Ambre
La jeune fille expira longuement, posant l’enveloppe sur la table. Son nom, en lettres énormes, apparaissait au dessus de son adresse. Elle reconnaissait cette écriture, elle aurait pu la reconnaitre entre mille. Elle tapota doucement la lettre, la retourna, la reposa, s’en écarta comme si elle pouvait la brûler. L’ouvrir ne lui traversait même pas l’esprit pour le moment. Elle avait reconnue, au toucher, plusieurs billets et une lettre à l’intérieur de cette enveloppe. Elle passa sa main sur son front. Elle suait un peu. C’était le doute, la peur, le questionnement. Il fallait qu’elle sache, mais elle ne le souhaitait pas. Elle caressa doucement l’enveloppe, du bout des doigts. Que pouvait bien contenir ce morceau de papier blanc ? Quels mots étaient donc tracés sur la lettre ? Combien de billets se reposaient en son intérieur ? Il fallait qu’elle ouvre, pour savoir. Elle baissa les yeux, et attrapa l’enveloppe.
D’un geste habile, elle l’attrapa, et l’ouvrit sans rien déchirer. Les billets tombèrent sur la table, des liasses, et la lettre apparut.
« Pardonne moi. Tu sais que je n’ai pas voulu que tu deviennes ce que tu es désormais. Enfin, tu le sais, mais tu ne l’acceptes pas. C’est moi qui t’ai mise dans cet état, et je sais que des billets ne rachèteront jamais ton humanité. Je te demande de me pardonner. Je t’ai tant aimé, voilà tout. Je te voulais unique, je voulais m’assurer que tu ne serais jamais une victime de la société, mais plutôt une prédatrice. Quelqu’un qui ne souffrirait pas parce qu’elle est moins forte, plus faible. Je ne voulais pas que tu te laisses faire. Je te voulais immortelle, invincible.
Pardonne moi. Je t’en supplie. Je ne suis pas parfait, et mon acte est impardonnable, je le sais parfaitement. Mais au nom de mon amour pour toi, je t’en supplie, pardonne moi. »
Elle releva les yeux de la lettre, des yeux trempés de larmes. Aussitôt, elle envoya la lettre paître plus loin, loin devant elle. Elle donna des coups rageurs dans les billets, qui s’éparpillèrent. La fatigue, la haine, la colère. Les souvenirs qui remontaient à la surface, plus violemment qui jamais. Elle se laissa tomber sur la table, tête en avant, comme un cadavre.
« Tout avait commencé il y a plusieurs années, en des temps qu’il ne fait pas bon de citer. En ces temps laborieux, vivre était un calvaire, surtout dans la ville où nichait la famille Fà. De plus, la mère de la famille était enceinte, ce qui n’était pas très bon signe. L’enfant se nommerait Ambre, on l’avait décidé. Que ce soit un homme ou une femme, son nom serait Ambre.
Ainsi naquit Ambre, jeune fille alerte et agile, d’un physique fin et souple, dont les cheveux noirs se détachaient toujours, mais qu’elle prenait plaisir à rattacher, parfois n’importe comme. Ambre dont les yeux perçaient toutes les carapaces, des yeux étonnants et profonds, Ambre dont le sourire était un plaisir à voir. Elle restait fine, à force d’exécuter mille et uns exercices, à force de vivre et de survivre dans la campagne où elle demeurait avec sa famille. C’était une fille belle, avec un certain charme, celui de la forêt. Le charme d’une enfant restée innocente, qui se baigne nue dans les fleuves, qui gambade dans la forêt, qui parle aux animaux. Elle était petite, je dirais d’un mètre et - disons - 60 centimètres, des bons kilos qui ne la classait ni trop grosse, ni trop fine, une taille et des hanches présentes, mais pas violentes. Une éternelle enfant, épicurienne jusqu’au bout.
Ambre était une fille de bon caractére, toujours joyeuse et ouverte, prête à accueillir la vie et la serrer contre elle , quoique légérement impusilve et trés imaginative, remplie de bonheur, et de farces à partager avec tout le monde. Elle était insouciante, tendre, prévoyante. La plupart de son temps, elle le passait à concocter des plats, ou à courir dans la forêt afin de discutailler avec les plantes et les êtres magiques qu’elle voyait partout. Elle lisait peu, mais suffisamment pour lire le journal quotidien et les livres de contes. En somme, une enfant normale, et banale, qui serait brisée, plus tard, par une folie dévastatrice, qui la transformerait en une sorte d’être inqualifiable, dont les actes et les paroles défieraient toutes morales, et toutes attentes, une folie sans remède.
Un jour, pourtant, tout dérapa outrageusement. La collecte fut mauvaise, un incendie ravagea la forêt, les animaux moururent de quelques maladies étranges. Ambre avait, disons, une quatorzaine d’année. Elle était jeune, elle ne se rendait pas compte que, du jour au lendemain, tout pouvait s’effacer pour elle, qu’elle pouvait mourir de froid en hiver parce qu’il n’y avait plus de bois, qu’elle pourrait mourir de faim, de soif … elle était fichue, et ne s’en rendait pas compte. Ou, tout du moins, sa famille était fichue. Elle restait dans les plus pauvres du pays et du paysage. Le père ne savait plus quoi faire, sa femme étant à nouveau enceinte. Il n’y avait plus qu’une chose à faire : marier sa fille. Certes, il ne récupérerait pas d’argent, mais il pourrait s’en débarrasser, et ce serait une bouche de moins à nourrir. Il partit à la conquête d’une personne qui voudrait bien de sa fille, et le trouva en peu de temps. Un homme, aristocratique dans ses manières, qui connaissait bien Ambre, qui venait souvent traîner dans sa propriété pour des raisons qui lui étaient inconnues. Il approchait la fin de la vingtaine, ce n’était pas bien méchant pour la petite, qui allait fêter ses 15 ans dans quelques mois. Le contrat fut avancé, le mariage célébré. Le destin d’Ambre était scellé.
