Rencontre Démoniaque [PV Samara] [FINI]

Quand elle eut franchi le portail, Karla se retrouva dans une chambre luxueusement meublée avec un grand lit à baldaquin. Samara et sa servante, Kazuha, se tenaient devant elle. Toutes deux avaient le regard perplexe, surtout Samara qui, les sourcils froncés, la considérait avec une intense curiosité.

- Tu es très étonnante, Karla... Je le dis très sincèrement. Comment est-ce que tu as fait ?
- Fait quoi ? demanda-t-elle, les yeux écarquillés, les sourcils en accent circonflexe. Si tu parles de ce qui s'est passé dans l'antre des araignées, je l'ignore complètement... La dernière chose dont je me souviens était que je voulais les brûler puis après ce fut le trou noir.

Karla s'était bien entendu doutée que Samara avait suivi sa progression durant l'ordalie magique ; la démone avait dû voir quelque chose d'extraordinaire, mais quoi ?

- Dame Samara, si vous m'expliquiez ce que vous avez vu durant cette dernière partie de mon épreuve ? Par ailleurs, je ne m'explique pas comment j'ai pu réussir à balancer tous ses sortilèges tout au long de ma progression ; je ne me savais pas capable de telles prouesses magiques...

C'est alors qu'elle sentit quelque chose bouger dans son dos et qui grimpait le long de sa robe. Tournant la tête, elle poussa une exclamation de surprise : une araignée, de la taille d'une soucoupe de tasse de thé, avait réussi à survivre à l'incendie magique provoqué par le Balor en se cachant dans les vêtements de Karla. L'arachnide ne se montrait pas agressif : juchée sur l'épaule de la jeune femme, ses multiples yeux allaient de Karla au duo et pour un peu on aurait pu y lire de la perplexité dans son regard.

- Une survivante ! s'exclama-t-elle. C'est étrange mais elle a l'air apeurée. Elle a été suffisamment maligne et chanceuse pour rester en vie et je n'ai pas le cœur de mettre fin à ses jours...

L'araignée ne bougeait pas, restant sagement sur l'épaule de Karla.

Karla avoua à Samara sa grande perplexité. Elle ne se souvenait pas de ce qu’elle avait fait. L’Archimage fronça lentement les sourcils, et comprit rapidement que la jeune démone ne lui mentait pas. Visiblement, en la prenant pour une simple étudiante en quête d’apprentissage, Samara avait gravement sous-estimé la femme. Étonnée, Karla lui demanda de lui expliquer ce qu’elle avait vu, mais, avant que Samara ne puisse dire quoi que ce soit, Karla s’avisa de la présence d’une des araignées de Shelob.

« Hmmm... Fais ce que tu veux d’elle. Les Araignées de Shelob sont de puissantes araignées magiques. »

Samara ne l’utiliserait personnellement pas comme animal de compagnie, mais elle n’aurait pas hésité à la tuer, afin d’utiliser ses organes comme ingrédients alchimiques. Néanmoins, la démone claqua des doigts, et invoqua devant elle sa boule de cristal, celle qui lui avait permis de suivre les aventures de Karla.

« Tu es bien plus puissante que ce que tu prétends, Karla... Tu as repoussé Shelob et ses araignées en invoquant un démon particulièrement puissant. »

Karla put alors voir, à travers la boule de cristal, dont l’image fut amplifiée et agrandie, le balor apparaître, crachant d’épais nuages de flammes pour repousser les araignées, les calcinant sur place. Un spectacle pyrotechnique très impressionnant. Samara observa silencieusement la jeune femme pendant la durée de cette vision, essayant de voir si ce spectacle ne déclenchait pas quelque chose en elle, une réminiscence quelconque... Mais, à la fin de la vision, Karla semblait particulièrement perplexe.

Samara reprit alors :

« Non ? Tu ne peux pas me dire comment tu t’es retrouvée liée avec un balor ? Ce n’est pas quelque chose de très courant, tu sais... »

Loin de là, même !

Samara, voyant l'araignée sur l'épaule de Karla, lui dit qu'elle pouvait faire ce qu'elle voulait d'elle.

- Shelob ? Ah oui, je pense que cela devait être la très grosse araignée, leur mère en quelque sorte...


