Une sortie nocturne [ Pv ]

Quant l’hiver prenait possession des lieux, Hel se sentait chez elle. Depuis peu, quitter le Royaume des Glaces était devenu une sorte d’habitude. La déesse se plaisait à s’envoler et à voguer, à la recherche de misérables êtres à torturer – quand son humeur dévastatrice prenait vie – ou de statues de glaces à créer. Elle ne restait plus cloîtrée dans son royaume, à compter les morts. Ils avaient l’éternité, et pouvaient bien se permettre d’attendre un peu qu’elle fasse un petit tour ! Le monde hors des Enfers était si amusant pour elle … Des démons, des êtres fantastiques, des combats singuliers, des hommes et femmes avec qui s’amuser : elle avait un palmarès étonnant de petits jeux plaisant. Ainsi, en cette fin d’après-midi de Janvier, après un long ennui qui commençait sérieusement à lui casser les pieds, elle attrapa une délicieuse robe inspirée de la Renaissance [ http://www.corde-micante.de/images/damen/renawellenlitze100.jpg ], toutes en broderies blanches et bleu canard, un long manteau aux bords de fourrure blanche, toute en soie éclatante, choisissant sa coiffure habituelle et aux airs aristocratiques, et sortit de son palais.

Elle s’échappa rapidement, et posa vite pied sur terre. Une terre qui baignait dans la pénombre, annonçant une nuit des plus radieuses et des plus calmes. Elle observa les alentours attentivement, puis avança d’un pas presque sûr d’elle vers la ville, quittant les lieux désertiques. Ses talons – elle n’aimait pas sa petite taille – claquaient au sol avec un son raffiné. Ses yeux perçants regardaient face à elle, scrutant chaque détail, chaque marque de vie. A cette heure là, les enfants s’endormaient, et ne pouvaient pas se laisser bercer par la douce clarté de cette nuit délicieuse. Hel se balada dans ces rues, sans peurs ni craintes, la tête haute. Ses vêtements, qui ne dataient pas de l’époque actuelle, attiraient certains regards, auxquelles elle ne prêta pas attention. Elle ne désirait qu’une chose : l’eau.

Elle n’avait pas soif, non, vous n'y êtes pas . Elle ne voulait que voir l’eau, la mer, avec cette lumière béante de la lune qui laisse sa trace sur les flots. Quand elle arriva enfin à destination, elle eut un soupir de plaisir. La mer était légèrement soulevée par les vagues, c’était un délice. Le bruit entraînait déjà la déesse, et sonnait dans ses tympans avec un rythme exquis, et la lumière de la lumière faisait baigner une atmosphère presque mystérieuse en ces lieux sacrés autrefois, touristiques aujourd'hui. Elle se posa donc, rapidement, sur le sable, debout, les mains posées sur son ventre, dans une position statuaire, tandis que sur ses lèvres naissait un sourire insidieux. Elle leva, tout à coup, vivement, les mains, et ouvrit ses paumes en direction de cette mer si douce, si vivante.

En un instant, les vagues s’immobilisèrent, et, sous le choc, sa coiffure tomba, dévoilant sa chevelure blanche longue, qui tomba tout autour de ses épaules, coulant sur elle. Une partie de la mer, face à elle, venait de se transformer en glace. Une glace fine, une particule douce et tendre. Elle eut un rire, un éclat de rire soudain, et admira son travail, avec toujours ce sourire que vous jugerez malsain sur les lèvres. Elle fit rapidement demi-tour sur elle-même, laissant le plaisirs aux humains, le lendemain, de constater cela, et d’alimenter des légendes plus ou moins glauques à son sujet. Elle avança donc, faisant dos à la mer, et s’arrêta un peu, admirant ce spectacle : la partie glacée se faisait frapper par les autres vagues, qui, elles n’avaient pas cessées de remuer. Et, comme une voleuse, elle rabattit sa capuche sur son visage, camouflant sa figures aux lueurs lunaires, avant de recommencer sa marche calme.

