Recrutement [Masaru Orange]

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon avait fini dans un état catastrophique. Ruiné par une guerre de longue haleine, et terrassé par deux bombes atomiques, le pays était vulnérable face à l’URSS, puis, plus tard, face à la Chine maoïste. Dès la fin de la guerre, les Américains avaient vu le risque potentiel au Japon, l’essor possible du communisme, et aussi les possibilités stratégiques que cet archipel offrait sur toute l’Asie du Sud-Est. Les Américains avaient donc pris en charge la défense du territoire japonais, en dressant, sur l’ensemble de ce dernier, de multiples bases militaires, des bases qui avaient prouvé leur utilité, par exemple pendant la Guerre de Corée. Maintenant, plus de vingt ans après l’effondrement du communisme et du régime soviétique, le Japon avait toujours confié la gestion de la défense de son territoire aux États-Unis, et, quand on voyait les conflits territoriaux sous-jacents entre la Chine et le Japon, on ne pouvait que se dire que, pendant longtemps, ces bases allaient encore rester là.

Le long de Seikusu, il y avait l’une de ces bases. Seikusu Base Camp était une base militaire secondaire, qui servait essentiellement de station de ravitaillement. Elle était dressée au bout d’une falaise, dans la baie de Seikusu, hors de la ville. Depuis les miradors de la base, on pouvait voir Seikusu s’étaler, au loin, de l’autre côté de la baie. Seikusu Base Camp avait pendant longtemps été une base militaire sans grande importance, qui voyait son budget se réduire, et qui avait regagné un sursaut d’activité en développer des activités civiles et militaires, d’une part en ouvrant ses archives militaires au public et en organisant des visites scolaires, d’autre part en choisissant de former les forces japonaises d’autodéfense, euphémisme désignant l’armée japonaise... Une armée très spéciale, conçue suite à une évolution de l’interprétation de la Constitution japonaise, notamment de son fameux article 9, qui interdisait au Japon le droit d’avoir une armée. Un article voté au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, après les horreurs commises durant cette guerre, et qui avait fait couler beaucoup d’encre. Sous l’influence des lobbys révisionnistes comme Nippon Kaigi, la Cour Suprême avait interprété cet article comme interdisant certes au Japon d’avoir une armée, mais pas d’entretenir des forces destinées à défendre le pays... Ce que beaucoup de pacifistes dénonçaient comme une fumisterie permettait au Japon d’avoir une armée assez puissante, et qui participaient parfois à des missions de coalitions internationales, la seule réserve étant que cette armée ne soit jamais à l’origine d’un conflit. Tout ce débat avait donc permis au Japon d’avoir un budget militaire, et aux Américains de les former, de les assister, les intérêts japonais et américains coïncidant mutuellement.

Seikusu Base Camp avait donc connu un premier regain d’activité... Mais il avait été relativement faible, et la base militaire avait cessé d’être une voie de garage, et avait vu son budget augmenter énormément, quand le SHIELD s’était intéressé à Seikusu. Le SHIELD était un organisme de contre-espionnage conçu par Nick Fury et Howard Stark après la Seconde Guerre Mondiale, sous égide de l’ONU, afin de traquer les anciens criminels de guerre nazis, notamment Crâne Rouge, qui était (et était toujours) une cible prioritaire pour le SHIELD. Petit à petit, l’organisation avait évolué, avait gagné en influence, jusqu’à devenir une organisation spécialisée dans les menaces paranormales, ce qui incluait aussi bien les simples fantômes que les invasions extraterrestres. En quelques années, notamment depuis les attentats du 11-Septembre, le SHIELD avait gagné une influence considérable, et cet organisme ultrasecret, qu’on associait jadis au côté de la CIA ou de la NSA, avait maintenant un aspect public très important.

Tout avait changé lors de la mise en place de l’Initiative, un programme d’insertion des personnes dotées de capacités surnaturelles, et qui était l’une des suites de la loi de recensement des super-héros. L’Initiative était un projet visant maintenant à permettre à tous les individus dotés de capacités surnaturelles de pouvoir les maîtriser. Pour cela, une personne pensant avoir des capacités extrasensorielles pouvait se rendre sur le site du SHIELD, où l’agence avait mis en place un service de contact fonctionnant, soit par mail, soit par téléphone. En échange de ses coordonnées, la personne recevait une invitation à un rendez-vous aux locaux du SHIELD.

Lesdits locaux se trouvaient dans les sous-sols de Seikusu Base Camp. La base du SHIELD avait été construite dans la falaise, dans un ensemble de réseaux de grottes, accessible depuis la base. Pour se rendre à la base si on n’avait pas de locomotions, il existait une ligne de transport en commun faisant la navette depuis la gare, et qui amenait généralement des touristes voulant voir les installations de la base, ou encore celles du SHIELD. Les touristes avaient sensiblement augmenté depuis que le SHIELD s’était installé ici. On pouvait photographier les Quinjets, ou parfois avoir la chance de voir une partie des programmes d’entraînement des méta-humains.

*Ce qui donne parfois l’impression que nous sommes des animaux de foire...*

Carol Danvers, alias Miss Marvel, flottait au-dessus de Seikusu Base Camp, en observant la région. Capable d’absorber et de redistribuer sous forme de rayons et de boules n’importe quelle forme d’énergie, et aussi de voler, Miss Marvel était un membre de poids au sein du SHIELD, une ancienne militaire, familière avec les protocoles militaires. Elle était passée assez rapidement du statut de simple recrue à celui de formatrice, un rôle dans lequel elle se complaisait plutôt bien, et qui lui évitait de sombrer à nouveau dans les voies de l’alcoolisme, voies dans lesquelles elle avait déjà trébuché dans le passé.

Pour l’heure, elle volait donc, car elle savait qu’elle avait un rendez-vous dans une heure.

Avec un possible individu doté de capacités extrasensorielles.

*bip* *bip* *bip*

Cinq heures du mat' j'ai des frissons
Je claque des dents et je monte le son
Seul sur le lit
Dans mes draps bleus froissés
C'est l'insomnie
Sommeil cassé
Je perds la tête...

Pas de chagrin d'amour mais ces quelques mots résumaient bien la vie de Masaru depuis qu'il avait tutoyé la mort, qu'il l'avait touchée du doigt avant de la laisser là où elle était, et de continuer son chemin. Masaru avait survécu à cette prise d'otages - assassinats en règle, non sans quelques séquelles. Non physiologiques, il ne s'était absolument rien cassé, mais psychologiques. Chaque nuit lui paraissait être un calvaire interminable, à jongler entre réveils en sursaut en repensant au bruit de ce crâne se faisant transpercer de part en part, pleurs seul dans son lit où tout simplement pensées noires. Pourquoi lui avait survécu? Pourquoi n'avait t-il pas eu son idée brillante plus tôt?