Un détail retint son attention : l'arachnide ici présent n'était pas couvert de poils urticants comme ceux qu'elle avait vu dans l'antre de Shelob. Par ailleurs ils avaient plus ou moins la même taille qu'un ballon alors que celui-ci était plus petit. L'examinant de plus près elle remarqua une tâche rouge en forme de sablier sur l'abdomen.

- C'est une veuve noire ! s'exclama-t-elle. Ce qui est curieux c'est que les autres araignées étaient plutôt du type mygale.

Elle remit ce mystère, qui n'en était peut être pas un, à plus tard car Samara avait matérialisé une boule de cristal. Des scènes alors apparurent : d'abord Karla put se voir dans les galeries couvertes de toiles, poursuivie par les enfants de Shelob, ensuite elle s'arrêta devant un couloir rempli de filaments puis elle vit ses yeux devenir comme ceux de chat tandis qu'une espèce d'aura écarlate émanait d'elle ; elle traça dans les airs un cercle de flammes tout en bougeant les lèvres et bientôt le démon apparut.
Il était gigantesque, le corps entouré de flammes, une gueule cauchemardesque, des ailes immenses, des yeux de braise. Un fouet de feu et une longue épée se matérialisèrent dans ses mains puis ce fut le carnage...

- C'est moi qui ai fait ça ?! J'ai vraiment invoqué cette chose ?! s'écria-t-elle, stupéfaite.
- Non ? Tu ne peux pas me dire comment tu t’es retrouvée liée avec un balor ? Ce n’est pas quelque chose de très courant, tu sais...
- Un balor tu dis ? Si, comme tu me l'as affirmé, je suis d'origine démoniaque, il est possible que par le passé j'ai pu avoir affaire à ce type de démon, voire en commander...

Les sourcils légèrement froncés, ses doigts caressant son menton, elle se mit à réfléchir : son incroyable appétit sexuel, sa vision nocturne, sa capacité à comprendre certaines langues, les sortilèges qu'elle avait lancés durant l'ordalie et maintenant cette prouesse magique que peu de pratiquants des arcanes étaient capables de lancer, tout cela concordait.

- Je devais être une puissante démone avant de perdre la mémoire. La question est : comment suis-je devenue amnésique ?

L’araignée de Karla passionnait bien moins Samara que l’invocation de ce balor. Ainsi, savoir si l’araignée en question était une veuve noire ou non n’intéressa à aucune seconde Samara. Pour elle, il fallait déjà résoudre ce mystère. Cependant, Karla semblait aussi surprise que Samara à l’idée d’avoir pu invoquer un tel démon. Samara l’observa silencieusement, et en arriva à la conclusion que la jeune femme devait être sincère. En revanche...

« Je n’en sais rien, Karla. Chez moi, ça été un choc quand j’ai été invoquée en ce monde, j’ai été cruellement battue et droguée, à tel point que mes souvenirs de mon ancienne vie sont bloquées dans un recoin de mon esprit. »

Pour Karla, il devrait sans doute être surprenant d’apprendre que la démone était, elle aussi, victime d’amnésie. Comme quoi, on pouvait toujours réussir à s’en sortir. La démone se déplaça alors, coupant la magie figurant dans la boule de cristal, et observa attentivement la femme, cherchant à comprendre comment elle fonctionnait. Finalement, Samara haussa les épaules.

« Je n’ai aucune solution. J’ai essayé beaucoup de traitements et d’élixirs pour lutter contre ma propre amnésie... Sans succès, hélas. »

La mémoire était un phénomène qui s’avérait plus retors que prévu. Les souvenirs de Samara étaient encore bloqués, figés dans son esprit.

« Alors, dis-moi... Quels sont tes plans, maintenant ? Qu’envisages-tu de faire ? »

Après tout, elle avait réussi toutes les épreuves de Samara, et l’Archimage n’avait pas spécialement envie de la forcer, surtout après avoir vu ce dont Karla était potentiellement capable...

