Je donnai un violent coup de poing sur le volant. Putain, tu te fais mal ! Arrête ! Me souvenir d’elle, de moi, de nos longues nuits dans sa chambre, pas dans la mienne , car mes parents dormaient à côté. De nos escapades nocturnes. De la manière qu’elle avait de poser ses mains sur ma poitrine pour me faire frissonner. Je mis le contact, bien décidée à tout oublier. Cette fille n’était plus rien pour moi. Il fallait juste que je me foute ça dans le crâne.
La porte s’ouvrit sans problème, dévoilant mon appartement miteux. Je dormais sur un matelas à même le sol, j’avais peu de meubles, un espace minuscule, mais cela m’allait très bien. J’en était même heureuse, je dirais. Je n’étais pas en couple, pas de gosses et cet appartement minuscule et pas cher me convenait. Mais, un instant, je ne pus m’empêcher de comparer mon lieu de vie au sien. Je revoyais son luxueux appartement, gigantesque, au milieu d’un quartier chic, tandis que je me contentais d’un taudis isolé, dont les murs étaient couverts des dessins grimaçants de Junji Ito, un mangaka que j’adulais. Ma seule richesse était ma collection de ses bouquins, que je relisais sans cesse.
Elle détestais ce qu’il faisait, et cela nous valut plusieurs disputes.
Je glissai vers ce qui me servait de cuisine, attrapant une cannette de coca, et déposant mon sac sur le plan de travail. Je revenais d’un voyage, et j’avais voulu aller la voir.
Ridicule.
J’avais osé espérer un instant l’oublier en partant au Japon avec l’argent que j’avais reçue. Mais sur chacun des visages, je voyais le sien, je voyais ses yeux fins et longs, sa peau lisse, ses cheveux noirs qu’elle se forçait à boucler pour me plaire, quand je lui avais dit que j’adorais ce genre de cheveux, et chaque vêtement me rappelait les siens, ses vêtements sombres et toujours tachés de je-ne-sais-quoi. Elle était partout. L’oublier était impossible.
Je bus une gorgée, d’une traite. Le liquide me brûla la gorge. Cela faisait longtemps que je n’avais pas bue ainsi. Que je n’avais pas bue ceci.
Je sortis de la cuisine, y laissant cependant mon sac. Me dirigeant vers le matelas au sol qui me servais de lit. Pour m’endormir, sans pleurer ni penser.
Le lendemain fut une journée mouvementée. Les jours qui suivirent le furent tout autant. Un mois sans la voir, sans ne toucher aucune autre femme me fut difficile. Mais j’évitais d’y repenser, me plongeant dans des mangas ou films morbides afin d’oublier. Mon boulot était épuisant, mais je parvenais à garder la tête froide, et à travailler sans penser.
Je sentais qu’en continuant ainsi, je pourrais l’oublier.
Un dimanche, cependant, alors que je sortais de ma salle de bains, j’entendis qu’on frappait à ma porte. Je nouai une serviette autour de moi, et ouvrit doucement. Je ne m’aimais pas, ainsi, trempée, et je n’aimais pas que l’on me voit ainsi. Mais j’attendais un colis important. Je me fichai donc de ce que le livreur pourrait penser de mon allure.
- Il faut que tu m’aides !
Elle se tenait devant moi, sa fille dans ses bras. Debout. Le visage embarassé. Elle rentra sans demander quoi que ce soit, déposant sa fille sur le canapé défoncé qui me servait de chambre d’amis. Elle tourna son regard sombre vers le mien, affolée. Je fronçai les sourcils, un moment, puis repris mon visage inerte. J’avais réussie à passer une heure sans penser à elle, ce que j’estimai un miracle, et voilà qu’elle faisait à nouveau une apparition dans ma vie.
Dans ma maison.
- Il faut que tu m’aides, répéta-t-elle.
Je soupirai longuement, me dirigeant vers ma salle de bain, lasse. Je voulais qu’elle sorte d’ici. Mais elle me suivit en trottinant, ordonnant à sa fille de rester sagement sur le canapé. Elle portait un pantalon long, ample, chic, en jean clair, un long débardeur blanc et un sautoir qui tintait à chacun de ses mouvements. Ses longs cheveux n’étaient plus bouclés. Je gardai ma serviette et me plantai face à ma glace, dans le but de m’étaler une fichue crème sur le visage.
- S’il te plaît, supplia-t-elle.
- Tu veux quoi ?
J’étais violente. Malheureuse et mécontente.
