C'était avec une boule au ventre qu'Amalia était montée dans la chambre qu'elle louait dans cette auberge, peu après en avoir ouvert la porte, elle reprit une longue gorgée de vodka, referma la porte derrière elle d'un coup de pied, puis bu encore. Elle était en colère, mais accepter de comprendre pourquoi aurait voulu dire d'accepter de faire son auto critique, et c'était une chose avec laquelle la sorceleuse avait un mal fou. Etre une chasseuse de monstres émérite ne voulait pas forcément dire qu'on était "humainement" irréprochable, loin s'en fallait. Elle aurait pu encore continuer de dissuader Ciri' de faire cette connerie, mais elle savait qu'elle parlerait à un mur. Ce n'était même pas une question de sous-estimer son ancienne élève, mais une constatation tirée de sa propre expérience, les striges étaient des créatures très dangereuses. Il y avait peu de dangers que la sorceleuse craignait, après plus de trente années à faire la chasse aux monstres, mais une strige avait bien failli la tuer, alors que déjà à l'époque Amalia n'était plus une novice. Ciri' avait beau avoir tout un panel de magie à sa disposition, Amalia ne se faisait guère d'illusions, son ancienne apprentie n'avait pas changé d'un iota, manquait de patience, hors il fallait de la patience et se dédier durant de longues années à l'étude et à l'entraînement pour manipuler les énergies magiques, quelles qu'elles puissent être.
Ciri' n'était pas sans défenses, mais la sorceleuse avait le pressentiment que ça ne serait pas suffisant, et qu'elle allait se faire tuer.
Intérieurement, Amalia essayait de se convaincre qu'effectivement elle sous-estimait Ciri', cela faisait après tout des années qu'elle ne l'avait pas vue, et elle avait grandement changé depuis...mais rien, pas même la vodka qu'elle était en train d'ingurgiter en grandes quantités ne lui permettaient de balayer ce doute...cette certitude même, que Ciri' allait y passer.
*Chier...va chier...c'est plus mon problème putain...*
Elle tenta de nouveau de porter la bouteille à ses lèvres, mais aucun liquide n'en descendit. Vide, cette putain de bouteille était vide, et elle n'était définitivement pas assez saoule pour oublier. Rageusement, elle lança la bouteille par la fenêtre, qui fort heureusement donnait sur une rivière proche et non pas une rue.
Incapable de se poser, Amalia tourna en rond, littéralement, comme un animal en cage. Elle aurait du s'en foutre, elle le devait, mais en semblait incapable. Bordel pourtant elle avait fini par oublier cette petite conne, à faire la paix avec le fait qu'elle soit partie, mais la revoir semblait tout changer, faire resurgir l'attachement qu'elle éprouvait à son encontre, malgré la promesse qu'elle s'était faite de ne plus jamais tomber dans ce putain de piège. Mais que faire ? La convaincre de partir ? Elle avait déjà essayé sans succès. Se joindre à elle ? Amalia se refusait à baisser son froc devant cette petite conne, et vu la prime misérable qui était proposée, la sorceleuse n'avait nullement envie de risquer sa vie et son matériel face à une strige.
Le temps passa. Amalia avait tenté d'entrer à deux reprises dans un état de méditation, mais en vain, elle n'arrivait pas à se focaliser pour faire le vide dans son esprit. Alors finalement, après cette nouvelle tentative ratée, elle se leva, et entreprit de descendre. Sauf que quand elle arriva dans le hall de l'auberge, la plupart des tables étaient vides, dont celle de Cirillia.
Hey, la jeune femme aux cheveux rouges qui était assise à cette table, elle a pris une chambre ici ?
Hum ? Nan, elle est partie y'a environs une petite heure...j'crois qu'on la reverra pas de sitôt, je l'ai aperçue partir en direction des montagnes, mauvaise idée avec la fille du Jarl qu'est devenue ce...monstre.
Merde.
Merde. Merde. Merde. Merde.
Sans perdre une seconde, Amalia remonta dans sa chambre, enfonçant presque au passage la porte. Il était heureux qu'elle n'avait pas enlevée son armure, et n'eut qu'à attacher la sangle des fourreaux de ses épées dans son dos, avant de sauter par la fenêtre pour prendre un raccourcis. Elle se réceptionna sans difficultés sur le sol, puis se mit à courir en direction des écuries. Son cheval l'attendait, et leva la tête brusquement à la vue de sa propriétaire, alors qu'il était en train de manger du foin. Cette bête l'accompagnait depuis déjà quelques années, un pur sang Ashnardien fort et endurant, qu'un duc lui avait offert en payement d'un contrat. Depuis le temps, le destrier connaissait sa maîtresse, et savait quand être sur le départ, comme c'était le cas maintenant. Amalia prit sa selle et les rennes, les mit le plus rapidement possible à sa monture, puis le chevaucha en l'incitant à aller au galop.