Visiblement, Samara s'intéressait moins à l'araignée de Karla qu'à sa capacité à invoquer les démons. En un sens c'était compréhensible : que représentait un arachnide, même magique, face à un démon majeur des Abysses ? Pas grand chose en fait. Quoi qu'il en soit, quand Karla posa la question sur le comment et le pourquoi de son amnésie, Samara lui répondit, enfin lui redit, qu'elle avait été invoquée en ce monde par un mage cruel qui l'avait soumise à d'innommables expériences.

- Oui, je pense que tu me l'as déjà dit, dans la bibliothèque...

Mais bon, cela ne l'avançait pas beaucoup de savoir que Samara était elle aussi amnésique. Cette dernière désactiva la boule de cristal et la scène qui se trouvait à l'intérieur disparut.

- Je n’ai aucune solution. J’ai essayé beaucoup de traitements et d’élixirs pour lutter contre ma propre amnésie... Sans succès, hélas.
- Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de remède à ce... problème. Le tout est de trouver le bon. Pour ma part, j'ai remarqué que des fragments de ma mémoire, des souvenirs, voire même certaines de mes capacités, me revenaient durant mes hum... rapports sexuels ou durant les situations stressantes. D'ailleurs tu as dû bien le voir avec mon ordalie.

Samara lui demanda ce qu'elle comptait faire maintenant.

- Hum, pourquoi ne pas suivre pendant un temps l'enseignement de l'académie de magie ? Cela pourrait me permettre de peaufiner mes sorts, d'en acquérir de nouveaux et, pourquoi pas, de recouvrer la mémoire.

Un peu de sédentarisation ne lui ferait pas de mal après tout : elle était un peu lasse d'errer sans but, de parcourir les chemins à la recherche d'elle ne savait quelle hypothétique remède miracle qui lui permettrait de résoudre son problème.

- Par contre, les frais d'inscriptions se montent à combien ? Parce que question finances, je suis un peu à court...

Que faire d’elle ? Samara n’en avait pas la moindre idée. Celle qu’elle avait pris pour une démone mineure un peu perdue avait réussi l’exploit en invoquant un puissant démon, un balor. C’était un tour de force suffisamment impressionnant pour que la démone daigne le considérer et s’y attarder quelque peu. Elle était maintenant bien curieuse d’en savoir plus sur cette femme, mais, hélas, Karla était amnésique. Qui sait ? Peut-être que les traitements mémoriels de Samara allaient fonctionner sur elle ? En attendant, elle se demandait quoi faire de Karla. La relâcher ? Après tout, la femme n’était pas sa prisonnière, mais il aurait été dommage de se priver d’un tel talent, et de tels potentiels...

Karla voulait perfectionner ses talents à l’école, et la démone acquiesça.

« Vu tes capacités, ça me semble être le meilleur moyen, oui. »

Restait les questions matérielles à évoquer, comme le coût de l’école. Là encore, Samara, puisqu’elle siégeait au sein du Conseil académique de l’université, avait les réponses, puisqu’elle votait le coût d’inscription.

« Les coûts sont assez élevés, reconnut-elle. Il existe bien un système de bourses, mais, concrètement, c’est du pistonnage. Je pourrais t’aider à obtenir le financement, une chambre dans les dortoirs de l’école, et même une bourse... Mais tu as bien dû comprendre que rien n’était jamais totalement gratuit entre démons. »

L’aide de Samara n’était jamais totalement désintéressée, et, même si elle compatissait au désarroi de Karla, et aux légitimes questions que cette dernière devait très certainement se poser, Samara pensait avant tout à elle-même, et à sa propre situation.

« Qu’es-tu donc prête à m’offrir en échange de mon aide, Karla ? » demanda-t-elle finalement.

Samara approuva la proposition de Karla quand cette dernière émit l'hypothèse de suivre un enseignement magique à l'académie de Nexus. A vrai dire, la jeune femme n'en était pas entièrement sûre mais elle avait l'impression que la démone était satisfaite qu'elle lui ait donné cette réponse.

Restait un problème et de taille : l'argent. Les frais d'inscription n'étaient pas donnés et même si Samara faisait partie de l'école, elle ne pouvait pas vraiment la pistonner. Les démons ne faisaient jamais rien gratuitement, même vis à vis de leurs semblables. SURTOUT vis à vis de leurs semblables... pensa Karla avec une pointe d'amertume.