Les étoiles et la lune scintillaient dans le ciel limpide, baignant Nexus dans une douce lumière. Les astres annonçaient une nuit froide mais calme, du moins en apparence. Et comme toujours il fallait se méfier des apparences, pensa intérieurement l'homme aux cheveux d'albâtres. Il souffla. Un petit nuage de condensation émergea de sous sa capuche et se dispersa dans l'air froid devant lui. En raison de la saison, il s'était vétu d'une cape en laine, investissement qu'il n'avait pas regretté par la suite.
Deux jours auparavant, le sorceleur avait soutiré des informations à un garde de la milice sur d'étranges disparitions qui avaient eu lieu dans le quartier. Par six fois des familles inquiêtes, des maris apeurés ou des employeurs suspicieux avaient signalé la disparition d'un proche. A chaque fois, la milice avait enquété mais n'avait rien trouvé, excepté à une occasion : Une botte appartenant à la cinquième victime laissée entre deux tonneaux dans une ruelle sombre et quelques traces de sang. Les détails de l'affaire furent garder secret afin de prévenir toute panique, mais en l'état actuel des choses, la milice n'avait aucune piste. Elle avait alors décider d'offrir une récompense à quiconque aiderait à arrêter le responsable, une occasion que le tueur de monstre ne voulait pas manquer ..

Debout dans l'encadrement d'une porte, en face de la mer, Geralt souffla dans ses mains afin de se réchauffer, pensif. Les possibilités étaient nombreuses, assassin, monstre, roublards, secte .. , mais pas le moindre indice pour étayer une piste. Voilà deux nuits que le sorceleur rôdait dans le quartier mais à part une bagarre d'ivrogne et une tentative maladroite d'effraction, il n'avait rien remarqué de suspect. Ça en devenait presque déprimant. L'homme aux cheveux d'albâtres ressera les pans de sa cape et s'apprêta à reprendre sa route quand une bise glaciale venant de sa droite le fit frissonner. Tournant la tête dans la direction, il vit avec stupéfaction, une femme émergeait de la ruelle adjacente, à seulement quelques mêtres de lui, et marchait vers la plage, comme si la rue lui appartenanait.
Mais plus étrange encore que le fait qu'une femme se promenant seul en ces lieux, était les habits qu'elle portait : Une robe de haute couture et un manteau de fourrure luxueux, sans compter une coiffure qui aurait fait rougir de jalousie les dames nobles de la cour de Nexus. Une telle apparition était aussi surprenante que celle d'un dragon. Que diable pouvait donc faire cette dame de la noblesse ici-bas et à cette heure-ci ?

Sans pouvoir se l'expliquer, Geralt eut le sentiment qu'elle était ... « différente ». Sans trop y réfléchir, Il se détacha de l'encadrement de la porte et s'avança jusqu'au bord de la plage afin de ne pas perdre de vue cette femme.
Elle semblait ravi de se retrouver au bord de la mer, et s'assit bientôt à même le sable. Elle contempla les vagues éclairés par les rayons de la lune un long moment avant de brusquement tendre les bras en avant. Une bourrasque de vent balaya soudain le sable, obligeant le tueur de monstre à se protéger le visage d'une main. Lorsqu'il la rabaissa, le spectacle qui s'offrit à lui, lui coupa le souffle : La mer aux abords de la plage s'était changé en glace, figeant les vagues dans leur mouvement. Les yeux écarquillés, il eut un léger sursaut quand la femme éclata de rire. Un frisson lui parcourut le dos. Mais qui était-elle ?

