L’Invitation de la Comtesse [PV Mélinda Warren]

Sa meilleure arme, oui... A fortiori avec des démons. Mélinda avait très peu de contacts avec le plan infernal, et, pour être honnête, ce n’est pas comme si elle en cherchait. L’Enfer était trop dangereux pour elle, et, quand elle y pensait, c’était souvent en vue de préparer sa mort. Il ne faisait aucun doute qu’une vampire violeuse et esclavagiste, qui avait déjà tué, finirait en Enfer lors du Jugement Dernier. Ce faisant, tisser des relations avec quelques sommités infernales pourrait éventuellement lui éviter de finir dans des geôles infernales. Elle se voyait bien devenir une succube. Cependant, Mélinda savait que le Cercle de l’Enfer abritait bon nombre de clans qui étaient particulièrement rivaux entre eux, et qui acceptaient difficilement des personnes étrangères. Mélinda se devait donc de faire ses preuves, et, pour cela, le mieux était de nouer des relations... D’où le choix de venir à cette fête. Certes, c’était risqué, car elle savait que la vampire n’allait pas rencontrer que des amis, mais c’était avant tout un bon moyen de se faire voir.

Krish ayant terminé ses explications, il expliqua à Mélinda qu’il comptait revenir dans quelques jours, et cette dernière opina de la tête.

« Vos explications me semblent claires, Krish... Vous pourrez dire à votre Comtesse que vous avez bien agi, et je le confirmerai. »

Elle n’avait plus grand-chose à lui dire. Devait-elle lui faire visiter les lieux ? C’était tentant, mis elle n’oubliait pas qu’il venait de la part d'une Comtesse infernale, celle de Vicemabre,, et que, partant de là, elle ne pouvait pas totalement se fier à lui. Peut-être que cette démone cherchait des informations sur elle ? Peut-être qu’elle avait entendu parler des liens de Mélinda avec les Impériaux ashnardiens, parmi lesquels on trouvait volontiers des démons, ne relevant plus de l’autorité d’aucun Cercle.

« Je serais ravi de vous accueillir de nouveau dans ma demeure quand vous aurez le contrat. »

Pour l’heure... Elle aurait l’occasion de se préparer à son retour.

« Bien sûr, si vous souhaitez profiter de mon hospitalité, n’hésitez pas à le demander. Mon plus sincère souhait est que votre Comtesse ne se méprenne pas sur mes intentions, ou sur l’affection que j’éprouve à son égard. »

« Loin de moi l’idée de vouloir abuser de votre temps, Madame Warren. De plus, je pense en avoir assez vu et entendu pour dresser à la comtesse de Viceambre un portrait élogieux de votre personne. »

Krish contourna la piscine et s’apprêta à retourner à l’intérieur du manoir. Il était sur le départ. Toujours très affable, il ne se retira bien sûr pas sans les convenances d’usage. Juste avant de quitter la vampire, il ajouta :

« La comtesse sera absolument ravie de pouvoir vous compter parmi ses invitées. Et je suis convaincu que vous apprécierez ce petit moment d’exception en Enfer. Préparez-vous au mieux. Votre meilleurs tenue, vos serviteurs les plus plaisants et surtout, surtout, le démon poltron. »

Il s’inclina et s’en alla dans le crépuscule de sa démarche assurée. L’obscurité sembla le happer.

***

Six jours plus tard, il était de retour au manoir Warren. C’était à nouveau le soir et le démon arborait le même complet gris, le même sourire acéré. Toutefois, il tenait une pochette de cuir noir et deux personnes l’accompagnaient. Il s’agissait d’un duo de grosses brutes en costar-cravate. Mascotte demanda à être reçu par la maîtresse des lieux.