- Qu’es-tu donc prête à m’offrir en échange de mon aide, Karla ?
- Euh... murmura Karla, se doutant un peu de ce qu'attendait la démone écarlate. C'est alors que la veuve noire, qui était toujours juchée sur son épaule, grimpa de manière à ce que sa tête soit proche de l'oreille de la jeune femme et, à sa grande surprise, lui murmura quelque chose à l'oreille.

Le premier instant de stupeur passé - car comment avait-elle pu comprendre ce que lui avait dit l'arachnide ? - Karla dit à Samara :

- Hum, de toute évidence, Shelob,  la grosse araignée avait un trésor conséquent dans sa tanière. Comme elle a dû périr dans l'incendie généré par le Balor, elle et ses filles, j'imagine qu'il doit être facilement accessible maintenant. Le tout serait d'ouvrir un portail, je le franchis et je vais chercher le trésor...

Bien entendu, elle ne pourrait peut être pas tout ramener en un seul voyage mais cela ne la gênait nullement de faire quelques allers-et-retours.

Samara fronça doucement les sourcils quand Karla évoqua le trésor de Shelob.

« Oui, c’est ce qu’on dit... Mais, si tu crois que de simples flammes ont pu vaincre la terrible Shelob, tu te trompes amèrement, Karla. Ton balor a tué les araignées qui te poursuivaient, mais Shelob, crois-moi, est toujours en vie. »

La puissante Shelob ne pouvait pas être vaincue aussi facilement. L’araignée était dotée de pouvoirs magiques, qui lui permettaient de régénérer ses blessures, en plus de bénéficier d’une carapace chitineuse extrêmement résistante. Autrement dit, si Karla retournait sur place, elle avait toutes les chances de périr définitivement contre la puissante araignée. Shelob allait pondre de nouveaux œufs, c’était indéniable.

« Et puis, je n’ai pas besoin d’argent, je suis suffisamment riche comme ça. »

C’était avéré, et indiscutable. Samara se déplaça encore, sa queue caudale venant glisser le long des jambes de Karla. Elle adoptait une posture prédatrice, sensuelle,  et rejoignit un fauteuil, où elle s’assit, en croisant élégamment les jambes.

« Non, c’est autre chose que je souhaite de toi... Quelque chose de bien moins exigeant, et de bien plus important... Des faveurs. Tu n’as rien à m’offrir que je ne veuille, alors je souhaite que tu t’engages à m’aider quand je te le demanderai. Une faveur, autrement dit. Faveur que je pourrais te demander demain, comme dans dix ans. Toujours est-il que tu dois jurer de la faire... »

Et, chez les démons, la parole donnée avait un poids bien plus important que pour les humains. Il valait donc mieux que Karla le comprenne, et accepte en pleine connaissance de cause...

Samara refroidit quelques peu les espérances de Karla quand elle lui dit qu'il était fort peu probable que Shelob, l'araignée géante, ait pu périr sous les coups et les flammes du Balor et que par conséquent accéder à son trésor serait ardu... Karla avait écouté tout ça avec un air désappointé et conclut par un "Ah d'accord..." morne. En même temps, elle se demandait si la démone ne cherchait pas à l'embobiner pour faire main basse sur le butin de l'arachnide et le garder pour elle toute seule.

Accordons lui le bénéfice du doute... En tout cas, un jour ou l'autre je lui réglerai son compte à cette Shelob et après, à moi le trésor ! pensa-t-elle.

Vint la question financière au sujet des études dans l'école de magie : l'argent n'était pas spécialement un problème puisque Samara était riche ; aussi proposa-t-elle en échange une faveur. Un mot lourd de sens puisqu'il impliquait un service que Karla rendrait à la démone quand cette dernière aurait besoin d'elle, demain ou dans dix ans, quoi qu'elle ait pu devenir... Pour bien appuyer son propos, elle s'était déhanchée lascivement avant de s'assoir de manière sensuelle, croisant les jambes.

La jeune femme, qui avait failli éclater de rire devant cette "parade nuptiale", réfléchit : elle n'aimait pas trop l'idée d'être redevable envers cette Samara qui allait lui demander dieu-sait-quoi. Elle se demanda si elle ne ferait mieux pas d'essayer de devenir l'apprentie d'un mage solitaire mais d'un autre côté l'étude de la magie dans une école, en compagnie d'autres étudiants, pouvait avoir ses avantages.