Soudain, la femme, ses cheveux blancs détachés à cause de l'effet de sa magie tombant désormais sur ses épaules se tourna vers le sorceleur, lui dévoilant son visage d'une paleur mortelle et son sourire inquiétant. Après avoir rabattu sa capuche, elle commença alors à remonter la plage vers le tueur de monstre, sans semble t-il avoir noter sa présence. Geralt, toujours sous le cboc de la surprise et ne pouvant détourner son regard de la jeune femme, ne réalisa qu'il se dressait devant elle que lorsqu'elle se retrouva à quelques pas de lui..

Hel s’arrêta soudain, releva son visage vers l’homme. Ses petits yeux brillants malgré l’obscurité dévisagèrent cet inconnu, tandis qu’elle ne se posait pas tellement de questions. C’était un humain, un simple et inutile humain. Elle aurait pu, en l’espace d’un instant, le toucher et le transformer en une statue de glace, et le laisser mourir ainsi. Mais elle se sentait épuisée. Pas question de disperser ses pouvoirs davantage. L’eau de mer était une des choses les plus difficiles à geler, et cela lui avait demandé beaucoup de force. Autant s’économiser et attendre que sa puissance revienne. Elle releva donc lentement son visage, dévoilant sa figure entière à cet homme, et tendit doucement son bras vers son visage. Elle attrapa la capuche de Geralt et la repoussa vivement en arrière, d’un geste brusque. Elle voulait voir le visage de cet inconnu, le visage de son spectateur.

Et elle fut déçue. Oh oui, déçue. Elle s’attendait à un être puissant, un démon, mais ce n’était qu’un humain. Même si Hel sentait qu’il avait plusieurs fois eu affaire à la magie, il ne semblait pas dangereux. Et donc, pas amusant. Elle tiqua, faisant claquer ses dents plusieurs fois de suite avant d’expirer bruyamment. Mais ne cessa pas de quitter des yeux cet homme. Il avait des cheveux étranges, et c’était bien amusant comme détail ! Presque comme les siens ! Elle ne put s’empêcher de sourire en faisant cet comparaison. Jamais encore elle ne s'était comparée à un humain.

- Les humains sont facilement surpris, remarqua-t-elle à voix haute.

Elle possédait une voix digne, dont le ton ici se voulait presque agressif et provoquant. Elle avait une façon de parler inquiétante, séparant les mots avec justesse, prononçant parfaitement chaque syllabe. Les humains avaient peur de tout, et un rien pouvait les choquer, c’était ce qu’elle avait retenue à force de venir vagabonder par mi eux. Même si certains pouvaient être étranges et dérangeants, cachant parfois derrière leur masque d’humanité une certaine puissance destructrice, il n’en allait pas de tout le monde. Elle se frotta les mains, les appuyant sur ses hanches, et se retourna pour regarder derrière elle, encore une fois. Son œuvre.

- Ce n’est pas grand-chose, dit-elle. Juste une partie de la mer gelée. Quand j’ai fait toute une forêt, c’était spectaculaire, mais là …

Elle souffla. Il était étrange de constater que sa respiration ne créait pas de fumée dans l’air, alors que tout les humains respirant dans ce froid formait un petit nuage à chaque expiration. Mais non. Elle, Hel, ne connaissait pas la chaleur, et sa respiration et son corps étaient d’une froideur atroce et invivable pour les pauvres humains. Elle secoua la tête, faisant remuer ses longs cheveux, non sans bouger de place. L’artiste, tout de même, se doit de rester discuter avec les spectateurs, afin de recueillir leurs critiques. C'était sa vision des choses. Elle n'aimait pas tellement les humains, surtout s'ils ne devenaient pas des victimes pour ses oeuvres, mais aprés tout, elle les considérait comme inoffensifs. C'était sa vision de déesse.

Geralt ne bougea pas d'un cil quand la femme le dévisagea, ni quand elle tendit lentement son bras vers lui : Son instinct lui dictait la prudence la plus extrême. La température de l'air les entourant avait chuté de plusieurs degrés à mesure que l'inconnue s'était approchée de lui. Ce n'était pas un hasard. Cela ne pouvait être un hasard...
Ses pupilles fendues rivées sur elle, il ne réagit pas quand elle saisit et rabattit soudainement sa capuche, dévoilant son visage. La femme le regarda de travers et lâcha un soupir de déception avant de le détailler plus attentivement.