Une réception chez une démone... Mélinda devait assurer les choses, et, quand Krish revint, beaucoup de choses étaient prêtes. La vampire l’accueillit dans le grand salon. Elle était accompagnée de Bran, à côté d’elle, portait sa traditionnelle robe dorée, tandis que Bran, lui, arborait un costume-cravate élégant avec des gants noirs, l’ensemble formant une tenue de soirée sobre et raffinée. Cependant, il n’y avait pas qu’eux deux. Mélinda avait ramené plusieurs de ses plus belles esclaves, comme Tallulah. La belle femme portait des collants rouges en latex, des gants noirs, et une robe courte, dissimulant un corset rouge dessous. Par ailleurs, il y avait aussi une autre démone, qui, elle, était l’esclave de Mélinda depuis sa plus tendre enfance : Edessa. La succube était née entre les bras de Mélinda, et, depuis ses premiers jours, elle voyait Mélinda comme sa Maîtresse.

D’autres personnes accompagnaient également Mélinda. Il y avait le fameux « démon poltron », Alexis, dans un long manteau blanc avec une fourrure à hauteur du col, et, enfin, une autre personne dont on pouvait sentir son aura et sa puissance redoutable : Samara. La redoutable femme à la peau rouge était une Archimage ashnardienne, aussi belle qu’ambitieuse, et aussi perverse que puissante. Elle était la garante du harem de Mélinda Warren, en plus de nombreuses autres responsabilités qui lui incombaient : diplomate auprès du royaume d’Inferis, ambassadrice auprès de la Déesse Sha, Archimage et membre du Conseil des Mages de l’Académie Impériale... Et, de manière plus générale, haut-fonctionnaire impérial et membre du cabinet du Conseiller Impérial Emhyr van Emreis. En somme, il faudrait des heures pour étaler tous ses titres, et la perspective de participer à une réception démoniaque était pour elle suffisamment alléchante pour la saisir. Il y avait d’autres personnes au sein de sa petite suite, et Mélinda lui sourit légèrement :

« Je suis prête, noble Krish. Comme vous le voyez, Alexis est là, et est naturellement ravi à l’idée de pouvoir nous suivre... N’est-ce pas, mon beau ? »

Si on regardait bien Alexis, on pourrait voir un collier autour de son cou. Un collier élégant, avec, à l’intérieur, un cristal en obsidienne qui touchait directement la peau du démon, et l’empêchait ainsi de pouvoir s’enfuir, notamment en se transformant. De plus, si on s’amusait à le déshabiller, on pourrait voir, sur son dos, de multiples balafres et cicatrices, trahissant le traitement subi par Mélinda et ses belles griffes dans la journée.

« Nous sommes prêts à vous suivre, Krish, et à rencontrer votre Comtesse » intervint Samara.

Pour elle, c’était aussi l’occasion, peut-être, d’en savoir un peu plus sur ses origines lointaines... Samara ignorait tout de son passé, de ce qu’elle était avant d’avoir été amenée sur Terra... C’était donc une opportunité à ne pas louper, en plus de celle d’agrandir son réseau et son influence.

Très convenable, voir un peu protocolaire, Krish salua la vampire et sa suite. Un éclat de curiosité brilla dans son regard alors qu’il détaillait chaque personne. Il nota avec satisfaction la présence du démon poltron. Il fut intrigué par la présence de plusieurs autres démons. Enfin, et surtout, une femme à la peau rouge lui fit forte impression. Il devina qu’il ne s’agissait pas d’une esclave. D’ailleurs, le fait que Samara prit la parole le souligna. Reportant son attention sur Mélinda, ravissante forcément, Mascotte lui tendit la pochette noire.

« Voici, Madame, ce que vous désiriez. »

A l’intérieur se trouvait un contrat signé de la main de la comtesse. Il assurait à la dame Warren, ainsi qu’à son entourage, que ni Viceambre, ni ses invités ne nourrissaient d’intention hostile à leur égard. Cependant, l’Enfer restait l’Enfer. La noble succube stipulait sans détour que sa responsabilité ne pouvait être engagé en cas d’imprévus. Le contrat était rédigé avec élégance, mais ces termes, d’une précision chirurgicale, témoignaient d’une grande expérience.