- Hum, j'ai besoin de réfléchir à tout ça... Laisse moi deux ou trois jours et je te donnerai ma réponse.

Après tout, rien ne pressait et de toute manière elle n'aimait pas trop prendre ce genre de décisions à la va-vite. Qui plus est, elle en profiterait pour faire un peu de tourisme dans Ashnard (si tant était qu'une telle chose était possible dans cette cité-état) et tenter de découvrir les propriétés magiques de sa dague enchantée.

La démone n’avait aucune raison de mentir au sujet de Shelob. Cette créature était une araignée ancestrale, un démon très ancien, datant probablement de l’époque de la Guerre des Grands Anciens, vu que même les démons se méfiaient d’elle. De simples flammes ne pouvaient en venir à bout. Libre toutefois à Karla d’y retourner ensuite, mais Samara ne serait pas là pour la couvrir. En tout cas, la jeune démone demanda un léger temps de réflexion, ce qui fit sourire doucement Samara. Visiblement, la perspective d’être redevable était difficile à concevoir. Samara haussa les épaules, décidée à montrer patte blanche à la jeune femme, qui, en ce moment, l’amusait plus qu’autre chose.

« Si tu veux. Kazuha te fixera un rendez-vous dans mon bureau sous quelques jours, alors. Si tu viens, je considérerai que tu acceptes mon offre. Si tu ne viens pas, c’est que tu auras réussi à trouver une autre solution. »

Laquelle ? Samara n’en savait rien, mais elle n’avait aucune raison particulière de faire pression sur Karla. Autant que la jeune femme voie par elle-même. Ashnard avait beau être une ville se disant « libre », quand on était une inconnue débarquant ici, sans aucun soutien, sans aucun mécène, les choses étaient parfois tendues. Samara pensait qu’elle devait tout de même avoir un visa étudiant, ou une autorisation quelconque, puisqu’elle l’avait trouvé à la bibliothèque, mais il allait falloir qu’elle trouve, en trois jours, soit quelqu’un qui accepterait de payer pour elle les frais d’inscription, soit de réunir les fonds nécessaires... Et ce sans garantie d’être prise, car, outre les fonds, en passant par la voie normale, il fallait aussi monter un dossier d’inscription, et prouver ses compétences.

Quoi qu’il en soit, pour Samara, leur séance était terminée.

« Au plaisir de te revoir, Karla. »

Cette démone disposait de pouvoirs assez surprenants. Ils suscitaient la curiosité de Samara, mais elle n’allait pas pour autant lourdement insister et faire pression sur elle. Autant la laisser cogiter un peu. Kazuha avait cherché l’agenda de sa Maîtresse, et nota une heure et une date pour un rendez-vous avec Karla, puis la raccompagna à la sortie.

Qui sait ? Peut-être allaient-elles effectivement se revoir...

Trois jours après l'entrevue entre Samara et Karla, on toqua à la porte de cette dernière. La jeune femme alla ouvrir et trouva Kazuha, la servante de la démone sur le seuil...

oOo

Mais au fait, qu'a donc fait Karla durant ces trois jours ?

Eh bien pour commencer, quelque peu harassée par son ordalie, elle avait dormi douze heures d'affilée dans la chambre qu'elle avait réservée au Chat Botté.
Le lendemain, après un solide petit-déjeuner, elle avait décidé de faire un peu de lèche-vitrines : ses vêtements de voyage étaient la seule tenue qu'elle avait sur le dos et elle souhaitait acquérir au moins une toilette digne de ce nom.

Le problème est qu'elle n'avait pas beaucoup d'argent et que les vêtements luxueux coûtaient les yeux de la tête. Surtout à Ashnard. Aussi dut-elle se contenter d'admirer les belles robes faites de brocard et de satin qui trônaient fièrement derrière les vitrines des magasins.