« - Les humains sont facilement surpris » Lâcha t-elle, dédaigneuse.

Ces simples paroles eurent l'effet d'une gifle glaciale. Le tueur de monstre cligna des yeux comme émergeant d'un mauvais rêve et se renfrogna aussitôt. La stupeur qui l'habitait fut rapidement chassé par la colère et l'orgueil. Son visage se durcit et il en oublia le froid glaciale qui régnait. Si la femme remarqua son changement d'attitude, elle ne fit aucun commentaire et se retourna pour contempler son « oeuvre ».

« - Ce n’est pas grand-chose, dit-elle. Juste une partie de la mer gelée. Quand j’ai fait toute une forêt, c’était spectaculaire, mais là … » Crut-elle bon de préciser.

Les sourcils froncés, Geralt lâcha un grognement. La dernière fois qu'il avait eut à faire à une telle arrogance, cela s'était très mal terminé et il avait été à deux doigts d'y laisser la peau. Néanmoins, sa fierté lui interdisait de se laisser ainsi marcher sur les pieds, toute puissante que cette femme était.
N'ayant pas en apparence compris que son interlocutrice attendait un avis sur son « oeuvre d'art », le sorceleur demanda d'une voix laconique et plus dure qu'il ne le souhaitait :

« - Qui êtes vous ? »

La déesse se racla doucement la gorge, et se retourna vers lui. Elle hésitait entre la colère, le mépris ou la surprise. La dernière solution lui sembla la meilleure. Elle ouvrit grands les yeux, les sourcils levés, un minuscule sourire sur ses lèvres pâles, et passa sa main sur la partie inférieure de son visage, le regardant d'un air presque bouleversé. Comme s'il venait de lui dire qu'il venait d'un autre monde, en somme. Elle soupira, fit claquer sa langue contre son palais, et son visage se durçit violemment. Les sourcils froncés, elle fit craquer en rythme presque dansant son petit poing si inoffensif, et leva les yeux au ciel.

Puis elle réalisa qu'il n'y avait pas lieu d'être colérique, et eut un petit rire, comme pour se moquer d'elle même. Elle regarda le ciel, la nuit, les étoiles, et le fixa ensuite de ses yeux brillants.

- Alors là, les personnes gentilles et naïves vous direz " Cela dépend de votre croyance ", répondit-elle d'un air moqueur.

Elle eut un petit rire. Des croyances, bien belles en vérité. Où était ce cher et tendre Dieu tout puissant devant lequel les hommes s'agenouillaient ? Nulle part, en vérité ! Il ne subsistaient que ses dieux haineux de ces humains si flasques, qui les oubliaient si facilement. Elle se mordit la langue, prise d'une colère subite, se rappelant le jour où toutes ses prêtresses s'étaient tournées vers ce Dieu. Oh, dés leur arrivés aux enfers, elle avaient eue leur dose, celles là ! Elle chassa rapidement ses pensées mesquines pour en revenir sur l'homme face à elle.

- Disons que je veille sur le lieu où vous irez après votre dernier souffle, et sur cette matière étrange qui vous ait si inaccessible ...

En disant cela, elle fit naître au creux de sa main un flocon de neige. Qui se transforma en glace, subitement, et qu'elle fit finalement fondre, laissant l'eau couler le long de son poignet.

- On me nomme Hel, déesse Nordique des Enfers, qui régne sur le Royaume des Glaces.

Elle inspira, un petit sourire sur les lèvres. Quel air frais ! Puis elle se tourna brusquement vers lui, sa présentation terminée, un sourire presque narquois sur les lèvres.

- Et à qui ai-je l'honneur ?