Cela faisait maintenant plusieurs longues semaines que tout ça s'était déroulé. Il prenait de temps à autre des nouvelles de Joana, mais il agissait comme un zombie, dont toute l'énergie se faisait aspirer par ses souvenirs. Tout paraissait fade, dénué de vie et froid pour lui. Il était tiraillé entre le fait de savourer la vie à pleines dents maintenant qu'il avait failli la perdre, et ressasser cet épisode dramatique. Mais il n'avait jamais été un hédoniste. Plutôt que de savourer il a toujours préféré cogiter. A force de repenser à tout, dans les moindres détails, le fait qu'il trouve son plan dans des conditions pareilles le perturbait de plus en plus. Jusqu'à présent il a toujours mal réagi au stress, et a toujours fui les conflits car il ne se sentait pas capable de pouvoir avoir une emprise sur une bagarre, ou même pire encore. Mais là ça avait été différent. Il se souvint de cette déduction lors de cette prise d'otages, dans ce moment complètement unique, ou pour lui le temps s'était arrêté. Il avait eu l'impression qu'il avait tout le temps du monde pour réfléchir, observer. Il voyait mieux, entendait mieux, mobilisait tout ce qu'il avait appris sans aucun problème. Comme s'il avait accès à tout son corps, ses sens, sa mémoire, ses compétences cognitives. Il avait deviné, probablement à raison, qu'une femme trompait son mari juste en voyant une alliance dans un sac, alors qu'on le menaçait de mort et que ladite mort semblait imminente.

On a déjà recensé des cas où des individus s'étaient transcendés en voyant la mort arriver, mais jamais dans un cas pareil. Peut-être était-ce naturel, et son instinct purement cartésien le faisait pencher vers cette piste, mais les évènements de Manhattan, Iron Man et tous les autres qui sauvèrent la Terre face à une menace extra-terrestre... Notre conception du réel était tronquée de tout un pan de connaissances auxquelles nous n'avions pas encore accès. Auxquelles nous n'aurions peut-être jamais accès, à cause de notre finitude... Nos limites. Ce qui fait nos forces, nos faiblesses... Mais comment savoir?

Le SHIELD avait mis en place un service d'aides aux personnes ne sachant quoi faire de leurs "pouvoirs". Masaru ne croyait pas à l'hypothèse selon laquelle il était un super-héros, mais il avait besoin d'en avoir le coeur net. Un deuxième épisode, encore plus récent, l'aiguillait dans la direction de capacités extrasensorielles toutefois. Masaru avait eu vent d'une déferlante sordide au sein de Daesh, les peines de morts s'étant rendues encore plus courantes suite à un (énième) délire paranoiaque de l'un des leaders. En voyant des images sur le net, Masaru se révulsa et commença à essayer de trouver une parade à ça. Mais pas moyen d'activer à nouveau ce bullet time qu'il avait vécu auparavant. Jusqu'à ce qu'il vit en direct une exécution, encore une. Cela semblait irréel mais ça l'était bel et bien, et en direct.

Révulsé il commença à lancer une attaque informatique vers les centrales et les puits de pétrole gérés par l'EIIL, ces images toujours en tête. Sans vivres, et sans moyen de commercer avec le reste du monde, l'organisation allait tomber sous son propre poids. Le bullet-time revint. Moins intense, mais il revient tout de même. Tapant plus vite qu'il n'avait jamais tapé, passant les pare-feux les uns après les autres, remontant toutes les sécurités possibles et imaginables. Il ne savait pas où il avait appris ça mais apparemment, ces connaissances étaient logées quelque part dans son cerveau. Quand le bullet time passait il switchait sur la webTV où d'autres exécution savaient lieu, pour qu'il ait de nouveau un coup de fouet. Il avait peur d'avoir à se doper à l'horreur, mais il se devait d'aller au bout sans quoi on pourrait remonter jusqu'à lui, et pour rien. Il lança son attaque, et attendit, avant de repasser une nuit horrible, sans savoir si cela avait marché.

Quelques jours plus tard on eut des nouvelles par les journaux. Apparemment deux pipelines avaient lâchés dans la région contrôlée par Daesh, à cause d'une défaillance mécanique. Cela fut le déclic pour Masaru, il envoya son CV, avec le récit précis de toutes ces péripéties au site du SHIELD. On lui donna un RDV dans l'après-midi même, au centre de Seikusu. Il téléphona à l'administration du lycée pour se faire porter pâle (bien que son teint ne soit effectivement pas très hâlé, son visage étant très marqué). Il monta dans le bus vers la station militaire, une navette qui avait été affrétée spécialement pour les voyages entre Seikusu et la base. Un voyage long, qui sembla une éternité pour Masaru. Les écouteurs sur les oreilles, la tête contre la fenêtre, il pensa à tout ça. Etait-il un taré qui avait besoin de voir des choses affreuses pour se transcender? Ou simplement avait-il besoin d'être stressé? Aucune idée. Et il descendit au terminus avec la ferme intention d'avoir des réponses. Le bus le lâcha à son arrêt et il vit l'immense centre entouré de barbelés, et de militaires faisant des rondes. Si des réponses pouvaient lui être apportées, elles le seraient ici.

Il montra patte blanche aux gardes, en montrant sa convocation. Il fut fouillé, puis aiguillés sur un petit chemin qui s'éloignait de l'accueil pour touristes, avant d'arriver à un petit hall où des gens semblaient travailler. Certains courraient, attaché-case à la main, d'autres jonglaient avec des feuilles. Il expliqua sa situation à l'hôtesse, qui l'aiguilla dans une salle d'attente, entièrement vide. Son stress monta un peu, se demandant si cette rencontre allait changer sa vie, dans un sens ou dans un autre. Il entendit des pas venir vers cette salle. Rien qu'au bruit c'était une femme. Elle arrivait. Sa respiration s'accéléra, peut-être allait-il enfin avoir les réponses qu'il attendait.

« Est-ce qu’on pourra rejoindre le Peak ?
 -  Il est trop classe !
 -  Malheureusement, le Peak est une base confidentielle, à l’accès restreint. Pour l’heure, les touristes n’ont pas le droit d’y entrer. »

Le bâtiment principal de Seikusu Base Camp était un grand bâtiment ayant la particularité d’abriter une sorte de musée. De fait, le bâtiment jouxtait un autre bâtiment, qui abritait ce qui, pendant longtemps, avait été un simple musée destiné à financer les installations présentes (ainsi que les troupes japonaises). C’était alors un musée en hommage à la Seconde Guerre Mondiale, et, plus spécifiquement, à la reconstruction japonaise. Un musée alors assez populaire, avec des maquettes représentant la Seikusu de 1945, quand elle avait été bombardée par les Américains, et la manière dont elle avait été progressivement reconstruite. L’ensemble s’accompagnait alors de vidéos dans une salle de projection. Maintenant, ce musée avait été reconverti. Ce qui concernait la guerre avait été transféré à un musée du centre-ville, et Seikusu Base Camp présentait maintenant le SHIELD et ses infrastructures, l’équipement fourni étant financé par Stark Industries, une transnationale qui avait toujours été très proche du SHIELD, et qui, de fait, participait en grande partie à son financement.