Mais la chance fut au rendez-vous : même vêtue simplement elle attirait immanquablement les regards masculins et l'un des clients des Doigts de Fée, le meilleur établissement de couture de toute la ville osa l'aborder. Anjalbert Gonfalon n'était certes pas le plus bel homme d'Ashnard mais il était l'un des plus riches : négociant en vins, il fournissait toutes les caves de la noblesse Ashnardienne, y compris celle de l'Empereur.

Amateur de bonne chère et de bonne chair, il avait donc invité la jeune femme à partager un repas, non sans lui avoir payé auparavant une robe de drap d'écarlate c'est à dire d'étoffe précieuse. Il faut préciser que par "robe" nous entendons un habillement complet, composé de plusieurs pièces : deux surcots, l'un clos et l'autre ouvert, une housse, une garnache, un chaperon et enfin un manteau à parer. Le soir même, elle et le négociant se roulaient dans des draps blancs...

oOo

Le reste du temps, Karla l'avait passé à faire un peu de tourisme, visitant les différents quartiers de la capitale, admirant ses principaux monuments, tels "L'Empereur Victorieux", statue équestre du sculpteur Ludovic Le Borgne se trouvant sur la place des Vainqueurs, l'Arc de Triomphe ou encore le Mausolée des Souverains d'Ashnard.

D'ailleurs dans ce dernier on pouvait trouver une généalogie complète des dirigeants de l'Empire, certains illustres, d'autres obscurs, dont on se souvenait à peine du nom. Le plus remarquable fut Atanazachias III dit l'Interminable puisqu'il accéda au trône à l'âge de deux ans et mourut à cent dix-sept ans ; mais d'autres n'étaient pas piqués des vers : Jacques III l'Inverti qui fut assassiné par son amant, Fulbert IX le Belliqueux (belliqueux mais pas doué puisqu'il perdit les trois batailles qu'il mena et fut occis au cours de la troisième), Gustave Ier le Pieu (ce n'est pas une faute d'orthographe)...

oOo

- Je te suis ! fit Karla à la servante de Samara. Le message était clair : elle acceptait la proposition de la démone, avec tout ce que cela impliquait. Une bonne dizaine de minutes plus tard, Karla, portant sa belle robe, entra dans le bureau de l'Archimage.

Comme Samara l’avait annoncé à Karla, elle laissa à cette dernière le temps de la réflexion. Trois jours après, elle envoya donc Kazuha pour voir si Karla était d’accord pour passer un pacte avec elle. Du côté de Samara, chaque journée était bien remplie. Il fallait aussi admettre que, outre son poste d’Archimage, Samara avait beaucoup à faire. Elle était une haut-fonctionnaire, proche d’Emhyr var Emreis, l’un des plus influents Conseillers Impériaux de l’Empire, mais aussi une ambassadrice, proche de la Déesse Sha. Toutes ces multiples casquettes faisaient qu’elle avait des journées chargées, et était régulièrement invitée à des soirées, ou en organisait. Hier, elle s’était ainsi rendue à la soirée du Maréchal Koenig, visant à célébrer une obscure bataille, et surtout à renouer des alliances politiques. Samara était une puissante démone, mais aussi une politicienne avisée et affutée, qui baignait dans les intrigues de cour, et s’en délectait cordialement. Elle adorait ça, tout simplement, ce qui la rendait encore plus efficace.

Kazuha se rendit donc au domicile de Karla, qui avait su profiter de ces trois jours pour commencer à évoluer dans la haute société. Samara avait ainsi appris que la jeune femme s’était rendu aux Doigts De Fée, où elle avait fait la connaissance d’Anjalbert Gonfalon, un homme à femmes qui était connu pour donner généreusement de l’argent à ses amantes. Karla n’avait toutefois pas oublié sa séance avec Samara, et, quand Kazuha lui proposa une heure pour un entretien avec Samara, Karla accepta.

C’est ainsi que Karla se retrouva dans la salle d’attente du bureau de Samara au sein de l’Académie Impériale. Elle était dans une séduisante robe écarlate, et attendit quelques minutes avant que la porte ne s’ouvre.

