En temps normal, face à une pizza, Rachel se sautait dessus. Elle adorait les pizzas, les découpait, et sentir ce mélange délicieux d’aliments fondre dans sa bouche. Cette Calzone avait l’air délicieuse, bien plus qu’un Big Mac. En temps normal, elle aurait déjà commencé à l’attaquer... Mais, ici, le temps était tout, sauf normal. Le cœur de Rachel continuait à battre à un rythme élevé. Elle s’était confiée, elle avait déballé le grand jeu, sorti ses tripes, les avait jeté sur la table, et la réponse de Carol l’avait surprise. Elle lui avait même avoué ressentir quelque chose pour elle. Carol se mit également à parler, ses sentiments et ses ressentis faisant un peu écho à ceux de Rachel. Elle avait également connu la déception amoureuse, et, surtout, se sentait seule.
« J'ai déménagée au Japon parce que je connaissais la langue et que je ne voulais plus rien avoir à faire avec les États-Unis mais...je me sens seule. Et ta venue je...je ne sais pas si tu te rends compte à quel point ça me fait plaisir de revoir un visage familier. »
Rachel sourit poliment. Elle se rendait compte, oui, mais peut-être pas au point nécessaire. Elle ne dit toutefois rien, car cet aveu, en réalité, la touchait. Carol lui avait dit ne pas vouloir s’engager dans une relation amoureuse, ce qui était, peu ou prou, ce que Rachel souhaitait aussi. Il était encore trop tôt pour ce genre de choses, Rachel en avait aussi clairement conscience. Néanmoins, la manière dont Carol parlait laissait entendre une chose inadmissible au sein de l’armée : une grande fragilité. Elle semblait à bout de nerfs, presque sur le point de verser une petite larme. Elle ne la versa toutefois pas, ce qui, dans un sens, était encore plus touchant. Rachel avait toujours admiré cette femme. Elle voyait en elle une héroïne, une femme qui lui avait sauvé la vie, à elle, ainsi qu’à son unité. L’aviation se résumait à cette célèbre phrase prononcée par le capitaine Miller en décrivant les P-51 : « Ce sont nos anges gardiens ». Rachel avait pleinement pris conscience de cette phrase quand elle et son unité étaient canardées depuis les collines, que les balles sifflaient autour d’elle, que le soleil l’éblouissait, et qu’elle voyait ses hommes agoniser sur le sol.
Carol avait été son ange gardienne. Et, maintenant, les rôles, par ce curieux tour dont le Destin était seul capable, allaient s’inverser. C’était désormais à Rachel de secourir Carol, d’un autre ennemi, bien plus sournois, et bien plus difficile à éliminer qu’une balle dans la jambe, ou que l’explosion trop proche d’une grenade : la dépression. Carol était dépressive, et ce constat, que Rachel s’était déjà fait en voyant l’état de son studio, s’imposait avec encore plus de véracité Il y eut donc un instant de silence, avant que Carol ne reprenne :
« Alors si tu...si tu veux...on pourrait essayer de voir où ça nous mènerait. »
Rachel lui sourit. Inutile de verser dans le mélodrame, elles restaient soldates, malgré tout. La soldate hocha donc la tête, puis découpa une part de sa pizza, et la mangea, essayant de songer à cette dernière, avant de se mettre à parler.
« Tout ça me convient, Carol... Je suis venue te voir pour raviver le bon vieux temps, mais il semblerait que notre relation ne se limitera pas qu’à nous rappeler nos souvenirs de guerre. »
C’était simple, sans fioriture. Rachel lui annonçait tout simplement qu’elle était d’accord pour que leurs relations prennent le temps. Elle continua à manger, dans un silence qui n’était pas pesant. Il fallait juste qu’elle se concentre, qu’elle fasse le vide dans sa tête, et prenne le temps de songer à tout ça. Carol Danvers, sa sauveuse... Une alcoolique qui sombrait dans la dépression. Et elle, qui arrivait comme par magie... Qui se caressait dans les toilettes... Tout était si inattendu, et, maintenant, elles s’étaient plus ou moins lancées pour une espèce de romance. Jusqu’où est-ce que ça irait ? Rachel l’ignorait, et sentait un peu d’appréhension.
Elles finirent leurs pizzas, et Rachel paya l’addition, puis sortit dans la rue. Elle regarda ensuite Carol, et s’approcha de sa voiture. Elles se rapprochèrent de cette dernière, et, alors que Rachel allait l’ouvrir, elle se retourna soudain, et, en toute surprise, vint embrasser Carol sur les lèvres. Un baiser aussi surprenant que bref. Il ne dura que quelques secondes, avant que Rachel ne cesse ses lèvres, se mettant à sourire. Elle restait blottie contre le corps de Carol, qui était un peu plus grande qu’elle.
« J’en ai envie depuis que je t’ai vue toute nue... » avoua-t-elle.