La femme laissa court à toute une palette de sentiments : La surprise, le dépit, la colère, l'amusement. Comme si le sorceleur aurait dut se sentir honteux de ne pas connaître son identité. Néanmoins, ce dernier resta de marbre car il avait eut beau passer en revue toutes les femmes puissantes et célèbres de Terra, il ne fit le lien avec aucune d'entre elles. L'idée de pousser jusqu'au panthéon mythologique ne lui était pas venue à l'esprit, pas encore ..
Dans tous les cas, la question du tueur de monstre n'avait pas laissé la femme indifférente.

 « Alors là, les personnes gentilles et naïves vous direz " Cela dépend de votre croyance " » 

Cette réponse eut pour effet de lui faire hausser un sourcil. A des nouveaux un sentiment de colère éclaira le visage de l'inconnue, comme si elle se remémorait des souvenirs désagréables. Elle reprit néanmoins rapidement son expression amusée alors que Geralt eut un déclic.

(Se pourrait-il que … ?)

 « Disons que je veille sur le lieu où vous irez après votre dernier souffle, et sur cette matière étrange qui vous ait si inaccessible ...  » 

Le regard de l'homme aux cheveux d'albâtres glissa sur le contenu de la main de la jeune femme.
L'eau.
La neige.
La glace.
La Mort.
Instinctivement le sorceleur se raidit. Il comprit à qui il avait à faire au moment où elle reprit la parole :

 « On me nomme Hel, déesse Nordique des Enfers, qui régne sur le Royaume des Glaces. » 

Le tueur de monstre ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux. Sa respiration se fit courte. Cette révélation fut un choc pour lui. Il avait croisé le fer avec des guerriers impitoyables, vaincus des monstres cauchemardesques, et même affronté un démon mais jamais, au grand jamais, il ne s'était retrouvé devant une divinité !
L'homme aux cheveux d'albâtre ferma les yeux un bref instant, pendant lequel il fit appel aux techniques de méditation qui lui avait été enseigné. Il chassa la panique qui menaçait de le submerger, calma les battements de son coeur, et maîtrisa sa respiration. Quand il rouvrit les yeux, le tueur de monstre était redevenu maître de lui même. Sa vie de chasseur et les épreuves qu'il avait affronté l'avaient considérablement endurcit, et cela se voyait.
Ce fut à ce moment que la déesse posa sa question :

 «  Et à qui ai-je l'honneur ? » 

Le visage redevenu dur, l'homme aux cheveux d'albâtre prit une inspiration avant de répondre sans quitter la déesse des Enfers des yeux :

« - Geralt de Riv. Sorceleur. »

A peine avait-il terminé sa phrase qu'il jeta un regard sur sa droite, sans tourner la tête. Non pas qu'il détournait le regard; mais plutôt comme s'il avait entraperçu quelque chose sur la jetée. Néanmoins, il n'y avait rien sur les abords de la plage. Geralt posa à nouveau ses pupilles dorées fendues sur la déesse, attendant sa réaction.

Même si l'homme s'était calmé, Hel avait ressentie cette pointe de panique. Elle en fut ravie - il la connaissait, et cela devenait rare de connaître ainsi les dieux nordiques, sans doute pas assez dépaysant pour les hommes - et amusée. Et surtout, elle resta surprise de la rapidité avec laquelle il calmait cette panique si troublante qui, habituellement, se plaisait à faire perdre tout contrôle aux êtres humains. Ce fut à ce moment qu'elle vit qu'il n'était pas comme les autres. C'était un autre homme, un tout autre être ... Elle inspira doucement l'air frais.