Outre une présentation des super-héros, il y avait aussi une présentation de l’un des départements du SHIELD le plus connus : le SWORD. On connaissait surtout cette organisation grâce à son QG, une base spatiale s’appelant ‘‘Peak’’, et qui flottait entre la Lune et la Terre. Le SWORD était un organisme conçu par le SHIELD après les invasions dont la Terre avait fait preuve, notamment celle des Chitauri, et la prise de conscience du monde entier que la Terre n’était pas seule, et que les ennemis étaient nombreux, et puissants. Le SHIELD avait alors créé le SWORD, acronyme pour « Sentient Worlds Observation and Response Derpatment ». Autrement dit, un organisme de surveillance spatial, avec quelques particularités. Ainsi, si le SWORD était rattaché au SHIELD, l’organisme était aussi très indépendant, et employait aussi bien du personnel humain qu’extraterrestre, et disposait de technologies alien. De fait, le SWORD était tellement important qu’il constituait presque une sorte de deuxième SHIELD, et il était amusant de comparer chacun des acronymes, cette comparaison permettant, en réalité, de voir les différences entre les deux : le SHIELD était un bouclier ayant pour but de défendre la Terre contre les phénomènes méta-humains, le SWORD était une épée qui n’hésitait pas à envoyer des agents à l’autre bout de l’Univers, et qui avait déjà participé à plusieurs conflits galactiques. Évidemment, tous les gosses faisant des visites étaient fascinés par cette énorme station spatiale, qui leur donnait l’impression de vivre un épisode de « Star Wars ». Dans les faits, les choses étaient un peu différentes. Le Peak avait été conçu à l’aide d’une technologie extraterrestre, et cette station de combat était bien au-delà des compétences humaines actuelles.

*Mais j’admets que c’est une base impressionnante...*

Carol s’y était déjà rendue à deux ou trois occasions. Depuis que le Peak était là, la Terre était réellement protégée, et elle l’était davantage que le Peak n’était pas la seule station spatiale de ce type. Il existait aussi la Watchtower, une autre station spatiale, pour le coup totalement indépendante du SHIELD, et qui abritait le QG de la Ligue des Justiciers. Autant dire que l’espace était bien rempli.

Miss Marvel s’avançait le long des couloirs, en observant les informations qu’elle savait sur l’homme à voir. Masaru Orange... D’après ce que ce dernier avait dit, il était doté d’étranges capacités extrasensorielles liées à l’informatique, et qui lui avaient notamment permis, en surfant sur Internet et en voyant les atrocités commises par Daesh, de saboter plusieurs installations de l’État Islamique. Tout cela était assez nébuleux, et Carol avait envie d’en savoir plus. Elle avançait dans son costume seyant, qui moulait ses fesses à la perfection. Carol rejoignit une salle d’attente, et put voir qu’il n’y avait qu’un seul homme.

« Masaru ? Bonjour... Je suis Carol Danvers. »

Elle tendit la main vers lui. Généralement, le SHIELD avait quantité de canulars, de rendez-vous factices... Mais jamais personne n’allait jusqu’à se rendre à la base si ce n’était pas pour plaisanter. Sa main serra celle de Masaru, et elle lui fit un ravissant sourire.

« On va s’installer dans un endroit plus calme, d’accord ? Suis-moi... »

Miss Marvel s’aventura dans un couloir, grimpa un escalier, puis ouvrit une porte, qui mena dans un petit bureau avec un ordinateur. Les murs étaient nus, et il s’agissait tout simplement d’un bureau d’accueil, qui n’appartenait à personne. Elle lui fit signe de s’asseoir, et elle-même s’installa de l’autre côté du bureau.

« Alors... Tu vas bien ? »

Autant commencer par le début...

-Oh... Enchanté! fit Masaru en serrant la main de Mlle Danvers, répondant au franc sourire par un petit sourire gêné. Difficile de ne pas la remarquer dans son costume coloré, difficile aussi de faire comme si c'était une personne lambda. Masaru prit son sac à dos, et se leva.

Il la suivit dans le dédale de couloir du SHIELD. Lui qui s'attendait à voir des choses extra-ordinaires, et eut l'impression de marcher dans une immense mairie, dans toute l'horreur impersonnelle de l'administration. Il commençait déjà à réfléchir à ce qu'il allait lui dire, et surtout à comment la convaincre. Il s'imaginait déjà tout un paquet de tarés venant jusqu'ici, se vantant de pouvoirs incroyables alors que c'est simplement leur perception de la réalité qui leur jouait des tours. Peut-être que d'être accusé de canular envers une structure comme celle-ci était pénalement répréhensible. Il se rassura comme il put en se rappelant que normalement tout était dans son ordinateur, qu'il avait pris soin d'emmener avec lui pour cet entretien. Après tout, il pourra toujours plaider la bonne foi si jamais, effectivement, il n'avait rien d'exceptionnel.

Masaru s'était préparé comme pour un entretien d'embauche. Costume noir, pantalon noir, chemise blanche, ceinture noir, il ne manquait que la cravate  pour qu'on ait le cliché du jeune cadre dynamique, gendre à la fois parfait et extrêmement banal, à côté d'une personne sans doute dotée de pouvoirs. Il nettoya ses lunettes sur le chemin, presque par tic nerveux, et afin d'être sûr de bien présenter devant une institution pareille. Ils arrivèrent rapidement dans un bureau blanc, sans aucune décoration, ni aucune importance probablement. Il s'assit, posa son sac à dos contre sa chaise, et regarda la demoiselle dans les yeux. "Ne jamais décoller ses yeux de ceux de son interlocuteur", tels étaient les mots qu'on lui avait répété avant chaque entretien d'embauche. Cela n'en était pas exactement un, mais la situation y ressemblait farouchement. D'ailleurs lui même ne savait pas s'il était ici en tant que recrue potentielle, ou simplement comme étant un individu ayant d'éventuels pouvoirs, et qu'il faudrait cataloguer. Peut-être les deux en fait.

La première question surprit Masaru, il hésita quelques instants, avant de répondre. Il ne sut pas s'il fallait rigoler, ou répondre franc jeu. Il opta pour la seconde solution, déjà parce qu'il n'a rien à perdre, et aussi parce qu'il ne connaissait pas les pouvoirs de la personne en face de lui. Après tout, ça ne serait pas idiot qu'ils envoient une personne ayant comme capacité extra-sensorielle de lire dans l'esprit des gens. Si déjà de simples mortels pouvaient le faire, pourquoi pas ce genre de gens.

-Oh... Et bien, à vrai dire j'ai connu des jours meilleurs. J'dois bien vous avouer que j'ai quelques soucis à trouver le sommeil suite aux évènements que j'ai pu relater dans la lettre que j'ai envoyée. lui répondit-il, de sa voix grave et calme.

De toutes façons il aurait bien pu essayer de raconter le contraire, les cernes qu'il avait ne pouvaient que le trahir.