« Et bien, puisque tout le monde est prêt, inutile de patienter d’avantage. Je vous propose de gagner le parc du manoir où nous aurons tout l’espace et toute la discrétion requise afin d’ouvrir le portail. »

Sitôt que Mélinda eut indiqué l’endroit de son choix, les deux brutes qui accompagnaient Mascotte se mirent à l’œuvre. Elles tracèrent au sol un pentacle large de trois mètres grâce à de simples bombes de peintures. Puis elles psalmodièrent quelques paroles impies, ce qui eut pour effet d’illuminer le pentacle. Encore un peu et le vide au-dessus se déchirait. Un passage ardant venait de prendre place. Les brutes se répartir de chaque côté du portail et incitèrent tout le monde à le franchir. Krish y disparût en premier.

De l’autre côté se trouvait un immense et luxuriant jardin dominé par un ciel pourpre. Des allées de pavées blancs serpentaient entre les arbres fruitiers, les massifs de fleurs colorés, les étendues herbeuses, les buissons taillés. Des oiseaux chantaient, des papillons voletaient, des parfums sucrés flottaient, de quoi presque faire oublier les cieux infernaux. Des statues de marbre décoraient des fontaines, encadraient les allées ou se perdaient parmi la végétation. Elles représentaient des choses très variées, mais qui ne pouvaient plaire qu’à des êtres corrompus. Des scènes de viol, de soumission, de torture ou d’exécution. Des personnages magnifiques, troublants ou horribles, mais systématiquement nus. C’était de l’art raffiné mais terrible. Au loin, un vaste manoir se devinait. Un vieillard attendait les invités. Il portait une tenue opulente chargée de pierreries. Il s’inclina pompeusement.

« Mélinda Warren, soyez la bienvenue, vous et votre suite, sur les terres de ma maîtresse, la comtesse de Viceambre. Je suis Ganock. On m’a envoyé vous accueillir et m’assurer que tout allait pour le mieux. »

Il tourna son regard perçant vers Krish.

« Mascotte, vous devriez aller vous préparer. Il est grand temps. »

Le concerné acquiesça et fit face à la vampire. Il s’adressait aussi à Samara.

« Bien. Je vous laisse aux bons soins de Ganock. Lorsque vous me reverrez, vous comprendrez pourquoi on m’affuble du doux sobriquet de Mascotte. »

Sur ce, il s’en alla.

Mélinda allait devoir se contenter d’un bout de papier, et du fait que les démons n’aimaient pas revenir sur leurs paroles. Samara lui avait maintes fois souligné toute l’importance que les démons vouaient à leur honneur. Fondamentalement, un démon ne mentait jamais, mais interprétait toujours ce qu’il disait à sa convenance. En somme, quand on faisait un pacte avec une créature infernale, il fallait faire grandement attention au choix des mots employés. En l’état, le contrat stipulait que la Comtesse assurerait la sécurité de ses invités, mais déclinait toute responsabilité en cas d’incident ou de dommages, létaux ou non. Comment interpréter ça ? Et, quand bien même, quelle valeur juridique ce bout de papier aurait-il en Enfer ? Les démons n’étaient pas connus pour leur tradition écrite importante, et, du peu que Mélinda en savait, la justice démoniaque n’était pas très développée. Néanmoins, elle avait surtout, avec elle, Samara, et c’est sur ces pensées qu’elle suivit Krish.

Ils se retrouvèrent donc dans le parc, près de la piscine, et les deux armoires à glace accompagnant Krish tracèrent un pentagramme magique sur le sol, Samara les regardant faire. Les glyphes magiques étaient l’une de ses spécialités, et elle comprit rapidement qu’ils formaient un sceau pour ouvrir une brèche dimensionnelle. L’Archimage avait veillé à ce que les cristaux magiques protégeant la demeure de Mélinda soient réduits, ce qui permit d’établir une connexion dimensionnelle. Autrement dit, le Portail put s’ouvrir.

« Je vais y aller en premier... »

Mélinda acquiesça, et laissa Samara filer par le Portail, puis, ensuite, elle la rejoignit, suivie de sa petite torupe. Le changement fut instantané, et elle se retrouva ainsi dans un curieux jardin, face à une grande propriété. Le manoir de Vicemabre. Un doux parfum sortait de ce dernier, et tout respirait la volupté et la beauté. Mis à part un ciel rougeâtre, rien ne laissait présager qu’on se trouvait en Enfer, ce qui était... Assez déstabilisant.