« Karla ! Quelle joie de te revoir, ma belle ! »

Samara lui fit signe d’entrer. Quand Karla entra, la porte se referma toute seule derrière elle. Le bureau de Samara était légèrement parfumé, avec des étagères remplies de grimoires, de livres, de notes personnelles, de carnets et de parchemins. Plusieurs plantes décoraient son bureau, ainsi que des tableaux représentant quelques sommités du monde magique, comme un portrait de la redoutable Francesca Findabair, une magicienne de renom, qui dirigeait Dol Blathanna, une vallée elfique magique. Samara s’assit sur un fauteuil derrière le bureau.

« Cette robe te va à ravir, Karla ! Tu commences déjà à prendre goût aux paillettes et à la luxure, hein ? »

La démone était toujours assez chaleureuse, et invita Karla à s’asseoir. De la main, Samara attrapa une pomme rouge qui traînait sur un panier, et, tout en posant ses jambes sur son bureau, et en les croisant, elle alla droit dans le vif du sujet :

« Alors... Tu as réfléchi à ma proposition, trésor ? » demanda-t-elle, tout en croquant dans sa pomme.

Karla suivit la jeune servante de Samara à travers l'académie de magie avant de la faire entrer dans une salle d'attente. Kazuha s'éclipsa, laissant la jeune femme seule. Elle n'eut pas à attendre longtemps : une porte s'ouvrit et la démone apparut, faisant signe à Karla d'entrer dans ce qui devait être son bureau.

Comme elle s'y était un peu attendu, l'intérieur était rempli de rayonnages dans lesquels se trouvaient des grimoires, certainement de magie pensa Karla, de parchemins et autres accessoires que l'on pouvait trouver dans un bureau de magicien. Il y régnait toutefois une agréable odeur de parfum et il n'y régnait pas l'habituel bric-à-brac typique des pratiquants des arcanes.
Outre les plantes en pot, il y avait, accrochés au mur, des tableaux représentant des portraits. L'un d'entre eux retint son attention : une magnifique femme Elfe à la chevelure blonde, aux traits fins et délicats et au port altier.

- Cette robe te va à ravir, Karla ! Tu commences déjà à prendre goût aux paillettes et à la luxure, hein ?
- Euh, oui... répondit-elle platement.
- Alors... Tu as réfléchi à ma proposition, trésor ? demanda l'archimage après qu'elles eurent pris place dans des sièges confortables. La démone posa les pieds sur son bureau et Karla se retint à grand peine d'éclater de rire.
- Eh bien, si je suis ici, ça veut dire que j'accepte non ? C'est ce qu'on avait convenu la dernière fois : si je venais ici, cela signifiait que j'étais d'accord avec ta proposition. Sinon, c'est quand que je commence ? J'aurais besoin de fournitures scolaires ? Je devrais porter une robe spéciale ? Je pourrais avoir une baguette ? On peut apporter un chat ou une chouette ?

Samara avait un style très... Irrévérencieux. Elle avait ainsi nonchalamment croisé ses magnifiques jambes sur le bureau, tout en mangeant joyeusement dans sa pomme. Du reste, son bureau était très bien organisé. Certains de ses collègues avaient l’habitude d’étaler dans leur bureau un bric-à-brac monstrueux, empilement de dossiers, de parchemins, de notes... Généralement une stratégie pour faire croire qu’on était débordés. Mais Samara avait plusieurs bureaux. Elle avait son bureau ici, à l’académie, mais aussi son bureau d’ambassadrice et de haut-fonctionnaire au Palais Impérial, plus grand encore, avec plusieurs secrétaires, des collaborateurs, et de nombreux dossiers. Ici, dans son bureau magique, Samara n’avait encore aucune assistante, mais les choses allaient peut-être évolué avec Karla. Elle avait vu de quoi la jeune femme était capable, et ses talents n’avaient pas manqué de l’impressionner, de susciter son attention, ce qui n’était pas peu dire s’agissant de Samara.

Elle fronça ensuite les sourcils devant le ton assez impertinent de la femme, qui répondit à sa question par une remarque assez abrupte, et même plutôt acerbe. Samara croqua plus durement dans sa pomme, et observa silencieusement la jeune femme.

« Modère ta langue, jeune femme, la vanité ne sied pas à l’éducation. »

Le ton était sec, autoritaire, comme pour signifier clairement que Samara désapprouvait. Elle se redressa ensuite, reposant ses pieds au sol, et se déplaça, en tendant à la femme un épais cahier.