Généralement, les agents répondant aux visiteurs étaient de simples agents du SHIELD, ayant suivi une formation. Carol était un peu différente. Elle était effectivement affiliée au SHIELD, mais était une agente particulière, embauchée essentiellement en raison de ses pouvoirs. Elle n’avait pas été à l’académie du SHIELD. On ne rejoignait pas facilement cette organisation, une organisation qui recrutait sur tous les continents, aussi bien des agents secrets que des scientifiques, sur dossier. Chaque candidat potentiel recevait une invitation à rejoindre le SHIELD, mais on ne le rejoignait pas simplement en venant à un entretien d’embauche. De fait, il n’y avait aucun entretien, car on ne rejoignait pas l’organisation en répondant à une annonce, ou à une offre. Si quelqu’un avait envie de faire partie de l’organisation, il ne trouverait aucune offre. C’était le SHIELD qui vous contactait, et toute personne intéressée recevait ensuite une formation à l’Académie en fonction de ses affinités. Il y avait ainsi, au sein de l’Académie, plusieurs divisions : la section « Opérations » pour les agents de terrain, ou la section « Recherche » pour les scientifiques. Miss Marvel, elle, était rentrée par le circuit externe, le circuit « Super-pouvoirs ». Jadis vus comme des pestiférés, les super-héros avaient progressivement été considérés comme des alliés potentiels, ce qui, chronologiquement, correspondait au moment où Nick Fury Sr. avait perdu de l’influence au sein de son agence. Miss Marvel avait choisi de rejoindre le SHIELD par le biais de l’Initiative, estimant que c’était sa meilleure option... L’autre option aurait été de continuer à dépenser son maigre salaire dans une épicerie de quartier avec un patron pervers dans les bouteilles d’alcool qu’elle s’enfilait. Maintenant, elle était clean, et, même si elle allait encore aux AA, et suivait le programme des Douze Étapes, elle avait les idées suffisamment claires pour participer aux missions... Et pour commencer à recruter.

Elle était donc assise face à Masaru. Le jeune homme s’était retrouvé dans une prise d’otages, un braquage classique, et avait fait usage de pouvoirs assez spéciaux. Carol avait commencé par une question simple, destinée à lancer l’homme. Il était nerveux, tendu comme une corde de violon, ce qu’elle pouvait comprendre. On n’allait pas tous les jours dans une base militaire, et encore moins face à une organisation réputée sur Internet pour être une agence américaine orwellienne. Les différents lanceurs d’alerte comme WikiLeaks passaient leur temps à dire que le SHIELD était une structure monolithique, liberticide, au fonctionnement kafkaïen, l’incarnation même de tout ce que les ténors des libertés individuelles défendait, une organisation paranoïaque n’hésitant pas à enlever des enfants et à mener des expériences sur eux... Comme dans les films. Il était donc normal d’être nerveux. Carol nota aussi que l’homme semblait faire tout son possible pour juste fixer ses yeux.

*Ne t’inquiète pas, avait-elle envie de lui dire, je sais que les images de mes fesses et de ma poitrine font fureur sur Instagram.*

Il lui répondit néanmoins assez rapidement :

« Oh... Et bien, à vrai dire j'ai connu des jours meilleurs. J'dois bien vous avouer que j'ai quelques soucis à trouver le sommeil suite aux évènements que j'ai pu relater dans la lettre que j'ai envoyée. »

Elle hocha la tête, et ouvrit le dossier devant elle. On pouvait y voir différents documents : une copie de sa lettre, mais aussi d’autres informations. Le dossier, toutefois, n’était pas bien épais, car il s’agissait juste d’une simple recherche d’informations.

« Oui, le braquage... J’en ai entendu parler aux infos’. »

Le braquage avait été sanglant. Un serveur avait été tué, et les braqueurs n’étaient pas de simples voleurs, mais des extrémistes appartenant à Nippon Kaigi, un mouvement japonais connu pour ses positions radicales à l’égard de l’immigration. Comme tant d’autres mouvements populistes, Nippon Kaigi blâmait l’arrivée des étrangers comme principale cause des crises économiques que le Japon traversait. De fait, plusieurs éléments du dossier étaient essentiellement liés à ce braquage. D’autres concernaient le père de Masaru, qui n’était pas n’importe qui : un ambassadeur français qui s’était retrouvé au Japon durant la deuxième moitié des années 1990’s, quand Jacques Chirac était le Président de la France. Carol, en pure Américaine, acceptait d’emblée son manque de culture sur cette partie des relations internationales de la France. Si on lui demandait ce à quoi elle pensait en évoquant « Jacques Chirac » et « Japon », elle parlerait de cette histoire autour d’un obscur compte japonais, et du masque japonais à l’effigie de cet ancien Président.

« Je comprends que ça ait pu te secouer... Je suppose que c’est de cette manière que tes... Hum... Tes facultés se sont dévoilées. C’est normal ; sous un état émotionnel intense, on perd notre contrôle, et c’est dans ce genre de situations que nos pouvoirs peuvent se déclencher. C’est comme ça que j’ai découvert les miens. C’est une réaction d’autodéfense du cerveau humain... »

Elle lui balançait de rapides explications pseudo-scientifiques (ce n’était pas vraiment une scientifique, et Carol était plus à l’aise dans le cockpit d’un avion plutôt qu’à parler de manifestations de pouvoirs paranormaux) pour lui donner un cadre, pour lui montrer qu’elle savait ce qui se passait, et qu’ils avaient ça sous contrôle.

« Tu peux m’en dire plus sur tes facultés ? » s’enquit-elle ensuite, après une courte pause.

Masaru était passé du stade de la tristesse à celui d'une mélancolie teintée de réflexion. Il s'était réveillé en sursaut plusieurs nuits d'affilée, en pleurs, mais maintenant il commençait à vivre avec. Le fait qu'il voie fréquemment Joana l'aidait beaucoup... A vrai dire ils s'aidaient mutuellement. Des coups de fil, des rencontres... Ils étaient chacun la bouée de sauvetage de l'autre.

L'explication de Carol satisfaisait Masaru, puisqu'il avait eu le même raisonnement il y a un moment déjà. Il avait mis ça sur le dos de l'instinct de survie, le cerveau cherchant et développant des capacités incroyables lorsque l'individu est en danger de mort. Cette explication eut même l'avantage de rassurer un peu Masaru qui se dit sur le moment qu'il était bien dans un endroit où on avait l'habitude d'avoir à traiter ce genre de phénomènes. Puis vint la question pour laquelle il avait répété la réponse à de nombreuses reprises chez lui, tant il savait qu'elle allait arriver. Après tout, il était venu ici justement pour qu'on lui pose cette question. Et au moment où vint le fatidique moment, tout ce qu'il avait répété disparu de son esprit, comme envolé à cause du stress et de l'enjeu de ce qui se déroulait. Il chercha ses mots, car il avait au final plusieurs éléments à énoncer sans savoir dans quel ordre. Après quelques secondes où on pouvait manifestement le voir chercher ses mots, il lança finalement:

-Disons que j'arrive à me transcender lorsque je suis en situation de stress très intense... Ce qui arrive assez souvent vu que j'ai tendance à être très facilement stressé fit-il, un sourire en coin, pour détendre un peu l'atmosphère. Son regard qui s'était fixé dans un coin de la salle, pour chercher ses mots, revinrent se planter dans ceux de Carol, en même temps que revint son air sérieux. Il venait de trouver comme dire ce qu'il avait à dire.