« Je dois admettre que je ne pensais pas l’Enfer ainsi, remarqua Tallulah.
 -  Moi non plus...
 -  L’Enfer est bien des choses, nuança Samara. Dieux, démons, et quantité d’autres créatures y vivent. Ce n’est pas qu’une succession de rocs et de champs volcaniques. On y trouve aussi des forêts, des lacs, du relief, du paysage... Certaines légendes affirment que, il y a des millénaires et des millénaires, l’Enfer était une dimension très similaire aux autres, avec des prairies, de la végétation, des brebis, des daims... Et que les démons n’étaient rien de plus que des humains normaux.
 -  Vraiment ? s’étonna Tallulah.
 -  Ce n’est qu’une légende, rappela Samara. Tout cela pour vous dire que, comme Terra, l’Enfer a bien des facettes. »

Mélinda hocha la tête suite à cette ultime remarque, et emboîta le pas de Samara. Est-ce que cette atmosphère charmante devait la rassurer ? En un sens, c’était toujours plus rassurant que de débarquer sur une plaine volcanique. Elle vit des statues représentant des scènes particulières, violentes, et brutales, tournant autour du sexe ou de la violence. Le ton était donné. Mélinda marchait lentement, à côté de Bran, tandis que Samara, elle, regardait autour d’elle. L’Enfer... Elle y était rarement allée, et, à chaque fois, elle n’avait rien trouvé concernant ses origines. Les choses allaient-elles êtres différentes maintenant ?

La vampire finit par arriver devant un mystérieux vieillard, probablement la personne faisant office de maton. Il invita Krish à aller se préparer, et ce dernier, qui répondit alors au doux nom de « Mascotte », les salua, les laissant en compagnie de Ganock. Mélinda regarda ce vieil homme pendant quelques secondes, puis lui parla :

« Vous travaillez pour la Comtesse, n’est-ce pas ? Elle a un beau manoir... »

Un très beau manoir, même.

Rien à voir avec le sien.

Ganock sourit, découvrant plusieurs dents en or.

« J’ai en effet l’ineffable honneur de servir la comtesse de Viceambre et ce depuis de nombreuses années. Elle sera ravi que vous appréciez son domaine. »

Le vieillard s’inclina de nouveau. Son ton très ampoulé frisait l’excès. Son ample courbette achevée, il invita le groupe à le suivre droit vers le manoir. Celui-ci, certes démesuré par rapport aux conventions humaines, était toutefois loin d’avoir les dimensions d’une citadelle. Ce n’était clairement pas un édifice conçu pour tenir un siège. Seul comptait l’aspect esthétique. L’architecture aristocrate, les jeux de lumières travaillés, l’omniprésence des sculptures... pénétrer chez Viceambre donnait l’impression de se rendre à une exposition d’art infernal. Le rouge, le mauve, le blanc et le noir étaient les couleurs dominantes.

Appuyé sur sa canne, Ganock gravit la volée de marche du perron. La grande porte d’entrée était encadrée par deux gardes en armures argenté, telle des statues splendides. Au-delà le hall à colonnade se découvrait. De vastes flambeaux y dispensaient une lumière ondulante. Plus loin parvenaient de nombreux éclats de voix et des notes de musiques. La fête se tenait à côté, pas encore visible.

Alors que le vieillard terminait d’introduire Warren et sa suite dans le hall, une femme y pénétra à son tour par une ouverture latérale. Elle était grande, élancée et diaboliquement belle. Même sa démarche souple et sensuelle avait de quoi captiver. Une chevelure blonde cascadait sur ses épaules et dans son dos, encadrant un visage absolument parfait. Son regard indigo témoignait d’une intelligence certaine et son sourire troublant demeurait difficile à déchiffrer. La comtesse, car forcément c’était elle, portait une robe rouge échancrée, finement brodé, qui savait mettre en valeur ses courbes divines, frisant avec l’insolence, mais sachant néanmoins demeurer convenable. Elle portait des bijoux, mais pas en excès. Tout en elle était étudié, raffiné. Son parfum n’était pas en reste. Ganock s’inclina si bas que sa barbe toucha le sol. La noble succube eut un petit geste suffisant pour l’inciter à partir, ce qu’il fit la seconde d’après. Il retourna dans le jardin, sans doute pour réceptionner d’autres invités.