« - Geralt de Riv. Sorceleur. »

Elle eut un sourire. Un sorceleur, réellement ? Elle sentit une joie profonde l'envahir. Oh, merci, ce n'était pas un vulgaire marchand ou troubadour - même s'il n'en avait pas l'allure, il fallait l'avouer - c'était un tueur ! Elle fit remuer doucement sa chevelure, conquise. Ce fut à cet instant qu'elle réalisa le physique de l'homme, et qu'elle devina qu'il n'était pas un homme aux habitudes paisibles. Une blessure à l'œil, des yeux qui avaient vus des choses qui n'étaient sans doute pas des moindres, une attitude qui était marquée par le temps.
Quel âge avait-il ? Qu'avait-il bien pû vivre ?
Elle laissa ses questions tapies au fond de son esprit, ne jugeant pas nécessaire de lui demander tout ça. Elle ne voulait pas admettre qu'un humain avait un train de vie plus passionnant que le sien.

- Alors là ... commença t'elle avec un sourire. Vous me laissez interdite, si j'ose dire.

Elle passa sa main dans sa nuque. Et replongea son regard dans le sien, comme pour essayer de lire en lui. Les deux yeux glacés de la déesse essayaient d'entrer en lui, de deviner. Elle était jalouse, ah ça, oui, jalouse était le mot. Qu'avait-il fait ? Elle serra les poings.
Elle était très vivace, oui. Parfois trop, même. Une personnalité grinçante, trépidante, rarement épuisée et très imprévisible.

- Vous avez dû voir la vie sous tout ses angles ...

Elle poussa un long soupir, envieuse. Elle commença à jouer avec ses doigts, lentement. Et remarqua son regard qui filait. Elle fronça les sourcils. Mais préféra ignorer ce regard furtif pour les alentours. Si quelqu'un comptait attaquer la déesse, elle saurait se montrer très vivace. Elle cala une mèche derrière son oreille, tandis que la mer derrière elle reprenait ses droits sur la glace et détruisait son œuvre de la soirée.

- Je n'ai jamais vu de sorceleur de ma vie, vous savez. C'est rare de croiser des gens dans ce genre. La plupart du temps ils sont ... médiocres.

L'attitude de la divinité changea du tout au tout à l'annonce de l'appartenance de Geralt à la caste des sorceleurs. Le guerrier aux cheveux d'albâtre haussa un sourcil : Il ne s'était pas attendu à ça. La déesse des enfers le considérait désormais d'un œil nouveau, avec un mélange de surprise, de joie, et d'intérêt.
Elle le dévisagea longuement, détaillant son visage, son corps, ses armes. Geralt ne bougea pas d'un cil, se contenant de la suivre des yeux, même s'il se sentait comme un étalon à la foire aux Bestiaux. Il se demanda fugacement si elle allait aussi vérifier le bon état de sa dentition...

- Alors là ... commença t'elle avec un sourire. Vous me laissez interdite, si j'ose dire.

La déesse plongea ses yeux dans ceux du tueur de monstre, comme si elles pouvaient percer son esprit, ses pensées, ses secrets. Geralt soutint son regard, essayant de comprendre le sens des paroles de la divinité.
Son humeur changeait constamment. Désormais, elle semblait irriter. Geralt se demanda bien pourquoi, et aussi s'il allait en faire les frais.

- Vous avez dû voir la vie sous tout ses angles ... Rajouta t-elle avant de pousser un profond soupir.

Le sorceleur ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes. Etait-ce bien ce à quoi il pensait ? Non. Cela ne se pouvait pas ! Ce serait trop ...
Et pourtant, ses changements d'humeur, ses faits et gestes, son regard ...
Oui bon d'accord, mais c'était une déesse tout de même, alors que lui n'est qu'un simple mortel ! Un misérable ver de terre albinos en comparaison des milliers, non, des millions d'âmes qu'elle avait dut voir défiler dans son antre glacée.
Il était tout bonnement impossible qu'elle soit ...

- Je n'ai jamais vu de sorceleur de ma vie, vous savez. C'est rare de croiser des gens dans ce genre. La plupart du temps ils sont ... médiocres.

