choses à faire et je partirai lorsque j'aurai réussi. Et si tu me demandes quelles sont ces choses je te répondrais que ça ne te regarde pas. Par contre je veux bien te dire ceci: - Elle le regarda enfin et afficha un sourire énigmatique. Sa voix était profonde comme si elle avait déjà dit ces mots des millions de fois – Je ne peux pas laisser mon sang derrière moi.

Elle ne jugea pas bon d'expliquer ce qu'elle venait de dire mais son mari, lui, aurait compris. Selene était toujours obsédée à l'idée de trouver un moyen d'éliminer sa progéniture. Ça la hantait en permanence mais elle ne pouvait rien faire à cause de cette fichue magie qui entourait ses filles. Elle finira par trouver un moyen et lorsque ce besoin sera assouvi, elle pourra enfin partir.

Je suis fatiguée Kamui, avoua-t-elle d'une voix las. Fatiguée de ce monde de magie. J'ai horreur de la magie et je voudrais retourner de là où je viens. - D'un geste spontané, elle posa sa main sur l'épaule du jeune homme – Tu n'as jamais rien fait pour me déplaire. Tu as juste eu la malchance d'être le réceptacle de mes frustrations et de ma bêtise. Je suis désolé.

Le regard de Kamui changea immédiatement lorsqu'elle parla de laisser son sang derrière elle. Il agrippa les poignets de Selene, lui arrachant son épaule de la main et la plaqua sans douceur contre le mur. Son âme était toujours la même, seulement qu'il avait du mal à reprendre sa vie. Sa conscience en tant qu'adolescent se battait contre celle qui avait vécu déjà bien trop longtemps. Son cœur ne voulait pas qu'il redevienne celui qu'il avait été. S'il l'avait voulu, il aurait pu détruire la maladie, mais il avait néanmoins cru que cette femme aurait cherché à le ramener elle-même, d'une manière ou d'une autre. Grossière erreur. Plutôt que de le ramener tel qu'il était, elle a préféré laisser leurs filles s'en charger et le ramener sous la forme d'un enfant. Il était alors normal qu'il se laisse fondre dans la conscience dudit enfant et qu'il devienne une partie d'elle. Et voilà où il en était, à devoir revenir pour protéger leurs filles. Lucifer y mit aussi du sien à bloquer temporairement ce qui restait de "l'Autre" pour laisser son descendant s'adresser sans soucis à sa femme.

L'éclat d'azur des yeux de ce puissant mage, l'un des plus puissants de Nexus depuis la disparition de Xatiav, devint plus froid que la glace et plus dur que le diamant. Ses cheveux noirs raccourcirent jusqu'à se dresser sur son crâne, en pointe, devenu blonds sous l'impact puissant de la magie. Il prit quelques centimètres et une plus grande masse musculaire. Il relâcha cette femme qu'il avait tant aimé sans même lui accorder un regard. Il avait honte pour elle. Terriblement honte. Comment avait-elle pu s'abaisser à ce niveau? À tuer ses filles pour partir? Il avait vu Selene faire des infamies par jalousie ou par orgueil, mais ce front si fier se pencherait à tuer de simples gamines? Ama et Christie ne méritaient rien de cela! C'était des fillettes droites et intelligentes comme leur père, mais aussi malignes, rusées et belles que leur mère, elles avaient tout pour faire leur propre vie. Ama qui était fiancée et Christie qui achevait enfin ses études, de quels droits leur mère leur priverait de leur avenir, de leur vie?

- Selene... comment as-tu osé prononcer de telles paroles? Demanda-t-il d'une voix douce, peinée. Elles sont nos filles, notre sang, notre chair, le fruit de notre amour... As-tu cessé de m'aimer pour les menacer ainsi?

Si ses souvenirs étaient légèrement confus, ce qui lui donnait un sacré mal de tête, il était en parfait contrôle de ses moyens. "C'est bon, Lucifer, tu peux le relâcher, mais tente de lui expliquer la situation, je gère le reste." Lança-t-il à son hôte d'esprit. Celui-ci répondit affirmativement et relâcha son emprise sur "l'Autre". Ce dernier, destabilisé, sans contrôle sur son corps, dévisageait Selene avec surprise. De quelle machination était-il la victime, cette fois? Il sentit son corps bouger contre son gré, s'approchant lentement de cette femme... et ses lèvres se posèrent tendrement sur celle de l'épouse du précédent seigneur sans qu'il ne puisse s'empêcher de commettre un tel acte, qu'il considérait presque comme sacrilège. Le Véritable Kamui serrait contre lui son épouse, ne brisant le baiser que parce qu'il considérait qu'elle le repousserait.

- Je me serais révélé plus tôt, si les événements me l'avaient permis, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas.

La magie. La magie, la magie, encore et toujours cette foutue magie. La coupe est pleine. Selene ne comprenait rien de ce qui se passait. La métamorphose de Kamui, ses paroles qui ne l'avaient même pas effleurées, et ce baiser... Elle lui aurait arrachée la langue s'il lui en avait laissé le temps. Elle le détestait lui, ce domaine et ce monde nécrosé, mais elle ne pouvait pas partir. Le fait d'avoir des enfants quelque part et vivants, la rongerait pour toujours. Chacun de leur souffle est une torture, leur vie est une insulte. Et maintenant, elle avait le droit aux reproches de l'homme qui en est la cause. Kamui... Tout était de sa faute, depuis la création de cette progéniture, jusqu'à leur survie. Elle le haïssait dans son ensemble et le maudissait.
Son visage devint presque cramoisi sous l'effet de la colère. Son visage doux et candide s'enlaidit sous l'accumulation des rictus de colère, de dégout et d'aversion que lui inspira l'homme qui la plaquait contre l'arbre. Ses poings crispés étaient prêt à s'abattre sur tout ce qui lui permettrait d'apaiser son courroux.