Dans l'obscurité de la nuit, elle se dirigea vers la forêt, vers les montagnes, et l'église abandonnée qui servait de repaire à la strige. Au fur et à mesure qu'Amalia s'approchait, son ouïe sur-développée captait de plus en plus d'échos provenant de cet endroit, ceux d'un combat, et des cris. Puis soudainement, elle fit piler sa monture. Au loin, alors qu'elle n'était plus qu'à une centaine de mètres du lieu, elle vit une silouhette humaine défoncer un mur de l'église, et tomber dans un contrebas d'une bonne quinzaine de mètres. Sans un mot, Amalia fit de nouveau jouer ses étriers pour faire avancer sa monture, mais au lieu d'emprunter le chemin menant à l'église, elle contourna par la falaise, et trouva rapidement le corps de Cirillia, jonchant le sol.
Bordel de merde ! Ciri' !
Elle posa pied à terre, puis se précipita vers son ancienne élève, qui était couchée visage contre le sol. Rapidement, l'odeur ferreuse du sang attaqua ses narines, et elle la retourna alors, et palpa son corps à plusieurs endroits. Malgré l'armure que Cirillia portait, le sens du toucher de la sorceleuse était également plus développé. Elle sentit plusieurs fractures, et la blessure à son flanc était sérieuse.
Hémorragie interne...Poison...
Autour de l'emplacement de la morsure, Amalia pu en effet distinguer que la peau était en train de se nécroser à une vitesse alarmante, en plus de pisser le sang. Amalia avait sur elle de quoi bander des blessures, mais rien qui puisse endiguer un tel poison, ni même contrer des hémorragies internes...rien en tout cas qui ne soit destiné à une humaine.
Amalia se tourna vers l'une des saccoches qui étaient accrochées à sa selle, elle s'y précipita, et sortit alors deux flacons. L'un au contenu rouge sang, l'autre or. Deux potions spécifiquement conçues pour le métabolisme particulier des sorceleurs, et qui respectivement accéléraient drastiquement la guérison des blessures, et guérissaient de tout type de poison.
Hirondelle et Oriole dorée...
Elle s'approcha alors de nouveau de Ciri', et hésita. Ciri' avait suivi l'entraînement de sorceleuse, et Amalia l'avait initiée à la prise d’élixirs et de potions...mais ce qu'elle s'apprêtait à lui donner était aussi efficace que dangereux, et théoriquement mortel sur un organisme d'humaine n'ayant pas passé l'épreuve des herbes. Concrètement, Amalia risquait de la tuer en lui faisant ingurgiter ces deux potions, car si leurs effets étaient miraculeux, leur composition n'en demeurait pas moins hautement toxique, et seul un métabolisme muté de sorceleuse permettait de s'en prémunir. Seulement Ciri' avait déjà été en partie initiée par Amalia à l'époque, avant même de passer l'épreuve des herbes...mais sur des élixirs loin d'être aussi puissants que ceux là.
Elle hésita...puis regarda à nouveau la blessure, le sang qui continuait de couler, la peau qui continuait de se nécroser à vue d'oeil...
Morte pour morte...elle avait au moins une chance de s'en sortir avec les potions, alors Amalia prit finalement la décision de les lui faire ingurgiter.
Le lendemain matin, Cirillia, quand elle se réveillerait, en se trouverait plus dans les bois, mais allongée sur le lit d'une chambre d'auberge.
Le haut de sa tenue retiré, elle sentirait vite des bandages lui couvrir la poitrine ainsi que le ventre, mais surtout elle sentirait ses muscles très ankylosés, et un léger mal de ventre, et sa vision serait floue bien que revenant progressivement à la normale.
Bien dormi, princesse ?
Juste à ses côtés, Amalia, assise sur un tabouret en bois, avec des cernes bien visibles, car elle venait de veiller sur elle toute la nuit, et qu'elle entamait là sa troisième journée sans avoir médité une seule fois.
N'essaye même pas de te lever, ce serait peine perdue, tu as déjà de la chance d'être encore en vie. Cette saloperie t'a brisé de nombreux os, et la morsure au bassin était profonde et empoisonnée. Tu étais en train de crever quand je suis arrivée, et tu aurais passé l'arme à gauche le temps que je te ramène ici. J'ai été obligée de te faire ingurgiter des potions. Pas les versions édulcorées que tu prends, c'est un miracle que ça ne t'aie pas tué, mais l'un dans l'autre, c'était la seule chance que tu avais encore. On dirait toutefois que t'es encore plus teigneuse et coriace que t'en a l'air.