- Tu dois garder ma fille. Je ne peux pas, et mon mari non plus.
- Tu ne peux pas te payer une nounou ?
- Pas le temps. Juste une heure, s’il te plait. J’ai rendez-vous chez le coiffeur.
Je baissai les yeux, et arrêtai mon geste, ma main encore couverte de crème hydratante. Elle me suppliai du regard. Et je ne pouvais pas, je ne voulais pas. J’avais envie qu’elle reste dans cette pièce, mais aussi qu’elle parte avec sa gamine. Je restai muette, à fixer le sol. Elle me supplia encore une fois, et je reconnu son accent étrange. Qui raviva des souvenirs.
Je relevai les yeux. Elle les baissa à son tour.
Je tournai le robinet, nettoyant ma main couverte de crème, et je la senti s’approcher. Je soupirai. Elle posa sa main sur mon épaule, cherchant mon regard. Que j’évitai.
- Je t’en supplie. Je ne te demande que ça.
- Tu n’as pas d’autres amis ?
Elle n’apprécia pas ma remarque.
- Quand est-ce que tu te décideras à tourner la page? grogna-t-elle.
- Je ne veux pas garder ta gamine.
- Merde, c’est fini ! Tu le sais ! Je te demande juste de garder une heure ma fille !
- Tu ne comprends pas que ça me fait du mal ? hurlai-je quasiment en me tournant vers elle.
Les yeux bordés de larmes. Toutes les deux. Nous avions les larmes aux yeux. Peut-être était-ce de la colère pour elle, ou de la peine, ou dieu sait quoi d’autre. Pour moi c’était de la tristesse. De la tristesse violente, une tristesse qui me suivais depuis longtemps. Chaque fois que je la voyais, c’était cette tristesse aussi que je sentais. Mon ventre qui se serrait, mon cœur qui vomissait, un mal être constant. Des sensations que je ne voulais plus en moi. Je voulais l’oublier rapidement, un coup de balai sur mon passé, et voilà. Mais ce n’était pas de la poussière sur le parquet, ce qui restait. C’était une tache d’encre sur la moquette. Que l’on ne peut pas enlever d’un coup de balai. Je sentis la tristesse remonter. Elle secoua la tête, comme pour me dire d’arrêter, me dire non.
- Arrête de pleurer, ça ne changera rien, articula-t-elle.
- Je ne veux pas …
Les sanglots me faisaient hoqueter, les larmes me brûlaient les joues. Elle aussi laissa quelques larmes couler le long de son fin visage. Elle posa sa main contre ma nuque, doucement, tremblante, hésitante. Je me serrai contre elle, secouée par mes sanglots, ma tristesse abondante. Elle posa sa deuxième main dans mon dos, et conduisit mon visage face au sien.
Ma bouche face à la sienne. Pour m’embrasser comme avant.
Mes mains lâchèrent ma serviette pour venir contre son dos. Pour la caresser comme avant. Tout oublier, le passé et l’avenir. Juste penser au présent. Elle m’embrassait à sa manière, ce qui m’avait plu, d’une manière différente, certes, mais qui restait celle d’autrefois. Nous ne cherchions plus à réfléchir. Le principe était celui de tout oublier. Tout s’accélérait.
Sa main fit claquer la porte pour la fermer. Mes mains cherchaient sa peau, et se glissaient sous son débardeur pour toucher son buste, son ventre, ses seins, tandis que je sentais que mon cœur allait exploser. Comme avant. Notre baiser durait, et sa main se glissaient entre mes cuisses, tendres et douces à la fois. Je le serrai plus fort, elle m’embrassait plus fort encore.
Le mur froid contre mon dos.
Sa main brûlante, ses doigts qui s’insinuaient en moi.
Son souffle chaud contre mon cou.
Je ne voulais pas que ça s’arrête. Je serrai ses cheveux, et je ne voulais pas la lâcher.
- Maman ?
Tout cessa aussi brusquement que c’était venu. Elle retira sa main, recula tout comme moi je reculai. La voix de sa fille était plus apte à l’attirer que la mienne. Elle n’osai pas me regarder. Je n’osai pas la fixer. Je récupérai ma serviette, tandis qu’elle ouvrait la porte pour serrer contre elle son enfant.
- La dame va te garder pendant une heure, ma puce.
Je soupirai. Elle embrassa sa fille sur le front. Alors qu’elle sortais de chez moi, j’eus un geste déraisonné. Je lui courus après, et la suivit jusque sur le palier. Elle se tourna vers moi, étonnée.
