Tragique ironie de sa condition : le Wolverine ne peut s’oublier bien longtemps dans les méandres de l’alcool. L’ivresse est chez lui passagère et son esprit retrouve sa clarté en une vingtaine de minutes, s’il ne l’arrose pas d’une bouteille de whisky. Ce soir-là, Logan en a bu
quatre, se félicitant d’avoir un compte en banque bien fourni. Il vit mal ce congé forcé. Pour un homme dopé à l’adrénaline, l’inactivité a quelque chose de terriblement anxiogène. Vers deux heures du matin, après avoir vidé un énième verre, l’homme se redresse, repousse le comptoir sale de ses grosses mains. Chemise canadienne, jean, bottes, cuir, il a tout de l’ouvrier qui vient noyer l’absurdité d’une vie industrieuse dans les troquets. Chancelant, il envoie valser la porte d’entrée du bar, avant de s’éloigner d’un pas chaloupé dans la ruelle qui le jouxte. S’il avait été sobre, il se serait immédiatement rendu compte qu’on l’observait, mais il est rond comme une queue de pelle.
“Mhhh…”Il avise une poubelle, extirpe son gros chibre mou, asperge ses grolles sans le faire exprès en pissant sur le plastique, avant de remballer pour s’éloigner en zigzags. Au milieu de la ruelle, il fronce les sourcils. A une vingtaine de mètres, une silhouette s’extirpe de l’obscurité pour se placer en face de lui, les jambes bien écartées. Une meuf. Elle est grande. Sapée comme un croque-mort. Ça le fait marrer et il est obligé de s’appuyer contre un mur pendant quelques secondes. Il avance vers elle, encore inconscient de la menace qu’elle représente. “Gamine, t’es dans l’passage”, il grommelle, esquissant un vague geste de sa grosse main pour lui indiquer de se décaler sur le côté.
“Hein ?”Le meurtre
de ? Il fronce les sourcils, lève les yeux vers le visage froid et dur de la gamine. Le sifflement distinct d’un projectile, une explosion de douleur dans sa gorge, dont s’échappe un borborygme étranglé. Au goût de l’alcool, s’ajoute celui du sang. Il grogne de rage et d’incompréhension. Lorsque l’inconnue dégaine son sabre, son corps encore lourd pivote légèrement sur le côté pour accompagner le mouvement de l’arme, limitant vaguement les dégâts. Elle est
puissante. Le sabre entaille profondément sa chair, mais glisse sur son squelette en adamantium. Il fléchit légèrement les jambes pour bondir vers l’avant, mais un nouveau projectile déchire sa gorge et il titube, alors qu’un second coup de sabre mieux ajusté ne l’éventre.
“Put...ain…” Nouveau sifflement. Parce qu’il a identifié l’origine des tirs, Logan baisse la tête, par réflexe, évitant que la flèche ne se loge dans son œil. A la place, elle se fiche dans la chair au beau milieu de son front, sa pointe explosant au contact de l’adamantium de son crâne. Perclus de douleur, Logan recule de quelques pas, observant les yeux écarquillés, ses entrailles qui se font la malle… Et puis il hurle, de rage, de douleur et d’incompréhension. Logan s’est vu mourir des centaines de fois, mais il ne s’y est jamais habitué. C’est presque comme s’il avait encore plus mal à chaque fois. Il se penche en avant, appuyant son avant-bras sur le mur pour dégobiller un demi litre de sang. De sa main libre, il arrache un à un les projectiles fichés dans son corps. Avec les endorphines, l’ivresse se dissipe. Lorsqu’il relève la tête, le Wolverine voit clair. Son facteur auto guérissant fait des miracles et l’affreuse trouée de son abdomen fourmille pour se reconstituer à vue d'œil.
“Z’avez pas le bon gars…” Il peut de nouveau s'exprimer, même si sa voix est rauque, étouffée. Un rapide regard vers ses fringues. ruinées. A une vitesse affolante, il bondit vers l’avant. D’un violent coup d’épaule, il envoie miss-croque-mort exploser une poubelle. La jeune femme atterrit au beau milieux des détritus, sur son séant. Le choc a été violent, elle a probablement quelques côtes pétée. Coinçant son bras contre son ventre - la blessure est profonde,
mortelle - il s’avance dans la pénombre, la surplombant de sa silhouette musculeuse.
“T’es qui, toi. “ Shlick.
Ses griffes jaillissent de sa main gauche, reflétant la lumière du réverbère dans l’obscurité.
“J’ai pas tué grand-monde depuis un moment. Tu veux être la prochaine ?” Putain, il a envie de la massacrer, cette foutue garce, mais il a pas le temps. Nouveau sifflement, mais cette fois, il est prêt, son corps lui répond lorsqu’il glisse sur le côté et que la flèche s’enfonce dans la brique derrière lui. La brunette n'est pas seule, il peut pas rester à découvert. Alors il s’élance vers l’avant, pour sprinter vers le bâtiment suivant, se jette sur le côté quand un déluge de balles menace de lui faucher les jambes, explose la porte de service d’un hangar abandonné pour se rue à l’intérieur, s’écartant de l’entrée pour se glisser sur le côté.
Putain ils sont combien. Il a besoin de
temps. Trente secondes suffiront. Dans l’entrepôt, il analyse, dans l’obscurité. Une échelle, qui mène à une plateforme, six mètres plus haut, puis un accès au toit. Parfait. Il sait où ses assaillants se trouvent. Il sent quasiment plus la douleur qui pourtant lui vrille encore les entrailles. Il est
excité, il est en chasse. Il se hisse sur l’échelle, ouvre la porte fenêtre qui mène au toit, balance son cuir inutilisable, qui s'alourdit, escalade la tôle. Ses blessures se sont quasiment refermées, à présent. Au sommet du bâtiment, dissimulé contre une cheminée, son regard attentif observe les environs. Il ne lui faut que quelques secondes pour repérer la mince silhouette qui évolue rapidement sur la corniche du bâtiment d’en face. Cette ordure
fuit. Souriant, il prend son élan. Cinq, peut-être six mètres le séparent de l’autre côté. Lorsqu’il saute, son imposant silhouette fait une cible facile, et plusieurs balles traversent sa jambe droite, son flanc, mais cette fois-ci, les blessures sont superficielles. Avec une surprenante facilité, il se réceptionne sur le béton du toit d’en face, accélère l’allure. Encore une nana ? L’espace d’un instant, il pense à
Laura, mais il écarte bien vite cette possibilité. La gamine court vite, mais
pas assez. Arrivée à sa hauteur, Logan la saisit par l’arrière du col, pour la projeter brutalement sur le côté, sur le béton du toit. La gamine roule sur le sol, finit par lâcher son arme. Si elle essaye de s’en emparer, il pose son pied sur son poignet.
“La dernière aussi, c’est une gamine ?” Il grogne. Si la tireuse n’a pas bougé de son point d’observation, elle ne peut pas l’atteindre de là où il se trouve, pour le moment. “Tu vas me répondre à la place de ta pote. Une nouvelle fois, ses griffes s’échappent d’entre ses doigts.
“Vous êtes qui, vous voulez quoi. T’as cinq secondes ma jolie.”