Les dessins animés de ses jeunes années parlaient de téléportation, mais c'était entre deux planètes ou deux univers. Là, le vagabond a l'impression d'être comme téléporté dans un monde, sur terre pourtant, qui ignore toutes les lois en vigueur ailleurs. Pas l'une de ces peuplades amazoniennes, qui vit hors du temps, comme des siècles auparavant, avec la nudité pour seul habit et le bonheur pour seul dieu. Mais plutôt une société structurée, évoluée même, mais avec des archaïsmes et des êtres qui ne devraient pas ou plus exister.
Les habitants d'abord. Nombre d'humains, comme lui, dans des tenues pour certaines crasseuses et rapiécées comme issues du Moyen Age, dans des atours élégants pour d'autres dont de très jolies dames qui ne dépareraient pas à la Cour d'Angleterre. Mais celles-là sont entourées d'une armée de gardes et autres larbins, et pas question de les approcher pour leur offrir une bière ; parfois même un simple regard peut exposer le pauvre hère aux foudres de gardes aux armements eux aussi très hétéroclites.
Justement, dans les pauvres hères, il y a quelque chose qui le perturbe au plus haut point. Assis sur le banc, aux abords de la place publique, il a une vue parfaite sur des alignements de cages où attendent patiemment d'étranges créatures mi-humain mi-animal. De la femme des poitrines souvent opulentes et des fesses à faire damner un saint, des chats ou des lapins des oreilles et une queue. Ce qui est évident, c'est que cette société n'a pas aboli l'esclavagisme, et qu ces êtres vivants sont traités comme d'une caste inférieure. Il suffit de voir les visiteurs en quête d'une acquisition, faire sortir l'une de ces nekos, oui c'est ça le terme, de sa prison de fer, pour tâter les seins ou même cravacher les fesses ; aucun scrupule pour montrer en plein public, et il ne compte plus celles dont il a vu de bien jolies fesses rebondies, ou celles qui ont été avilies de toutes les façons avant de retourner dans leur cage car elles ne convenaient pas.
Mais ce marché aux esclaves, pour la condition desquels il ne peut hélas intervenir, recèle fort heureusement de vrais attraits. Le marché au fruits, d'abord, juste adjacent, avec des couleurs et des rondeurs qu'il n'avait jamais vus dans le moindre potager auparavant. Des tomates d'un rouge écarlate, des melon d'une senteur divine, des ananas au jus sucré. Et une ambiance, des rires et des éclats de voix, des gens heureux d'être là, sans oublier une générosité qui fait que tout fruit blet ou aux formes tarabiscotées arrive souvent à Stephen. Un vrai plaisir, combiné aussi à la taverne, juste à côté, où il aime savourer une bière rousse qui, là aussi, a des senteurs vraiment nouvelles.
Si ces lieux ravissent son palis, il est juste à côté d'autres lieux qui ravissent ses yeux. Car le marché aux étoffes est une vraie palette de peintre, où toutes les couleurs, même les plus invraisemblables, se créent. Les femmes d'ici semblent aimer réaliser leurs propres atours, sauf quelques-unes. Mais, celles-là, elles se repèrent très vite. Entourées de leurs gardes, traînant quelques Nekos en chaîne, méprisant et toisant tout un chacun, elles répugnent à Stephen. L'une d'entre elles l'a vraiment marqué par le regard altier et dédaigneux qu'elle lui a adressé ; s'il n'avait pas baissé les yeux, il serait sans doute mort à l'heure qu'il est. Mais, vu comme elle s'est ensuite retournée pour donner un coup de cravache à l'une des nekos qui la suivaient, nul doute que celle-ci doit effectivement être morte à l'heure qu'il est.
Étrange société, à la fois désuète par ses pratiques d'un autre temps, mais civilisée par l'ordre sans faille qui semble y régner, que Stephen regarde, assis à la terrasse de la taverne. D'ordinaire, il ne reste jamais pus d'une semaine, en quelque lieu que ce soit ; mais, là, comme il a de quoi se sustenter au fil des allées du marché où certains commerçants commencent à le reconnaître, comme il a de quoi dormir puisqu'ici l'hospitalité existe encore y compris dans de petits abris mis à libre disposition, sans oublier les petites Nekos qui l'intriguent par leur côté femelle soumise, il a envie de se poser davantage, jusqu'à ce qu'il se lasse certes, et de découvrir plus avant cette civilisation. S'il a toujours affirmé avoir pris la route pour découvrir le monde et ses richesses, il ne s'est jamais interdit d'un jour poser définitivement son sac à dos...