Vous savez ce que c’est, cette sensation… Quand on est là… Sans être là. Je veux dire qu’on était là, physiquement là, mais que l’esprit, lui, était ailleurs… Mais genre… Vraiment ailleurs ! J’avais beau entendre les profs parler de leurs cours soporifiques, j’étais… Ailleurs. Dans un monde fait de cordages, et mes doigts traçaient des formules et des calculs sur le papier. Si on voyait ça, on pourrait croire que j’étais une sorte de matheuse passant son temps à faire des calculs, mais, en réalité, il s’agissait de mon petit passe-temps secret. Plutôt que de passer mes journées ne cours à envoyer des SMS en m’interrogeant pour savoir qui sortait avec qui, quel garçon avait montré son sexe, ou quelle fille avait couché avec quel mec en mode *HAAAAAANNN ! Mais la salope, QUOI !* (alors que, en fait, on avait surtout envie d’être à sa place, en se disant que ça devait être bien excitant), moi, je faisais des formules mathématiques de kinbaku. Le kinbaku, c’était un art sexuel, mais c’était aussi une véritable science, et qui nécessitait d’être bon en mathématiques. Un amateur ne pourrait jamais maîtriser ce truc, en réalité. C’était un art ancestral typiquement japonais, le genre de trucs qui n’étaient pratiqués que par quelques experts, ou par des initiés désireux de maîtriser ce genre. Qui sait ? Peut-être que, un jour, j’aurais un apprenti, moi aussi… Mais là, en fait, même les maths, ça n’arrivait pas à me détendre.
J’avais, et pour le dire simplement, une féroce envie de baiser. Mais pas la baise classique, avec le coït, les soupirs, les couinements, et tous ces trucs, là… Je me voyais baiser au milieu de cordes, en souffrant, en perdant la raison sous la frustration. Ce que ma maigre expérience de la domination sexuelle m’avait appris, c’est que plaisir sexuel et frustration étaient inextricablement liés, l’intensité du plaisir dépendant du niveau de frustration que la personne ressentait. Quoi de mieux que du sadomasochisme pour ça ? Quoi de mieux, en effet, que la frustration sexuelle induite par le fait de réduire les mouvements ? Plus j’y pensais, et plus je me disais qu’il y avait de quoi écrire des thèses entières là-dessus. Mais là, j’avais pas envie d’écrire, juste envie de voir l’horloge filer plus rapidement, et pouvoir enfin passer aux choses sérieuses !
Oh, bien sûr, je savais que ça pouvait être un canular. Avec Internet, il était sans doute très facile, pour n’importe qui, de savoir que j’étais la fille d’un expert en kinbaku, mais je repensais à ce poème… Ce n’était pas banal. Quelqu’un s’était donné du mal, quelqu’un qui avait envi de me jouer avec moi. Et, s’il était vraiment bon, je comptais bien le laisser jouer. Le truc, c’est que je suis pas dans le trip’ « Maîtresse-à-100-%-et-jamais-esclave ». Pour moi, c’était débile… Mais genre totalement débile ! J’avais la logique Palpatine : « on ne peut pas vraiment affirmer connaître la Force si on en a pas aperçu l’entièreté des deux côtés », ou un truc comme ça. Une phrase débile, et j’étais pas vraiment une Jedi… Mais elle résumait bien ma philosophie. Le fait est que, étant l’experte de cordes, c’était souvent moi qui jouait à frustrer les autres, mais ma relation avec Alexanders-senseï plaidait pour ma polyvalence.
Et puis, la délivrance arriva enfin… Mais 20h, c’était tard, bien après la fermeture du lycée, et je me retrouvais donc attendre dans les dortoirs… ‘Chier !! Pourquoi ce type avait attendu longtemps ? Mon esprit se mettait à s’enflammer, et… Je peux bien l’avouer, mon imagination s’emballait tellement que je me suis masturbée… Trois ou… Quatre fois ? Ma virginité devenait de plus en plus dure à supporter ! Alexanders-senseï jouait avec moi, trouvant plus excitant de faire l’amour avec une vierge, mais, plus le temps passait, et plus j’avais sérieusement envie de franchir le cap… Je me retenais juste en sachant que ce serait un signe de non-retour, et qu’il n’y aurait pas de marche arrière possible.
Vers vingt heures, j’approchais du lycée. Il faisait nuit, évidemment, et je portais un manteau dissimulant ma combinaison en néoprène rose et violette, que j’avais évidemment enfilé, tout en me demandant toujours si ce n’était pas un canular. Je connaissais l’accès vers la cave… Du moins, il y avait plusieurs accès, car la cave de Mishima était plutôt grande, mais je savais à laquelle on faisait allusion, ce qui m’amena vers l’arrière du lycée. Ici et là, quelques lumières brillaient encore, et je m’approchais donc, en me mordillant les lèvres, jusqu’à rejoindre l’homme en question.
Mon cœur alla bien évidemment s’emballer un coup.
« Salut, Ryujin ! » lui dis-je, le souffle court.
Pas une blague ! Ce n’était pas une blague ! Je m’en mordillais les lèvres !
Puis nous descendîmes vers la cave, et l’homme me dit d’entrer, et je souriais. Mon entraînement avec Alexanders-senseï portait ses fruits, car j’étais relativement calme et maîtresse de moi. Je compris rapidement que l’homme comptait m’attacher, et je me mis à sourire.
« Le deal est simple… Si tu t’en sors bien, tu pourras être le Maître… Sinon, ce sera moi. »
J’avais toujours mon manteau conservé, mais, quand l’homme me laissa entrer dans sa caverne aux merveilles, je retirais ma tenue, lui dévoilant mon dos, et mes belles fesses, superbement moulées dans ma combinaison.
« J’ai pris pour toi la tenue la plus sexy que j’avais… » glissais-je ensuite, sur un ton mielleux.
C’était une grande pièce, que Ryujin avait visiblement aménagé. Il y avait même une couchette, un matelas posé dans un coin du lit, peu d’éclairage, et des cordes un peu partout. Je me retournais vers lui, sourire niché sur mes lèvres.
« Alors… Comment dois-je t’appeler ? »