- C’étais quoi ce plan ? Tu couches avec moi pour que je puisses garder ta fille, c’est ça ?! éclatais-je de colère.
- Non. Ce n’est pas ça, lâcha t'elle calmement.
Elle descendis les marches, me laissant sur le palier, en serviette, sa fille derrière moi, dans mon appartement. Je soupirai en la regardant partir, puis rentrai finalement. L’enfant, sa poupée de chiffon à la main, me regardai, interloquée.
- T’es qui ? me demanda-t-elle, innocente.
- Une amie de ta mère, annonçai-je tristement.
- D’accord.
Sage, elle partit s’asseoir sur le canapé, parlant avec sa poupée. Je marchai vers ma chambre, enfilant des vêtements rapidement, et retournai dans ce qui me servait de salon. Elle n’avait pas bougée, toujours assise sur le canapé. Je fus émue un instant.
- Tu veux qu’on sorte grignoter un bout, ma puce ? lui proposai-je gentiment.
- Où ça ?
- Sur le port. Et je t’emmènerais à l’aquarium central, si tu veux.
- Ouaaaais !
Son visage s’illumina.
J’avais envie de faire plaisir à cette enfant, brusquement. Je ne savais pas pourquoi. Peut-être pour me faire pardonner. Peut-être par pitié, par instinct … Je laissai un rapide message à sa mère, et l’emmenai dehors, profiter du soleil et de l’air frais, sans plus réfléchir.
Les lumières bleues de l’aquarium central se voulaient apaisantes. Personnellement, elles me donnaient une impression d’étouffement, de noyade. Mais la jeune Lili courait ne connaissait pas cette sensation. Elle courait partout devant moi, et s’extasiai devant chaque aquarium, chaque poisson. Les requins lui faisaient peur, comme à chaque enfant. Ainsi, nous dûmes les éviter. Elle avait l’air tellement heureuse, ici, au milieu des poissons. Elle n’arrêtait pas de m’appeler pour me dire de venir voir, de m’approcher pour admirer les poissons.
La vie était belle, dirons nous.
Mais venait le moment décisif de l’exposition de l’aquarium central. Il possédait un bassin gigantesque, long de 4 fois une piscine olympique, avec une organisation merveilleuse. Lili serra très fort ma main au moment où nous passion la porte blanche, où les lettres S, Y, R, E et N s’affichaient en noir.
Nous entrions pour découvrir des créatures marines hors du commun, découverte il y a peu. Dans ce bassin gigantesque et bien organisé se trouvait 8 sirènes, ou syren. 8 êtres qui émerveillait tout le monde. Elles n’étaient pas des objets d’exposition, elles disposaient de leur vie en dehors de l’eau, pouvant passer de queue de poisson à jambes en moins d’une minute. Elles n’étaient présentes qu’un jour sur deux, ou trois.
Et elles parlaient comme nous. Elles se sentaient des stars, sûrement. Une partie de leur demeure était publique, tandis que l’autre restait privée. Elles avaient une vie, leur vie. Peut-être enviable, peut-être non, je ne le savais pas vraiment. Et je n’avais pas envie de la savoir.
Aujourd’hui étaient présentes 5 sirènes, et Take a shot, du groupe Lovex résonnait dans les lieux. Lili commença à remuer au rythme de la musique, tandis que les belles sirènes remuaient dans l’eau avec une grâce que tout le monde leur enviait sûrement. L’une d’elle s’approchait du bassin, et eut un sourire pour moi. Elle s’approcha du bord, et me fit signe de m’approcher.
- Je te connais, toi, lança-t-elle en souriant.
- Effectivement. Je suis celle qui se charge des plantes aquatiques de cet aquarium.
- Oui, je me souviens.
Elle eut un léger sourire.
- La prochaine fois que tu viendras voir nos plantes, n’hésite pas à venir boire un coup, proposa-t-elle.
- Jus d’algues ? Non merci ! rigolai-je.
- Mais non, voyons !
Elle avait pris la mouche, et affichait une moue boudeuse. Je ne peux m’empêcher de sourire, amusée.
- Je rigole. Je sais que vous mangez comme nous, maintenant, lui dis-je.
Elle parut rassurée.
- Ce sera avec plaisir, alors, lança-t-elle avant de replonger dans l’eau. J’ai hâte de voir les plantes que tu nous ramènes du Japon !
Le fait qu’elle se souvienne que je sois allée au Japon me fit sourire. J’entraînais Lili hors de la pièce, saluant la sirène une dernière fois.