Les affaires des brigands étaient le plus souvent une affaire de la milice locale plutôt que celle d’un Roi, mais un Roi comme Serenos, dont le poids du pouvoir et de l’autorité n’était qu’une chaine autour du cou qu’il fallait de temps en temps se délester, pouvait se satisfaire d’une simple chasse au brigand. Il n’avait pas besoin d’escorte, il n’avait pas besoin de monture, il n’avait même pas besoin d’argent. Juste quelques jours à se lancer aux trousses d’un groupe de brigands de grande route lui suffisait à remettre les pendules à l’heure.
Les brigands n’étaient pas nécessairement discret ; avec une oreille un tant soit peu attentive, les rumeurs d’attaques en bordure des routes affluaient de tous les côtés, donc Serenos se contenta de remonter la piste, calmement. Quelques jours, tout au plus, et il finit enfin par dénicher une piste fraiche ; apparemment, il y avait un groupe de cinq hommes qui harcelaient les passants et les dépouillaient de leurs biens. Pas le genre qui était nécessairement dangereux, bien souvent les voyageurs se contentaient de laisser leur bagage et prendre la fuite, et même que deux des membres étaient des rapaces locaux qui, même dans les années les plus flatteuses, avaient accumulé une bien triste réputation. Seulement, les villages isolés n’avaient que rarement des hommes d’armes, et le danger d’une blessure était souvent suffisant pour dissuader une opposition.
Ce n’était pas le cas de Serenos. Pour le Roi, l’approche de ces brigands lui donnaient l’impression que sa laisse se brisait enfin.
Il trouva ses futures victimes dans la forêt, à quelques lieues du village où il avait ouï la rumeur. Cinq grands gaillards qui, auraient-ils eu un peu de vaillance, aurait assurément bénéficié leur village natal s’ils avaient été foutus de prendre une pelle et un marteau plutôt qu’un gourdin et une épée rouillée.
Serenos aurait apprécié de les prendre en embuscade. Le guet-apens avait l’avantage d’alimenter son égo, comme pour lui démontrer que son intellect était supérieur à celui d’une autre personne. Oh, qu’est-ce qu’il aurait apprécié. Malheureusement, ils avaient une victime, et selon ce qu’il entendait, cette personne risquait de prendre très cher l’absence de renfort.
Le premier brigand était un lourd gaillard, cheveux noirs et sale. Son torse était nu et arborait quelques cicatrices, ainsi qu’une musculature conséquente. Quelque chose dans sa posture laissait savoir au Roi qu’il était le seul, parmi ses comparses, à peut-être avoir eu une formation militaire. Un déserteur, peut-être, ou alors un mercenaire.
Le second était nettement plus petit que son comparse, et avait au moins eu la décence de passer une chemise en cuir, mais semblait bien pressé de retirer son pantalon, clamant haut et fort d’avoir le soldat au garde-à-vous, chose que Serenos trouva fort étrange de balancer aussi librement au milieu de quatre autres bonshommes, mais il n’était pas là pour juger. Il avait délaissé son arme pour empoigner sa victime et la palper sans vergogne.
Le troisième assistait le second dans sa maîtrise de leur victime, et se distinguait uniquement par son crâne dégarni et ses cheveux blanchissant. Manifestement plus âgés que ses collègues, il était bien au-delà de l’âge où un homme pouvait se permettre les risques associés au banditisme.
Le quatrième, en retrait, semblait moins enthousiaste à l’idée du viol. Un garçon, à peine un homme. Il remarqua certaines ressemblance avec le troisième, notamment dans la forme du nez et des yeux. Peut-être un petit-fils, ou un fils tardif.
Le cinquième, manifestement la mule du groupe, venait de poser le pactole sur le sol à l’annonce d’un viol collectif, définitivement trop enthousiaste à l’idée, car il perdit son froc presque à l’instant où il entendit la suggestion.
– Un trou reste un trou, dit le premier brigand.
Le timing était parfait.