-Des deux expériences que j'ai eues, j'ai l'impression que j'ai accès à l'intégralité des connaissances et des aptitudes de mon cerveau lorsqu'il sent qu'il en a besoin. Je réfléchis beaucoup beaucoup plus vite, en sollicitant des connaissances que je ne pensais pas avoir, et en raisonnant rapidement sans vraiment savoir comment. J'imagine que vous avez accès aux bandes de surveillances d'ici, et à la liste des témoins. Je me rappelle très bien que pendant que j'élaborais mon...

Il hésita sur le mot, et en profita pour reprendre sa respiration.

-Stratagème...? J'ai remarqué qu'une femme ne portait pas son alliance et qu'elle était tombée de son sac à main d'ailleurs. Outre mes capacités cognitives mes sens m'ont semblé transcendés également, et j'ai remarqué que l'intérieur de la bague était propre, indiquant qu'elle était fréquemment enlevée. L'homme en face d'elle ne portait pas d'alliance, et je peux quasiment assurer qu'ils avaient une relation alors qu'elle était mariée. Vous pourrez avoir accès aux relevés téléphoniques de la dame, vous devriez trouver des preuves de tout ça j'imagine.

Il se posa quelques instants puisque ce qu'il avait dit était déjà dense en sens.

-Pour être tout à fait franc j'ai un peu de mal à savoir comment tout ceci marche, à connaitre les limites de ces... Capacités, et c'est dans cette optique que j'ai fait la démarche de vous contacter. Après j'ai tout à fait conscience que c'est dur à prouver, mais en l'état actuel des choses à part les bandes du braquages je n'ai pas de véritable preuve tangible, a fortiori pour une compétence qui se passe dans mon cerveau...

Il avait peur d'une chose: qu'on ne le croit pas, qu'on le prenne pour un fou et qu'on le fiche dans la case des gens peu fiables qui faisaient tout pour chercher de l'attention.

Carol l’écouta donc, tandis qu’il lui expliqua que ses pouvoirs consistaient à se « [|i]transcender[/i] ». Une explication sibylline, qu’il développe fort heureusement rapidement, par le biais d’un exemple. Miss Marvel, de ce qu’elle comprit, se dit que ses pouvoirs étaient un peu comme ceux de ce policier dans cette série télévisée des années 90’s, « The Sentinel ». Il pouvait amplifier ses sens, l’expliquant avec l’histoire d’une bague, et, vu le regard qu’il avait, Carol comprit qu’il avait peur qu’on lui dise d’aller se rhabiller, que tout cela n’était qu’un canular. Elle le savait pour l’avoir elle-même ressenti, et avoir lu des études dessus : les psychiatres du SHIELD appelaient ça sous différents noms, et celui qu’elle aimait le plus était « phénomène d’attraction de la normalité ». Autrement dit, tous les êtres vivants avaient profondément envie de s’insérer dans une communauté. Or, pour s’y insérer, il fallait remplir les « critères de normalité » de ladite société, ces critères évoluant en fonction des époques. Or, quand on avait des pouvoirs, on ne rentrait pas dans ces critères, amenant les gens à les dissimuler, ou à essayer de les faire disparaître... Ce qui, bien sûr, n’arrivait jamais. C’est pour cette raison que le SHIELD lançait de multiples programmes publicitaires visant à encourager les gens disposant d’aptitudes surnaturelles à venir, à leur faire comprendre que ce qu’ils avaient n’était pas une malédiction, mais un don. La tâche n’était pas facile, et Carol se devait bien de le reconnaître.

Masaru était nerveux, et, après son exposé, Carol tourna plusieurs pages de son dossier, jusqu’à trouver des formulaires vierges. Il attendait une réponse de sa part, une confirmation, des explications, un « Je vous crois » plein de sincérité qui l’amènerait à se dire qu’il n’était pas fou.

« Bien... Tout d’abord, Masaru, tu dois savoir que notre but n’est pas de faire disparaître ton don. Si tu t’es renseigné, tu sais qu’il existe un sérum anti-mutants, mais... D’une part, il n’est pas fiable, et, d’autre part, il ne s’applique pas dans tous les cas. Et, outre ça, nous trouvons dommage de devoir séparer quelqu’un d’un don. Les pouvoirs que tu as, c’est comme une personne qui naîtrait avec des jambes exceptionnelles et une carrure de sportif. La Nature dote les individus d’attributs différents, et il faut apprendre à vivre avec eux. C’est ce que nous proposons, ici. C’est un programme qui est gratuit, mais qui demande du temps, et de la volonté... Surtout de la volonté, en fait. »

Elle se tut quelques secondes, laissant à l’homme le temps d’assimiler tout ce qu’elle venait de dire. Ensuite, la jeune femme reprit :

« Pour commencer, nous pouvons te faire passer des tests afin d’essayer de déterminer l’origine de tes pouvoirs. Des scanners, des trucs comme ça. Tu ne risques rien, mais, comme il s’agit d’éléments privés, il nous faut ton accord pour les faire. »

C’est à cette fin qu’il y avait le formulaire, qu’elle glissa vers lui en le retournant. Il y avait plusieurs lignes avec des cases : nom, prénom, âge, et un plus grand carré blanc où il fallait recopier une phrase imprimée, en la signant et la datant. C’était une autorisation pour effectuer des tests, que ce soit des prélèvements sanguins, de salives, voire de sperme, ou encore la possibilité de faire des scanners. Un formulaire joint permettait de refuser certaines opérations. Carol le laissa lire le document, et reprit ensuite :

« Je pense que ton don est lié à l’utilisation de tes sens... Des tests pourront confirmer ça, mais je pense que ces pouvoirs ont toujours été latents en toi. Très souvent, les pouvoirs d’une personne s’enfouissent pendant l’enfance, à une époque où une  personne, pour mieux correspondre à ce qu’on attend d’elle, et agissant par mimétisme, enfouit ce qu’elle est capable de faire. C’est pour ça que, généralement, les premières manifestations de pouvoirs se font pendant la période de l’adolescence, quand les hormones se réveillent, et qu’une personne commence à contester l’autorité de ses parents. Nous pouvons t’aider à les contrôler, à les exploiter, mais tout dépendra en grande partie de toi. »

Elle sourit alors, et, comme pour ajouter une nuance d’humour, rajouta :

« Au moins, tes yeux ne balancent pas des lasers... »

Masaru sourit à la dernière remarque, et ne put s'empêcher de répondre, sourire aux lèvres tandis qu'il allait pour se pencher sur les différents formulaires:

-Non effectivement, ça ferait mauvais genre devant mes élèves...

Masaru sortit un stylo-bic bleu de son sac, et commença à se pencher sur toute la paperasse qui était sous son nez, sur ce qu'il avait coutume d'appeler "l'Enfer administratif". A vrai dire il ne s'y était jamais vraiment intéressé, et même s'il était forcé de constater que tout ceci avait son utilité, il remplissait les cases qu'on lui demandait de remplir sans véritablement chercher à comprendre toutes les lois sous-jacentes à chaque formulaire, à chaque dérogation.
Son stress n'avait pas complètement disparu mais il se sentait mieux, moins oppressé par la situation. Déjà le joli sourire de son interlocutrice l'avait mis à l'aise, et puis surtout il se sentait compris, et pris en charge. En remplissant quelques cases exigeant ses coordonnées, il se remit dans le contexte de l'institution qui l’accueillait présentement. Ils avaient connu des demi-dieux venant des confins d'une autre galaxie, alors quelqu'un qui comprend mieux et perçoit mieux quand il est stressé... Sa fierté fut pour ainsi dire piquée lorsqu'il se rendit compte de sa quasi-normalité vis à vis de ces individus. Il fit d'ailleurs un parallèle avec le reste de sa vie, et se dit qu'on ne se change pas vu qu'il avait déjà connu cette situation.