« Le règlement de l’école. Je t’invite à le lire, Ashnard reste un Empire militaire, et l’Académie forme principalement des mages-guerriers et des soldats. Pour tout équipement externe à l’Académie, il y a des éléments là-dedans. »

Samara se déplaça encore.

« Tu commenceras quand tu auras lu le règlement. Nous t’avons déjà affecté à une classe. Formation magique basique, essentiellement de la magie élémentaire, avec des notions de base en alchimie et dans d’autres domaines. Je verrais au bout de quelques jours quoi faire de toi. »

- Modère ta langue, jeune femme, la vanité ne sied pas à l’éducation. répliqua Samara d'un ton sec et autoritaire.

Mais qu'est ce que j'ai bien pu lui dire pour qu'elle réagisse ainsi ?! se demanda Karla, fixant la démone avec un regard perplexe. Et puis qu'est ce la vanité vient faire là-dedans ? Sans compter qu'elle est un peu mal placée pour m'en parler...

A vrai dire, ce changement d'attitude ne l'étonnait pas vraiment : elle avait souvent remarqué que les puissants de ce monde, qu'ils soient princes souverains, hauts membres du clergé ou encore magiciens chevronnés, avaient un égo gros comme une pastèque et prenaient vite ombrage pour un rien. A force de voir des têtes baissés sur son passage, on finissait vite par se prendre pour un dieu - ou tout au moins quelque chose d'approchant - et du coup on ne supportait plus la moindre contradiction, réelle ou imaginaire.

Et puis au moins, elle a arrêté de me faire son petit numéro de charme à deux sous... pensa-t-elle, portant la main à sa bouche pour masquer son sourire, faisant mine d'être embarrassée par la réplique cinglante de Samara. Si j'étais du sexe opposé, je comprendrais peut être. Mais là...

La démone lui tendit un épais cahier : le règlement interne de l'école. Elle invitait la jeune femme à le lire, lui précisant que sa formation commencerait quand elle l'aurait lu en entier. Ce fut donc dans un silence tel qu'on aurait pu entendre une mouche péter et une ambiance un peu glaciale que Karla parcourut les différents articles du règlement...

oOo

Trois jours plus tard, Karla, vêtue de la robe des apprentis de l'Académie de Magie d'Ashnard, entama son premier jour de classe. Elle avait reçu les jours précédents l'emploi du temps hebdomadaire pour les étudiants en première année et avait donc Magie Élémentaire en première heure de la matinée.
L'année scolaire avait commencé deux semaines avant son arrivée à Ashnard et elle serait donc obligée de "prendre le carrosse en marche" (une expression de Nexus qu'elle trouvait amusante) mais rien de dramatique.

Ce fut donc le professeur, un solide quinquagénaire au visage grave, qui la présenta à ses futurs camarades. Un silence s'était fait quand elle était entrée dans la salle : tous les regards, aussi bien masculins que féminins, des élèves étaient braqués sur elle, les premiers exprimant la béatitude, les seconds l'incrédulité. Même le professeur, qui devait en avoir vu d'autres, avait mis de longues secondes avant de prendre la parole pour la présenter et encore sa voix avait manqué de sa fermeté habituelle.
Pour sa part, Karla avait balayé la pièce du regard et avait pu mesurer à quel point la plupart des apprentis étaient beaucoup plus jeunes qu'elle, certains étant à peine sortis de l'enfance. La classe était composée aux trois-quarts de garçons qui la dévoraient littéralement des yeux ; quant aux filles, qui dans l'ensemble n'étaient pas des premiers prix de beauté, elles lui jetaient des regards perplexes, curieux voire même carrément hostiles.

Une fois le petit discours de bienvenue terminé, Karla alla prendre sa place à côté d'un petit blondinet d'à peine seize printemps et qui avait l'impression de planer sur un nuage. Quand elle lui demanda d'une voix douce s'il pouvait lui prêter les notes qu'il avait prises au début d'année afin qu'elle puisse combler son retard, il crut qu'il allait s'évanouir de bonheur :

- Sien bûr ! répondit-il d'une voix enjouée, ne se rendant pas compte que sa langue avait fourché...