Sanctions abusives [Shani]

C'était une nouvelle journée de merde qui se terminait pour Ayako. Comme à son habitude, la lycéenne était restée seule dans son coin, sans se mêler des affaires des autres, ni chercher à socialiser avec quiconque. Cela n'avait pas empêché certain de ses camarades de lui chercher des noises, d'essayer de la faire réagir au travers d'insulte ou de moqueries, mais dans le fond, ils devaient surtout se sentir frustrés de se faire ignorer par cette fille bizarre.

Depuis le début de sa première année de cours, Ayako était la cible de harcèlements de la part des élèves et d'une bonne partie du corps enseignant. Après tout, une jeune fille d'une quinzaine d'année trop grande et trop plate pour son âge, avec des yeux verts quasi fluo et presque toujours dans la lune, c'est forcément suspect. Le bouc émissaire idéal pour lui coller sur le dos toutes les conneries inexpliquées qui surviennent, lorsqu'elle est dans les parages.

Aujourd'hui n'avait nullement fait exception. Le prof s'était levé pour ramasser les copies d'une intéro surprise, y allant de son petit commentaire selon les élèves qu'il appréciait ou non. Arrivant à la table de la lycéenne, il avait ramassé sa copie, déclarant que sa copie soignée n'était qu'un torchon qui ne méritait même pas d'être notée. Ayako ne chercha même pas à répliquer, ce qui énerva l'enseignant. Elle savait très bien ce qu'il allait faire: froisser sa copie, raturer des réponses, elle était habituée maintenant. Mais même si elle ne disait rien, elle n'en pensait pas moins, imaginant même son prof rater sa chaise et s'étaler le cul par terre, devant toute la classe.

Sauf que, comme souvent avec elle, son imagination prend souvent forme dans la réalité. Et un grand boum la fit sortir de ses rêveries, voyant alors son prof rétamé au sol, les copies virevoltant autour de lui. Tout la classe éclata de rire, sauf elle, trop surprise pour se foutre de sa gueule. Refusant d'admettre qu'il avait loupé sa chaise, il préféra se trouver une responsable toute désignée.

Ça te fait rire Nisawa ? Alors va donc rire une petite heure en salle de retenue, immédiatement !

Mais j'ai rien fait ! C'est vous qui...

Je double la colle. Discute encore et c'est le conseil disciplinaire !

Pfff...

La jeune fille prit ses affaires et sortit directement, en claquant la porte bien fort derrière elle et ne se retourna même pas malgré les injectives de l'enseignant. Elle avait donc été faire ses deux heures, avant de pouvoir retourner dans sa chambre au dortoir. Et pourtant... Voilà que le lendemain après-midi, elle était convoquée aux bureaux administratifs. Elle se demandait bien qu'elle raison son prof avait bien pu trouver pour justifier cette convocation...

Malgré ses particularités, Mishima restait un pur lycée japonais, c’est-à-dire un établissement où l’autorité se devait d’être respectée. Les élèves turbulents étaient mal vus, et le lycée n’hésitait pas à les sanctionner. Dans ce domaine, le secrétariat jouait un certain rôle, et Shani, bien que secrétaire se chargeant de l’accueil, s’était aussi vue confier des attributions liées à la direction du lycée. Autrement dit, elle était désormais habilitée à surveiller des heures de retenues, mais aussi à s’occuper du suivi disciplinaire des élèves. Dès lors, elle s’était vue confier le suivi d’une élève en particulier, qui était accusée d’avoir agressé un professeur, Ayako Nisawa. Son dossier disciplinaire commençait à devenir lourd, et l’enseignant avait rapporté une altercation selon laquelle, après la distribution de mauvaises notes, Ayako l’avait poussé au sol. Toutefois, divers témoignages laissaient plutôt entendre que l’homme avait juste glissé au sol, et que la sanction apparaissait comme injuste. En soi, il n’appartenait pas à Shani de prendre une décision, mais de rédiger un rapport qu’elle soumettrait ensuite à la direction pour prendre d’éventuelles décisions.

Shani avait donc rendez-vous avec elle dans un bureau. Elle avait amené le dossier d’Ayako, et le regardait donc, silencieuse… Lorsqu’on toqua à la porte. Shani, qui portait son habituel tailleur avec une chemise blanche, reposa la feuille qu’elle consultait, puis se redressa.

*Bon… Et bien, en piste !*

Elle se dirigea vers la porte d’entrée, et l’ouvrit, puis sourit à Ayako.

« Bonjour, Nisawa-san. Vas-y, entre ! »

En matière d’autorité, Shani n’était sans doute pas le meilleur exemple qu’on puisse trouver. Elle avait couché avec la moitié de l’établissement, et n’avait donc rien de vraiment dangereux en elle. La jeune Française avait, de fait, toujours privilégié la discussion, le dialogue, à l’autorité arbitraire et verticale. Autrement dit, favoriser une relation la plus horizontale possible à une verticalité injuste et trop stricte.

Shani s’assit donc derrière son bureau, et ne tarda pas à entamer les choses :

« Bon… Comme tu le sais, nous sommes ici suite à l’altercation qui est arrivée hier avec Furama-sensei… Est-ce que tu as quelque chose à dire là-dessus ? »

C’était sans aucun doute pour ses talents de diplomate que la direction avait confié à Shani l’examen de ce dossier, afin de s’assurer de bien obtenir les deux versions… Shani n’avait en effet aucun a priori vis-à-vis d’Ayako, si ce n’est que son dossier commençait tout de même à devenir un peu chargé, et que cette dernière histoire avec Furama-sensei pouvait bien être la goutte d’eau de trop…