Kira ne s’attendait pas à ce que le sorceleur repousse ses avances, et c’est pourtant ce qu’il fit, au bout d’un long silence qui lui avait fait comprendre, avant même qu’il n’ouvre la bouche, qu’il refusait. Mais cette défaite n’était pas vraiment grave pour la vampiresse, qui ne doutait pas un seul instant de trouver dehors de bien meilleures proies que l’homme en piteux état qu’elle avait sauvé de justesse d’une mort certaine et sans gloire, dans la boue ensanglantée des bas fond. Aussi, elle se redressa en entendant son compagnon parler de méditation afin de permettre à ses blessures de bien se régénérer, et alla se poster devant la fenêtre, qu’elle ouvrit en grand sans se soucier de l’autre. S’asseyant sur le rebord en attendant qu’il fasse ce qu’il avait à faire pour entrer en transe, elle contempla la nuit, les ténèbres, comptant le nombre d’heures qui la séparaient du lever du soleil, moment fatidique. Deux. Trois maximum. Elle soupira. S’occuper du sorceleur avait pris bien trop de temps comparé à ce à quoi elle s’attendait. Et il lui faudrait deux jours… Une fraction de seconde, l’idée de l’abandonner là se ficha dans la tête de la créature de la nuit, qui aimait son indépendance, et surtout pouvoir aller partout, quand elle voulait, sans être retenue par plus faible qu’elle. Encore un bel exemple de l’égoïsme des vampires. Mais après tout, quand on vit depuis des centaines d’années et que tout le monde meurt autour de nous sans que l’on ne vieillisse, il est normal de commencer à oublier les autres, dont la vie ne dure qu’une fraction de seconde.
Quand le regard vampirique revint sur l’homme qu’elle avait soigné, il était à genoux, devant la cheminée, les yeux clos, et ne bougeait plus. Kira entendit que sa respiration était devenue plus lente, signe qu’il n’était pas en état d’éveil. Soupirant à nouveau, elle se redressa puis se tint accroupie sur le rebord de la fenêtre, guettant un éventuel passant. Il était très tard –ou très tôt, cela dépendant du point de vue- et peu de personnes pensaient à aller faire une petite balade à cette heure-là. Cependant, il y a toujours des fous qui ne font pas attention aux éventuels dangers de la nuit, et la vampiresse eut tôt fait de voir un jeune homme, d’une vingtaine d’années, qui passait par là. Aussitôt, elle braqua son regard cramoisi sur lui. Se sentant observé, il tourna bien entendu la tête dans sa direction, et ses yeux rencontrèrent ceux de sa prédatrice. Comme elle s’y attendait, il se figea, et se mit à la contemplé, éperdu devant tant de beauté. Car la nuit rendait la jeune femme plus belle encore, alors même que son corps avait été entièrement taillé de manière à pouvoir plaire à n’importe quel humain, mâle ou femelle, de manière à attirer la proie dans le piège de l’amour. Ou de la mort, dans notre cas. Lorsque l’homme fut bien pris dans ses filets, elle sauta souplement de son séant et atterrit sur ses pieds sans bruit. Il était tellement hypnotisé qu’il ne songea même pas à s’enfuir, et c’est avec délice qu’elle pris sa dose de sang sur son corps. Cependant, comme il avait été un bon garçon en ne se débattant même pas, elle le laissa vivre.
Une trentaine de minutes plus tard, elle courrait avec grâce dans les rues, nullement gênée par l’aspect sinueux de la ville. Finalement, l’idée qu’elle ferait mieux de rentrer lui effleura l’esprit, et elle retourna dans sa chambre de l’auberge, rentrant par là où elle était sortie. Fermant les volets, elle s’assit dans un coin sombre de la pièce, et mis son masque sur son visage. Lorsque le premier rayon de soleil la heurta, elle frémit, comme à son habitude, mais ne pipa mot. Et ainsi, le temps passa. Si Kira remarqua que de temps à autres, le sorceleur se levait et se nourrissait, ou bien repassait de l’onguent sur ses plaies, au vu de l’odeur, elle ne dit rien, sa vue bloquée par l’obstacle que représentait le masque. Lorsque le soir venait, elle se levait, retirait son fardeau, et retournait chasser comme le premier jour.
Enfin, l’homme se réveilla de sa torpeur. Lorsqu’il le fit, la nuit venait de tomber, et Kira avait encore son masque sur le visage. Ses cheveux étaient d’un blond clair et ondulaient sur ses épaules frêles et pâles comme la mort. Sentant qu’il était éveillé, elle se leva, et passa l’objet blanc sur le côté de sa tête, comme lorsqu’il l’avait rencontrée. Aussitôt qu’elle eut fait ce geste, ses cheveux prirent à nouveau une teinte noire, et ses yeux qui étaient devenus violets redevinrent aussi rouges que le sang. Les canines s’allongèrent, et elle fit un sourire carnassier à son compagnon de chambre.
- Bien « dormi » ? Tu sembles aller mieux, en tout cas. C’est bien. Dis moi, au fait. Qu’est-ce qui t’avait mis dans cet état ? J’aimerais bien me mesurer à cette chose, moi aussi Son sang doit être très nourrissant.