Trop malin pour être classé parmi les élèves lambdas, pas assez pour faire partie d'une "élite", trop anormal pour rentrer dans le moule mais pas assez pour vraiment sortir des clous, Masaru avait l'habitude de faire partie du no man's land de l'existence et de la société, il savait déjà ce que c'était que de vivre dans l'entre-deux. Cette pensée le rassura en se disant qu'il ne partait pas complètement en terre inconnue.

Au détour d'une énième itération de sa signature avec la date du jour, il se permis de préciser quelque chose pendant le blanc qui s'étalait.

-Vous savez, je n'ai jamais eu l'intention de vouloir me priver de tout ça, de ce qui semblerait être une capacité... Anormale dirons-nous. Ce que je veux en fait, c'est comprendre ce qui se passe, et essayer de m'en servir pour aider mon prochain.

Il leva les yeux d'un formulaire quelconque à propos du fait d'autoriser le SHIELD à faire des IRM s'ils le souhaitaient, et eut un petit sourire en coin.

-"Aider mon prochain" peut sembler un peu pompeux, mais l'idée reste là. Je me dis que si ça peut servir à d'autres, ça serait idiot de s'en priver. Enfin si y a moyen d'en faire quelque chose d'utilisable évidemment. En tout cas vous pouvez vous assurer que je suis motivé à suivre votre programme.

*Parce qu'à part faire de moi un super flic je vois pas trop comment ça pourrait servir... Ptet dans leur secteur R&D j'imagine et encore...*

Il tendit peu après à Mlle Danvers le paquet de formulaires, tous signés et datés affirmant qu'il était prêt à suivre une batterie de tests, affirmant également qu'il était d'accord pour respecter une clause de confidentialité quant aux éventuelles informations que le SHIELD était susceptible de lui transmettre.

Il y avait quelque chose de rassurant dans le fait de remplir des formulaires administratifs, quelque chose d’inconscient. Les papiers, c’était la vie normale, c’était la preuve qu’on avait affaire à quelque chose d’administratif, de bureaucratique, donc de compréhensible, de familier. C’est surtout pour ça que Masaru remplissait ce formulaire. Honnêtement, Carol n’était pas convaincue que quiconque le verrait. Le SHIELD n’était pas une organisation comme les autres. On la rapprochait des agences de renseignement secrets des États-Unis, comme la CIA ou la NSA, mais le SHIELD ne se limitait pas qu’à ça. C’était une organisation de contre-espionnage complexe, rattachée à l’autorité américaine, à l’OTAN, mais créée par mandat de l’ONU. Et, au-delà de ça, c’était la forme moderne d’une très ancienne confrérie, une confrérie qui remontait jusqu’à l’Égypte Antique, et qui avait toujours existé, dans l’ombre, afin de défendre les humains des menaces surnaturelles. Une confrérie qui avait eu ses hauts et ses bas, ses moments de faiblesse et ses moments de victoire. Depuis des éons, la Confrérie du Bouclier emmagasinait dans des caches secrètes des technologies extraterrestres et des recherches portant sur ces technologies. Cette habitude ne s’était pas perdue avec l’âge, et cette histoire faisait clairement du SHIELD une organisation particulière. Liberticide, continuellement critiquée par les lanceurs d’alerte, elle bénéficiait d’un fonctionnement paranoïaque et qui était presque terroriste, dans la mesure où l’agence avait quantité de microcellules indépendantes les unes des autres, réparties sur de nombreux territoires, et quantité de plans de secours en cas de destruction du SHIELD, pour permettre sa reconstruction et la préservation des données les plus sensibles. En fait, Carol n’était pas sûre qu’il y ait une seule personne au sein de l’agence à savoir vraiment comment cette dernière fonctionnait. C’était assez difficile à expliquer pour Carol, et c’était pour ça qu’elle restait relativement en-dehors de l’organisation, préférant son statut actuel.

*Tiens-toi proche de tes amis, mais encore plus proche de tes ennemis...*

Ce que Carol gardait pour elle-même, c’est qu’elle ignorait si c’était le SHIELD qui était derrière son accident d’avion, et donc derrière sa mutation. Elle y songeait silencieusement, avant que Masaru ne finisse par lui retourner le formulaire. Elle le récupéra rapidement, y jeta un coup d’œil pour la forme, puis le glissa dans le dossier.

« Merci... Pour le reste... Généralement, l’inhibition des pouvoirs est liée à votre inconscient, ce qui explique pourquoi les personnes sont souvent surprises et paniquées quand ces pouvoirs se manifestent. Peut-être que, en étant bébé, votre esprit en avait assez d’entendre les cliquètements d’une minuscule araignée sous votre lit, de voir de minuscules insectes ressemblant à des monstres hollywoodiens, que vous faisiez des cauchemars là-dessus... Votre sur-moi a donc veillé à ce que ces éléments perturbants ne se reproduisent plus, et vous a formaté. »

Carol s’était renseignée sur le fonctionnement de l’esprit depuis qu’elle avait été limogée de l’armée. Elle avait ainsi revu l’existence des topiques de Freud, la distinction entre « conscient » et « inconscient », et plus particulièrement ensuite entre le « moi », le « sur-moi », et le « ça », le premier étant une sorte de force influencée par les deux autres. Les pouvoirs méta-humains, comme ceux de Masaru, s’inscrivaient dans ce fonctionnement.

« Et, si tu veux te rendre utile à la communauté, ce n’est pas moi que ça va déranger. Tout pouvoir est utile, pour peu qu’on arrive à le faire bien fonctionner. »

Il allait falloir passer à la suite, maintenant.

« Suis-moi, on va aller au laboratoire faire quelques tests. »

Carol sortit du bureau, et marcha le long des couloirs, jusqu’à se rapprocher des ascenseurs. Elle appuya sur un bouton. C’était le meilleur moyen de rejoindre le bunker, qui se situait sous la base militaire. Les escaliers de service y conduisant n’étaient ouverts qu’en cas d’urgence.

« Alors, dis-moi... Tu as envie d’être un Vengeur, donc ? Tu as réfléchi à ton nom de code ? »

Masaru écouta religieusement Carol sans dire un mot, et quand vint l'explication freudienne il se contenta d’acquiescer en hochant légèrement la tête. Il s'est bien gardé de dire tout ce qu'il pensait de la théorie freudienne à sa charmante interlocutrice, tant il avait potassé le sujet lors de sa maitrise d'épistémologie. Pour lui, il est impossible de faire de la science sans avoir une source de spiritualité quel qu'elle soit, tant les deux domaines apportent des réponses dans des domaines totalement distincts de la connaissance et de l'appréhension du monde. Selon lui, et selon bien d'autres il faut bien se l'avouer, la religion et la philosophie répondent au pourquoi des choses et tentent d'apporter une réponse quant au sens, tandis que la science essaye d'expliquer le comment des choses. C'est pourquoi la philosophie lui tient à coeur, et cela explique donc ses connaissances vastes dans ce domaine qui l'est encore plus qu'est la philosophie.