Ta souffrance est mon ouvrage, car je te hais Kamui De Meisa, et tu ne verras pas l'aube si tu me touches encore une fois, vomit-elle, tremblante de rage.

Sur ces mots, elle glissa sur le côté pour s'extirper des bras de l'homme, mais ça ne s'arrêtait pas là. Une fois dos à sa cible, elle appliqua un violent coup de coude derrière sa tête afin que son visage s'écrase contre l'écorce de l'arbre. Puis, sans regarder en arrière, elle se mit à courir aussi vite qu'elle le pouvait. Elle fuyait l'homme qui l'avait embrassé et elle fuyait surtout sa magie. Le vent arrachait les larmes de fureur qui perlaient à ses yeux alors qu'elle continuait de courir toujours plus vite afin de se perdre dans la douleur physique de la fatigue plutôt que dans les tourments que lui infligeait son esprit délabré.

Il fut un temps où Selene se moquait bien de la magie et de toutes les bizarreries qui parsemaient terra, car cette magie était à son service. Elle la protégeait de toute sa puissance, mais lentement cela avait changé. La magie la rendait faible face à un homme qui ne la protégeait plus. Elle l'empêchait de mettre un terme à la vie de ses enfants, ce qui la rongeait chaque jours. Mais pardessus tout, elle la déstabilisait. L'immortelle n'y comprenait plus rien et ne voulait plus comprendre. Etait-ce Kamui qui lui avait parlé? L'avait-il embrassé? Et d'ailleurs, de quel Kamui parlons-nous? Selene ne voulait plus de réponses à ses questions. Il fallait simplement courir, juste courir. Facile, non?

Son regard remplit de haine, sa rage... Je sentais des coups de poignards dans mon cœur à chaque mot que prononçait la femme que j'ai épousée. Elle me haïssait, mais elle avait raison de le faire; toute la souffrance que je lui ai causée méritait punition. Comment ai-je pu être aussi stupide? Je ne suis arrivé qu'à gâché tout ce qui restait de bienveillant en elle. Mais je connaissais son tempérament; elle pouvait changer de la haine à l'amour en l'espace d'un instant, mais tout était dans la façon de la ramener auprès de nous. Entre son coup de coude et son regard, je ne pouvais décider lequel me faisait le plus mal. Physiquement, cela passerait, mais mentalement, je risque pour en avoir pour des semaines avant de m'en remettre. Mon regard se figea dans ma tristesse un moment avant que mes jambes ne prennent par eux-même la décision de poursuivre Selene à la vitesse grand V. Peu importe à quel point Selene pouvait m'énerver et me mettre hors de mes gonds, je ne pouvais m'empêcher de l'aimer à un point au-delà de la raison. D'ailleurs, si j'étais raisonnable, j'aurais pris compagne chez une femme plus sage et plus serviable, mais à la place, j'ai choisi la plus terrible des demoiselles, et aussi la plus cruelle des amantes. Elle était la seule à me donner ce frisson d'excitation, ce désir à jamais inassouvi...

Je la rattrapai. Pas question qu'elle ne me fuit, pas maintenant. Je fis monter en moi la colère que je réprime pour de telles occasions puis je lui saisis brutalement le collet, la soulevai de terre puis je l'y abattis avec fermeté, sans chercher à lui faire du mal. J'étais toujours celui qui s'était promit de la dominer, car elle a toujours recherché cela, chez moi, ma puissance. Et je n'étais pas du tout d'humeur à la laisser bouder pendant des années. Je ne sais pas combien de temps j'ai à être au contrôle de ce corps, alors j'osais espérer qu'elle ne me ferait pas trop suer. Je plantai mon regard dans le sien et je l'embrassai férocement, ne lui laissant point le temps de me mordre, car ce baiser fut bref et surtout employé pour la faire taire avant qu'elle ne se lance dans une joute verbale hystérique. Je voulais parler, cette fois, et même si cela.

-Tu n'as jamais été qu'un chat sauvage! Doublé d'une tête de mule! M'exclamai-je, énervé. Chaque fois que nous parlons, tu te fâches, chaque fois que je te fais une surprise, tu trouve un moyen de te fâcher. Même à notre mariage, il a fallut que tu assommes celui qui nous liait le poignet d'un coup de poing "parce qu'il t'avait touchée sans ta permission". Faut-il toujours que tout vire mal avec toi? Quand vas-tu enfin cesser de bouder l'univers? Je t'ai donné une belle vie, tu as décidé de l'enlaidir avec ta colère et ta rage envers le monde. Mais qu'est-ce qui te faut pour que tu sois enfin heureuse!? Tu aurais pu te remarier, mais tu as préféré rester auprès de ce simulacre de moi-même!

Je ne m'étais jamais fâché à ce point, mais là, c'était le moment de se défouler, pendant qu'elle était encore en colère. Une bonne dérouillée, voilà ce qui nous remettrait tous les deux d'aplomb.