Lorsque l'on se posait la question de comment se déroule une journée ordinaire à la Clairière des Muses, beaucoup, pour ne pas dire la totalité, des gens répondaient que ce n'était qu'un temps à sentir le foutre, la transpiration des ébats, et où seule la mélodie des gémissements venait perturber le silence de la bâtisse. Il ne s'agissait là que des pensées ou des paroles d'ignorants, qui n'avaient jamais poussé la porte de la Clairière. Les rumeurs allaient bon train sur la maison de courtisanes, mais la propriétaire de l'endroit n'en avait que faire...
Alors au fond, qu'en était-il réellement ? En général, les premiers levés n'étaient pas les Muses elles-mêmes. Céleste, Duncan et
Edmund étaient des lève-tôt. Pour certains, c'était parce qu'ils avaient le sommeil très léger, tandis que pour d'autres, c'est qu'ils avaient tout leur esprit déjà plongé dans le travail. Le cuisinier de la Clairière partait de bon matin, un peu avant l'aube, parfois accompagné par un de ces messieurs Muses, pour aller quérir les ingrédients pour ses futurs plats. C'est qu'il en fallait, niveau quantité, aussi bien pour nourrir toute cette « famille », tout comme répondre aux exigences des clients de la Clairière, parfois plus farfelues les unes que les autres.
Tandis qu'Edmund crapahutait sur la place publique,
Duncan effectuait déjà ses rondes dans le jardin de la bâtisse, cherchant des traces d'effraction. Il n'était pas rare que des manants ou des fous cherchaient à passer par dessus le mur pour pénétrer dans le jardin, afin de s'approcher des Muses. Rares étaient les voleurs, en réalité. Que des gens trop... « passionnés » qui souhaitaient voir et toucher l'objet de leur désir incontrôlable. Il pouvait s'agir tout autant d'hommes que de femmes, d'ailleurs. Il faut dire que les Muses, les demoiselles comme ces messieurs, étaient de personnes à la beauté inégalée. Bien que parfois sortant de l'ordinaire, tous attiraient les regards de la clientèle. Duncan veillait donc à ce qu'aucune des Muses ne soit importuné.
Dame Albame, quant à elle, dès le petit matin, passait généralement une grande partie de sa journée dans son bureau, à régler des factures, faire la comptabilité, organiser des événements, etc...Tenir une maison de courtisanes n'était pas de tout repos. Il fallait faire attention à tout : au bien-être des Muses, celui des clients, gérer la sécurité du bâtiment, des Muses, de la clientèle, gérer les fraudes, les « passionnés », la nourriture, la propreté, être à la pointe de la mode, faire de la publicité, participer à des événements ainsi que d'en organiser, etc...La liste des tâches à effectuer pour Céleste était plus long que son bras, mais elle rechignait jamais à faire son travail. Elle avait monté la Clairière et elle était résolue à la porter plus haut encore.
Shahina se levait juste après le trio. La jeune blonde ne mangeait pas de petit-déjeuner, ni ne faisait sa toilette. Elle prenait son nécessaire de nettoyage -balai, serpillière, seau d'eau, chiffon, savon et plumeau-, et arpentait les couloirs et salles inoccupées pour les nettoyer. Non pas que les Muses étaient du genre à salir mais il fallait que tout soit propre pour accueillir les clients de la journée. Ce n'était qu'une fois tout ceci fait que l'Accueillante prenait du temps pour elle, allant se décrasser dans un bain puis se rassasier comme il le fallait.
Le reste des Muses se levait à des heures plus ou moins aléatoires. Tout dépendait du caractère de chacun, du moment présent, et aussi de leurs activités nocturnes ou non. Certains clients restaient la nuitée pour profiter de la présence de leur Muse, et ce, jusqu'au petit matin, voire plus. La suite était rythmée par la toilette des Muses, prenant un très grand soin à se coiffer, s'apprêter correctement, avant de finalement rejoindre les tablées pour se sustenter, pour continuer leur journée en tant que Muses. Il n'y avait que dans l'intimité de cette « famille » que l'on pouvait se permettre de s'appeler autrement que par les surnoms de la Clairière. Il n'y avait pas d'anonymat entre eux, et c'était aussi une façon pour qu'ils restent tous soudés et s'entraident en cas de besoin.
