Ils étaient trois européens à gravir difficilement ce petit bois nippon aux abords de Seikusu. La pente était raide, mais le plus jeune d'entre eux – la trentaine à tout casser – n'avait aucun mal. Les deux autres, l'un qui apprend seulement les joies du rasage, l'autre approchant de l'âge de la retraite, galèrent un peu plus. C'est que le seul qui ait véritablement servi dans la SS est encore athlétique. Les deux autres, allemands comme lui, sont nés après 45 et le servent diligemment. Des larbins qui croient encore en l'idéologie Nationale-Socialiste, fanatisés, héritiers de ceux qui ont dirigés le projet Götteraurora qui donna naissance au Super-Soldat que Siegfried représente.
Au sommet de la pente, les arbres se font plus denses. Devant lui, le terrain se dérobe. Ils sont face à une cuvette, un cratère géant touffue d'une dense verdure.
-C'est en bas, Hauptsturmführer.
Siegfried rajuste son costume-cravate et entame sa descente en s'appuyant sur les troncs pour ne pas tomber. Une fois au centre, le plus jeune écarte des lourds buissons déjà désenracinés, découvrant, au sol, une trappe d'un mètre de largeur, épaisse, en métal blindé, marquée d'un aigle effacé par le temps.
-N'est-ce pas le moment parfait pour revêtir votre uniforme, Hauptsturmführer ?
-Vous l'avez déjà ouverte ?
-Elle est déverrouillée simplement. Nous attendons votre ordre pour l'ouvrir pour de bon.
-Bien.
Le professeur se départi donc de chacune de ses loques, récupérée diligemment par le plus jeune du trio, et ouvre ensuite l'étui à uniforme en tissu qu'il a accroché à une branche pour en sortir, sur un cintre, son attirail complet de SS. Avec un soin particulier, il enfile chaque pièce sur son corps d'athlète sculpté par la science nazie, accroche chaque médaille une par une, et fini par la casquette. Le cadre solennel est planté. Droit comme un i, il fait un vague signe de la tête.
-Ouvrez.
Ça pue le renfermé, il fait noir, froid et c'est pas rassurant. Mais peu importe. Parce que, lampes torches allumées, dès le premier pas posé en bas de l'échelle métallique, les trois sont émerveillés.
-Dire que ça dort depuis 70 ans...
-Regardez ça, au fond.
-... C'est ça ? Le truc de Braun ?
-Ca en a l'air. L'arme la plus puissante du Reich. Celle qui devait nous faire gagner la guerre... Et l'un des prototypes est ici.
-Je croyais que c'était vous, l'arme la plus puissante du Reich ?
Siegfried sourit.
-J'en suis une moitié. L'autre moitié est ici, entre mes mains désormais.
Bien plus tard. Après avoir constaté que les réserves de bouffe étaient inutilisables, ils avaient été dévaliser les magasins aux alentours pour remplir les étagères avec des produits à longue date de conservation, des tas de bouteilles d'eau, des nouveaux médicaments et autres produits de première nécessité... Le temps n'était pas au beau fixe, et les cotons grisâtres au ciel les inquiétaient quelque peu, prévenant d'une averse à venir. Il allait falloir arrêter ce petit trafic et revenir le lendemain.
Debout en haut de la montée, le plus jeune regardait à l'horizon, par-dessus les feuillages et Seikusu non-loin.
-Euh... Hauptsturmführer ?
-Que se passe-t-il ?
-... Venez voir, vite !
Le SS remontait du fond du bunker pour grimper à toute vitesse, rejoignant son acolyte. Ce qui se présentait à sa vue le tétanisa soudain.
-Oh... Putain... Dans l'abri, vite !
La guerre. La guerre ne meurt jamais. 70 ans qu'il n'avait pas été confronté aux bombes, à la haine humaine et aux dérives scientifiques. Et de nouveau, elles le frappaient. Le bunker, à peine descellé, avait été rouvert quelques jours plus tard. Le SS s'est équipé, comme il le faisait dans sa jeunesse. Sa nostalgie du feu et de la mort s'est effacée, et la faim du combat est revenu. Il est prêt. Il se battra jusqu'au bout, même si il doit y perdre la vie.
Parce que la guerre... la guerre ne meurt jamais.