« Alors voici la fameuse Mélinda Warren, dit la démone d’une voix de velours. Je suis la maîtresse de ces lieux. Beaucoup d’antres nous sommes particulièrement... enthousiastes à l’idée de vous rencontrer, vous et le démon poltron. »

Son regard passa sur ce dernier, puis sur le reste de la suite.

« Je constate que vous vous êtes bien entourée. Mascotte a dû prodiguer les bons conseils. »

C’était un endroit impressionnant, à l’image de la Comtesse, que la petite procession ne tarda pas à croiser. Comme on pouvait s’y attendre, elle était d’une redoutable beauté, dans une élégante robe rouge, avec une magnifique chevelure blonde. Une créature au corps parfait, confirmant ce qu’on disait sur la coquetterie des démones. Leur guide, Ganock, ne tarda pas à les laisser, et Mélinda, qui était après tout l’invitée principale, s’avança un peu vers la femme. Est-ce qu’elle était sincère quand elle disait que beaucoup de gens l’attendaient, ou n’était-ce qu’une simple formule de style ? Sincèrement, Mélinda aurait préféré la simple formule de politesse, car l’idée d’être populaire en Enfer, parmi des individus qui avaient le pouvoir de l’écraser en quelques secondes, n’avait rien de bien tentant. D’un autre côté, avec cette histoire autour d’Alexis, elle avait peut-être réussi à se faire remarquer... Qui sait, c’était peut-être un bon moyen de s’approcher des clans de succubes ? Quitte à choisir, Mélinda préférait finir dans Cercle-là plutôt que dans un autre.

« Oui, votre messager a été très utile. Je suis sincèrement flattée de l’honneur que vous me faites en m’invitant ici. J’ai pris la liberté d’inviter parmi ma compagnie l’Archimage Samara, une Ashnardienne qui est la femme veillant sur mes intérêts.
 -  Et l’honneur est partagé, Comtesse de Viceambre, enchaîna Samara avec un sourire poli. Votre palais n’a pas à rougir, je me croirais dans l’un de ces manoirs ashnardiens où nous organisons, nous aussi, nos propres soirées. »

Contrairement aux soirées nexusiennes, souvent d’un ennui mortel, les soirées ashnardiennes finissaient souvent dans l’orgie, la débauche, et le sexe le plus total. Est-ce que ce serait aussi le cas ici ? Difficile à dire... Mais, vu les femmes que Mélinda avait ramené, c’était une hypothèse tout à fait possible. Edessa, elle, restait dans le dos de sa Maîtresse, et observait la scène. Aller en Enfer était pour elle aussi particulier, car elle n’y avait jamais été. Elle était une démone née et ayant grandi sur Terra, et se dire que c’était de cet univers que sa race était originaire... Elle s’était attendue à avoir une réaction particulière, mais, dans les faits, elle ne ressentait rien. Tout ce qu’elle espérait, c’était que sa Maîtresse ne la laisserait pas ici, dans la mesure où, pour Edessa, sa vie se résumait uniquement à Mélinda Warren.

Mélinda tourna ensuite sa tête vers Alexis.

« Quant à Alexis, je suis sûre qu’il sera ravi d’être ici... Même s’il a été un peu difficile de le convaincre. »

Un peu... C’était un bel euphémisme dans la bouche de Mélinda, mais elle ne voulait pas froisser son hôte.

« Je suis en tout cas ravie d’avoir été invitée à votre fête... Même si je pensais qu’elle ne serait réservée qu’aux démons. »

C’était une manière polie de lui demander pourquoi cette femme avait cru bon d’inviter une vampire. Était-ce parce qu’elle s’était retrouvée involontairement mêlée dans la guerre de succession de Roc Noir ? Ou est-ce qu’il y avait autre chose derrière ça ? Pour l’heure, elle était dans l’expectative...