Sans être prétentieux au point de nier totalement l'impact de Freud, Masaru avait bien choisi son camp entre l'explication qu'il qualifiait volontiers de "fumeuse" auprès de ses amis qui voulaient bien l'écouter, et celles de Spinoza et de Sartre qui ne croyaient pas à une théorie de l'inconscient, ou qui, tout du moins, n'y accordaient pas tant d'importance que cette théorie était invérifiable sinon sans la supposer vraie au préalable. Il fit d'ailleurs le lien en y pensant entre Gödel et tout ceci, avant de reprendre ses esprits et de revenir au sujet initial de sa venue ici. Peut-être qu'une discussion éclairée à la manière des Lumières dans les salons un peu guindés du XVIIIe aurait lieu entre lui et la demoiselle à l'occasion, en tout cas ça n'était pas le moment ni l'endroit.

Quand elle aborda la question des tests il acquiesça de nouveau et se leva en prenant sa veste et son sac à dos noir. Il marcha à côté de Mlle Danvers avant d'arriver à un ascenseur devant lequel il attendit tranquillement.

 Il ne put s'empêcher d'étouffer un petit rire un peu gêné à la question de Miss Marvel tant il ne s'y attendait pas.

-Je pensais pas que j'en étais déjà là dans le processus de recrutement, lâcha t-il avec son sourire habituel, un peu en coin et laissant s'échapper ses pommettes saillantes, avant de reprendre le regard planté dans le vide, songeur, j'dois vous avouer que j'y avais pas vraiment pensé. Si je suis venu au final c'est d'une part pour mieux me comprendre, mais aussi pour essayer d'aider mon prochain. A aucun moment j'ai envisagé une seule seconde de faire partie des Vengeurs. Je me vois mal triompher au champ d'honneur en compagnie d'Iron Man et de Captain America.

Il s'interrompit et laissa Carol passer devant lui pour rentrer en premier dans l'ascenseur, en lui laissant le soin d'appuyer sur l'étage correspondant.

-Enfin je dis ça mais, ne vous méprenez pas, c'est pas comme si j'avais pas envie d'être aux côtés de ces gens illustres mais... Il marqua un petit temps de pause pour réfléchir, puis se tourna vers son interlocutrice. J'aimerai beaucoup en fait faire partie de cette équipe, mais pour l'instant ça me parait un peu irréel tant ces gens me semblent loin de moi, j'ai beau savoir qu'ils existent ils semblent pour moi être presque des êtres fictifs. Je vois pas trop ce que je pourrais leur apporter. Mais s'il s'avère qu'après la batterie de tests à venir je peux apporter ma pierre à l'édifice, et qu'en plus -comble du bonheur- je pourrais rencontrer les Dr Banner et Stark, alors oui évidemment je signe des deux mains, conclut-il son sourire affiché.

« Tu sais, Spider-Man se bat aux côtés de Thor... Ce n’est pas sur le critère de la puissance physique que les Vengeurs sont recrutés. »

L’ascenseur était arrivé, et Carol grimpa à l’intérieur. Elle appuya sur un bouton, et les portes se refermèrent, puis le cube métallique se mit à descendre, filant dans les profondeurs de la base. Les Vengeurs... La fameuse équipe de super-héros montée originairement par Iron Man, Thor, La Guêpe, l’Homme-Fourmi, Hulk et Captain America, était maintenant une équipe reconnue, jouant dans la même cour que la Ligue des Justiciers, si ce n’est que, là où la Ligue conservait une forte indépendance, les Vengeurs étaient proches du SHIELD. Il n’était pas faux de considérer qu’ils étaient progressivement devenus le bras armé du SHIELD, même si, dans les faits, tout était toujours nuancé. L’équipe était financée par Stark Industries, et bénéficiait donc d’une relative indépendance financière, logistique et juridique, mais elle était très proche du SHIELD. Carol analysait plutôt ça comme une étroite collaboration. Quand les Vengeurs partaient en mission en Latvérie, c’était souvent sur la base de missions ou de renseignements obtenus par l’agence de renseignement. Miss Marvel le savait plutôt bien, puisqu’elle faisait partie de l’équipe... Ou, en tout cas, de la partie de l’équipe qui fonctionnait au Japon. Avec tous les évènements paranormaux qui avaient lié à Seikusu, les Vengeurs n’étaient pas de trop pour tenter d’empêcher la ville d’exploser, ou tout le Japon de sombrer dans le chaos et dans l’anarchie.

Carol faisait partie de l’équipe, et elle reprit, en rebondissant sur la dernière phrase formulée par Masaru :

« Banner et Stark, hein ? Vous devriez plutôt voir le Docteur Pym ou Richards, ils sont un peu moins... Excentriques. »

Et ils venaient ici plus souvent que les deux autres. Reed Richards était depuis longtemps le grand spécialiste terrien en matière de réalités alternatives et de dimensions parallèles. Il avait même conçu un observatoire permettant de voir et de communiquer avec les autres dimensions parallèles, le « Bridge ». Les anomalies dimensionnelles de Seikusu étaient très attirantes pour lui, et expliquaient pourquoi il venait assez fréquemment. Si la science passionnait Masaru, c’était pour lui la meilleure aubaine qui soit. Du moins, c’était l’humble avis de Miss Marvel.

L’ascenseur descendit sous la base, puis Carol appuya sur un bouton, et les murs disparurent alors, devenant tout simplement transparents. L’ascenseur devint donc une cage de verre, et elle esquissa un léger sourire. Ils étaient dans une sorte d’immense grotte, éclairée au fond par un trou donnant sur l’extérieur, et, sous leurs pieds, il y avait un bunker métallique qui s’étalait dans la grotte. D’autres ascenseurs similaires permettaient de le rejoindre, et on pouvait aussi voir des cages d’escalier métalliques dans les coins.

« Voici notre base, Masaru. Comme tu vois, elle se trouve sous la base, et a avant tout été pensée pour pouvoir être facile à verrouiller en cas de problème. Impressionnant, hein ? »

On pouvait presque avoir l’impression de se trouver dans un film de science-fiction en voyant ce complexe souterrain. On ne voyait que le toit, et, alors que l’ascenseur se rapprochait, une trappe s’ouvrit pour les laisser passer, les avalant à l’intérieur du complexe.

A la réponse de Carol, Masaru ne pu s'empêcher de penser qu'il ne parlait pas de puissance physique, mais d'anormalité, d’utilité au final sur ledit champ d'honneur. Il ne se sentait pas aussi spécial que ses éventuels illustres futurs collègues, il ne se voyait que comme un simple prof comme il y en a des millions de par le monde. Avec peut-être un petit plus qui ferait sa particularité certes, mais rien de plus. Il ne voulait en fait surtout pas s'exposer pour rien, vendre la peau de l'ours en somme. On ne sait pas encore s'il a vraiment un don ou simplement un goût malsain pour l'adrénaline. Et c'était pour ça qu'il était là, pour répondre à une question que tout le monde s'est posé, a fortiori ceux qui se perdent en chemin, la question de l'identité.

