«
T-Bones est convaincu qu’il arrivera à le tuer… -
Ce type est cinglé… Mais ça nous fait de belles côtes ! -
Pas autant cinglé que celui qui a tenté de se serrer MacFarlane… Tu as des nouvelles de Jimmy ? -
De ce que je sais, les gardes continuent à cuisiner MacFarlane, mais ils ignorent encore où se trouve le cadavre… »
Les conversations étaient toujours animées dans le Hall-12. Les Halls, au sein d’Eternum, étaient les zones de vie, où les prisonniers se rendaient pour discuter entre eux. C’était un court moment de pause, dans une sorte de cour froide intérieure, entourée de murs bétonnés, avec des tourelles, des caméras de sécurité, et un grand écran plat géant diffusant régulièrement des documentaires venant de Tekhos, et qui décrivaient le monde de la nature, ou d’autres choses. En ce moment, un documentaire défilait sur les insectes, et, dans les coins du Hall-12, de grosses horloges numériques rouges indiquaient le temps restant avant la fin de la pause. Une fois que les horloges arriveraient à zéro, les prisonniers se rendraient aux différents ateliers et usines pour continuer à travailler toute la journée, à se tuer à la tâche en recyclant du vieux matériel usé, ou en détruisant des débris en les balançant dans des incinérateurs.
Il y avait des gardes partout en hauteur, séparés des prisonniers. Depuis son banc, Marius les observait sans rien dire. Il portait un uniforme orange, comme la plupart des autres prisonniers, et, face à lui,
Jorge commentait l’actualité, un cigare planté sur les lèvres. Les cigares étaient normalement interdits au sein de la Prison, mais, dans le Hall-12, ils étaient tolérés. Jorge était un ancien pirate tekhan, quelqu’un qui avait tenté de pirater les bases de données de GeoWeapon Corp. Il faisait partie alors d’un mouvement de pirates et de
hackers revendiquant la lutte contre les mégacorporations, et estimait qu’il avait été victime d’une conspiration politique et de la corruption de la justice. Il racontait son histoire de rebelle, d’activiste politique sur Internet, à qui voulait l’entendre, mais Marius n’était pas dupe. Jorge oubliait toujours de préciser les millions de crédite tekhans qu’ils avaient tenté de voler sur les caisses de retraite que GWC destinait à ses employées. La police l’avait arrêté, et l’avait envoyé à Eternum. Comment lui et Marius avaient fini par sympathiser ? Marius était bien incapable de le dire.
«
On dit que Lisa a tué quelqu’un qui avait tenté de la violer… -
C’est cool. »
Lisa MacFarlane… Une femme dangereuse, une perverse nymphomane, mais aussi une tueuse née, impitoyable… Une gladiatrice d’EKS, et qui avait juré, à la télévision, de briser la légende du Suicider, ce qui n’était pas pour rassurer Marius… Puisque, sous l’armure, c’était bien lui qui se trouvait là, lui, qui était maintenant proche de sa libération, si toutefois on en croyait les règles applicables pour ce jeu sordide et cruel.
«
Ouais, ça a pas l’air de te passionner des masses, mon histoire… grommela Jorge.
-
Si quelqu’un a été assez bête pour croire qu’il pouvait se taper une femme comme MacFarlane, alors c’est que sa place n’était pas à Eternum. -
Merde, mec, t’as vu comment elle est gaulée, cette salope ? Évidemment que tout le monde veut se la taper ! -
Comme Korra… »
Jorge frissonna à cette idée, et pencha sa tête sur le côté.
Korra était une femme bio-cybernétique. Sous sa combinaison orange, elle portait de curieuses prothèses électroniques. Son passé était nimbé de mystères, et, de ce que Marius avait compris, elle était une tueuse professionnelle, et recherchait une petite frappe locale, un individu qui ne sortait jamais de sa cellule, Seimos Arham. Marius ignorait qui était cet Arham, et cette histoire faisait partie des nombreuses et interminables histoires que Jorge lui racontait. Tout ce qu’il savait, c’était que Korra était autorisée à porter des armes, ce qui suffisait à dire qu’elle était une femme particulière. Elle ne dormait pas dans les cellules, et sortait chaque soir du Bloc-12, probablement pour se rendre dans les quartiers du Contrôle et de l’Administration Pénitentiaire.