Jalouse.
Elle était jalouse.
La Déesse Nordique des Enfers enviait sa vie de chasseur de monstre dégénéré, de tueur sans pitié, de mercenaire méprisé de tous.

L'énormité de la chose était telle qu'elle chassa toute autre pensée de son pensée et provoqua la naissance d'un spasme qui lui tordit le ventre : Ce fut d'abord un gloussement étranglé au fond de sa gorge, qu'il tenta de contenir, mais la pression était tellement forte qu'il ne put se retenir bien longtemps.
Il se laissa alors aller à un accès d'hilarité tonitruant, franc et spontané, les yeux levés vers le ciel d'encre, les bras le long du corps, et le craquement de la glace qui cédait sous la pression de mer, fut comme un écho à son rire.

Geralt mis quelques temps à se calmer. Pliés en deux, les mains sur les genoux, il tenta de reprendre son souffle tout en laissant échapper encore quelques gloussements. Enfin, après avoir soupiré longuement, il se redressa et essuya les larmes qui perlaient au bord de ses yeux du revers de la main, avant de lever son regard vers la déesse.
Il répondit enfin à la première question de la jeune femme :

- Oh oui, j'ai vu la Vie sous tous ses angles, Déesse Hel. J'ai également vu de très nombreuses facettes de la Mort .. même si j'avoue que celle qui se tient aujourd'hui devant moi m'est tout à fait inédite !

Le tueur de monstre manqua d'être prit d'une nouvelle crise de fou rire mais il parvint à se contrôler. Son habituel rictus cynique au coin des lèvres, il demanda d'une manière détachée, en écartant les mains :

- La vie des dieux est elle donc si ennuyeuse pour que vous veniez vous amuser sur Terra ? Je pensais qu'une divinité telle que vous aurait trop à faire avec les morts pour avoir le temps de venir faire des sculptures de glace dans l'océan... Ou alors peut être avez vous tout un tas d'assistants sous vos ordres à qui vous pouvez déléguer vos tâches ?

L'idée d'une armée de valets et de secrétaires contrôlant les âmes des nouveaux morts, comme s'il s'agissait de simple marchandise, le fit sourire plus encore.
Décidément, cette nuit n'était pas banale.

Hel le laissa rire. Que pouvait-elle faire ? Dans d’autres situations, elle aurait pû illico-presto le transformer en une statue de glace, pour le punir de son comportement. Allons, on ne se moque pas ainsi d’une déesse renommée, crainte, respectée par delà les frontières - quoi que ignorée en ces moments où le dieu unique prônait sa doctrine dictatoriale à sa guise - et fille d’un des plus grands dieux nordiques.
Elle soupira. Bon, il avait devinée, voilà une mauvaise affaire. Tant pis, tant pis, cela passerait, et il fallait bien admettre que se charger des morts pendant toute une vie était quelque chose de peu trépidant, quand ces morts n’étaient pas bavards …

- Les morts, les morts … Je me charge des morts de maladies, ou des morts naturelles, alors ne me parlez pas d’ennui … répondit-elle d’un ton blasé.

Ce qui signifiait que, oui, elle s’ennuyait à mourir.

- C’est pour cela que je remonte de temps en temps … Les humains sont si amusants ! Si manipulables, ni naïfs, si … Comme du bétail, ou des accessoires.

Elle claqua aussitôt des doigts, et une des maison au alentours se chargea de glace, aussitôt, devenant une architecture gigantesque et brillante. Un avertissement pour le sorceleur : qu’il rit à nouveau, et elle n’hésitera pas. Elle n’avait pas envie qu’il meurt, cet homme, sauf s’il cherchait réellement  les ennuis … Là, il goûterait à la puissance d’Hel, et à son caractère légendaire.
Et, effectivement, elle n’attachait aucune importance aux humains ; certes, ils l’amusaient et elle avait découvert plusieurs nouveaux « jeux » pour la divertir grâce à eux, mais il fallait avouer qu’ils n’étaient pas bien rocambolesques.