Il laissa la première remarque pour sourire à la seconde avant d'y répondre tout-de-go.

-A vrai dire j'ai pas vraiment de problèmes avec les excentriques... Ca fait partie du personnage Stark, et je sais pas pourquoi ça me fascine un peu. Et puis mine de rien le réacteur ARC est un bijou pour avoir un peu bossé dessus. Mais après ces Docteurs Pym et Richards doivent être intéressants aussi je n'en doute pas. rajouta t-il, avant de s'interrompre l'air béat devant l'ascenseur qui venait se devenir transparent.

Il ne put répondre qu'un timide Effectivement... Impressionnant, soufflé par l'ampleur de ce dans quoi ils s'engouffraient tous les deux. Il connaissait depuis longtemps l'ampleur internationale du SHIELD, et de leurs moyens quasi-illimités, mais c'était bien la première fois qu'il était confronté à quelque chose de pareil. Il s'agrippa néanmoins par réflexe à une des barres de l'ascenseur, à vrai dire on peut comprendre qu'en ayant les pieds dans le vide sans qu'on l'ait prévenu au préalable il ait un peu peur. Si on rajoute à ça son vertige chronique, on ne pourra d'ailleurs que s'étonner qu'il ne panique pas plus. En fait Masaru était plus émerveillé par tout ce qu'il allait sans doute vivre dans l'heure à venir pour avoir peur, et il avait suffisamment confiance dans l'établissement dans lequel il était pour se dire qu'on lui voulait du mal. Il éprouvait une confiance totale et aveugle pour le SHIELD ainsi que ses représentants, premièrement parce qu'il se disait qu'on ne lui voulait pas de mal, et ensuite parce qu'il a vu ses héros défendre la Terre mais aussi les couleurs de cette institution sur tous les écrans de la planète il n'y a pas si longtemps de ça.

Alors qu'ils s'engouffraient dans la trappe qui s'ouvrait, il ne put s'empêcher d'essayer de satisfaire sa curiosité, même s'il n'espérait pas plus que ça avoir une réponse. Peut-être que la surprise ferait partie intégrante du test, des tests à venir.

-Comment ça va se passer là dedans en fait? dit-il, une pointe de stress dans la voix. Il avait confiance en l'établissement dans lequel il était, mais pas plus que ça en lui. En tout cas pas dans des domaines dont il ne se savait pas vraiment capable de faire ses preuves.

La première fois, ça impressionnait toujours. On avait littéralement l’impression de flotter dans le vide, et il valait mieux ne pas avoir le vertige. Fort heureusement, Carol avait toujours aimé être en hauteur. Elle n’avait que douze ans la première fois qu’elle avait grimpé dans un avion, et elle avait adoré ça. Elle vivait alors en pleine campagne, et avait réussi à filer dans l’avion d’un fermier, qui s’en servait pour arroser ses plantes. Depuis les hauteurs, elle avait doré voir la cime des arbres, et, même avant ça, depuis toute petite, l’aviation avait passionné Carol. L’une des idoles de Carol pendant son enfance avait été une aviatrice, Amelia Earhart, la première femme à avoir, en avion, traversé l’Océan Atlantique. Ses parents, au moins, n’avaient jamais eu de mal à lui trouver des cadeaux pour Noël ou pour son anniversaire : des atlas sur les avions, des films et des DVD retraçant l’histoire de l’aviation... Quand ils avaient été à New York pour Noël, juste pour leur fille, ils avaient été à l’Intrepid Sea-Air-Space Museum, un musée consacré à l’histoire maritime, aérienne, et spatiale des États-Unis, avec la particularité qu’il fonctionnait dans d’anciens porte-avions désaffectés, comme l’USS Intrepid. La jeune Carol avait été toute excitée en grimpant sur son premier porte-avions. Et, bien sûr, elle avait aussi visité le National Air and Space Museum, le célèbre musée d’aviation se trouvant à Washington, DC. Autant dire que le vertige n’avait jamais rimé avec Carol Danvers, et qu’elle avait adoré Top Gun. Voler... Il n’existait tout simplement aucune plus belle liberté, pour elle, que de se trouver au milieu des nuages, et de voler avec un banc d’oiseaux.

Elle sortit de ses pensées en se rapprochant de la base, et en entendant Masaru lui demander comment les choses allaient se passer, maintenant. La trappe les avala ensuite, et des lumières s’allumèrent, tandis que les parois se refermaient.

« Tu n’as aucune autorisation, alors... Tu vas te contenter de me suivre. Pour le reste... »

Carol n’eut pas le temps de terminer, car la porte s’ouvrit. Elle s’avança dans un petit couloir blanc menant à une double porte vitrée, et posa sa main sur un interrupteur. La porte s’ouvrit, menant au hall d’accueil, une grande pièce circulaire avec le logo du SHIELD au sol, et un bureau d’accueil et de sécurité. Il y avait quantité d’autres portes. Rien à voir avec le hall du Triskelion, mais ça restait tout de même assez élégant, et sobre. Des hommes en costumes filaient dans tous les sens, et des écrans géants mis au-dessus du bureau de sécurité affichaient différentes informations.

Miss Marvel s’avança un peu, et salua quelques agents. Très rapidement, elle expliqua à Masaru comment la sécurité interne fonctionnait.

« La base est découpée en différents secteurs, ou zones. Chacune de ces zones dispose d’accès spécifiques, et un agent ne peut pas accéder à l’intégralité des zones, sauf à ce qu’il ait un très haut niveau d’accréditation. »

Elle lui expliqua qu’un agent du SHIELD avait un niveau d’accréditation allant de 1 à 10. Le Niveau 10 était légendaire, réservé uniquement au Directeur du SHIELD, Maria Hill, et donnait accès à l’ensemble des bases de données du SHIELD, toutes les fiches sur les agents, tous les dossiers, et l’emplacement de toutes les bases secrètes du SHIELD... Ou presque toutes. Au niveau de la base de Seikusu, chaque couloir avait des portes vitrées de sécurité, qu’on ouvrait à l’aide d’empreintes digitales et rétiniennes. Il y avait une double porte à chaque fois, formant à chaque fois une espèce de petit sas. Ces sas de sécurité se trouvaient généralement à l’entrée de chaque zone.

Le duo se rendit vers la zone scientifique, l’une des plus importantes parties du complexe, découpée en sous-zones : la zone robotique, la zone de recherche scientifique, etc...

« C’est dans cette base que nous récupérons et analysons tous les artefacts paranormaux. Ensuite, selon leur importance et leur classification, ils sont envoyés dans d’autres structures du SHIELD pour des examens plus poussés. »

Mine de rien, c’était une solide organisation.

« Et, après, je pense qu’on fera des essais en réalité virtuelle... Généralement, c’est très efficace, et les nouveaux aiment plutôt bien ça. »

Pas que les nouveaux, d’ailleurs...