Aujourd’hui, Marius n’allait pas aller à l’usine… C’est ce qu’il faisait croire pour ses camarades, mais, en réalité, il bifurquait en approchant de son box’, pour rejoindre l’armurerie, où il s’entraînait pendant des heures à porter le Suicider, sous le regard de sa conceptrice et responsable,
Kaora. La belle femme aux cheveux bleus travaillait au sein de l’administration, et Marius soupçonnait aussi son appartenance au sein de l’armée tekhane, mais, de toute manière, ce n’est pas comme s’il y accordait une quelconque importance.
Sa priorité était de partir d’ici, et, le meilleur moyen d’y arriver, c’était de réussir les épreuves du «
Eternity Killing Show », ce show meurtrier auquel l’homme était, bien malgré lui, contraint de participer. C’était sa meilleure et unique chance
rationnelle de s’enfuir de cette prison. Inutile d’espérer filer par le biais d’une évasion. On disait qu’il n’existait aucune prison inviolable, mais, de ce que Marius savait, tous ceux qui avaient tenté de s’évader étaient morts. En tout cas, c’est ce que Jorge affirmait.
Même lui ne savait pas que Marius était le Suicider. C’était une information que l’Ashnardien dissimulait prudemment, en essayant de rester le plus discret possible.
«
Oh, putain ! s’exclama soudain Jorge.
Vise-moi ce boule ! »
Marius se retourna sur son banc, et vit, en même temps que la plupart des autres résidents du Hall-12, l’arrivée d’une femme qui était taillée par la serpe de la beauté. Elle débarqua dans le Hall-12 comme une boule de billard face à un jeu de quilles, dégommant tout sur son passage par le simple message que son corps laissait s’échapper : un parfum de féminité, un parfum de douceur et de sexualité. Les prisonniers d’Eternum étaient généralement sexuellement frustrés, et, contrairement à d’autres prisons, la mixité était en vigueur. Rares, cependant, étaient les femmes à venir à Eternum, car, même si la prison avait un statut international, elle accueillait essentiellement des prisonniers tekhans, les Ashnardiens et les Nexusiens préférant souvent conserver les leurs… Sauf quelques exceptions, comme celle de Marius.
Tout ça pour dire que cette belle femme, avec sa généreuse poitrine, sa silhouette solide, et son cul dantesque, n’échappa à personne.
«
Je te parie qu’elle tient une heure avant de se faire baiser sèchement, celle-là… Putain, peut-être même que j’y foutrais ma propre queue ! »
Marius n’avait aucune raison de s’intéresser à elle plus qu’à une autre personne, et pivota à nouveau, retournant devant son plateau-repas. La nourriture à Eternum était infecte, et c’était souvent les prisonniers eux-mêmes qui la fabriquaient, à partir de déchets recyclés et assemblés dans de grandes cuves, l’ensemble formant une sorte de bouillie infâme, de purée dégueulasse.
«
C’est qui, cette nana ? -
Ma future copine… -
Ou la mienne… -
J’vais me la faire… »
Les bribes de conversations que Marius percevait étaient très parlants. Il était au milieu de la misère humaine, des déchets de l’humanité…
Doublant les pronostics de Marius,
un homme bourru ne tarda pas à s’approcher de la femme, et se planta face à elle, accompagné de deux autres types.
«
Salut, poupée. Tu t’es perdue ici ? J’pourrais être ton guide… »
Sans s’embarrasser de la moindre pudeur, l’homme lorgnait délibérément sur les seins de la femme, une lueur perverse brûlant dans ses yeux…