- Vous, vous avez dû vivre. La mort semble vous haïr, je me trompe ? Moi, on me déteste, alors que je veille sur les morts. Sans moi, ce serait l'anarchie, ici bas ! . Vous, on doit vous adorer.

Elle eut un petit sourire, à peine moqueur.

- « Le grand sauveur de tous, Geralt le sorceleur ! Sortez le champagne et les jolies femmes, et acclamez tous celui à qui vous devez votre sûreté » ironisa-t-elle.

Hel ne partagea pas son hilarité. Elle semblait même fatigué de son statut de divinité. Geralt n'arrivait pas à imaginer comment une divinité pouvait être aussi blasée. Mais en y réfléchissant bien il est vrai que l'éternité doit être ennuyeuse à la longue ..

- C’est pour cela que je remonte de temps en temps … Les humains sont si amusants ! Si manipulables, ni naïfs, si … Comme du bétail, ou des accessoires.

Au moment ou la déesse finit sa phrase, elle claqua des doigts et le bâtiment le plus proche se couvrit de glace. Le sorceleur déglutit sans perdre son sourire en coin. Un avertissement pour son insolence. Il en prit bonne note. Il se devait de museler sa fichue arrogance, sinon il risquait de passer, à nouveau, un mauvais quart d'heure.
Cependant, si le tueur de monstre ne réagit pas aux paroles méprisantes de la régente des enfers nordiques sur les hommes, ce n'était pas par peur de représailles. Non. En fait, il partageait assez son point de vue sur les hommes. Si manipulables ..

Puis la déesse Hel revint à lui, ou plutôt à son appartenance à la caste des sorceleurs. Elle ironisa sur son statut de sauveur de l'humanité, semblant croire qu'il était vu comme une sorte de héros. Elle se méprenait. Le regard de Geralt se perdit sur l'étendue sombre de la mer :

- Du champagne et des jolies femmes ? Oui ça serait bien .. Mais vous avez oublié un qualitatif pour les humains : Ingrat... Les hommes sont terriblement ingrats.

Le sorceleur se retourna vers la déesse, affichant à nouveau son rictus cynique.

- Quand des monstres rôdent autour de leur maison, mangent leur bétail ou tuent ceux qui s'aventurent trop tard la nuit hors de chez eux, les Hommes sont ravis de nous voir. Enfin quelqu'un qui va pouvoir faire le sale boulot à leur place ! Ils n'auront même pas besoin de se salir les mains ou de prendre des risques !
    Puis quand vient le moment de payer nos services, ils maugréent dans leur barbe et crachent sur nous dès qu'on a le dos tourné. Ils nous reprochent de ne pas risquer notre vie gratuitement. Vous comprenez, eux ils travaillent dur pour récolter cet argent ! Alors ils nous traitent de mercenaires assoiffés de sang et d'argent. Certains murmurent à demi-mots que c'est nous qui introduisons les monstres pour mieux les chasser ensuite.

Geralt eut un sourire mauvais, avant de continuer sur un ton ironique :

- Et puis quand il n'y a aucun danger, ils voudraient qu'on disparaisse de leur vue et qu'on reste terrer dans des grottes. Bien sûr ! Qui voudrait de "mutants dégénérés sans âme" et de "pratiquants de sorcellerie noire", comme diraient les inquisiteurs de l'Ordre Immaculé .. Ah ces fanatiques, si nous ne leur étions pas utiles afin de les débarrasser des créatures qu'ils ne savent pas combattre, ils auraient tôt fait d'essayer de détruire notre confrérie au nom du Dieu Unique.
    Alors, en contrepartie, ils nous affublent de tous les maux de la terre afin de préserver leur crédibilité et leur autorité. Désormais, les femmes de Nexus racontent à leurs enfants des histoires sur les méchants sorceleurs qui vont les enlever s'ils ne sont pas sages.. Tss..