***___***
Lorsque le ménage fut fait, Shahina prit un certain soin à s'apprêter pour la seconde partie de sa journée de travail. Elle était l'Accueillante, le premier visage des Muses que les clients verront en pénétrant dans la Clairière. La jeune blonde se devait d'être impeccable. C'est dans une
robe fluide d'un bleu à mettre parfaitement en avant sa peau légèrement hâlée, que la demoiselle enveloppa son corps gracile, sans trop en montrer. Shahina ne faisait pas la même chose que les autres Muses. À l'image d'Edmund à la cuisine et Duncan à la sécurité, l'Accueillante garantissait l'entrée des clients tout en leur souhaitant la bienvenue avant de les conduire vers les autres courtisanes. Il lui arrivait d'aider Edmund au service lors des repas, ainsi que de faire profiter de son don musical pour les Muses et la clientèle.
Le tintement de la cloche de l'entrée fit sursauter la belle blonde, perdue dans ses pensées. Se redressant fissa, de ses doigts agités, elle remit correctement sa robe, ainsi que sa chevelure de blé, attachée en un joli
chignon tressé. La jeune femme traversa la cour jusqu'à faire face à la double porte en bois sculpté. Elle en tira le loquet ainsi que la poignée, et c'est avec un sourire rayonnant qu'elle salua les personnes derrière la porte.
" Mademoiselle, messire...Veuillez m'excuser de l'attente. Bonjour et bienvenue à la Clairière des Muses. Je suis l'Accueillante et je vais vous emmener au sein de la bâtisse. Veuillez me suivre, je vous prie. "C'est avec discrétion que Shahina évalua les deux nouveaux convives. La demoiselle présente devant elle avait ce teint d'albâtre tout comme Ilyana, ainsi que ses oreilles pointues. Une elfe, donc, chose bien rare d'en voir pousser les portes de la Clairière, en dehors de l'Aimante. Même d'un point de vue vestimentaire, le fait de choisir des habits forts sombres fit sourire la jeune femme, ne pouvant s'empêcher d'y voir son ami à travers cette nouvelle cliente. Quant à l'éphèbe, bien bel homme à la stature imposante, elle lui donnait la sensation d'être le garde de l'elfe, fait bien plus étrange que la présence de celle-ci en ces lieux. Pour autant, rien ne semblait l'alarmer plus que d'habitude, et invita les deux clients à la suivre d'un mouvement de main délicat, prenant soin à bien refermer la lourde porte derrière elle.
Face à eux, tout en traversant l'allée pour s'en approcher, prônait un
immense bâtiment en forme de U, aux tons d'un blanc presque pur. On y comptait deux étages bien éclairés par les somptueuses fenêtres laissant passer au maximum la lumière naturelle, entourés par des splendides jardins. L'intérieur était tout aussi magnifique que ce que les clients pouvaient apercevoir en découvrant les premiers lieux de la Clairière. Les invitant à pénétrer dans l'entrée, l'Accueillante leur fit découvrir l'endroit : les murs, d'un blanc plus pur que ceux extérieurs, étaient décorés ici et là de tentures colorés, renvoyant leur reflet dans le carrelage au sol, d'un blanc granit des plus éclatants. Shahina se décala derrière un long comptoir en bois clair, gravé d'ornements faisant penser à ceux de la double porte d'entrée. La demoiselle se para de son plus beau sourire et approcha un petit cahier, et une plume ainsi que son encrier, le tout vers le petit couple.
" Notre maison de courtisanes tient particulièrement à la sécurité aussi bien des clients que de nos Muses. C'est pourquoi je vous demanderai de vous défaire de vos biens tels que vos armes. Nous les consignons dans une autre pièce sécurisée. En échange, nous vous donnons un bracelet que nous attachons autour de votre poignet, afin de signifier que vous avez quelque chose à récupérer à la sortie. Si messire veut également se défaire de son armure avant de pénétrer dans le salon principal, nous avons une cabine et nous la rangerons avec vos armes."Shahina se montrait des plus courtoises. C'était souvent un peu délicat, car certains ne souhaitaient pas se séparer de leurs biens. C'était compréhensible, mais pour qu'il n'y ait pas de débordement, comme Céleste Albame avait pu en connaître lorsqu'elle n'était rien d'autre qu'une catin, la mère maquerelle, avec l'appui de certaines Muses mais surtout de Duncan Artgal, avait mis en place ce système de consignation à l'entrée, afin d'éliminer les clients récalcitrants.
" Aussi, je vous demanderai de garder vos visages découverts au sein de la bâtisse, ainsi que de signer ce carnet avec vos noms, je vous prie. Encore une fois, il s'agit là d'une sécurité afin de toujours faire en sorte que la Clairière des Muses soit un lieu sûr pour tous. "Le livre de cuir rouge sur le comptoir, on pouvait déjà voir sur la page du jour quelques signatures, accompagnées de la date et l'heure d'arrivée et de sortie des clients. L'Accueillante patienta attentivement en réponse à ses consignes, si les deux jeunes gens étaient prêts à ce genre de « sacrifices » pour entrer enfin et rencontre les Muses.