La comtesse considéra Samara avec une apparente bienveillance mêlée de curiosité.

« Une archimage ? Hum... oui, je peux sentir l’aura que vous dégagez. Les amies de Madame Warren sont les bienvenues ici. Sans doute pourrons-nous avoir quelques échanges intéressants sur Ashnard. Je suis avide de connaissances sur les autres plans. Il est toujours utile de savoir ce qui nous entoure. »

Alors qu’elle parlait, un couple pénétra dans le hall par la même entrée latérale que celle empruntée par la succube. Il était en train de bavarder sur un sujet apparemment léger, mais se tut en constatant que Viceambre s’entretenait avec des invités. Le couple se composait d’un homme et d’une femme, à l’âge indéfinissable, très élégants dans leurs habits chatoyants. Ils tenaient chacun plusieurs instruments dorés. Ce devaient donc être des musiciens. Ils se tinrent immobiles, quelques pas derrière la maîtresse des lieux. Cette dernière s’adressa de nouveau à la vampire :

« Le démon poltron est une source intarissable d’intérêt. Je ne doute pas un instant que vous serez le tirer à votre avantage. D’après ce que je sais, certains vont être prêt à vous l’acheter. C’est juste à titre d’exemples. Soyez prêtes à toute sorte de négociations. »

Elle parût jauger Mélinda. Une chose semblait certaine, dès que la porte serait franchie, dès que Warren entrerait dans la fête, les événements allaient s’enchainer. Ce moment était un peu le calme avant la tempête. Une nouvelle personne fit son apparition par l’entrée latérale. C’était un homme de grande taille, athlétique, à la peau noire couverte de tatouages tribaux. Il jouait négligemment avec toute une collection de couteaux. Ce devait également être un artiste car la seule dextérité de ses doigts forçait le respect. Il se plaça à côté du couple de musicien. Viceambre, sans faire attention à eux, continuait :

« Mes fêtes sont rarement exclusives aux démons. Tout du moins, peu m’importe la race de ceux que j’invite, seul compte leur intérêt. Je sais être ouverte d’esprit contrairement à beaucoup de mes semblables. Bien sûr, il y a ici une énorme majorité de démons, mais nous sommes en Enfer. »

Un quatrième individu passa l’entrée latérale. Il fut précédé par un tintement de clochettes. Son apparence était des plus atypiques, surtout en un tel lieu. Et pour cause : il ressemblait à une peluche. Haut d’un mètre, sa physionomie générale était à mi chemin entre l’humain et le félin. Pelage blond platine, yeux ambrés, grandes oreilles pointues, queue de lion, museau court... il était replet et mignon. Seule l’expression vicieuse de son regard et son sourire dentu de carnassier témoignaient de sa nature infernale. Il portait une ample tenue de bouffon bipartie noire et blanche. Les grelots de son chapeau, probablement en or massif, illustraient chacun un symbole monétaire terrien différent : $, €, £... L’habit finement brodé avait dû coûter aussi cher que le plus beau des smoking. La chainette d’électrum qui pendait du cou de la créature et qui s’ornait d’une médaille gravée d’un pentacle achevait de prouver l’opulence du costume. Ce dernier ne comportait par contre ni chaussure, ni pantalon, mais la tunique arrivait presque aux genoux. Le petit démon se joignit aux autres artistes. Visiblement pas tout à fait prêt, il achevait d’orner sa queue Léonide d’annaux ciselés. Certains, plus larges, étaient destinés à ses chevilles. La comtesse l’ayant entendu, lui jeta un bref regard évaluateur, puis en revint à la vampire.

« Voici Mascotte. Comme il l’a fait chez vous, il continuera au besoin de vous conseiller. Je tiens à ce que vous profitiez au mieux de ce qui va suivre. »

Comme l’avait justement supposé Mélinda, une semaine plus tôt, Krish avait largement atténué son assujettissement envers Viceambre. Il ne participait pas à la fête en tant qu’invité, mais comme artiste, comme serviteur donc.