Elle commença donc à ruiner son adolescence. Elle n’en eut pas, pour tout vous dire. Directement, elle passa de l’enfance à l’âge adulte, dans les bras d’un être qu’elle n’aimait pas, dans le lit d’un homme qu’elle ne connaissait pas. Elle ne revit jamais sa famille. La seule inquiétude de l’homme était de fournir une descendance digne de ce nom à sa lignée. Ce qu’Ambre ne put faire. L’homme l’aimait, il fallait le croire, car malgré qu’elle soit stérile, il la gardait prés d’elle et se chargeait de ses besoins. Mais un jour, quand elle eut ses 17 ans, il en vint aux anciennes méthodes, nommées païennes par la plupart des gens : les maléfices, ou plus précisément des tatouages maléfiques. Pendant son sommeil, il fit sonner une thaumaturge, et lui ordonna de tracer, sur le dos d’Ambre, des tatouages. Le seul problème était que cette femme était loin d’être aussi blanche qu’elle le laissait deviner. Elle traça de mauvais tatouages, à cause de divers drogues hallucinatoires qu’elle ingurgitait à longueur de temps, et Ambre se retrouva avec, sur le dos, les tracés symbolisant la folie.
La folie … c’est elle lui fit perdre tout contrôle, qui la fit hurler et délirer la nuit, qui lui apporta de mauvais rêves. Elle n’avait que quelques heures de raisons par jour, et, le reste du temps, était livrée à des paroles qui ne signifiaient rien. Ce fut pendant ses heures de raisons qu’elle réalisa que son mari était le cerveau de tout ceci. Sa décision fut prise, aussitôt, elle disparut. Aussitôt, elle quitta cet homme qui l’avait transformée en monstre, pour s’isoler dans la forêt, dans un manoir abandonné et livré aux plantes. »
" Mais ici, comme ailleurs, tout ne se passe pas comme prévu ... Elle passa sa petite vie à chercher quelqu'un capable de l'aider à guérir de cette maladie ... Ce qui fut d'une impossibilité navrante. Certes, une femme, un jour, parvint, après maintes tentatives, à canaliser cette folie, et à permettre davantage d'heures de crédulité à Ambre qu'elle n'en avait jusque là. Mais cette folie reste, ancrée en elle, ravageant ses sens. Il fallait, à tout prix, qu'elle ne voie plus personne. Cloîtrée dans son manoir, elle passait ses journées à ne pas sortir ... Plus d'amis, ni de domestiques, plus de nouvelles, rien que ce soit de ce genre. Juste elle, et ses pensées qui incendiait son être ; les hallucinations devenaient ardentes, ses apnées du sommeil plus virulentes, ses mots de moins en moins compréhensibles ... Que restait-il d'elle ? Rien.
Elle se banda, un jour, les yeux, et s'enferma dans sa chambre, décidée à ne plus en sortir ... Se laissant mourir, abattue par la faim, et tous ces genres de besoins corporels irrépressibles.
Jusqu'à ce qu'elle l'entende. Du fin-fond de la forêt. Les yeux bandés, guidée par cette voix pure, elle sortie de sa demeure, essoufflée et affamée. Une main lui rendit la vue, faisant disparaitre ce bandeau. Elle croyait encore que ces hallucinations violentes étaient là pour l'abattre, mais ce ne fut pas le cas ... Ce qu'elle vit devant elle dépassait l'entendement. Et elle savait que ce n'était pas de la folie. Il y avait là une femme, belle et noble, d'une transparence qui rappelait le monde d'où elle était extraite, qui murmurait quelques mots, quelques phrases. Elle avait vécue au manoir, Ambre le comprenait, et elle demandait à la jeune fille de l'aider à entretenir ce lieu. Par un principe, simple et efficace.
" Je serais votre mère, s'il le faut, annonça t'elle. Creuse sous le puits, et déterre ce qu'il y a dessous. Cela t'aidera à accomplir notre projet ; celui de faire revivre ce manoir en tant que tel. "
Quand elle avait acquis ce manoir, la jeune fille ne s'était pas imaginé le trésor dissimulé sous le puit, ni même la photo qu'elle retrouverait ici, et le cahier qui expliquait ce qu'était, jusque là, cet immense manoir laissé à une mort lente, délaissé de sons but principal ...
Avant, ici, se dressait, fière et puissante, une école où tout tournait autour d'une magie naturelle, de rites ancestraux liés au respect des puissances naturelles. Balayant le stoïcisme, cette "école" composée exclusivement de filles, accueillaient celles et ceux qui souhaitaient se calmer, se reposer, guérir, connaitre la nature, son mystère et sa magie.
La voix fine de la femme noble, qui s'annonça comme se nommant " Mademoiselle " , suivie d'un tutoiement pour ses proches - elle ne donnait jamais son prénom - put reprendre sa place, même sous forme fantomatique, dans cet endroit fantastique. De plus, cet apprentissage permettait à Ambre de devenir moins violente ... Du moins, tant qu'elle restait proche de cette demeure. Elle quitta ses robes nobles et indélicates, pour adopter des tenues, certes fantasques, mais qui lui allaient bien mieux que tout ce qu'on avait pû imaginer jusque là ...