Serenos effaça la distance entre lui-même et sa première victime, l’homme qui avait abandonné son pantalon, le cinquième brigand, et lui enfonça la pointe d’un pieu de fer dans les reins, puis encore une fois dans le haut du dos, l’arme s’enfonçant dans la cage thoracique de sa victime. Il n’eut pas un cri, pas un éclat, seulement un grognement surpris de douleur.
Les quatre autres se retournèrent prestement en lâchant des exclamations de surprise à la vue de leur camarade poignardé, mais à la vue d’un homme derrière lui.
Avec une cape de fourrure passée sur ses épaules massives et sa tenue de combat, incluant une cotte de maille et un plastron noir, il était difficile de croire que le Roi de Meisa pouvait se déplacer aussi rapidement et discrètement, mais c’était là tout l’avantage d’avoir un contrôle parfait sur la magie.
Il laissa tomber sa première victime.
– Un trou reste un trou, acquiesça Serenos en les regardant, levant le pieu d’acier devant lui. Je me demande combien je vo—
Pas le temps de finir sa réplique, le vieillard s’élança vers lui avec une fourche. Peut-être un fermier, ou alors il l’avait volée à un fermier. Serenos leva sa main gantée et ses doigts se glissèrent entre les dents de la fourche pour les agripper ; aucune chance pour que cette arme ne perfore son armure. D’un geste, il l’arracha des mains du brigand âgé, l’agrippa par le manche et, dans un geste presque moqueur, lui asséna un petit coup de hampe de bois sur son crâne nu, lui arrachant un petit « poc » satisfaisant, avant de tourner l’arme fortune et, bandant les muscles, la lança de toute ses forces vers le second brigand qui, rappelons-le, ne porte aucune armure autre que sa chemise de cuir, un matériaux qui ne protégeait en rien contre les armes de perforation. La fourche s’enfonça jusqu’à la base de ses dents dans la chair du bandit, dont le poumon et peut-être même le cœur était maintenant perforé.
Serenos recula d’un pas, évitant les coups du premier homme qui s’était enfin remis de sa surprise pour passer à l’attaque, et fit quelques petits bonds à reculons pour esquiver les coups de marteau qui, malgré son armure, auraient pu lui être fatal. Le jeune homme lui prêta renfort, et bientôt, Serenos se vit opposé à trois hommes qui l’attaquaient simultanément. Il aurait été un homme comme eux, peut-être aurait-il été plus inquiet, mais de les voir groupés ainsi, si exposé…
Il leva à nouveau sa main gantée et attrapa le marteau du déserteur potentiel en plein élan, l’arrêtant net dans son mouvement, puis plaqua sa main contre son torse nu, avant de relâcher une forte quantité d’énergie magique dans sa poitrine. Un son de détonation sourd suivit ce geste, et l’homme s’effondra sur les genoux, blême comme un linge, en se tenant la poitrine, alors que son muscle le plus important n’émettait plus aucun son. Serenos lui épargna la réalisation de son cœur explosé en lui enfonçant la pointe de son pieu de combat dans la tempe, l’achevant sommairement d’un geste rapide.
Une fois la plus grande menace éliminée, les deux autres combattants, que Serenos suspectait être lié par un lien familial quelconque, semblèrent réviser leur approche, et optèrent plutôt pour la fuite.
Un brin frustré par la fuite de ses adversaires, Serenos grommela quelque chose dans sa barbe, avant de se tourner vers la personne qu’il venait de sauver. Un jeune elfe, au premier regard. Serenos s’approcha du corps de sa première victime, et il agrippa le bagage qu’il semblait avoir délesté du voyageur, et il le souleva de terre, avant de regarder l’elfe de nouveau, avant de s’approcher de lui.
– Voyager seul est une mauvaise idée par les temps qui courent, elfe.
Le terme Elfe était devenu simplement synonyme avec toutes personnes ayant une apparence généralement humaine, mais qui arboraient des oreilles longues et pointues. Serenos n’avait, de fait, aucune raison de croire que cette personne pouvait être un elfe plus qu’une fée ou une dryade, mais il ne s’embarrassait que rarement de l’exactitude de ses termes.
Il s’approcha de l’elfe et pointa ses égratignures et l’état déplorable de ses vêtements, comme pour lui demander s’il avait besoin d’aide ou de soins.