« Et c’est avec joie que je partagerais mes connaissances concernant l’Empire ! Par la même occasion, vous pourrez également me faire profiter de votre connaissance de l’Enfer ! »

Peu à peu, la fête était en train de se remplir, les convives se multipliant à l’intérieur. Ashnard était un cas assez particulier pour les démons. Il était le siège de démons qui avaient fait sécession avec les Cercles Infernaux, et donc avec l’autorité suprême des Princes. Des démons qui agissaient en roue libre, sans avoir de comptes à rendre aux Princes Infernaux, évitant, de ce fait, l’ingérence et l’intervention des Anges. C’était un raisonnement osé, mais il était maintenant communément admis que l’Empire ne se limitait pas qu’aux démons le peuplant. Ashnard restait essentiellement composé d’autres espèces : humains, vampires, elfes... Mélinda Warren en était une belle démonstration, et le fait qu’elle soit là, en compagnie d’une Impériale, signifiait que, malgré son modeste statut de femme d’affaires, elle pouvait peser au niveau impérial... Et elle pèserait d’autant plus si elle arrivait à fonder son propre clan, comme elle espérait maintenant le faire. Elle n’aimait pas son père, mais elle aimait son nom, et l’idée d’avoir une grande famille, ce qui, dans le cadre de vampires, s’exprimait par le biais d’un vaste clan vampirique, un clan qui serait sous son autorité. Mine de rien, c’était en assistant à des évènements de ce genre qu’elle pouvait satisfaire ses propres ambitions.

La femme leur expliqua rapidement qu’Alexis était, encore une fois, un atout majeur, même si Mélinda ne comprenait pas trop pourquoi. Qu’est-ce que les démons pouvaient bien encore lui vouloir ? Il s’était exclu de la compétition pour la baronnie de Roc Noir, et n’avait maintenant plus aucun droit légitime. Il n’était théoriquement plus un démon d’importance, simplement un démon poltron, esclave d’une vampire, soit d’une race inférieure. Pour quelle raison des démons en voudraient-ils ? Mélinda aurait pu poser la question à Samara, mais elle savait que l’Impériale n’aurait eu aucune réponse à lui fournir, et ce pour la simple raison que, contrairement à Ashnard, le fonctionnement des Enfers était bien différent.

Parallèlement, d’autres invités arrivaient, et, comme la Comtesse le leur expliquait, elle n’invitait pas que des démons. La vampire acquiesça lentement, voyant cela par ses propres yeux... Les artistes arrivaient, et elle fut évidemment surprise en voyant que, parmi eux, il y avait Krish... Ou Mascotte. Ce dernier lui avait expliqué que son rôle était assez ambigüe. Il n’était pas qu’un simple esclave, et, visiblement, l’homme avait plusieurs casquettes... Y compris celle du bouffon de service. Elle avait reconnu Mascotte par son sang avant tout, car son apparence était très différente de celle avec laquelle il s’était montré à son manoir. La Comtesse précisa alors que Mascotte continuerait à la conseiller, afin de la préparer à ce qui allait suivre.

*Ce qui va suivre ? Quoi donc ?* se demanda Mélinda, sans toutefois oser le dire trop fort.

Elle ne voulait pas paraître malpolie, mais, malgré tout, elle avait quand même quelques questions.

« Pardonnez ma curiosité, Comtesse, mais... En quoi Alexis est-il si important ? N’a-t-il pas perdu tout droit de succession au regard de Roc Noir ? Pourquoi est-ce que certains démons voudraient me l’acheter ? »

Ce n’était pas un piège, elle n’en savait rien. Samara, quant à elle, regardait les environs. Elle essayait de trouver ici des familiarités avec un passé lointain, de se dire que visiter l’Enfer provoquerait en elle comme un déclic... Mais rien ne se produisait dans son crâne. Pour l’heure, aussi bien Mélinda qu’elle étaient un peu perdues, et se reposaient entièrement sur les volontés de leur guide.